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Date : 19991117

Dossier : T-962-99

ENTRE :

                                     LA PREMIÈRE NATION DE COUCHICHING,

                                 LA PREMIÈRE NATION DE NAICATCHEWENIN,

                        LA PREMIÈRE NATION DE NICICKOUSEMENECANING et

                                    LA PREMIÈRE NATION DE STANJIKOMING,

                                                                                                                                       requérantes,

                                                                          - et -

                                     SA MAJESTÉ LA REINE REPRÉSENTÉE PAR

              LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

                                                                                                                                               intimée.

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]         Les requérantes ont présenté la présente requête en vue d'obtenir les réparations suivantes :

1.          une ordonnance prévue par l'alinéa 312a) autorisant les requérantes à déposer l'affidavit supplémentaire du chef Kelvin Morrison, daté du 22 juillet 1999, ou tout autre document dont le dépôt pourrait être autorisé;

2.          une ordonnance prévue par le paragraphe 318(4), enjoignant à l'intimée de donner suite aux demandes exigeant la transmission, en vertu de la règle 317, de tous les registres du compte en fiducie détenu par le ministère des Affaires indiennes et tous les autres documents pertinents;

3.          l'autorisation, en vertu de la règle 75, de modifier l'avis de requête;

4.          la prorogation du délai fixé pour la tenue des contre-interrogatoires des auteurs des affidavits et le dépôt du dossier;


5.          les dépens sur la base procureur-client relativement à la requête déposée le 17 août 1999.

[2]         Après avoir entendu les arguments des avocats, j'ai rejeté la requête des requérantes oralement, sauf en ce qui a trait à la demande de prorogation du délai fixé pour la tenue des contre-interrogatoires des auteurs des affidavits, qui a été accueillie. Voici les motifs de ma décision.

[3]         Le contexte est exposé dans l'affidavit signé par Kelvin Morrison le 8 juin 1999. Les requérantes soutiennent qu'elles étaient propriétaires d'une réserve indienne qu'elles ont cédée à la Couronne afin qu'elle soit vendue le 1er octobre 1908. Un décret, pris pour donner effet à la cession, prévoyait que toutes les sommes d'argent reçues dans le cadre de la vente seraient détenues [Traduction] « au profit des bandes intéressées » . Après la vente de la terre de réserve, l'intimée en a conservé le produit dans un compte distinct, appelé le compte de revenu de fiducie #842 de l'agence 1 (fiducie de l'agence 1). Au cours des années, et jusqu'en 1996, les fonds provenant de la fiducie de l'agence I ont été versés aux requérantes.

[4]         En 1996, le conseil de bande de l'une des requérantes, la Première Nation de Nicickousemenecaning, a demandé officiellement que l'intimée dégage 200 000 $ pour le développement économique de la réserve. À la même époque, environ, le conseil de bande de la Première Nation de Couchiching a lui aussi demandé à l'intimée de dégager 50 000 $, pour la poursuite de recours judiciaires engagés contre les gouvernements de l'Ontario et du Canada.


[5]         Un différend a surgi à l'origine quant à ce qui s'est passé par la suite. Dans son premier affidavit, le chef Morrison affirme que l'intimée a accueilli en partie la demande de dégagement de fonds pour le développement économique de la réserve. Il a ensuite déclaré que l'intimée n'a pas donné suite à la demande de financement pour la poursuite des recours judiciaires, censément parce que le ministère menait une enquête sur l'intérêt présumé d'autres premières nations dans la fiducie de l'agence 1. Au paragraphe 30 de son affidavit, le chef Morrison dit :

[Traduction] Ce n'est qu'après notre demande de fonds en fiducie afin de poursuivre l'intimée que celle-ci a ressorti cette vieille question et l'a utilisée pour justifier son refus de nous verser l'argent qui nous appartient.

