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Date : 20010209

Dossier : IMM-2285-00

Citation neutre : 2001 CFPI 50

ENTRE :

ANTAL BRAZDA, ERNO SZABO, ERNONE SZABO

et RICHARD SZABO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]    Les demandeurs à la présente instance sont Erno Szabo, vingt-six ans, son épouse Ernone, vingt-six ans, leur fils Richard, cinq ans, ainsi qu'Antal Brazda, trente ans, un de leurs amis. Ce sont des citoyens hongrois, qui résidaient à Budapest avant de venir au Canada. À leur arrivée au Canada, ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.


[2]    La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) datée du 28 mars 2000, qui concluait que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[3]    Les demandeurs adultes appuient leur revendication sur une crainte fondée de persécution parce qu'ils sont Tziganes. La demanderesse fonde sa revendication sur son appartenance à un groupe social, puisqu'elle est l'épouse d'un Tzigane. La revendication du mineur est fondée sur son appartenance à un groupe social, puisqu'il est issu d'un mariage mixte entre un Tzigane et une non-Hongroise.

[4]    Les demandeurs ont fait état de traitements discriminatoires dans la recherche d'emploi, dans le logement, dans les services de garderie (visant Richard Szabo) et dans l'accès aux services publics. Les deux demandeurs adultes ont fait état d'agressions par des skinheads et par d'autres personnes. Ils n'ont pas signalé ces incidents à la police, car ils croyaient qu'on ne donnerait aucune suite à leurs plaintes.

LA DÉCISION DE LA SSR

[5]    La formation a examiné séparément la réclamation de M. Brazda et les réclamations de la famille Szabo.


[6]                Quant à M. Brazda, la formation a conclu qu'il n'avait pas démontré l'existence d'une conduite allant au-delà d'actes discriminatoires perpétrés par des personnes racistes. La formation conclut ceci, au sujet de la revendication de M. Brazda :

[traduction]

D'après le témoignage du revendicateur, aucun des incidents mentionnés ci-dessus n'a été signalé à la police. Comment alors peut-on déterminer quelle aurait été la réaction de cette dernière ou ce qu'elle aurait fait? Le revendicateur a laissé entendre que la police se contente de prendre une déposition lorsque les agresseurs sont inconnus, mais il n'a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable qu'elle n'était pas disposée à protéger les revendicateurs. [c'est moi qui souligne]

[7]                Quant aux demandeurs Szabo, la formation a conclu qu'ils n'avaient pas établi qu'il existait un risque raisonnable qu'ils soient persécutés s'ils retournaient en Hongrie. La formation a ensuite déclaré ceci :

[traduction]

Ils n'ont pas non plus démontré de façon satisfaisante que la police n'est pas disposée à assurer leur protection ou qu'elle n'est pas en mesure de le faire. Les incidents dont ils se plaignent n'ont jamais été signalés à la police. Les raisons qu'ils ont fournies à ce sujet ne sont pas crédibles.

[8]                Quant à l'existence de la protection de l'État, la formation a conclu comme suit :

[traduction]

Le tribunal estime qu'il est extrêmement difficile pour la police, même la plus efficace, d'assurer la protection d'un citoyen ou d'un groupe de citoyens si elle n'a pas connaissance des agressions dont ils ont fait l'objet. Dans l'affaire Smirnov, le tribunal a déclaré ce qui suit :

« Il est également difficile premièrement d'enquêter effectivement sur des agressions commises au hasard, comme celles subies par les requérants, où les agresseurs ne sont pas connus de la victime et dont aucun tiers n'a été témoin et deuxièmement de protéger effectivement la victime contre ses agresseurs. Dans de tels cas, même la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace. »


En se basant sur la preuve documentaire, le tribunal conclut que les revendicateurs n'ont pas réfuté la présomption que l'État pouvait les protéger. Ils ne se sont pas adressés à la police parce que certains de leurs amis l'avaient déjà fait et n'avaient pas obtenu de résultats. On ne peut pas généraliser à tout le pays l'expérience d'une seule personne avec la police. La preuve documentaire révèle que ce sont les Roms qui sont incarcérés qui sont en danger, non ceux qui sont en liberté. La plupart des documents révèlent que les activités des skinheads ont diminué.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]                Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions, mais selon moi il y en a deux qui permettent de trancher cette demande de contrôle judiciaire :

1)    La SSR a-t-elle commis une erreur en utilisant un critère incorrect pour déterminer si les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État?;

2)    La SSR a-t-elle commis une erreur en arrivant à la conclusion que les demandeurs n'avaient pas établi l'existence d'une crainte fondée de persécution?

ANALYSE

[10]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, la Cour suprême du Canada a analysé la preuve nécessaire pour établir qu'un État était incapable de protéger ses ressortissants ou qu'il n'était pas disposé à le faire. La Cour déclare ceci :


Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. [c'est moi qui souligne]

[11]            Cet énoncé du droit permet d'établir les propositions suivantes :

i.           la SSR a commis une erreur en établissant une norme de preuve trop élevée, lorsqu'elle a déclaré au sujet de la revendication de M. Brazda que ce dernier n'avait pas prouvé « au-delà de tout doute raisonnable » que la police n'était pas disposée à protéger les demandeurs; et

ii.           la preuve portant sur l'expérience des amis des demandeurs qui sont dans la même situation qu'eux était pertinente lorsqu'il s'agissait de savoir si l'État était capable ou non de les protéger.


