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Date : 20040514

Dossier : IMM-4119-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 697

ENTRE :                                                                                

                                                       ANDRIES KROON

                                                                                                                              demandeur

                                                                      ET

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 mai 2003 par la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI), par laquelle elle a refusé d'entendre l'appel du demandeur au motif qu'elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des articles 64 et 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). De plus, le demandeur conteste la constitutionnalité, l'applicabilité ou l'effet des dispositions contestées.


[2]                Les faits qui ont donné lieu à la présente demande peuvent se résumer comme suit. M. Kroon est arrivé au Canada en 1968 alors qu'il était âgé de 15 ans. Il était accompagné par sa famille adoptive. Il n'est demeuré que quelques mois, puis il est retourné aux Pays-Bas où, il demeurait parfois avec sa tante et où, en 1971, il s'est enrôlé dans les Royal Dutch Marines. Il est retourné au Canada après avoir complété son service comme fantassin à Chypre. Le demandeur est résident permanent du Canada depuis environ 1972 mais il n'a jamais demandé et il ne s'est jamais vu accorder la citoyenneté canadienne.

[3]                De 1982 à 2001, le demandeur a été déclaré coupable d'un certain nombre d'infractions mineures prévues au Code criminel. Toutefois, en 2001, le demandeur a été déclaré coupable d'une infraction beaucoup plus grave, c'est-à-dire d'agression sexuelle sur un enfant, pour laquelle une période d'incarcération de 3 ans et 10 mois lui a été imposée. Cette peine a éventuellement été réduite en appel à 2 ans et 10 mois.

[4]                Le 5 juin 2002, un agent d'immigration a préparé un rapport pour le sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en application de l'alinéa 27(1)a) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans lequel il mentionne que le demandeur fait partie d'une catégorie de personnes non admissibles.


[5]                Le 28 juin 2002, la Loi sur l'immigration a été abrogée et remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'alinéa 36(1)a) de la LIPR est ainsi libellé :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[6]                Une audience relative à l'admissibilité a eu lieu le 1er octobre 2002 et, au cours de cette audience, le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité parce qu'il était une personne visée par l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, et par conséquent, on a ordonné qu'il soit expulsé du Canada.

[7]                Immédiatement après, l'avocat du demandeur a déposé un avis d'appel auprès de la SAI relativement à la mesure de renvoi ainsi qu'une demande contestant la constitutionnalité des dispositions contestées.


[8]                Dans une décision datée du 27 mai 2003, la SAI a jugé qu'elle n'avait pas le pouvoir d'examiner une contestation constitutionnelle de l'article 64 ou d'autres dispositions de la LIPR. Elle a souligné que l'appel interjeté par le demandeur est régi par la LIPR et non pas par la Loi sur l'immigration et a insisté sur le fait que l'article de la LIPR refuse expressément à toute personne qui se trouve dans la situation du demandeur le droit d'interjeter appel.

[9]                En se fondant sur une abondante jurisprudence, la SAI a conclu que, malgré que le paragraphe 162(1) de la LIPR lui accorde expressément le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit, en tant que tribunal établi par la loi, elle ne peut pas s'occuper d'une question pour laquelle le législateur ne lui a pas expressément donné compétence.

[10]            Selon la SAI, l'intention expresse du législateur, lorsqu'il a rédigé les paragraphes 64(1) et 64(2) de la LIPR, était de ne pas accorder à la SAI la compétence d'entendre et de trancher des appels interjetés à l'encontre de mesures de renvoi prises contre des personnes comme le demandeur. La SAI a écrit aux pages 9 et 10 de sa décision :

Bien que je sois d'accord avec le conseil de l'appelant, qui affirme que la Cour suprême du Canada expose un critère exhaustif et large dans l'affaire Ontario pour déterminer si un tribunal a la compétence pour examiner et accorder une réparation fondée sur la Charte, et bien que je convienne que la LIPR confère à la SAI des pouvoirs élargis pour entendre et examiner des questions de droit qui, par définition, comprennent des questions et des contestations constitutionnelles dans le cadre des affaires dont elle est saisie en vertu de la LIPR (quoiqu'il reste à savoir si ces pouvoirs sont bel et bien plus étendus, en vertu de la LIPR, que les pouvoirs conférés conformément à l'ancienne loi), il ressort de toutes les décisions qui me lient que les pouvoirs accordés à la SAI, en tant que tribunal, ne sont constitués que de ceux qui lui sont conférés expressément ou implicitement par sa loi habilitante.


