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Date : 19991118


Dossier : T-165-99


ENTRE :


     PAUL JEYAKUMAR

     demandeur


     et



     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     ROSLYN MacVICAR, LAUREN DELGATY et HAL HICKEY

     défendeurs




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


[1]      M. Jeyakumar s"étant vu refuser l"ajournement d"une audition devant le Comité d"appel de la Commission de la fonction publique du Canada, la question en litige dans le présent contrôle judiciaire est la suivante : ce refus a-t-il violé les principes de la justice naturelle?


A. Les faits en contexte

[2]      M. Jeyakumar est un candidat non reçu à un concours visant la dotation d"un poste supérieur de gestion dans la fonction publique fédérale. M. Jeyakumar a fait appel du choix des candidats reçus, en vertu de l"article 21 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique. L"Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), son agent négociateur, a convenu de le représenter dans cet appel et a nommé M. Reniers à cette fin. M. Reniers a représenté M. Jeyakumar dans la procédure d"interrogatoire préalable. Les allégations présentées par M. Reniers au nom de M. Jeyakumar soulevaient des questions complexes, compte tenu notamment du fait que le jury de sélection avait un dossier mal documenté et un guide de cotation imprécis.

[3]      Le 4 septembre 1998, l"appel a été inscrit au calendrier pour audition le 24 novembre 1998. Le 30 octobre, M. Reniers a démissionné de son poste, démission devant prendre effet le 10 novembre. Comme aucun autre agent de l"IPFPC n"était disponible pour s"occuper du dossier de M. Jeyakumar, l"IPFPC a demandé un ajournement lui permettant de nommer un nouveau représentant. Cette demande d"ajournement a été faite le 18 novembre lors d"un l"appel conférence avec le président du Comité d"appel. Le président du Comité d"appel a rejeté la demande d"ajournement.

[4]      Le jour suivant, l"IPFPC a retenu les services de M. Lang, un de ses représentants à la retraite, pour conseiller M. Jeyakumar dans son appel. Malgré tous ses efforts, M. Lang n"était pas assez préparé pour représenter M. Jeyakumar adéquatement à la date prévue pour l"appel. En conséquence, M. Lang a donc demandé, lors de l"audition du 24 novembre 1998, un ajournement pour garantir que le droit de M. Jeyakumar d"être correctement représenté était respecté. M. Lang a fait cette demande au début de l"audition de l"appel, ainsi que plus tard au cours de celle-ci. Le président du Comité d"appel a opposé un refus à ces deux demandes1.

B.      La décision du président du Comité d"appel

[5]      La décision du président du Comité d"appel au sujet de la demande d"ajournement présentée le 18 novembre 1998 se trouve dans la transcription des procédures et est rédigée comme suit :

         [traduction]

         Ayant soupesé les intérêts divergents en cause, j"ai rejeté la demande d"ajournement de cette audition d"appel. M. Fredericks a été inscrit au dossier comme le représentant du demandeur, bien qu"il soit peu au courant de l"appel. Il savait quel était le problème le 10 novembre 1998, ce qui lui donnait deux semaines pour préparer le dossier de l"appelant.
         Bien que le Comité d"appel soit au courant des difficultés qui se posent suite à un manque de personnel et qu"il sache que M. Fredericks doit présenter une requête le mardi 24 novembre 1998, je ne considère pas que ces facteurs, qui comprennent aussi la possibilité que l"appelant, M. Jeyakumar, ne soit pas représenté, aient plus de poids que les intérêts divergents présentés par Mme Black au nom du ministère. Pour ces motifs, la demande d"ajournement est rejetée et l"audition de l"appel aura lieu comme prévu le mardi 24 novembre 19982. [non souligné dans l"original]

[6]      Quant aux " intérêts divergents " à l"existence desquels le président du Comité d"appel a conclu, je reproduis ci-dessous les extraits pertinents de la transcription où ils sont décrits par Mme Black, représentant la Commission de la fonction publique, et contestés par M. Fredericks, représentant l"IPFPC :

         [traduction ]

