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Date : 19990105

T-1566-97

E n t r e :

                                                   ROBERT A. GRATTON,

                                                                                                                             demandeur,

                                                                    - et -

                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                        et CONSEIL D'UNITÉ DE L'UNITÉ 5

                                DE L'ÉTABLISSEMENT DE WARKWORTH,

                                                                                                                             défendeurs.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée] par le demandeur, Robert Gratton, qui est détenu à l'établissement de Warkworth. Dans sa demande, M. Gratton conteste une décision remontant à octobre 1996 par laquelle le Conseil d'unité de l'unité 5 de l'établissement a restreint certains de ses droits à titre de mesure administrative. Il sollicite diverses formes de réparation, notamment une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire à une autre formation collégiale du Conseil, ainsi qu'une ordonnance déclarant que la décision en cause était manifestement déraisonnable et que le Conseil n'avait donc pas compétence pour la prendre.

[2]         Dans son avis de décision daté du 30 octobre 1996, le Conseil a informé le demandeur que [TRADUCTION] « il y a suffisamment d'éléments de preuve pour vous soupçonner d'avoir fait entrer des drogues dans l'établissement » et qu'en conséquence, il n'avait désormais plus droit qu'à des visites avec séparation, que ses visites familiales privées étaient suspendues et qu'il lui était interdit de participer à toute activité impliquant des contacts avec des membres de la collectivité. L'avis l'informait également que son cas sera révisé par le Conseil sur réception de la part de son équipe de gestion de cas d'un rapport favorable sur l'évolution de son cas, ce qui semble supposer que le demandeur devait fournir « de son plein gré » des échantillons d'urine négatifs trois mois de suite.

[3]         Le demandeur n'a pas été avisé au préalable que le Conseil envisageait de prendre une telle décision, et on ne lui a pas donné la possibilité de produire des éléments de preuve ou de faire valoir son point de vue avant que le Conseil ne prenne sa décision. Dans une note de service datée du 29 novembre 1996, le chef d'unité intérimaire, Mme Aitchison, a répondu aux plaintes formulées par le demandeur au sujet de l'iniquité de la décision du Comité d'unité en déclarant que le Conseil avait fondé sa décision sur le fait que le 6 octobre 1996, ou vers cette date, on avait trouvé des drogues illégales en la possession de sa mère à l'établissement de Warkworth alors qu'elle se rendait visiter le demandeur et que [TRADUCTION] « vous êtes soupçonné de faire partie de la sous-culture de la drogue à Warkworth » . Mme Aitchison a également déclaré que [TRADUCTION] « aucune audience n'a été menée [par le Comité d'unité] et aucun avis ne devait donc vous être envoyé pour vous permettre de préparer votre cause » .

[4]         Insatisfait de cette réponse, le demandeur s'est plaint au directeur de l'établissement de Warkworth. Une enquête a été ouverte et le directeur de l'établissement a conclu qu'à une exception mineure près, la décision du Conseil n'était entachée d'aucune irrégularité, tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. Le demandeur s'était vu offrir la possibilité de soumettre des observations écrites au Conseil, mais ne s'en était pas prévalu.

[5]         Le demandeur a rencontré le Conseil d'unité en février 1997 pour examiner son cas. En mars 1997, les droits du demandeur ont été rétablis, à l'exception des visites de sa mère. Lui et sa mère ont été informés qu'ils peuvent demander le rétablissement des droits de visite après que les accusations criminelles qui ont été portées contre elle à la suite de son arrestation pour possession de drogues illégales à l'établissement de Warkworth auront été entendues et jugées.

[6]         Le demandeur conteste la décision par laquelle le Conseil d'unité a restreint ses droits au motif que le Conseil a manqué à son obligation d'agir avec équité, étant donné qu'il n'a reçu aucun préavis et qu'on ne lui a pas accordé la possibilité de faire valoir son point de vue avant que la décision ne soit prise. Il allègue également que la décision est déraisonnable parce qu'elle est fondée sur des agissements de sa mère dont il n'est pas responsable.

[7]         L'avocate des défendeurs, Me Kirewskie, reconnait que le demandeur aurait dû être avisé qu'on avait découvert de la drogue en possession de sa mère au cours de sa visite et qu'aucune mesure administrative n'aurait dû être prise avant qu'on lui donne une occasion raisonnable de répondre aux accusations portées contre lui, le tout en conformité avec l'obligation d'agir avec équité. Elle affirme toutefois que la Cour ne devrait pas trancher la demande au fond, parce que la demande est devenue théorique lorsque la presque totalité des droits du demandeur ont été rétablis en mars 1997. À titre subsidiaire, elle affirme que tout manquement à l'obligation d'agir avec équité qui a été commis avant que le Conseil d'unité ne suspende les droits du demandeur a été par la suite corrigé à la fois par sa rencontre avec le Conseil d'unité en février 1997 et par la possibilité qui lui avait déjà été offerte de présenter ses observations par écrit au Conseil.