Les décisions rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale dans les affaires Reynolds et Barletta (celle-ci a suivi l'affaire Reynolds) représentent des décisions qui me lient. Pour autant qu'elles appuient la proposition où l'intention expresse du législateur de limiter la compétence de la SAI figure dans sa loi habilitante, la limitation d'une telle compétence s'étend à la compétence d'examiner les contestations constitutionnelles de cette intention expresse, je conclus que ces décisions sont conformes à celles qu'a rendues la Cour suprême du Canada quant à la question du pouvoir conféré aux tribunaux d'accorder une réparation fondée sur la Charte, ce qui comprend la décision rendue récemment par rapport à cette question dans l'affaire Ontario.

[11]            Pour ces motifs, l'appel interjeté par le demandeur a été rejeté pour défaut de compétence.

[12]            Le 30 mai 2003, le demandeur s'est vu accorder une libération d'office de son incarcération et est tombé sous la garde du défendeur. Le défendeur l'a informé que son renvoi du Canada vers les Pays-Bas serait exécuté le 4 juin 2003.

[13]            Le 3 juin 2003, le juge Simpson a rejeté une requête en suspension de l'exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur et, par conséquent, le 4 juin 2003, le défendeur a renvoyé le demandeur du Canada vers les Pays-Bas.


[14]            Dans la présente demande de contrôle judiciaire dont la Cour est actuellement saisie, le demandeur sollicite l'annulation de la décision rendue par la SAI le 27 mai 2003, pour le motif qu'elle a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre et trancher des contestations constitutionnelles des dispositions contestées de la LIPR. On prétend également que, de toute façon, les droits du demandeur garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés par l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.

[15]            Le demandeur fait principalement valoir que la SAI a commis une erreur en interprétant les paragraphes 64(1) et (2) de la Loi comme limitant expressément sa compétence d'entendre l'appel interjeté par le demandeur et que la Commission a commis une erreur en invoquant la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Reynolds (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 175 (C.F. 1re inst.).


[16]            Premièrement, on fait valoir que ce n'est pas à juste titre que l'on déduit ou que l'on suppose à partir du libellé de la disposition qu'il existe une limite de compétence et on fait valoir que le législateur aurait utilisé un libellé plus clair si tel avait été son intention. Si on tient compte de l'ensemble du contexte du nouveau régime législatif, le demandeur prétend que la LIPR accorde à la SAI le pouvoir d'entendre et de trancher sa contestation constitutionnelle. Le demandeur prétend que le législateur voulait accorder à la SAI la compétence la plus vaste possible pour trancher les questions juridiques et factuelles soulevées lors de ses audiences. La SAI se situe au coeur de l'ensemble du processus décisionnel en matière d'immigration et, selon le demandeur, la reconnaissance de la compétence de la SAI de trancher des questions constitutionnelles soulevées par les faits en l'espèce serait compatible avec ce rôle et contribuerait à le mettre en valeur. Par conséquent, le demandeur prétend que l'acceptation du point de vue de la SAI quant à sa compétence minerait le rôle qu'elle joue au sein du régime législatif.

[17]            Selon le demandeur, lorsque l'on interprète les paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR on doit tenir compte des dispositions de l'alinéa 3(3)d) qui exigent que les décisions prises en vertu de la présente loi soient conformes à la Charte canadienne des droits et libertés et il n'est pas logique de l'interpréter comme limitant la compétence de la SAI de trancher des questions relatives à la Charte; si le législateur avait eu l'intention d'enlever à la SAI la compétence d'examiner des arguments d'ordre constitutionnel, il aurait dû mentionner expressément son intention en utilisant des termes clairs.

[18]            De plus, le demandeur prétend que la SAI a commis une erreur en s'estimant liée en l'espèce par la décision Reynolds. Le demandeur souligne que la décision Reynolds a été jugée sous le régime de la Loi sur l'immigration, maintenant abrogée, et prétend que la LIPR a modifié de manière importante les pouvoirs de la SAI. On prétend que l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin, [2003] A.C.S. no 54 (QL), 2003 CSC 54 est l'arrêt de principe qu'il faut appliquer en l'espèce et qu'il a eu pour effet de renverser la décision Reynolds.


