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     Date : 19990727

     Dossiers : T-1042-96

     T-1043-96


Entre

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     demandeur

     (intimé pour la requête),

     - et -


     DONALD NEIL MacIVER et PAMELA CONSTANCE MacIVER,

     défendeurs

     (requérants pour la requête)



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge SHARLOW


[1]      Des ordonnances de recouvrement sans délai ayant été rendues le 8 mai 1996 en application du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu contre les requérants Donald Neil MacIver et son épouse, Pamela Constance MacIver, ceux-ci en ont demandé, dans le délai prévu par la loi à cet effet, le réexamen en application du paragraphe 225.2(8). Cette requête, initialement ajournée du consentement des deux parties, a été inscrite au rôle parce que le ministre tient à se fonder sur les ordonnances susmentionnées pour vendre aux enchères le bateau des requérants. Ceux-ci concluent maintenant à l'annulation de ces ordonnances ou, subsidiairement, à leur modification en attendant l'issue de l'appel de M. MacIver dans une affaire pénale, que nous verrons infra.

[2]      Il est constant que l'un et l'autre requérants devaient de l'argent au fisc à la date des ordonnances de recouvrement sans délai ci-dessus. La dette fiscale de M. MacIver s'élève maintenant à plus de 4 millions de dollars. Celle de Mme MacIver porte sur un montant inférieur, lequel a été établi sous le régime de l'article 160 par suite d'un transfert de complaisance de biens que lui aurait fait M. MacIver pour un prix inférieur à leur juste valeur marchande. Les avis d'opposition ont été déposés à l'égard de toutes ces cotisations et n'ont pas encore été résolus.

[3]      Les ordonnances de recouvrement sans délai permettent au ministre de prendre des mesures extraordinaires pour recouvrer le montant d'impôt contesté. Autrement il n'aurait été en mesure de prendre aucune mesure de recouvrement en la matière avant que ne soient résolus les oppositions et les appels subséquents à la Cour canadienne de l'impôt. Voici ce que prévoit le paragraphe 225.2(2) à ce sujet :

     " sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'ils estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

[4]      L'avocat des demandeurs a demandé un nouvel ajournement de la requête en instance, mais celui du ministre s'y est opposé par ce motif que la requête a été péremptoirement inscrite au rôle après l'ajournement initial. Je ne vois rien qui justifie un nouvel ajournement.

[5]      M. MacIver est un avocat. Il appert que sa dette fiscale, telle qu'elle a été déterminée, a son origine dans certaines affaires dans le cadre desquelles il a reçu des fonds d'un client. Ce client s'est pourvu en justice au Manitoba pour les récupérer et a finalement obtenu un jugement portant restitution de tous ces fonds, à l'exception de 1 million de dollars versés à M. MacIver à titre d'honoraires. Il appert qu'aux yeux du ministre, le montant intégral de ce qui a été initialement versé à ce dernier est un revenu, alors que selon M. MacIver, seul le million de dollars compte comme revenu.

[6]      La dette fiscale imputée à Mme MacIver sous le régime de l'article 160 tient à ce qu'elle est solidairement responsable de la dette fiscale de son mari. Elle soutient qu'elle n'est tenue à aucune dette par l'effet de l'article 160 puisque son mari ne lui a pas transféré les biens en question sans contre-partie suffisante. Il est à présumer qu'elle soutiendrait aussi que si M. MacIver a réglé intégralement sa dette fiscale, elle n'est tenue d'aucune obligation quelle qu'elle soit.

[7]      Le litige fiscal sera tranché par une autre juridiction. Je n'ai pas compétence pour décider si les cotisations en question sont correctes. Dans le cadre de cette requête, je dois appliquer le paragraphe 152(8), aux termes duquel toute cotisation est réputée être valide et exécutoire sauf modification sur opposition ou appel.

[8]      En l'espèce, il incombe aux demandeurs de prouver qu'il y a raisonnablement lieu de conclure que les conditions prévues par le paragraphe 225.2(2) pour la délivrance d'une ordonnance de recouvrement sans délai n'étaient pas remplies. Mais en dernière analyse, c'est le ministre qui doit défendre la validité de cette ordonnance; v. Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc. (1989), 30 F.T.R. 94 (C.F. 1re inst.).

[9]      Dans les cas de requête du ministre en ordonnance de recouvrement sans délai, le critère à observer a été défini en ces termes par la jurisprudence Danielson c. Canada (Sous-procureur général du Canada), [1986] 2 D.T.C. 380 (C.F. 1re inst.), en page 381 :

     " le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. On peut raisonnablement conclure que le critère qui consiste à se demander s'" il est raisonnable de croire " que le recouvrement sera compromis équivaut en fait à déterminer si, selon toute probabilité, la preuve est suffisante pour permettre de conclure qu'il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromettra le recouvrement.