[12]            Quant à l'impact de l'erreur de la SSR au sujet de la norme de preuve applicable, l'avocat du ministre soutient qu'un tribunal qui a mal formulé un critère juridique peut corriger son erreur en l'appliquant de façon correcte. Il s'est appuyé sur la décision du juge Pinard, dans Pompey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] J.C.F. no 1190, IMM-16-96 (le 18 septembre 1996) (C.F. 1re inst.).

[13]            Bien que j'accepte que cet énoncé soit correct en droit, rien en l'instance ne fait ressortir clairement que le bon critère aurait été appliqué. On ne trouve pas dans les motifs de la SSR un exposé clair du critère utilisé ou de la façon dont il a été appliqué. Quant aux revendicateurs Szabo, la formation a simplement affirmé qu'ils « n'ont pas démontré de façon satisfaisante » que la police n'était pas capable d'assurer leur protection ou qu'elle n'était pas disposée à le faire.

[14]            Quant aux Szabo, la formation n'a pas mis en doute la crédibilité de ces derniers lorsqu'ils ont motivé le fait qu'ils n'avaient pas rapporté les incidents en cause à la police. Voici ce que M. Szabo dit dans son témoignage pour expliquer qu'il ne croyait pas pouvoir obtenir la protection de la police :

[traduction]

LE DEMANDEUR                 (SZABO)                Non, puisqu'il y avait trop, beaucoup trop d'histoires de mes amis impliqués dans des incidents semblables et qui se retrouvaient à être ceux que la police gardait jusqu'au matin, sans motif particulier. Ils étaient interrogés et, suite à leur description de la façon dont ils ont été traités par la police, je n'étais pas du tout encouragé à m'adresser à eux pour leur parler de mes difficultés.


[15]            Ce témoignage concorde avec la preuve documentaire dont la formation était saisie. Bien que la SSR puisse rejeter la preuve qui lui est présentée, dans les circonstances actuelles, où M. Szabo a témoigné d'une façon qui concordait avec la preuve documentaire présentée à la formation, la SSR a commis une erreur en n'ajoutant pas foi à son témoignage sans donner de motifs clairs et non équivoques appuyant sa conclusion que M. Szabo n'était pas crédible (voir : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

[16]            La formation a conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption que l'État pouvait les protéger.

[17]            La preuve documentaire dont la formation était saisie au sujet de la protection de l'État est contradictoire. Étant donné que la formation n'a pas précisé quelle partie de la preuve elle trouvait convaincante, qu'elle n'a pas fait état des contradictions dans la preuve qui lui était présentée, qu'elle a mal énoncé la norme de preuve applicable, et qu'elle a rejeté comme non crédible les témoignages sur la question sans motiver sa décision, je ne peux exercer de retenue judiciaire face à la SSR et donc ne peut conclure que sa décision portant sur la protection de l'État était raisonnable.


[18]            L'avocat du ministre soutient qu'il existe un autre motif à l'appui de la décision de la SSR. Il s'agit de la conclusion de la SSR que les demandeurs faisaient l'objet de discrimination et non de persécution. L'avocat du ministre a correctement admis qu'il n'y avait pas [traduction] « beaucoup d'analyse » à l'appui de cette conclusion. Il a toutefois déclaré que la question devait néanmoins être prise en considération.

[19]            En fait, la formation n'a pas motivé sa conclusion que les Szabo n'avaient pas présenté une preuve démontrant qu'il existait un risque raisonnable qu'ils soient persécutés s'ils retournaient en Hongrie. Quant à la réclamation de M. Brazda, la SSR a déclaré que même si elle jugeait que son témoignage au sujet des incidents de l'été 1997 (où M. Brazda a été agressé par cinq hommes et poignardé) était crédible, ainsi que sa relation de l'agression par les skinheads en octobre 1998, ces incidents, pris ensemble, ne démontraient pas l'existence d'une persécution.

[20]            Il ne ressort pas clairement si la SSR a jugé que le témoignage de M. Brazda au sujet des incidents en cause était crédible. Même si la formation a considéré que ce témoignage était véridique, elle n'a pas motivé sa conclusion que cette conduite ne constituait pas de la persécution. Croyait-elle que les incidents en cause n'étaient pas assez sérieux? Croyait-elle qu'ils n'étaient pas assez systémiques?

[21]            Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), la Cour d'appel déclare ceci, aux pages 399 et 400 :


[3] Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable. [c'est moi qui souligne]

[22]            En l'absence d'une analyse ou d'éléments fondant la conclusion de la formation, je ne peux confirmer la décision de la SSR pour ce motif. Il se peut que la SSR pouvait raisonnablement arriver à une telle conclusion, mais elle n'a pas été appuyée comme elle le devrait dans les motifs de la formation.

[23]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question est renvoyée pour nouvel examen par une formation différente de la SSR.

[24]            Quant à la certification d'une question, les avocats peuvent me présenter leurs prétentions écrites sur l'existence d'une question grave dans les 14 jours de la date des présents motifs, après avoir communiqué l'un à l'autre leur position à ce sujet. Le jugement accueillant cette demande de contrôle judiciaire sera délivré après que la Cour aura pris connaissance des prétentions en cause, s'il en est.

               « Eleanor R. Dawson »                 

Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 9 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-2285-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Antal Brazda et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 1er février 2001

MOTIFS DE JUGEMENT DE Mme LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                     9 février 2001

ONT COMPARU

Mme Lisa R.G. Winter-Card                                           POUR LES DEMANDEURS

M. James Brender                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mme Lisa R.G. Winter-Card                                           POUR LES DEMANDEURS

North York (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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