[19]            Enfin, le demandeur a soumis un certain nombre d'autres arguments constitutionnels. Premièrement, on prétend que l'application de l'article 64 et de l'article 190 de la LIPR pour renvoyer le demandeur sans qu'une audition d'appel ne soit tenue contrevient à ses droits garantis par l'article 7, l'alinéa 11i) et l'article 12 de la Charte. Deuxièmement, le demandeur prétend que ses droits garantis par l'article 7 de la Charte ont également été violés par un manque de diligence de la part des autorités de l'immigration et cite des décisions rendues par la Cour dans lesquelles elle a reconnu qu'un manque de diligence dans le contexte de l'immigration peut, dans les circonstances appropriées, constituer une violation des droits garantis par l'article 7.

[20]            En effet, la position du demandeur que le défendeur a omis, sans raison valable, de tenir, avant le 28 juin 2002, date à laquelle la LIPR est entrée en vigueur, une enquête relativement à son statut au Canada en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration. Si le défendeur s'était prononcé quant à l'inadmissibilité du demandeur avant l'entrée en vigueur de la LIPR, le demandeur prétend qu'il aurait pu interjeter immédiatement appel de toute mesure de renvoi et, par conséquent, n'aurait pas perdu un droit d'appel en vertu des articles 64 et 190 de la LIPR. Malgré que les autorités de l'immigration étaient au courant de la situation du demandeur avant la fin de 2001, on ne s'est occupé de son cas qu'après l'entrée en vigueur de la LIPR.


[21]            Le demandeur accuse le défendeur d'avoir dérogé à l'obligation légale que lui impose le paragraphe 27(6) de la Loi sur l'immigration d'agir dans les meilleurs délais possibles pour déterminer sa non admissibilité. En l'espèce, le rapport au sous-ministre établi en vertu de l'article 27 concernant le demandeur a été signé le 5 juin 2002 et la directive prévoyant la tenue d'une enquête a été signée le 24 juin 2002. Toutefois, aucune enquête quant au statut du demandeur n'a été tenue avant octobre 2002. Ce retard, selon le demandeur, lui a causé un préjudice car il a perdu son droit à la tenue de quelque audition que ce soit avant d'être renvoyé sur la foi de la mesure de renvoi prise contre lui.

[22]            En revanche, le défendeur, prétend que la SAI n'a commis aucune erreur susceptible de révision en décidant qu'elle n'avait pas compétence pour entendre la contestation constitutionnelle du demandeur des articles 64 et 190 de la LIPR et, par conséquent, demande que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Elle aussi s'est fiée à l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Martin à l'appui de la proposition selon laquelle la compétence d'un tribunal d'entendre une contestation fondée sur la Charte de sa loi habilitante découle de la capacité du tribunal de trancher une question de droit en vertu de cette disposition.


[23]            Selon le défendeur, l'application du raisonnement suivi dans l'arrêt Martin mène à la conclusion que la SAI n'a pas compétence en l'espèce parce que le pouvoir décisionnel conféré par l'article 64 se limite à des questions de faits et ne s'étend pas aux questions juridiques. Une fois que l'on a conclu que l'article 64 s'applique à une personne de manière à la priver d'un appel par l'effet de la loi, le défendeur affirme que la SAI n'a plus compétence. Comme la SAI ne peut pas trancher des questions de droit en vertu de l'article 64, elle ne peut pas non plus en déterminer la constitutionnalité.

[24]            Le défendeur prétend que, contrairement à l'argument du demandeur, l'arrêt Martin ne renverse pas la principale conclusion tirée dans la décision Reynolds selon laquelle une suppression explicite de compétence comporte une suppression de la capacité d'examiner la constitutionnalité de cette disposition. Par conséquent, le défendeur prétend que la décision Reynolds lie la SAI et que le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en l'invoquant.

[25]            Enfin, le défendeur nie, selon les faits en l'espèce, qu'il y a eu violation de l'article 7, de l'alinéa 11i) ou du paragraphe 12 de la Charte. Le défendeur prétend que le demandeur n'a même pas établi que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité prévu à l'article 7 s'appliquait compte tenu des faits de l'espèce, et que même s'il s'appliquait, le fait de refuser à l'appelant d'interjeter appel à la SAI violerait les principes de justice fondamentale enchâssés à l'article 7.