[8]         J'examinerai d'abord l'argument que la question en litige en l'espèce est devenue théorique. Bien qu'ils aient été posés dans le cadre d'une contestation constitutionnelle, les principes régissant le caractère théorique qui ont été établis dans l'arrêt Borowski c. Canada (procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, s'appliquent aussi aux contestations de l'exercice d'un pouvoir public fondées sur le droit administratif.

[9]         Dans l'arrêt Borowski, le juge Sopinka a déclaré que, lorsqu'on examine la question de savoir si une instance est théorique, le tribunal doit d'abord décider si on lui a soumis un « différend concret » . Si la réponse à cette question est négative, le tribunal doit ensuite se demander s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur l'affaire en tenant compte des facteurs suivants : la question de savoir à quel point la cause a été plaidée pleinement, la nécessité d'économiser les ressources judiciaires et la question de savoir s'il serait dans l'intérêt du public de statuer sur le fond de la question « pour déterminer l'état du droit » (à la page 364).

[10]       Appliquant ces principes, je conclus que, comme les droits de visite de la mère du demandeur n'ont pas été rétablis, la question n'est pas purement théorique. Dans la mesure où la plainte du demandeur concerne la restriction d'autres droits, la question est théorique, et il n'y a pas lieu en l'espèce d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à statuer sur le fond du litige. Je tranche donc la présente demande de contrôle judiciaire uniquement dans la mesure où elle concerne la décision du Conseil d'unité de suspendre les visites de la mère du demandeur.

[11]       Ainsi que je l'ai déjà dit, le principal moyen qu'invoque le demandeur est que le Conseil d'unité a manqué à son obligation d'agir avec équité en prenant sa décision. Compte tenu de l'admission de l'avocate des défendeurs, admission qu'elle a, selon moi, eu raison de faire, suivant laquelle le demandeur aurait dû être avisé au préalable et se voir offrir la possibilité de faire valoir son point de vue devant le Conseil d'unité qui a suspendu ses droits, la question qui se pose est celle de savoir si les voies de recours qui ont été offertes au demandeur après que la décision eut été prise sont suffisantes pour corriger le vice initial.

[12]       Il est de jurisprudence constante que les questions d'équité procédurale doivent être examinées dans le contexte de la décision contestée. À mon avis, il est particulièrement révélateur en l'espèce que les droits de visite ont été limités au nom de la bonne administration de la prison, et non à titre de sanction pour un manquement à la discipline (Gallant c. Canada (sous-commissaire du Service correctionnel), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.F.), et que la suspension des visites de la mère du demandeur était une restriction relativement mineure. Qui plus est, le fait non contredit que la mère du demandeur a été appréhendée avec des drogues en sa possession alors qu'elle rendait visite au demandeur faisait en sorte qu'il était pratiquement inévitable qu'on lui interdise de lui rendre visite tant que les accusations criminelles portées contre elles n'auraient pas été entendues.

[13]       Il est également important de souligner que, reconnaissant la tâche difficile à laquelle les administrateurs d'établissement carcéraux sont confrontés, les tribunaux refusent en règle générale d'intervenir et de modifier pour des motifs d'ordre procédural les décisions prises dans l'intérêt de la sécurité et de la saine administration en l'absence de preuve d'iniquité flagrante ou de « grave injustice » (Martineau c. Établissement de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602).

[14]       Compte tenu de ces considérations, je conclus que les occasions qui ont été offertes au demandeur après que le Conseil d'unité eut révoqué les droits de visite de sa mère ont corrigé tout manquement initial à l'obligation d'agir avec équité. Je ne crois pas non plus que la décision de suspendre les visites en question jusqu'à ce que les accusations criminelles soient entendues puisse être qualifiée d'exercice manifestement déraisonnable d'un pouvoir discrétionnaire.

[15]       Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (ONTARIO)                                                                                     John M. Evans           

                                                                                                                                                                                              

Le 5 janvier 1999.                                                                                                        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-1566-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :ROBERT A. GRATTON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :16 décembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le 5 janvier 1999

ONT COMPARU :

Me Robert A. Grattonpour la demanderesse

Campbellford (Ontario)

Me Cassandra Kirewskiepour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Robert A. Grattonpour la demanderesse

Campbellford (Ontario)

Ministère de la Justicepour les défendeurs

Toronto (Ontario)

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