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Date : 20040815

Dossier : IMM-6480-03

Référence : 2004 CF 1081

Toronto (Ontario), le 5 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                 ALKET GJOTA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Alket Gjota, un citoyen de l'Albanie, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dont les motifs sont datés du 30 juillet 2003, par laquelle il s'est vu refuser la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Les questions à trancher en l'espèce sont, premièrement, de savoir si les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont fondées sur une mauvaise interprétation de la preuve et, deuxièmement, de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte d'éléments de preuve pertinents touchant le fondement objectif de la revendication du demandeur. Pour les motifs exposés ci-dessous, j'ai conclu qu'il y avait lieu d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvel examen.

Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont-elles fondées sur une mauvaise interprétation de la preuve?

[2]                Après avoir examiné la preuve et les arguments avancés par le demandeur et le défendeur, je suis convaincu que le demandeur a raison d'affirmer que les motifs de la Commission révèlent que celle-ci a mal interprété certaines conclusions de fait clés qui étaient au coeur des conclusions qu'elle a tirées quant à la crédibilité et à l'invraisemblance et qui l'ont amenée à rejeter la revendication du statut de réfugié du demandeur. En premier lieu, la Commission a cru, à tort, que le demandeur était aux côtés de son oncle lors de la tentative d'assassinat qui a eu lieu en juin 1997. Les circonstances de l'incident décrit dans son FRP, que la Commission a interprété comme étant liées à cette tentative, ont en fait trait à un autre incident au cours duquel le demandeur et un de ses amis ont été battus et ont subi des simulacres d'exécutions après que leur voiture a été arrêtée.


[3]                Cette erreur était importante parce que la Commission semble avoir jugé très improbable que le demandeur et son oncle aient pu tous les deux échapper à une tentative d'assassinat perpétrée à une aussi petite distance. La Commission a confondu deux incidents et s'est ensuite fondée sur son interprétation erronée des faits pour tirer une conclusion quant à la vraisemblance défavorable au demandeur.

[4]                Le demandeur n'a jamais allégué s'être trouvé aux côtés de son oncle lorsque quelqu'un a essayé de le tuer. Le FRP va dans ce sens, et je suis d'accord avec le demandeur lorsqu'il affirme que la Commission aurait dû lui poser des questions à ce sujet à l'audience si elle avait besoin de clarifications. Selon moi, la transcription révèle qu'elle ne l'a pas fait et qu'en fait ni l'agent de protection des réfugiés (l'APR) ni la Commission n'ont interrogé le demandeur au sujet de cet incident.


[5]                En deuxième lieu, la Commission a eu tort de dire dans ses motifs que le demandeur se trouvait dans une voiture lorsqu'on lui a tiré dessus le 5 octobre 2000. Ni le FRP ni le témoignage du demandeur n'indiquent que c'était le cas. Ces sources révèlent plutôt que M. Gjota a clairement dit qu'il marchait le long d'une rue étroite bordée de murets. La conclusion de la Commission ayant trait au caractère incohérent du témoignage du demandeur selon lequel il a sauté un mur pour échapper aux balles et s'est ensuite brièvement caché dans la cour d'une maison avant de retourner chez lui n'est pas vraiment incompatible avec le FRP du demandeur dans lequel celui-ci a allégué qu'il avait [traduction] _ réussi à se cacher dans la cour d'une maison _. Le témoignage du demandeur reproduit à la page 180 du dossier du tribunal clarifie la prétendue incohérence. Le demandeur a mentionné qu'il s'était brièvement caché dans la cour d'une maison avant de retourner tranquillement chez lui pour demander conseil à sa famille sur ce qu'il devait faire. Comme il a été jugé dans Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), la Commission doit éviter de manifester trop de zèle à déceler des contradictions dans le témoignage d'un demandeur et ne doit pas faire preuve d'une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions des personnes qui témoignent par l'intermédiaire d'un interprète. En l'espèce, je suis convaincu que la Commission a examiné de façon trop minutieuse le témoignage du demandeur concernant cette question.


[6]                En troisième lieu, une autre incohérence relevée par la Commission a trait au mois au cours duquel le demandeur a été arrêté et battu par la police. Il est vrai que le demandeur a témoigné de vive voix que cet incident s'est produit le 11 ou le 14 juillet 1999, alors que dans son FRP il a mentionné qu'il a eu lieu en juin 1999. Lorsqu'on l'a questionné au sujet de cette divergence, le demandeur a reconnu qu'il s'était trompé dans son témoignage oral. Il n'en reste pas moins que le demandeur a mentionné dans son FRP que la police [traduction] _ a fait une descente lors de la réunion _ alors qu'il a déclaré dans son témoignage oral que lui et d'autres personnes ont été attaqués par la police pendant qu'ils rentraient chez eux après la réunion. Il était évidemment loisible à la Commission de rejeter l'explication donnée par le demandeur pour justifier cette divergence. De plus, l'inférence négative de la Commission relative au témoignage du demandeur au sujet de la convocation n'a pas été tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés. Toutefois, compte tenu des erreurs que j'ai relevées plus tôt, ces incohérences ne justifient pas à mon avis le rejet par la Commission de la revendication du statut de réfugié du demandeur.

La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ayant trait au fondement objectif de la revendication du demandeur?

[7]                La Commission a tiré une conclusion au sujet de la preuve documentaire, jugeant que celle-ci n'appuyait pas les allégations du demandeur. La Commission a mentionné à titre d'exemple la preuve documentaire ayant trait aux élections du 1er octobre 2000. Le demandeur soutient qu'il existait d'autres éléments de preuve documentaire appuyant ses allégations, éléments que la Commission a omis de mentionner. Le défendeur soutient que la conclusion relative à la preuve documentaire était superflue, compte tenu des conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission. Le défendeur fait également valoir que la Commission a préféré la preuve documentaire objective à la preuve non crédible présentée par le demandeur.

[8]                Je suis convaincu que la brève conclusion de la Commission concernant la preuve documentaire ne peut pas être retenue compte tenu des éléments de preuve contradictoires mentionnés par le demandeur dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Comme elle a omis de prendre en considération les éléments de preuve en question et s'est contentée de mentionner un rapport qui appuyait sa propre conclusion, il existe une crainte raisonnable que la Commission ait omis de tenir compte de l'ensemble de la preuve.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et qu'un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger du demandeur d'une façon compatible avec les présents motifs. Aucune question n'est certifiée.

          _ Richard G. Mosley _

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6480-03

INTITULÉ :                                        ALKET GJOTA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 5 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 5 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:                            

Hart Kaminker                                   POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovich                          POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:    

Kranc and Associates                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                                  

Morris Rosenberg                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                      Date : 20040805

                                          Dossier :IMM-6480-03

ENTRE :

ALKET GJOTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                        


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