[6]         Le scepticisme de l'auteur de l'affidavit reposait de toute évidence sur des faits inexacts, comme l'a expliqué Linda MacWilliams au paragraphe 2 de son affidavit :

[Traduction] J'ai lu l'affidavit signé par Kelvin Morrison le 8 juin 1999 et déposé au nom des requérantes. Partout dans cet affidavit, et en particulier aux paragraphes 17, 30 et 38, il laisse entendre qu'une demande de fonds en fiducie du compte de l'agence 1 visant la poursuite de recours judiciaires engagés contre la Couronne fédérale a été rejetée pour empêcher la poursuite de ces recours. Cette hypothèse n'est pas fondée. Elle s'appuie sur deux inexactitudes factuelles auxquelles répond le présent affidavit.

(a)             Le ministère a, en fait, donné suite à la demande de financement de recours judiciaires formulée par les requérantes en 1996 et leur a versé 50 000 $;

(b)            Le ministère a rejeté, en 1997, une demande qui lui a été adressée plus tard de dégager 200 000 $ pour une « société de développement économique » et des « occasions d'affaires et de placement » lorsque des faits ont été mis au jour concernant le prétendu droit d'autres bandes visées par le Traité no 3 sur les terres et le compte en fiducie de l'agence 1. Cette décision n'était pas liée au financement des recours judiciaires ni au désir de leur faire obstacle de quelque façon que ce soit.

[7]         Les requérantes veulent produire l'affidavit supplémentaire de Kelvin Morrison daté du 22 juillet 1999 au motif que la preuve par affidavit de l'intimée ne répond pas à la question soulevée dans la requête et propose une version des événements à laquelle elles ne s'attendaient pas.


[8]         Les avocats des parties ont convenu qu'il faut appliquer les critères suivants pour déterminer si le dépôt d'un affidavit additionnel doit être autorisé :

(a)         L'affidavit proposé servirait-il les intérêts de la justice?

(b)        L'affidavit proposé aiderait-il la Cour à trancher la question de façon définitive?

(c)         L'intimée subirait-elle un préjudice grave si le dépôt de l'affidavit proposé était autorisé à cette étape de l'instance?

(d)         Les requérantes auraient-elles pu ou dû s'attendre à la preuve produite par l'intimée?

[9]         L'avis de requête décrit la décision qui fait l'objet du contrôle comme [Traduction] « le défaut ou le refus de l'intimée de rendre une décision relativement au dégagement de fonds en fiducie détenus par l'intimée. » Les requérantes précisent aux alinéas f) et g) que la demande de fonds en cause visait le [Traduction] « financement de recours judiciaires engagés contre l'intimée pour la mauvaise gestion de la réserve » et que cette demande a été retardée ou rejetée par l'intimée malgré un conflit d'intérêt et pour des motifs factices. À l'alinéa 1, les requérantes affirment que l'inaction de l'intimée (qui a censément pris la forme d'un retard à rendre une décision concernant le dégagement de fonds pour le financement de recours judiciaires) les empêche d'exercer des recours pour manquement à une obligation fiduciaire relativement à des terres.


[10]       La requête inclut une demande par laquelle les requérantes essaient d'obtenir, notamment, la production de [Traduction] « tous les documents concernant l'examen de la demande par laquelle les requérantes ont demandé que des fonds en fiducie soient dégagés pour la poursuite de recours judiciaires contre l'intimée » . On peut donc comprendre pourquoi l'intimée a conclu que la décision contestée par la requête était celle de retarder ou de refuser le dégagement de fonds aux fins des recours judiciaires.

[11]       J'ai examiné les affidavits de Linda MacWilliams et de Heather Cottingham, signés tous les deux le 5 juillet 1999. Les faits qui y sont relatés répondent directement aux allégations faites dans l'affidavit signé par M. Morrison le 8 juin 1999. L'intimée soutient que l'affidavit proposé en réponse, signé par Kelvin Morrison, modifie la requête sous un aspect fondamental. Je partage son opinion à cet égard.

[12]       L'affidavit supplémentaire soulève irrégulièrement, selon moi, des faits que les requérantes auraient pu, et auraient en fait dû déposer dans le cadre de leur preuve originale. En particulier, les requérantes savaient ou auraient dû savoir que la demande de financement des recours judiciaires avait été approuvée en 1997. En fait, l'intimée l'a souligné aux requérantes bien avant l'introduction de la présente instance (voir la pièce K, dossier de requête des requérantes, p. 30 et 31). Dans les circonstances, les requérantes ne peuvent certainement pas prétendre que la preuve produite par l'intimée pour contester l'exactitude des faits qu'elles ont allégués les a prises au dépourvu.