[26]            De plus, le défendeur prétend que le contexte législatif de la LIPR confirme que la suppression d'un appel prévu par la loi ne viole pas les droits à la liberté des personnes interdites de territoire. En supposant même que les droits à la liberté entrent en jeu dans certaines circonstances au moment du renvoi, le défendeur prétend que l'examen des risques avant renvoi et les exceptions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire prévues dans la loi répondent adéquatement à la question des droits à la liberté d'un grand criminel dont le renvoi a été ordonné.

[27]            Quant à la question du retard, le défendeur affirme que les agents d'immigration n'étaient pas tenus de traiter le cas du demandeur dans le délai souhaité par ce dernier, c'est-à-dire avant que la LIPR n'entre en vigueur le 28 juin 2002. Le défendeur conteste la prétention du demandeur que l'adoption de l'article 64 de la LIPR après sa condamnation viole la Charte parce qu'il s'agit d'une sanction additionnelle quant à l'infraction qu'il a commise. Le défendeur prétend qu'une simple lecture de l'alinéa 11i) de la Charte indique qu'il ne s'applique qu'aux peines criminelles qui sont modifiées entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sentence.

[28]            Enfin, le défendeur prétend que la Cour suprême du Canada a conclu dans l'arrêt Chiarelli que le renvoi ne viole pas l'article 12 de la Charte lorsqu'un résident permanent, en commettant une infraction criminelle, viole une condition essentielle en vertu de laquelle on lui permet de demeurer au Canada.


[29]            Je rejette la demande de contrôle judiciaire pour les motifs suivants.

[30]            L'arrêt de principe en matière de compétence des tribunaux administratifs que l'on doit appliquer est l'arrêt Martin dans lequel la Cour suprême du Canada, au paragraphe 48, a examiné la jurisprudence dans ce domaine et a réaffirmé le droit :

La nouvelle approche actuelle en ce qui concerne le pouvoir d'un tribunal administratif de soumettre des dispositions législatives à un examen fondé sur la Charte peut se résumer ainsi : (1) La première question est de savoir si le tribunal administratif a expressément ou implicitement compétence pour trancher les questions de droit découlant de l'application de la disposition contestée. (2) a) La compétence expresse est celle exprimée dans le libellé de la disposition habilitante. b) La compétence implicite ressort de l'examen de la loi dans son ensemble. Les facteurs pertinents sont notamment les suivants : la mission que la loi confie au tribunal administratif en cause et la question de savoir s'il est nécessaire de trancher des questions de droit pour accomplir efficacement cette mission; l'interaction entre ce tribunal et les autres composantes du régime administratif; la question de savoir si le tribunal est une instance juridictionnelle; des considérations pratiques telle la capacité du tribunal d'examiner des questions de droit. Les considérations pratiques ne sauraient toutefois l'emporter sur ce qui ressort clairement de la loi elle-même. (3) S'il est jugé que le tribunal a le pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative, ce pouvoir sera présumé inclure celui de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition au regard de la Charte. (4) La partie qui prétend que le tribunal n'a pas compétence pour appliquer la Charte peut réfuter la présomption a) en signalant que le pouvoir d'examiner la Charte a été retiré expressément , ou b) en convainquant la cour qu'un examen du régime établi par la loi mène clairement à la conclusion que le législateur a voulu exclure la Charte (ou une catégorie de questions incluant celles relatives à la Charte, telles les questions de droit constitutionnel en général) des questions de droit soumises à l'examen du tribunal administratif en question. En général, une telle inférence doit émaner de la loi elle-même et non de considérations externes.

                                                    [Non souligné dans l'original]


[31]            En l'espèce, les dispositions pertinentes de la loi, c'est-à-dire les articles 64 et 190 de la LIPR, sont ainsi libellées :

64.(1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

64.(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.