     "

     À mon avis, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

[10]      La cause citée ci-dessus a été jugée sous le régime du paragraphe 225.2(2) en vigueur avant 1988, mais elle fait toujours jurisprudence pour l'application de la version actuelle de cette disposition; v. Deputy Minister of National Revenue v. Atchison, [1989] 1 C.T.C. 342 (C.S.C.-B.).

[11]      Les requérants soutiennent que tout retard dans le recouvrement est imputable au ministre, qui n'a pas confirmé les cotisations établies bien que les oppositions y relatives aient été déposées il y a trois ans. L'avocat du ministre réplique que l'article 225.2 vise les cas où le recouvrement de l'impôt est compromis par les retards inhérents au processus d'opposition et d'appel, et qu'il ne sert à rien de chercher à déterminer qui est responsable de certains retards en particulier. J'en conviens. Quoi qu'il en soit, il est probable qu'il était dans l'intérêt à la fois des requérants et du ministre de laisser les oppositions en suspens pendant que la poursuite pénale mentionnée infra suivait son cours. Il n'y a aucune de raison de chercher à savoir qui du ministre ou des requérants est responsable du retard dans l'instruction des oppositions en question.

[12]      Les ordonnances de recouvrement sans délai étaient fondées sur l'affidavit d'un fonctionnaire de Revenu Canada qui témoignait que M. MacIver avait versé 2,6 millions de dollars dans une fiducie en Suisse, ce qui les soustrait à son contrôle et les place sous le contrôle d'une personne, laquelle n'est pas assujettie aux mesures de recouvrement que Revenu Canada est habilité à prendre en application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[13]      Cet affidavit indique encore que M. MacIver a transféré des biens à sa femme et à d'autres membres de la famille, et que ses seuls biens que Revenu Canada ait pu trouver au Canada étaient un bateau, un fonds enregistré d'épargne-retraite d'une valeur de 39 000 $, un certificat de revenu garanti qui avait été engagé auprès d'une banque, et environ 9 000 $ dans un compte en banque.

[14]      Il n'y a rien dans les pièces et actes de procédure déposés par les requérants, qui mette en doute les faits articulés par le ministre dans sa requête en ordonnance de recouvrement sans délai.

[15]      Il ressort des éléments de preuve produits à l'appui de cette dernière qu'après que les ordonnances de recouvrement sans délai eurent été rendues, M. MacIver a été poursuivi en justice pour évasion fiscale sur les fonds reçus du client, évoqués supra, et pour parjure à propos d'un affidavit déposé dans le cadre du procès engagé par ce client contre lui. Il a été reconnu coupable par un jury. L'appel contre le verdict de culpabilité est pendant. Son avocat estime que cet appel pourra être entendu au début de 2000. M. MacIver a confiance que le verdict de culpabilité sera infirmé en appel.

[16]      Je n'ai pas pris en compte les verdicts de culpabilité ci-dessus, ni n'ai cherché à examiner au fond les motifs d'appel pris par M. MacIver. Je ne pense pas que ces poursuites pénales aient un rapport avec l'affaire dont je suis saisie. L'issue de l'appel pourrait avoir des effets sur la détermination ultime de la dette fiscale des requérants, mais n'a rien à voir avec la requête en instance.

[17]      M. MacIver a aussi produit des éléments de preuve pour établir qu'il a réglé intégralement sa dette fiscale relative au million de dollars inclus dans son revenu. Le ministre conteste la valeur de ces preuves. La requête en instance n'a rien à voir avec la question de savoir si M. MacIver a payé ou non l'impôt sur le million de dollars inclus dans son revenu. Ce qui est important, c'est qu'il ne nie pas que le montant d'impôt contesté soit en souffrance. C'est ce montant seul qui a fait l'objet des ordonnances de recouvrement sans délai.

[18]      M. MacIver, qui a 67 ans, n'est apparemment pas en bonne santé. Selon les affidavits déposés par lui-même et par Mme MacIver, ils ont des enfants et des petits-enfants au Canada et n'ont nullement l'intention d'aliéner leurs biens. Ils font remarquer qu'il s'est écoulé trois ans depuis que les ordonnances initiales de recouvrement sans délai furent rendues. Pendant tout ce temps, le ministre a volontairement laissé le bateau en la possession de M. MacIver et n'a pris aucune mesure de recouvrement contre ce bien; de son côté, M. MacIver n'a pas essayé de le vendre ou de dissiper aucun de ses éléments d'actif.

[19]      Les requérants soutiennent que les faits et gestes de M. MacIver durant cette période, conjugués à sa confiance qu'il gagnera l'appel au criminel et que les cotisations en question seront infirmées en fin de compte, sont autant de facteurs qui engagent à conclure qu'il n'a ni le besoin ni l'intention de chercher à faire échec aux efforts de recouvrement de Revenu Canada.

