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Date : 19990630


Dossier : T-2213-98


ENTRE :

     KRISHAN K. SYAL,

                                     demandeur,


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


[1]      Le 18 juin 1999, j'ai entendu la présente demande de contrôle judiciaire à Edmonton (Alberta), qui a été préparée par le demandeur lui-même et qui porte :

         [traduction]

         ... sur une demande de renonciation aux pénalités et à l'intérêt payables relativement à une cotisation de 1996, demande présentée en vertu des " mesures d'équité contenues dans la loi ", paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu1.

La décision sous examen est contenue dans une lettre du 26 octobre 1998, que le demandeur aurait reçue le 30 octobre 1998.

[2]      À la fin de l'audience, j'ai déclaré que j'allais rejeter la demande de contrôle judiciaire. J'ai présenté de brefs motifs oraux. Ce qui suit est une version légèrement revue de ces brefs motifs.

     " M. Syal, je vais repasser rapidement sur les questions qui me sont soumises, et je suis certain que vous êtes déjà très au courant.

     La Cour est saisie aujourd'hui de votre demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le ministre du Revenu national, ou en son nom.

     Dans une demande de contrôle judiciaire, la question posée à la Cour n'est pas de savoir si celle-ci serait arrivée à la même décision en analysant les mêmes faits, à supposer que la Cour ait la responsabilité de prendre la décision, mais plutôt, pour exprimer la chose en termes ordinaires, il s'agit de savoir si la décision prise au nom du ministre pouvait raisonnablement l'être. Je pourrais ne pas être du même avis, mais ce n'est pas un critère. Le critère en cause est de savoir s'il était raisonnablement loisible au ministre de prendre cette décision.

     La décision sous examen a été prise dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que le ministre " peut "; il ne prévoit pas que le ministre " doit ". Il s'agit donc d'un pouvoir discrétionnaire accordé au ministre.

     Les lignes directrices portant sur l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, qui m'ont été présentées, sont contenues dans la circulaire d'information 92-22, que je suis convaincu que vous connaissez.

     Dans l'introduction aux lignes directrices, le premier paragraphe prévoit notamment :

...Ces mesures législatives donnent au Ministère le pouvoir discrétionnaire d'annuler la totalité ou une partie des intérêts et des pénalités payables... .

     Le paragraphe 3, qui se trouve aussi sous l'en-tête " Introduction " à la même page, déclare de façon très concise :

Ce qui est énoncé ici ne constitue que des lignes directrices. ...

     Le paragraphe 7, que vous avez cité dans votre présentation, prévoit notamment ceci :

" Il peut "

et j'insiste sur le "peut',

être convenable dans des situations où il y a incapacité de verser le montant exigible...

Le paragraphe 3 décrit ensuite ce qu'il peut être convenable de faire dans de telles circonstances. Il ne dit pas que, lorsqu'il y a incapacité de verser les sommes dues, le ministre et ses fonctionnaires " doivent " ou " sont tenus de " le faire. Donc, même s'il y a incapacité de verser les sommes dues, les lignes directrices précisent qu'il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire.

     L'avocate du défendeur a cité l'arrêt Barron3, une décision de la Cour d'appel fédérale que je me dois d'appliquer. Dans cette affaire, la Cour d'appel était saisie de la décision d'un juge, comme moi, où une demande de contrôle judiciaire comme la vôtre avait été accueillie.

     La Cour d'appel a conclu que mon collègue avait eu tort d'accueillir l'appel. Elle a déclaré, et je cite ici la page 5122 -- je vais citer assez longuement cet arrêt puisque les circonstances en cause sont très similaires, même si la disposition de la loi visée est différente, puisque le ministre avait, comme en l'espèce, un pouvoir discrétionnaire. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Pratte a écrit :

...il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre...

comme le fait aussi le paragraphe 220(3.1) en l'espèce; et il ajoute :

... et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire.