[32]            Si on applique le raisonnement suivi dans l'arrêt Martin à la présente instance, je suis convaincu que la SAI n'a pas compétence pour statuer sur la constitutionnalité de l'article 64 de la LIPR. Rien dans la loi n'accorde expressément ou implicitement cette compétence. Au contraire, les dispositions contestées limitent expressément la compétence de la SAI dans la mesure où elles retirent tout droit d'interjeter appel au tribunal au résident permanent qui est interdit de territoire pour grande criminalité. Selon moi, le législateur n'aurait pas pu être plus clair quant à son intention de limiter la compétence de la SAI relativement aux personnes visées par l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Je n'interprète pas l'arrêt Martin comme renversant la décision de la Cour dans l'affaire Reynolds dans laquelle il a été décidé que malgré que la SAI avait compétence exclusive pour connaître des questions de droit et déterminer sa propre compétence, ses pouvoirs généraux n'allaient pas jusqu'à lui permettre de conclure qu'une disposition législative qui comprenait une limite expresse à sa compétence était inconstitutionnelle.

[33]            En l'espèce, une fois qu'il fut établi dans les faits que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, une décision que le demandeur ne conteste pas, la SAI a perdu tout mandat d'entendre un appel. Comme la SAI n'est pas habilitée à se prononcer sur des questions de droit soulevées en vertu de l'article 64, elle n'est donc pas habilitée à entendre des contestations constitutionnelles de cette disposition.

[34]            Je ne suis pas non plus convaincu par les arguments d'ordre constitutionnel du demandeur. D'abord, il est bien établi en droit que le renvoi d'auteurs d'actes criminels graves ne met pas en cause les droits garantis par l'article 7 (Voir Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594 et Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.), autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. rejetée (1993), 148 N.R. 238 (C.S.C.)) :


[35]            De toute façon, je suis d'accord avec le défendeur que le renvoi du demandeur n'est pas la question en litige en l'espèce et que la Cour ne doit pas assimiler la suppression d'un droit d'appel avec l'acte de renvoi. Le demandeur a admis que la mesure de renvoi qui a été prise contre lui le 1er octobre 2002 est valide. La loi prévoit d'autres recours légaux pour empêcher ou retarder le renvoi et ces recours n'ont pas été épuisés ou invoqués par le demandeur. La question en litige n'est pas de savoir si le renvoi met en cause les droits garantis par l'article 7 de la Charte, mais de savoir si la suppression par la loi du droit d'interjeter appel à la SAI met en cause les droits garantis par l'article 7. La Cour d'appel fédérale a décidé dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. rejetée (1997), 224 N.R. 320, que la suppression du droit d'interjeter appel d'une mesure de renvoi n'entraîne pas une perte de liberté.

[36]            Même si les droits garantis par l'article 7 sont mis en cause, l'article 64 ne viole pas les principes de justice fondamentale. Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême du Canada a statué que les principes de justice fondamentale n'exigent pas qu'un résident permanent qui fait l'objet d'une mesure de renvoi se voit accorder un appel fondé sur « les circonstances de l'espèce » . Comme il n'y a aucun droit d'appel garanti par la constitution, la tentative du demandeur d'établir une violation de l'article 7 en raison d'une privation d'un droit d'interjeter appel ne peut pas réussir.


[37]            De plus, dans l'affaire Nokhodchari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1075, 2003 CFPI 803, une récente décision de la Cour, le juge Blais a décidé que l'article 64 de la LIPR ne viole pas l'article 7, ni l'article 12 de la Charte. Dans cette décision, le juge Blais renvoie à la décision Casiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1199 (1re inst.) dans laquelle le juge Dubé a conclu ce qui suit :

[...] la décision du ministre de supprimer rétroactivement les droits d'appel du requérant devant la section d'appel de l'immigration ne porte pas atteinte aux droits du requérant qui lui sont garantis par la Charte. Il a été statué à plusieurs reprises qu'il n'y a pas de droit d'appel garanti par la Constitution. La question a été correctement énoncée par le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Kourtessis c. M.N.R. [1993] 2 R.C.S 53, à la page 70, où il conclut dans les termes suivants :

Toutefois, il demeure qu'il n'existe pas de droit d'appel sur une question sauf si le législateur compétent l'a prévu.

[38]            De plus, la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rudolph c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 653 (C.A.) a conclu que l'article 11 de la Charte ne s'applique aucunement au contexte de l'immigration et du renvoi. Dans cette décision, la Cour d'appel a conclu qu'il n'était pas interdit que la loi adopte un règlement qui exclut des personnes du Canada en raison de leur conduite passée. Par conséquent, l'article 64 ne viole pas l'alinéa 11i) de la Charte.


