Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060207

Dossier : IMM-4321-05

Référence : 2006 CF 142

Ottawa (Ontario), le 7 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

PATRICK DUBRÉZIL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision de Me Jean-Carle Hudon de la Section d'appel de l'immigration ( « SAI » ) datée du 27 juin 2005. Par cette décision, la SAI rejetait la demande de réouverture d'appel de Patrick Dubrezil ( « demandeur » ) fondée sur l'article 71 LIPR, au motif que le demandeur n'a pas réussi à établir la violation d'un principe de justice naturelle à son égard.

FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen haïtien né le 25 septembre 1983 et arrivé au Canada en 1997. Le 7 juillet 2003, une sentence de douze mois d'emprisonnement lui était imposée pour usage d'une fausse arme à feu lors de la perpétration d'une infraction. Le 31 octobre 2003, le commissaire Pierre Turmel de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié prononçait une mesure d'expulsion à l'encontre du demandeur fondée sur l'alinéa 36(1)a) (interdiction de territoire pour grande criminalité). Le même jour, le demandeur interjetait appel à l'encontre de cette décision. Le 6 mars 2004, le demandeur sortait de prison. En avril 2004, un avis de convocation sommant le demandeur de se présenter à sa conférence de mise au rôle était ensuite acheminé à la prison de Bordeaux. La lettre est revenue à l'expéditeur puis a été envoyée au 660, rue d'Anvers à Montréal le 12 mai 2004, résidence du demandeur en 2002 (voir affidavit du demandeur para. 14). L'avis indiquait que la conférence se tiendrait aux bureaux de la CISR de Montréal le 23 juin 2004, à 9h30. Constatant l'absence du demandeur, le commissaire Tony Manglaviti de la SAI conclut au désistement d'appel le même jour, en vertu du paragraphe 168(1) LIPR. Vers la fin du mois de février 2005, le demandeur était convoqué en vue de prendre des arrangements pour son expulsion. Il introduit alors une demande de réouverture d'appel, rejetée le 27 juin 2005 par Me Jean-Carle Hudon. C'est sur cette décision que porte la présente demande de contrôle judiciaire. De plus, une nouvelle mesure de renvoi fut prononcée contre le demandeur, qui est exécutoire le 12 novembre 2005. Une demande pour surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi fut présentée et elle fut accordée jusqu'à ce qu'une décision soit rendue dans le présent dossier.

QUESTION EN LITIGE

[3]                La seule question en litige est la suivante :

-           Le commissaire Me Jean-Carle Hudon de la SAI a-t-il erré en faits ou en droit en concluant que le commissaire Manglaviti de la SAI n'a pas violé les principes de justice naturelle en concluant au désistement de l'appel du demandeur?

ANALYSE

[4]                Le demandeur a soutenu que la décision de la SAI est entachée d'erreurs de fait. Après avoir revu l'ensemble des arguments du demandeur, je n'en vois aucune. Une conclusion de la SAI portant sur des questions de fait ou d'appréciation de la preuve, notamment lorsqu'il s'agit de la crédibilité du demandeur, est sujette à la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir notamment Krishnan c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 517, [2005] F.C.J. No. 639, au para. 16). La SAI s'est prononcée sur la crédibilité du demandeur en se fondant sur des éléments de fait, notamment des contradictions dans la preuve, pour conclure à l'absence de crédibilité du demandeur. Il n'y a pas lieu de modifier cette conclusion.

[5]                Sans préciser sur quel principe de justice naturelle il s'appuie, le demandeur soutient de plus qu'en prononçant le désistement sans donner au demandeur l'opportunité d'expliquer les raisons pour lesquelles il a été absent à la conférence de mise au rôle, la SAI a agi contrairement aux principes de justice naturelle.