[13]       Selon moi, permettre le dépôt de l'affidavit proposé à cette étape causerait un grave préjudice à l'intimée. Celle-ci a signifié et déposé la preuve par affidavit sur laquelle elle s'appuie. Il ne conviendrait pas de permettre aux requérantes de séparer maintenant leur preuve et d'introduire de nouveaux faits qu'elles auraient pu produire plus tôt si elles avaient fait diligence. En conséquence, les requérantes n'ont pas établi que le dépôt de l'affidavit supplémentaire du chef Kelvin Morrison, daté du 22 juillet 1999, devrait être autorisé.

[14]       Quant à la prétention des requérantes que l'intimée n'a pas respecté la règle 317, j'ai examiné les documents produits par l'intimée (voir les onglets 4, 5 et 6 du dossier de requête des requérantes) et j'ai conclu que les exigences fixées par cette règle ont été remplies. Les requérantes semblent avoir reçu ou avoir en leur possession tous les documents pertinents à l'instance.

[15]       L'avocat des requérantes m'implore d'ordonner à l'intimée de produire des documents additionnels qu'il décrit ainsi :

[Traduction] Tous les documents concernant l'administration ou l'exécution des responsabilités de la Couronne en qualité de fiduciaire relativement aux fonds détenus qui résultent des cessions à la Couronne par les requérantes de leurs droits sur le revenu du compte en fiducie de l'agence 1 qui ne sont pas en possession des requérantes.

[16]       Premièrement, il ne m'a pas été démontré en quoi ces documents sont pertinents aux motifs de contrôle invoqués dans la demande (voir Canada c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.), à la p. 460). Deuxièmement, cette demande s'apparente à la communication de documents, qui ne peut avoir lieu que dans le cadre d'une action et non d'une demande de contrôle judiciaire. En conséquence, cette demande est rejetée.


[17]       Les requérantes demandent aussi l'autorisation d'apporter deux modifications à l'Avis de demande, soit de rayer le premier article défini à la troisième ligne de l'alinéa f) (page 4) et les mots [Traduction] « aux fins des recours judiciaires contre la défenderesse » , au paragraphe 3 (page 7). J'estime que ces modifications mineures sont sans conséquence et visent uniquement à minimiser la véritable nature de la demande. J'ai donc refusé d'autoriser ces modifications.

LA COUR STATUE QUE :

1.          Les parties termineront les contre-interrogatoires des auteurs des affidavits au plus tard le 22 décembre 1999, à moins d'une ordonnance contraire de la Cour.

2.          Les parties présenteront au greffe, conjointement ou séparément, au plus tard le 22 décembre 1999, un calendrier des étapes de la procédure qui sera examiné par le juge responsable de la gestion du dossier.

3.          La requête est rejetée sous ses autres aspects.

4.          Les dépens de la requête sont adjugés à l'intimée suivant l'issue de la cause.

                                                                       « Roger R. Lafrenière »           

protonotaire           

Winnipeg (Manitoba)

17 novembre 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                 T-962-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :

                      PREMIÈRE NATION COUCHICHING,

                  PREMIÈRE NATION NAICATCHEWENIN

         PREMIÈRE NATION NICICKOUSEMENECANING et

                     PREMIÈRE NATION STANJIKOMING,

                                                  - et -

                SA MAJESTÉ LA REINE REPRÉSENTÉE PAR

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                            17 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE.

DATE DES MOTIFS :                                   17 novembre 1999

ONT COMPARU

Donald Colborne                                                    pour les requérantes

John S. Tyhurst                                                                 pour l'intimée

Ministère de la Justice

Section du contentieux civil

Édifice commémoratif de l'Est

2e étage, 284, rue Wellington

Ottawa (ONT) K1N 7G2

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Donald Colborne                                                    pour les requérantes

C.P. 2095

Thunder Bay (ONT) P7B 5E7

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                    pour l'intimée

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