[20]      En réponse, l'avocat du ministre invoque les éléments de preuve déposés à l'appui de la requête en ordonnance de recouvrement sans délai, sur les nombreux transferts de biens faits par M. MacIver à des membres de sa famille et sur la fiducie en Suisse, ainsi qu'un affidavit déposé dans le cadre de la requête en instance, selon lequel les demandeurs ont utilisé le fonds de fiducie en Suisse pour régler des dépenses engagées par carte de crédit, lesquelles s'élèvent à plus de 1 million de dollars depuis 1995. À son avis, il s'agit là d'une dissipation de biens qui justifie encore davantage les ordonnances de recouvrement sans délai.

[21]      Le ministre a aussi produit la preuve que depuis 1996, des mesures de recouvrement ont été prises contre d'autres biens des demandeurs. C'est ainsi que des privilèges ont été enregistrés contre leur propriété, et il y a eu une liquidation forcée de certains placements.

[22]      À mon avis, cette affaire n'a rien à voir avec le fait que Revenu Canada n'a pas cherché précédemment à vendre le bateau de M. MacIver, ni avec le fait que celui-ci n'a pas cherché à le vendre lui-même. On ne saurait dire qu'il aurait pu le vendre s'il l'avait voulu, parce que le bateau avait été saisi et ne se trouvait en sa possession que par indulgence du ministre.

[23]      La preuve que les demandeurs ont utilisé le fonds de fiducie en Suisse pour régler leurs dépenses indique qu'ils ont accès à ce dernier. Il n'est cependant pas possible de conclure de cette preuve s'ils y ont accès à loisir ou si l'utilisation en est à la subordonnée à la décision discrétionnaire du fiduciaire ou de quelqu'un d'autre. Il n'y a non plus aucune preuve qui me permette de juger si l'utilisation de ces fonds par les demandeurs constitue une dissipation de l'actif ou s'il s'agit d'un règlement d'obligations contractées en bonne foi. Parce qu'il y a tellement de questions restées sans réponse au sujet de la fiducie en Suisse, je n'accorde aucune valeur probante à la preuve que les demandeurs y ont puisé.

[24]      Par contre, je dois noter encore que rien ne contredit la preuve administrée par le ministre que M. MacIver a initialement versé 2,6 millions de dollars dans le fonds de fiducie en Suisse, et que celui-ci lui a dit qu'il n'a aucun contrôle sur ce fonds. Si tel est vraiment le cas, cela signifie que M. MacIver a, par le passé, transféré des biens hors de son propre contrôle. Cela, conjugué à la preuve du transfert d'autres biens à des membres de la famille, tend à justifier les ordonnances de recouvrement sans délai rendues en 1996. La croyance de M. MacIver que sa dette sera finalement réduite n'est pas suffisante pour combattre cette preuve. Je conclus que la condition prévue au paragraphe 225.2(2) est remplie en l'espèce. Il s'ensuit que les demandeurs doivent être déboutés de leur requête en annulation des ordonnances de recouvrement sans délai.

[25]      Il reste seulement à examiner s'il y a une raison de modifier ces ordonnances afin de différer la vente du bateau en attendant l'issue de l'appel contre les verdicts de culpabilité. Le seul argument proposé à l'appui d'une telle modification est que la situation des demandeurs n'a pas beaucoup changé depuis 1996 et que, la vente du bateau ayant été déjà différée, il n'est pas déraisonnable de la différer encore quelques mois en attendant la résolution de l'appel au criminel.

[26]      Le ministre soutient qu'une fois rendue l'ordonnance de recouvrement sans délai, il ne peut être forcé à différer le recouvrement pour la raison avancée par les demandeurs. L'indulgence dont il a fait preuve durant le procès pénal ne leur donne nullement droit à une prolongation de cette indulgence.

[27]      Il tient encore que le bateau est un élément d'actif qui déprécie avec le temps, et qu'un délai supplémentaire de quelques mois pourrait être préjudiciable. L'avocat des demandeurs réplique qu'il n'y a aucune preuve sur la dépréciation des bateaux. Je pense avoir le droit de prendre acte de ce qu'il est notoire que les biens de cette catégorie déprécient avec le temps.

[28]      Rien ne justifie de forcer le ministre à différer la vente du bateau des requérants, lesquels seront déboutés de leur requête en modification des ordonnances de recouvrement sans délai.

     Signé : Karen R. Sharlow

     ________________________________

     Juge

Winnipeg (Manitoba),

le 27 juillet 1999




Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIERS No :              T-1042-96, T-1043-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre du Revenu national c. Donald Neil MacIver et Pamela Constance MacIver

LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)


DATE DE L'AUDIENCE :      26 juillet 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MME LE JUGE SHARLOW


LE :                      27 juillet 1999



ONT COMPARU :


Sean Brennan                  pour les défendeurs

John A. MacIver

David Jacyk                      pour le demandeur

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Wilder Wilder Langtry              pour les défendeurs

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                  pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

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