[39]            Quant à la question du retard, il est vrai que le retard dans le contexte de l'immigration peut, dans les circonstances appropriées, constituer une violation des droits garantis par l'article 7 de la Charte. Toutefois, les faits de l'espèce n'entraînent pas une telle violation. Au contraire, la position du demandeur est que les autorités de l'immigration auraient dû prendre plus tôt des mesures contre lui et que si cela avait été le cas, il aurait eu droit d'interjeter appel en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration. Il ne s'agit pas d'un argument défendable. Les agents d'immigration, en l'absence de disposition législative, ne sont pas tenus d'agir dans les délais souhaités par un demandeur. Je suis d'accord avec le défendeur que les arguments du demandeur concernant le retard de la part des agents d'immigration reviennent à dire que lui-même aurait dû admettre, des années auparavant, sa culpabilité quant à la déclaration de culpabilité d'agression sexuelle, auquel cas le processus d'immigration se serait terminé plus tôt, ou que le demandeur aurait pu prévenir les agents d'immigration aussitôt qu'il a été déclaré coupable et demander la tenue d'une audition à une date plus rapprochée.     

[40]            Lorsque l'on interprète les dispositions de la LIPR, notamment les droits d'interjeter appel en vertu de la Loi, il est important de garder à l'esprit les objectifs poursuivis par la loi de « protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité » et de « promouvoir, à l'échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l'interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité » (les alinéas 3(1)h) et i)). L'article 64 de la LIPR, qui refuse clairement à la personne interdite de territoire d'interjeter appel à la SAI pour raison de grande criminalité, tente de favoriser ces objectifs en matière de sécurité.


[41]            Selon moi, les commentaires suivants de la Cour d'appel fédérale dans la récente décision qu'elle a rendue dans l'affaire Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 366 sont instructifs à cet égard :

De toute façon, en adoptant la LIPR, le législateur a rééquilibré la sécurité du public et les droits individuels en élargissant les catégories de personnes qui peuvent être renvoyées sans droit d'appel à la SAI [...]

Dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 739, la Cour suprême du Canada a rejeté l'argument voulant que les principes de justice fondamentale exigent que le législateur accorde un droit d'appel pour motifs humanitaires avant le renvoi d'un résident permanent pour grande criminalité.

Je ne trouve rien dans les faits de la présente affaire qui la distingue de l'arrêt Chiarelli. Je n'accepte pas que Mme Medovarski aurait été trompée par le ministre pour qu'elle croie avoir un droit d'appel. Personne ne peut légitimement s'attendre à ce que les lois ne soient pas changées à l'occasion. Rien dans la preuve n'indique que Mme Medovarski aurait présenté une défense différente à son procès criminel (ou que, si elle l'avait fait, le résultat aurait été différent) si elle s'était rendu compte qu'une condamnation à deux ans lui enlèverait son droit d'appel à la SAI.

                                                             [...]

En l'absence d'une disposition dans la Constitution qui accorde le droit d'en appeler d'une mesure de renvoi, je ne suis pas convaincu que le fait d'appliquer l'article 196 à Mme Medovarski constitue une violation de l'article 7 [...] Encore une fois, comme je l'ai déjà dit, personne ne peut avoir une attente légitime que des droits accordés par le législateur en matière de procédure ne soient jamais supprimés. L'évaluation du risque avant renvoi et le droit de présenter une demande pour motifs humanitaires accordent à Mme Medovarski l'occasion de présenter son point de vue quant à la question de savoir si elle doit être renvoyée.

                                          

                                                                              [Non souligné dans l'original]


[42]            Pour l'ensemble de ces motifs, la Section d'appel de l'immigration n'a pas commis d'erreur de droit en prenant sa décision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée

« Paul Rouleau »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 14 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

                                                                                                                                               


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       IMM-4119-03

INTITULÉ :                                                      ANDRIES KROON

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                               EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 3 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                    LE 14 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Charles Davison                                                  POUR LE DEMANDEUR     

Rick Garvin                                                         POUR LE DÉFENDEUR       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Abbey Hunter Davison Spencer                          POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                               POUR LE DÉFENDEUR                               

Sous-procureur général du Canada


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