Pour l'essentiel, c'est ce que j'ai déjà dit. Il n'importe pas que je pense que la décision ait été bonne ou mauvaise, et je n'ai pas la responsabilité d'exercer le pouvoir discrétionnaire. Continuant la même citation :

La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.
Les conclusions du juge portant que le ministre a omis de communiquer aux intimés les facteurs dont il tiendrait compte en exerçant son pouvoir discrétionnaire et de leur donner l'occasion de faire des observations pour appuyer leurs demandes sont manifestement contraires à la preuve produite. Il ressort du dossier qu'un fonctionnaire du ministère du Revenu national a invité les intimés à se prévaloir du paragraphe 152(4.2) et que ces derniers ont reçu une circulaire d'information leur expliquant la nature de cette disposition et la façon dont le ministre exercerait son pouvoir discrétionnaire. Il ressort également du dossier que les intimés ont eu pleinement l'occasion de faire des observations pour appuyer leurs demandes. Il est vrai qu'ils n'ont pas eu l'occasion de faire des observations orales, mais la règle est claire : sauf dans des cas exceptionnels, l'équité procédurale n'exige pas la tenue d'une audience.
En ce qui concerne l'avis du juge selon lequel les intimés ont été privés " du droit de prendre part à l'instance et [...] de répondre aux allégations faites contre eux ", nous estimons qu'il découle d'une méprise totale quant à la nature de l'instance (si l'on peut la qualifier ainsi) dont le ministre était saisi. En effet, il s'agissait d'une instance non contradictoire, et les intimés n'ont pas eu l'occasion de répondre aux allégations faites contre eux parce que l'instance ne s'y prêtait tout simplement pas.

     Le juge Pratte traite spécifiquement du droit de faire des observations orales, et, comme l'avocate du défendeur l'a signalé à la Cour, en l'absence de circonstances exceptionnelles, il n'y a pas de manquement à l'équité lorsqu'un décideur qui a un pouvoir discrétionnaire non limité n'accorde pas la possibilité de faire des observations orales.

     L'avocate du défendeur nous a aussi renvoyé à une décision de la Cour suprême du Canada4 qui indique ce qui constitue des circonstances exceptionnelles. L'avocate a soutenu que si l'on applique ce critère pour déterminer s'il y a des circonstances exceptionnelles, on n'en trouve pas en l'instance. Je suis d'avis qu'elle a raison.

     Je ne peux donc pas me ranger à votre avis qu'il y a en l'espèce un manquement à l'obligation d'équité, et je ne peux pas non plus conclure, sur la foi de la documentation qui m'est présentée, que la décision du ministre a été prise de mauvaise foi.

     Je ne peux pas conclure que la décision a été prise dans des circonstances où l'on n'aurait pas tenu compte de faits pertinents. Je ne peux pas conclure qu'on aurait tenu compte de faits non pertinents, et étant donné la nature du pouvoir discrétionnaire accordé au ministre et exercé en son nom, je ne peux certainement pas conclure que la décision en l'instance est erronée en droit.

En conséquence, et compte tenu du fait que je suis lié par la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Barron, je n'ai d'autre choix que de rejeter votre demande de contrôle judiciaire. "

[3]      Suite au prononcé de mes motifs à l'audience, j'ai consulté les parties au sujet des dépens. L'avocate du défendeur a demandé les dépens. Le demandeur, se représentant lui-même, a déclaré que s'il avait eu les moyens de payer des dépens, il aurait mandaté un avocat plutôt que de se représenter lui-même. J'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre d'ordonnance portant sur les dépens.

[4]      Une ordonnance d'application de ma décision a été délivrée le jour même de l'audience.



FREDERICK E. GIBSON

Juge


Ottawa (Ontario)

Le 30 juin 1999


Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      T-2213-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Krishan K. Syal c. Procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :      Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 18 juin 1999




MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON


EN DATE DU 30 juin 1999



ONT COMPARU

M. Krishan K. Syal          POUR LE DEMANDEUR

Sherwood Park (Alberta)

Mme Margaret Irving          POUR LE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Krishan K. Syal          POUR LE DEMANDEUR

Sherwood Park (Alberta)

M. Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

__________________

1      L.R.C. (1985), (5e suppl.) ch. 1, et ses modifications.

2      Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités, le 18 mars 1992. Publiées avec l'autorisation du sous-ministre du Revenu national pour l'Impôt.

3      Sa Majesté La Reine c. Barron et autres (1997), 97 D.T.C. 5121 (C.A.F.).

4      Singh et autres c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1985], 1 R.C.S. 178.

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