[6]                Le demandeur invoque le jugement Phuoc Luu c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 276, [2001] A.C.F. No. 496, qui ne lui est d'aucun secours puisque dans cette affaire, le juge a décidé d'accueillir la demande en raison d'une erreur de fait. En l'espèce, aucune erreur de fait n'a été commise par la SAI.

[7]                Le demandeur invoque également le passage suivant de l'affaire Hung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 966, [2004] A.C.F. No. 1237 :

À mon avis, en prononçant le désistement sans que le demandeur ou son procureur aient l'opportunité d'expliquer pourquoi ils étaient absents, la Commissaire a agi, dans les circonstances de cette cause, contrairement au principe de la justice naturelle.

Dans cette affaire, il faut insister sur le fait que le demandeur ne s'était pas présenté à la conférence de mise au rôle sur les conseils de son avocat, et non en raison de son propre manque de diligence. Aussi, son procureur était tombé malade la veille de la conférence de mise au rôle et c'est la raison pour laquelle il n'avait pu se présenter à son audition.

[8]                En l'espèce, les faits sont différents. La SAI a entendu le demandeur sur les motifs justifiant son défaut de se présenter, mais n'a pas considéré le demandeur crédible. Elle a considéré l'ensemble des faits pertinents, notamment le fait que le demandeur a été dûment informé par l'avis qui lui a été remis le 31 octobre 2003 qu'il devait tenir la SAI au courant de ses changements d'adresse, ce qu'il n'a jamais fait. Elle a également tenu compte de la mention suivante figurant à l'avis d'appel :

IMPORTANT - En vertu du paragraphe 168(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la SAI peut prononcer le désistement de votre appel si vous ne comparaissez pas à l'audience, si vous ne communiquez pas avec la section d'appel de l'immigration sur demande ou si vous ne fournissez pas les renseignements exigés par la SAI (p. ex., votre adresse la plus récente).

De plus, je note que les règles de la Section d'appel de l'immigration (DORS/2002-230 tel que modifié par L.C. 2002, ch. 8), para 13 (4) ( « les Règles » ) prévoient l'obligation pour la personne en cause d'informer la SAI de tous changements de coordonnées pour celle-ci et son avocat :

13 (4) Dès que les coordonnées de la personne en cause ou celles de son conseil, le cas échéant, changent, la personne en cause transmet les nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

13 (4) If the contact information of the person or their counsel changes, the person must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

J'ajoute que le dossier révèle que le ou vers le 20 novembre 2003, le demandeur était à la prison de Bordeaux et recevait une lettre de la SAI confirmant la réception de l'avis d'appel (p. 56 et 57 du dossier) et soulignant notamment l'importance d'informer de tous changements de coordonnées.

[9]                Dans une affaire Luo v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1995] F.C.J. No. 160, le demandeur avait fait défaut d'aviser de son déménagement la Section du statut de réfugié et Immigration Canada. Au para 5 à 8, le juge Dubé conclut qu'un avis envoyé à la dernière adresse connue des autorités ne constitue pas un bris à l'équité (les citations sont omises) :

The issue is whether, on the facts of the case, the notice provided to the applicant of his refugee hearing and of the abandonment proceedings, did not meet the requirement of fairness, bearing in mind that the notices were sent to the address given by the applicant, while he took no steps to ensure that the immigration authorities were aware of his new address.

[...]

In the case at bar, as in Mussa, there is no reviewable error on the part of Refugee Division, which sent notices to the address that the applicant allowed to stand as his current address for service from September 1992. Furthermore, the Charter grounds asserted by the applicant do not, in my view, create arguable issues as they are contingent on there being a denial of fairness in the circumstances of this case.    I cannot find that there was such a denial of fairness.    Consequently the application must be denied.

