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     Date: 20010124

     Dossier: IMM-754-00


Entre :

     MOLDOVEANNU, Paul et Tina,

     Demandeurs

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Les demandeurs, Paul et Tina Moldoveannu, ont fait l'objet d'une première décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après « la SSR » ) le 10 mars 1998 leur niant le statut de réfugié. En révision judiciaire, j'ai moi-même cassé cette décision, le 29 avril 1999, retournant l'affaire devant un panel différemment constitué de la SSR. La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue subséquemment le 7 janvier 2000 par la SSR statuant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 ( « la Loi » ).

[2]      Le demandeur et la demanderesse sont citoyens de la Roumanie. Ils allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de leur religion et de leur nationalité juive. La SSR a refusé de leur reconnaître le statut de réfugié en raison fondamentalement de leur manque de crédibilité résultant de nombreuses invraisemblances et contradictions.

[3]      Je désire d'abord disposer de l'argument des demandeurs voulant que le tribunal ait erré dans son appréciation des faits et de la crédibilité. Après révision de la preuve, les demandeurs ne m'ont pas satisfait que la SSR a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7). En effet, le tribunal a noté les invraisemblances et contradictions suivantes :

-      Le demandeur a soumis, quelques jours avant la date de l'audience, une réponse amendée à la question 37 de son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) dans laquelle il relate les incidents antérieurs à 1995, qu'il n'avait pas inclus dans son premier FRP daté du 12 juin 1997. Citant l'affaire Basseghi (6 décembre 1994), IMM-2227-94, la SSR met en doute la crédibilité de ces incidents.

-      La SSR n'a pas cru le récit du demandeur quant à deux incidents ayant eu lieu en juin 1999, lorsque le demandeur quittait la synagogue, puisqu'ils n'avaient pas été inclus dans les FRP du demandeur. Elle souligne une inconsistance quant au nombre de pierres jetées sur la voiture de demandeur lors du premier incident. Elle observe aussi que dans son second FRP, le demandeur a omis de mentionner que les jeunes qui l'avaient poussé lui avaient aussi craché au visage.
-      La SSR détermine que l'incident avec l'ancien collègue de travail était fortuit et isolé. Elle n'accepte pas que cet individu se soit subitement mis à le persécuter avec autant d'acharnement qu'il veut le laisser croire.
-      Il existe une contradiction en ce qui concerne le récit du demandeur quant à l'accident de voiture ayant eu lieu le 1eraoût 1996. Selon le demandeur, le policier arrivé sur les lieux aurait laissé tomber l'enquête dès qu'il a su qu'il était d'origine juive. Cependant, le demandeur s'est rendu au poste où un inspecteur de police a décidé en sa faveur.
-      La SSR ne croit pas l'incident impliquant la bousculade de la demanderesse. Lorsque la SSR demande si l'hôpital a fait venir la police, comme c'est la coutume en Roumanie dans les cas de victimes d'actes criminels, le demandeur a répondu dans la négative et n'a pas pu expliquer pourquoi. De plus, vu la teneur du certificat médical, celui-ci ne pouvait constituer une preuve que la demanderesse avait été bousculée dans les escaliers.
-      La SSR observe que le témoignage du fils n'a rien apporté de nouveau sur les faits en cause. Elle préfère la preuve documentaire au témoignage subjectif du témoin qui a quitté la Roumanie il y a déjà plus de 25 ans.

[4]      Bien que le tribunal ait eu tort de reprocher le défaut d'inclure des événements survenus en 1999 dans le premier FRP du 12 juin 1997, il n'en demeure pas moins, selon la transcription de l'audition, que ces événements n'ont pas été mentionnés dans le second FRP, alors qu'ils auraient pu et dû l'être, vu leur importance. L'erreur de la SSR n'est donc pas déterminante. Pour le reste, il m'apparaît que les inférences généralement tirées par ce tribunal spécialisé pouvaient raisonnablement l'être (voir Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.F., Appel)). En conséquence, la perception de la SSR que les demandeurs ne sont pas crédibles, vu les nombreuses invraisemblances et contradictions ci-dessus, équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible pouvant justifier leur revendication du statut de réfugié (voir Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244).

[5]      Quant à l'autre argument des demandeurs, voulant qu'un tribunal différemment constitué qui prend connaissance du dossier antérieur des demandeurs ne peut rendre une décision impartiale parce qu'il peut se sentir lié par le jugement du premier tribunal, je le trouve aussi sans mérite.

[6]      Faut-il rappeler que la SSR n'est pas assujettie à des règles strictes concernant la preuve, tel que l'indique le paragraphe 68(3) de la Loi :

68. (3) The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case.


68. (3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.


[7]      Comme l'indique la disposition, le tribunal peut fonder sa décision sur la preuve qu'il juge crédible ou digne de foi, compte tenu des circonstances de l'affaire, ce qui se conçoit bien, vu la nature informelle des procédures.

[8]      De plus, la Cour suprême du Canada, dans Prassad c. Canada (M.E.I.), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569, a précisé ce qui suit, au sujet du pouvoir d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure :

         . . . Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. . . .


[9]      C'est dans ce contexte que le juge Gibson a énoncé ce qui suit dans l'affaire Sitsabeshan v. Canada (1994), 27 Imm.L.R. (2d) 294, au paragraphe [16] :

         . . . While I am not satisfied that an order requiring the CRDD to take into account the record before a previous panel is necessary, that option always being open to a second panel, counsel advised me that some panels of the CRDD have been reluctant in a hearing de novo to do anything else than to in fact start "de novo" ignoring all of the evidence previously before the earlier panel. That strikes me as a significant waste of resources.. . .
                             (C'est moi qui souligne.)


