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     Date : 19980703

     Dossier : IMM-5062-97

ENTRE

     HASSAN LIBLIZADEH

     (alias HASSAN LIBALIZADEH),

     SHOHREH DARVAND ARAGHI,

     POUYA LIBALIZADEH,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         (Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario), le 17 juin 1998, maintenant confirmés par écrit)

LE JUGE MacKAY

[1]          Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision en date du 23 octobre 1997 dans laquelle la section du statut de réfugié a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Après avoir entendu l'avocat des demandeurs et celui du défendeur à Toronto, j'ai oralement fait droit à la demande et j'ai depuis rendu une ordonnance écrite pour les motifs prononcés à l'audience, que je confirme maintenant.

Les faits

[2]          Les demandeurs, un père, sa femme et leur enfant, sont des citoyens iraniens, . La famille prétend avoir, dans le passé, appuyé la monarchie iranienne et soutient que de ce fait, elle avait souffert de harcèlement. Le père, M. Libalizadeh, prétend avoir été harcelé à l'école par des intégristes et par l'association islamique et qu'à sa 12e année, il avait été expulsé pour s'être défendu dans ces confrontations. Il a alors commencé à travailler pour son beau-frère qui possédait une pharmacie. En 1985, il a loué une pharmacie à Téhéran sous la licence de son beau-frère, mais il s'est retiré des affaires après onze mois en raison du harcèlement de la part d'intégristes. En 1986, il a commencé à diriger une usine fabriquant des serviettes pour un autre beau-frère et, en 1994, tout en continuant d'y travailler, il a ouvert sa propre usine, produisant des serviettes, des couches et des serviettes hygiéniques.

[3]          À cette époque, sa mère a, avec d'autres personnes, mené une campagne en faveur de la monarchie, aidant particulièrement une amie dont le mari avait été un ancien officier de l'armée sous le régime du Shah. Le demandeur a appuyé sa mère financièrement et, de temps à autre, l'aidait également à chercher et à livrer des documents politiques.

[4]          En 1993, l'amie de la mère a été arrêtée pour avoir distribué des tracts. Par la suite, une descente a été effectuée dans la maison de la mère en avril 1993, et des documents relatifs à la religion bahaïe ont été trouvés sur les lieux. La mère du demandeur a été détenue et interrogée pendant quelques jours avant sa mise en liberté. La maison du demandeur a également fait l'objet d'une descente, et il a par la suite été interrogé à un certain nombre d'occasions sur ses activités. Après quelque temps, sa mère est partie pour le Canada, et elle y est arrivée en 1993.

[5]          En juillet 1994, le demandeur adulte a été arrêté et torturé. Il a été détenu jusqu'à ce qu'il ait été libéré le 11 février 1995 pendant plusieurs jours, pour célébrer la révolution. Il a témoigné avoir été mis en liberté moyennant le versement d'un pot-de-vin. À sa mise en liberté, il est allé se cacher en Iran du Nord où il est demeuré chez un beau-frère pendant un mois. La femme du demandeur est restée avec sa propre famille et, au cours de ce mois, des dispositions ont été prises pour les faire quitter clandestinement l'Iran afin de gagner la Turquie, puis les État-Unis et le Canada.

[6]          La revendication du demandeur principal reposait sur sa crainte alléguée de persécution en Iran en raison de ses présumées activités politiques.

La décision du tribunal

[7]          Le tribunal de la SSR a conclu qu'il avait [TRADUCTION] "de bonnes raisons de mettre en doute et de rejeter la véracité des allégations faites pour étayer la revendication, du fait des invraisemblances découlant du témoignage du demandeur".

[8]          Le tribunal a jugé invraisemblable le fait pour les autorités de détenir sa mère pour l'interroger et de, [TRADUCTION] "tout en la surveillant, lui permettre de venir au Canada et de quitter légalement l'Iran, lui ayant délivré un passeport après son arrestation". Le tribunal ne disposait pas de la preuve que sa mère avait été légalement autorisée à quitter l'Iran. En fait, il ressort de la preuve qu'elle est partie grâce à des arrangements, comprenant évidemment un passeport, faits à l'aide de pots-de-vin. Que le tribunal ait cru ou non la description par le demandeur du départ de sa mère de l'Iran, on ne sait pas tout ce que cela a à voir avec l'examen de crainte de persécution alléguée par le demandeur dans l'éventualité de son renvoi dans ce pays. J'estime que cela n'a absolument rien à voir avec sa revendication.

[9]          Le tribunal a également noté qu'il était invraisemblable que le demandeur eût a) repris ses activités politiques alléguées après l'arrestation de sa mère puisqu'il était devenu connu des autorités et b) obtenu l'autorisation de quitter la prison après que sa mère ne fut pas retournée en Iran et qu'il fut formellement reconnu comme dissident. À ce que je vois, le tribunal ne disposait pas de la preuve des activités politiques du demandeur après l'arrestation de sa mère. En jugeant invraisemblable la mise en liberté du demandeur, le tribunal a méconnu la preuve documentaire provenant des propres sources de la CISR et qui indiquait une pratique de mise en liberté de prisonniers pour de courtes périodes comme le demandeur prétend que c'était son cas, et il a également méconnu le témoignage du demandeur selon lequel il était du nombre de ceux qui avaient été libérés moyennant le versement d'un pot-de-vin.