         M me Black :
         Oui. Cette demande d"ajournement à la dernière minute nous cause beaucoup de problèmes. Nous ne croyons pas que la Commission de la fonction publique et Revenu Canada, soit mon programme (inaudible), devraient avoir à assumer le coût du défaut de l"IPFPC de produire son représentant. Une semaine devrait être plus de temps qu"il n"en faut pour qu"un autre représentant puisse se préparer.
         Nous considérons que cet appel coûte déjà fort cher au public, étant donné le temps consacré par le gestionnaire chargé du placement et le temps que j"ai moi-même consacré à la préparation de l"interrogatoire préalable et de l"audition. Compte tenu des allégations détaillées en cause, il sera difficile de se préparer à nouveau pour cette audition.
         Une grande partie des allégations tourne autour du contenu même des entrevues. Ces événements sont de plus en plus lointains et il sera de plus en plus difficile de s"en souvenir. Les entrevues ont eu lieu durant la semaine du 9 mars --- 3
         ...
         Compte tenu des allégations détaillées en cause, qui portent principalement sur le contenu des entrevues, il sera difficile de se préparer à nouveau4.

         ...

         Je crois que cet appel est assez simple, en ce sens que les allégations tournent surtout autour de la conduite des entrevues. Je crois sincèrement qu"une semaine suffit amplement pour qu"un nouveau représentant se prépare. À mon avis, il n"y a pas beaucoup de recherches à faire pour cet appel. Il s"agit simplement de réviser le dossier5.

         ...

         M. Fredericks:

         Au départ, Mme Black a déclaré que le ministère aurait de la difficulté à se préparer à nouveau étant donné les allégations détaillées en cause. Il me semble que ceci est un peu en contradiction avec ce qu"elle dit maintenant, savoir que ces allégations sont peu complexes et qu"on peut se préparer facilement en l"instance.
         Je sais qu"il sera difficile pour le ministère de se préparer plus tard, mais vous pouvez imaginer quelle difficulté sera la mienne, ou celle de tout nouveau représentant, afin de pouvoir -- partir à nouveau du début. Je crois que c"est très significatif6.

C. Le critère en droit

[7]      Au sujet du critère qui permet de conclure à un déni de justice naturelle, je considère la déclaration suivante du juge Décary de la Cour d"appel dans Siloch c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, 151 N.R., aux pages 78 à 80, fort importante :

Il est reconnu qu"en l"absence de règles précises établies par loi ou règlement, les tribunaux administratifs fixent leur propre procédure, et que l"ajournement d"une procédure relève de leur pouvoir discrétionnaire, à la condition qu"ils respectent les règles de l"équité et, dans l"exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, à condition qu"ils respectent les règles de justice naturelle. (Prassad c. Canada (MEI), [1989] 3 W.W.R. 289; 93 N.R. 81; 57 D.L.R. (4th) 663; [1989] 1 R.C.S. 560, à la p. 569, juge Sopinka).
...
étant donné ... que l"arbitre ne s"est pas informé de la durée de l"ajournement demandé et n"a pas offert à la requérante un bref ajournement de façon à lui permettre de trouver un nouveau conseiller et qu"absolument rien n"indique qu"un bref ajournement influerait sur le système d"immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, l"arbitre, en refusant l"ajournement le 4 mars 1991, a privé la requérante de son droit à une audience équitable.
...
D.      Analyse

[8]      Si je soumets les faits de la présente affaire au critère énoncé par le juge Décary de la Cour d"appel dans Siloch , je conclus qu"il y a eu un déni de justice naturelle.

[9]      La décision soumise au contrôle judiciaire est en fait celle qui a été prise le 18 novembre 1998, alors qu"on a fait un premier examen de la demande au fond. Il semble que cette décision se fonde sur le fait que M. Jeyakumar serait en quelque sorte à blâmer pour les événements qui ont mené à la demande d"ajournement. C"est comme s"il y avait eu des retards répétés et que la date du 24 novembre avait été fixée de façon impérative, aucun motif ne pouvant alors justifier l"ajournement.

[10]      Je ne trouve rien dans la preuve qui indiquerait que M. Jeyakumar ou ses représentants étaient en faute, ou qu"ils aient eu tort de demander un ajournement alors qu"ils avaient des motifs tout à fait compréhensibles. Selon le dossier, le seul ajournement dans cette affaire a été par consentement à l"étape de l"interrogatoire préalable. La démission du représentant de M. Jeyakumar était tout à fait imprévue et je conclus que le fait que M. Jeyakumar ne pouvait être représenté adéquatement à l"audition du 24 novembre a été souligné dans un délai raisonnable, et suscitait donc des inquiétudes importantes quant au caractère équitable de l"audition. Malgré cela, l"ajournement n"a pas été accordé.