[10]      Ce raisonnement a aussi été suivi par le juge Reed dans l'arrêt Diamanama c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (30 janvier 1996), IMM-1808-95, où elle affirme ce qui suit au paragraphe [10] :

             En ce qui concerne le texte de l'ordonnance, je ne crois pas qu'il convienne de le rédiger d'une manière qui impose des limites au tribunal qui entendra de nouveau la demande. Le point litigieux en l'espèce est l'évaluation de preuves factuelles dans lesquelles la crédibilité de la requérante constitue un élément intégrant. Je ne serais pas disposée à exiger qu'un décisionnaire (le second tribunal en l'occurrence) souscrive à une conclusion de crédibilité tirée par un autre décisionnaire. Je ne suis pas disposée à exiger que le second décisionnaire accepte les faits sur lesquels le tribunal antérieur s'est prononcé La requérante désire se fier aux notes sténographiques de l'audition antérieure et y ajouter des éléments de preuve. Je considère que cela est fort inopportun. Le second tribunal doit être libre de conduire l'audition comme il l'entend et de rendre sa décision en se référant aux éléments de preuve qui lui ont été soumis. Le second tribunal peut évidemment utiliser comme bon lui semble les notes sténographiques de la première audition, mais il n'est ni exigé ni convenable que je rende une ordonnance qui conditionne cette utilisation.
                             (C'est moi qui souligne.)


[11]      Cette question a de nouveau été considérée par le juge Gibson dans l'affaire Khalof c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (7 avril 2000), IMM-1719-99, où il a précisé aux paragraphes [15] et [16] :

             Je suis convaincu que la décision de la SSR de se fier à la transcription des notes sténographiques de la première audition du témoignage de la demanderesse principale correspond à ces "éléments qu'elle peut recevoir" au sens du paragraphe 68(3). Ni la transcription des notes sténographiques de la seconde audience ni les motifs de la SSR quant à la décision sous examen, ne mettent en doute, sur le plan de la crédibilité ou de la fiabilité, le témoignage de la demanderesse principale, tel qu'il apparaît dans la transcription à laquelle on s'en remet. Si tel avait été le cas, je suis convaincu qu la SSR n'aurait pas pu invoquer les paragraphes 68(2) et (3) afin de justifier le fait qu'elle s'en remette à la transcription. S'en remettre uniquement à une transcription comme fondement d'une conclusion de manque de crédibilité ou de fiabilité constituerait, j'en suis convaincu, un manquement à la justice naturelle et à l'équité. Les principes de justice naturelle et d'équité demanderaient que la SSR entende le témoignage et ait l'occasion d'observer l'attitude de la personne qui témoigne avant de pouvoir conclure équitablement au manque de crédibilité et de fiabilité.Mais une telle conclusion n'a pas été tirée en l'espèce.
             J'en viens à la conclusion que la SSR n'a pas fait d'erreur susceptible de contrôle en s'en remettant à la transcription des notes sténographiques du témoignage de la demanderesse principale lors de la première audience devant la SSR. Je suis convaincu que, pour ce qui est des faits de l'affaire, cette décision était conforme aux paragraphes 68(2) et (3) de la Loi sur l'immigration.
                             (C'est moi qui souligne.)


[12]      Enfin, référant aux deux arrêts Sitsabeshan et Diamanama, supra, le juge Gibson a conclu comme suit, au paragraphe [20] :

             Je suis convaincu que la conclusion à laquelle je suis arrivé dans la présente affaire, selon laquelle on n'a pas commis d'erreur susceptible de faire l'objet de contrôle judiciaire en se basant sur la transcription des notes sténographiques du témoignage de la demanderesse principale lors de la première audience devant la SSR, est compatible avec le raisonnement tenu dans les affaires précitées et doit être maintenue sans égard à quelque distinction que ce soit que l'on pourrait établir entre les faits de ces affaires et les faits qui nous occupent.
                             (C'est moi qui souligne.)


[13]      Dans le présent cas, il n'est pas clairement établi que la SSR ait de quelque façon basé sa décision sur celle rendue antérieurement par un autre panel, concernant la revendication des demandeurs, le 10 mars 1998. La ressemblance des termes utilisés dans les motifs contenus aux deux décisions n'est pas déterminante en soi, vu qu'on y traite en majeure partie des mêmes faits. Toutefois, même en supposant que la seconde décision se soit en partie inspirée de la première, cela ne m'apparaît pas inéquitable sur le plan de la procédure, la seconde décision ayant été rendue après que les demandeurs eurent été à nouveau entendus viva voce avec pleine possibilité de s'expliquer. Ainsi, l'exigence de mon collègue le juge Gibson dans Khalof, supra, est satisfaite : la SSR a entendu le témoignage des demandeurs et a eu l'occasion d'observer leur attitude « avant de pouvoir conclure équitablement au manque de crédibilité et de fiabilité » . Comme la première décision de la SSR n'avait pas été elle-même cassée pour violation des règles de l'équité et des règles de justice naturelle (voir Prassad, supra), l'intervention de cette Cour n'est donc pas justifiée.

[14]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[15]      Après lecture des représentations écrites des procureurs des parties au sujet de la certification d'une question en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, j'accepte de certifier la question suivante, proposée par les demandeurs :

         Lors d'une audience de novo, la CISR respecte-t-elle les principes de la justice naturelle, quand elle laisse au dossier d'un revendicateur, les transcriptions, les preuves et la décision rendue lors d'une première audience, malgré une ordonnance de la Cour fédérale du Canada qui a ordonné une seconde audience devant un panel nouvellement constitué?




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 24 janvier 2001



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