[10]            Par ailleurs, donner dans tous les cas l'opportunité de se faire entendre à une personne qui fait défaut de comparaître l'opportunité d'expliquer les raisons de son défaut reviendrait à vider de son sens le para. 168(1) LIPR. Cet article se lit comme suit:

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

[11]            En l'espèce, l'avis de convocation fut envoyé à la prison de Bordeaux. La preuve démontre que le ou vers le 12 avril 2004, le demandeur résidait non pas à la prison de Bordeaux mais au 184 rue Smith à Lasalle. Le demandeur n'a jamais communiqué ce changement de coordonnées à la SAI. C'était son obligation de le faire et il ne peut tenter de faire porter cette obligation à la SAI. Cette dernière a envoyé l'avis de convocation à la dernière adresse, la prison de Bordeaux. Par la suite, elle l'achemina à une adresse du demandeur où était sa résidence en 2002 (la rue d'Anvers à Montréal). Une autre adresse apparaît au dossier soit l'adresse de ses parents « à l'époque » (para 30 de son affidavit) (le 2716 Orléans à Montréal), où il habitait auparavant. La SAI a fait ce qu'elle a pu pour joindre le demandeur.

[12]            S'il fallait suivre le raisonnement du demandeur, cela impliquerait qu'à chaque fois qu'une personne omettrait de se présenter, manquerait de diligence ou aurait un comportement pouvant clairement laisser croire à un désistement d'appel, la SAI serait tenue de faire enquête pour retrouver cette personne, de lui rappeler ses obligations et de la convoquer pour tenir une nouvelle audience avant de prononcer le désistement. Je ne peux retenir pareille interprétation, d'autant plus qu'en l'espèce, le demandeur n'a pas communiqué ses changements d'adresse à la SAI, de sorte que celle-ci n'aurait de toute façon pas pu le joindre pour convoquer une nouvelle audience si elle avait eu pareille obligation. La SAI n'était pas tenue d'agir comme conseiller juridique pour le demandeur, ni de lui rappeler le sérieux des procédures auxquelles il est partie, ni de s'assurer que celui-ci avait bien compris qu'il devait se présenter à sa conférence de mise au rôle ou encore qu'il était tenu d'aviser la SAI de ses changements d'adresse. Le demandeur a eu l'occasion de faire valoir ses motifs au cours d'une audience en bonne et due forme devant la SAI, mais ces motifs n'ont pas été jugés suffisants par la SAI pour justifier la réouverture d'appel.

[13]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[14]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification. Le demandeur a posé la question suivante :

-           La Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, peut-elle conclure à un désistement d'appel suite à une conférence de mise au rôle à laquelle le demandeur n'était pas présent, sans tenir une audience en bonne et due forme et s'enquérir du motif par la suite?

[15]            Le défendeur s'objecte à la certification de cette question.

[16]            Pour déterminer si une question doit être certifiée, il faut recourir aux critères établis dans Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. No. 1637, au para. 4. La question doit transcender les intérêts des parties au litige, avoir une portée générale et être déterminante quant à l'issue de l'appel. À mon avis, il n'y a pas lieu de certifier la question puisqu'il s'agit d'une question déjà réglée par les tribunaux, qui ne transcende donc pas les intérêts des parties. En plus, pour les motifs expliqués ci-haut, le remède demandé, soit la convocation d'une audience pour expliquer l'absence lors de la conférence, est académique car le demandeur n'a pas informé des changements de coordonnées. Donc, il était impossible de le rejoindre.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-           La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-           Aucune question ne soit certifiée;

-           Le sursis à la mesure de renvoi est annulé, et la mesure de renvoi est en vigueur.

« Simon Noël »

JUGE


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

                                                                       

DOSSIER :                                  IMM-4321-05

INTITULÉ :                                 PATRICKDUBREZIL

                                                                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L=IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 1er février 2006

MOTIFSDE L=ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

                     L=HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :               le 7 février 2006

COMPARUTIONS:

Me ALEXANDRINA CARAGIOU                       POUR LE DEMANDEUR

Me IAN DEMERS                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me ALEXANDRINA CARAGIOU                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN M. SIMS                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.