[11]      Dans les circonstances, je suis d"avis qu"il aurait fallu un motif important et impératif pour que la décision de ne pas accorder l"ajournement ne soit pas un déni de justice naturelle. Je conclus à l"absence d"un tel motif en l"instance.

[12]      Comme on peut le voir dans les extraits que j"ai cités de la transcription des procédures du 18 novembre, les motifs invoqués par Mme Black pour s"opposer à la demande d"ajournement sont peu convaincants. On voit mal comment le président du Comité d"appel a pu considérer que ces motifs étaient des " intérêts divergents ", face à la quasi-certitude que l"audition ne serait pas équitable du fait que M. Jeyakumar ne serait pas représenté, ou qu"il ne le serait pas adéquatement.

[13]      De toute façon, l"inquiétude exprimée par M. Fredericks lors de la procédure du 18 novembre a été confirmée à l"audition du 24 novembre. Au cours de l"audition, M. Lang, qui est reconnu comme un représentant très compétent et de grande expérience, a déclaré au président du Comité d"appel que malgré tous ses efforts il ne pouvait simplement pas conclure adéquatement ses représentations à l"audition au nom de M. Jeyakumar, parce qu"il n"était pas suffisamment préparé. Au sujet de cette déclaration, le président du Comité d"appel arrive à la conclusion suivante dans les motifs qu"il a prononcés par la suite :

         [traduction]

         ... Le jour de l"audition, j"ai à nouveau examiné les faits pertinents qui m"étaient présentés par l"appelant et par le ministère, pondéré l"intérêt de l"appelant, du Ministère, des candidats reçus, ainsi que du Comité d"appel, afin de garantir le respect des principes de justice naturelle et d"équité. À l"audition, j"ai conclu que ces principes de justice naturelle et d"équité seraient mieux respectés si je procédais à l"audition comme prévu. J"ai donc rejeté la demande de l"appelant pour un ajournement de l"audition7.

[14]      Donc, alors que l"ajournement n"a pas été accordé le 18 novembre en partie au motif que l"affaire pouvait être adéquatement préparée et présentée le 24 novembre, il s"est avéré que ce n"était pas le cas. Ce fait aurait dû être pris en compte.

[15]      Il importe de souligner que le président du Comité d"appel n"a pas tenté, le 24 novembre, de savoir de combien de temps M. Lang avait besoin pour se préparer convenablement. Il se pouvait fort bien qu"il n"avait besoin que d"une journée, d"une semaine ou peut-être de quelques semaines seulement. Comme le juge Décary de la Cour d"appel l"a dit dans l"arrêt Siloch , précité, il appartenait au président du Comité d"appel d"examiner à fond cette question, car cela constituait un aspect essentiel de l"exercice de son pouvoir discrétionnaire. Or, comme il n"a pas fait cela, il a commis une erreur susceptible de contrôle.

     O R D O N N A N C E

     En conséquence, la décision du président du Comité d"appel est infirmée et l"affaire est renvoyée au Comité d"appel pour nouvelle décision par un tribunal différent.

     Comme M. Jeyakumar a obtenu gain de cause, je lui accorde les dépens.



Douglas R. Campbell

Juge

OTTAWA



Traduction certifiée conforme



Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  T-165-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Paul Jeyakumar c. Le procureur général du Canada, Roslyn MacVicar, Lauren Delgaty et Hal Hickey
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 16 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                  18 novembre 1999

ONT COMPARU

M. Dougald Brown                          POUR LE DEMANDEUR

M. J. Sanderson Graham                      POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Dougald Brown                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR,

Sous-procureur général du Canada                  le procureur général du Canada     
__________________

1 Ce résumé est adapté du dossier de demande du demandeur, p. 166, " Vue d"ensemble et faits présentés par le demandeur ".

2 Transcription des procédures du 18 novembre 1998, p. 21.

3 Ibid., pp. 8 et 9.

4 Ibid., p.10.

5 Ibid., p.16.

6 Ibid., p.17.

7 Motifs du 5 janvier 1999, p. 3.

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