[10]          C'est à cause de ces invraisemblances que le tribunal a rejeté le témoignage du demandeur sur ses présumées activités politiques en Iran. Ces invraisemblances me semblent déraisonnables compte tenu des éléments de preuve dont disposait le tribunal. Il a eu tort de faire état, au moment de l'arrestation de la mère du demandeur, de ce qu'une descente avait été effectuée dans la propre maison de ce dernier. En fait, il ressort de la preuve qu'il y a eu une descente dans la maison de la mère et que celle-ci a été arrêtée. Le tribunal semble avoir mal interprété la crainte de persécution alléguée par le demandeur, la considérant comme ayant pris naissance au moment de l'arrestation de sa mère ou à un moment antérieur, au lieu d'examiner sa propre arrestation ultérieure, et sa détention pendant de nombreux mois, comme le principal motif de sa crainte.

[11]          Le tribunal a soutenu ses conclusions de rejet de la véracité des allégations faites à l'appui de la revendication en raison du retard que le demandeur aurait pris dans la présentation d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Le retard peut parfois être considéré comme un facteur pertinent dans l'examen des revendications du statut de réfugié. En l'espèce, le tribunal a conclu que le demandeur avait tardé à quitter son pays d'origine à la suite de l'arrestation de la mère. Il n'a pas alors quitté le pays. Cela pourrait être pertinent si, à l'époque, il prétendait avoir raison de craindre d'être persécuté mais, comme je l'ai noté, le tribunal a mal compris son témoignage à cet égard. Le seul retard qu'il ait pris pour quitter son pays était le seul mois passé à se cacher en Iran du Nord après sa mise en liberté provisoire et pendant que des dispositions étaient prises pour que lui et sa famille quittent clandestinement l'Iran pour se rendre au Canada.

[12]          Le second élément de retard que le tribunal a trouvé était l'omission par le demandeur de présenter une revendication dans trois pays qu'il avait traversés pour gagner le Canada, à savoir la Turquie, l'Allemagne et les États-Unis. Il était demeuré en Turquie pendant sept mois. Le tribunal a présumé qu'il aurait pu y demander le statut de réfugié et que sa demande de ce statut aurait pu y être examinée malgré la preuve documentaire selon laquelle des Iraniens sont renvoyés à leur pays à partir de la Turquie en échange de rebelles kurdes recherchés par les Turcs. De plus, compte tenu des éléments de preuve qui ont été produits et qui n'ont pas été contestés, la position turque à l'égard des réfugiés et de la Convention des Nations Unies est très différente de celle du Canada. La Commission ne disposait simplement pas de la preuve que le demandeur aurait pu de façon réaliste demander le statut de réfugié en Turquie.

[13]          Après avoir quitté la Turquie, lui et sa famille ont apparemment transité par l'Allemagne, comme le tribunal l'a laissé entendre par erreur, ou ont transité par le Royaume-Uni comme le prétendait le FRP du demandeur, et sont passés par les États-Unis pour gagner le Canada. Une fois qu'ils ont été emmenés au Canada, illégalement par un agent du passeur qui avait arrangé leur passage, ils ont revendiqué le statut de réfugié sans aucun retard réel. Ainsi donc, dans la période de leurs voyages faits pour gagner le Canada, il n'existait pas de possibilités réalistes pour la présentation d'une revendication du statut de réfugié. Assimiler cela au retard dans la présentation d'une revendication est une conclusion déraisonnable de la part du tribunal.

[14]          En dernier lieu, le tribunal note qu'il existait un autre retard après qu'ils furent arrivés au Canada. En fait, en moins de deux jours de leur arrivée au Canada, ils ont rencontré les autorités d'immigration, et ils ont eu un rendez-vous trois semaines après; à cette date, ils ont été autorisés à présenter leur revendication du statut de réfugié, et ils l'ont fait effectivement.

[15]          À mon avis, les conclusions du tribunal sur le retard de la part des demandeurs dans la présentation d'une revendication du statut de réfugié sont simplement injustifiées compte tenu des éléments de preuve dont le tribunal disposait.

Conclusion

[16]          Je reconnais les égards qu'une cour saisie d'un contrôle judiciaire devrait avoir à l'égard de la décision d'un tribunal de la SSR, surtout celle reposant sur l'appréciation par ce tribunal de la crédibilité. Les derniers mots de la décision du tribunal portent sur son appréciation de la crédibilité fondée uniquement sur des invraisemblances, qui semblent déraisonnables compte tenu des éléments de preuve dont disposait le tribunal. C'est pour cette raison que la Cour interviendra. En l'espèce, le tribunal a eu tort d'exposer, comme fondement de ses conclusions, des invraisemblances qui n'étaient simplement pas étayées par les faits dont il était saisi.

[17]          En conséquence, une ordonnance sera rendue pour accueillir la demande de contrôle judiciaire, annuler la décision contestée de la section du statut de réfugié et pour renvoyer l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un autre tribunal procède à un réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention formulée par les

demandeurs.

                         W. Andrew MacKay

                                     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 3 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-5062-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Hassan Liblizadeh et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 17 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le juge W. A. MacKAY

EN DATE DU                      3 juillet 1998

ONT COMPARU :

    Carey A. McKay                      pour le demandeur
    Sudabeh Mashkuri                  pour le défendeur
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Rosenbaum, McKay & Glady
    Toronto (Ontario)                  pour le demandeur
    Morris Rosenberg                  pour le défendeur
    Sous-procureur général du Canada

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