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Date : 20040804

Dossier : IMM-2726-03

Référence : 2004 CF 1066

Toronto (Ontario), le 4 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                            LASZLO JONAS ET ZSUZSA ALMASSY

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Jonas et Mme Almassy, mari et femme, sont des citoyens de la Hongrie. Ils prétendent craindre d'être persécutés par des citoyens hongrois, des skinheads, des représentants de l'État et la famille de Mme Almassy. M. Jonas est d'origine rome. Mme Almassy est d'origine hongroise. Dans ses motifs datés du 12 mars 2003, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'ils n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Selon la Commission, les mauvais traitements subis par M. Jonas et Mme Almassy, considérés cumulativement, équivalaient à de la discrimination et non pas à de la persécution. De plus, les demandeurs ne se sont pas adéquatement prévalus de la protection de l'État. Pour les motifs qui suivent, je ne vois aucune raison de modifier cette décision. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[2]                Les demandeurs ont soulevé un certain nombre de questions relativement à la décision de la Commission : ils prétendent que la Commission a tiré des conclusions de fait erronées; qu'elle a commis une erreur en préférant la preuve documentaire à celle des incidents précis relatés par les demandeurs; qu'elle a omis de tenir compte d'éléments de preuve documentaire corroborants; qu'elle a commis une erreur en concluant que la discrimination subie n'équivalait pas cumulativement à de la persécution; et finalement qu'elle a commis une erreur de droit lorsqu'elle a traité de la question de savoir s'il était possible de se prévaloir de la protection de l'État.

La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées?


[3]                Dans son témoignage, M. Jonas a décrit de nombreux incidents de violence liés à ses origines romes, incidents remontant à son enfance. À la page 5 de ses motifs, la Commission a souligné que « le demandeur aurait été victime de deux agressions à motivation raciste [...] au cours de l'été de 2000 [...] » . Les demandeurs prétendent que cela indique que la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble du récit du demandeur et qu'elle s'est fondée sur une conclusion de fait erronée pour conclure que la discrimination subie n'était pas sérieuse et persistante et n'équivalait pas à de la persécution.

[4]                Selon le défendeur, la Commission a tenu compte des volées de coups et des actes de violence infligés au demandeur depuis son enfance. Les détails de ceux-ci se trouvent aux pages 2 à 4 des motifs de la Commission. La Commission a fait référence à deux agressions principales, mais elle n'a jamais prétendu qu'il s'agissait là des seuls incidents de violence à être survenus. De plus, la Commission a eu raison de se concentrer sur l'incident de violence le plus récent allégué par M. Jonas.

[5]                Un examen attentif des motifs de la Commission me convainc que celle-ci a bien tenu compte de tous les incidents relatés par M. Jonas pour conclure que ceux-ci n'équivalaient pas cumulativement à de la persécution. Les incidents sont clairement exposés dans la section de ses motifs relative aux « faits » . Le renvoi aux deux incidents survenus à l'été 2000 s'inscrit dans le contexte d'une analyse de l'omission par M. Jonas de signaler ces incidents à son employeur ou à la police. La Commission a jugé que cela était incompatible avec son allégation de crainte de persécution. L'affirmation de la Commission n'équivaut donc pas à une conclusion de fait erronée.


La Commission a-t-elle commis une erreur en préférant la preuve documentaire à celle des incidents précis décrits par les demandeurs?

[6]                Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en préférant la preuve documentaire portant sur la situation dans le pays à la preuve non contredite qu'ils avaient produite relativement aux expériences qu'ils avaient vécues. La Commission doit fournir des motifs clairs et suffisants pour préférer la preuve documentaire à celle qu'ils ont soumise. De plus, comme la Commission n'a pas tiré de conclusion générale défavorable quant à la crédibilité, elle a commis une erreur en n'acceptant pas la preuve qu'ils ont soumise.

[7]                Le défendeur prétend qu'il n'était pas illogique pour la Commission d'accepter que les demandeurs avaient subi des préjudices par le passé, mais de préférer la preuve documentaire portant sur ce à quoi ils seraient exposés s'ils étaient renvoyés en Hongrie en 2003.

[8]                Dans la décision Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 28 Imm. L.R. (2d) 23 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a dit ce qui suit sur la question de savoir si la Commission aurait dû tenir compte de la preuve non contredite du demandeur et lui accorder plus de poids.

Enfin, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du requérant. Les membres de la Commission sont « les maîtres à bord » , et il leur appartient d'apprécier les éléments de preuve qui leur sont présentés. En l'espèce, ils ont accueilli le témoignage du requérant, mais ils ont choisi d'accorder davantage d'importance à la preuve documentaire.


Cette affirmation est reprise dans de nombreuses autres décisions, et plus récemment dans Bustamante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 643 (1re inst.) (QL), au paragraphe 9 :

[...] Malgré l'assertion formulée par l'avocat du demandeur, la présente affaire ne repose pas sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission. La question en litige en l'espèce consiste plutôt à savoir si la Commission pouvait raisonnablement arriver à la conclusion que le demandeur n'a pas rempli son obligation de fournir une preuve satisfaisante établissant qu'il répond à la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a simplement préféré la preuve documentaire aux assertions du demandeur. À cet égard, la Commission est autorisée à accorder davantage de poids à la preuve documentaire, même si elle conclut que le demandeur est digne de foi et crédible : Dolinovsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1784 (C.F. 1re inst.); Gomez-Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1396 (C.F. 1re inst.); Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1187 (C.F. 1re inst.); et Noori c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 938 (C.F. 1re inst.).

[Non souligné dans l'original.]

[9]                Un examen de la preuve documentaire montre clairement que la Commission était saisie d'éléments de preuve appuyant la conclusion qu'elle a tirée dans l'affaire. À mon avis, rien ne permet à la Cour de modifier cette conclusion.

La Commission a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve documentaire corroborants?


[10]            Une documentation volumineuse relative à la situation de la minorité rome en Hongrie a été versée au dossier du tribunal. Les demandeurs prétendent que la Commission n'a fait aucune mention de ces documents dans ses motifs et qu'il faut en conclure que la Commission n'a pas tenu compte de ces éléments de preuve pour parvenir à sa décision. Le défendeur soutient que la Commission était autorisée à apprécier l'ensemble des éléments de preuve documentaire et de se fonder sur ceux qu'elle jugeait fiables et convaincants.

[11]            À mon avis, les motifs de la Commission indiquent clairement que celle-ci a tenu compte de la preuve dont elle était saisie relativement au racisme systémique existant au sein de la société hongroise, au caractère généralisé des abus de pouvoir des policiers et à la réaction des autorités hongroises à ces problèmes. Toutefois, elle a préféré, comme elle était autorisée à le faire, la preuve qui montrait que l'État hongrois faisait des efforts sérieux pour protéger ses citoyens contre de tels abus. Rien ne permet à la Cour de conclure que la Commission a fait un examen sélectif des éléments de preuve documentaire et qu'elle n'a pas tenu compte de ceux qui étaient incompatibles avec son analyse. La Commission a régulièrement examiné et apprécié l'ensemble de la preuve comme elle était tenue de le faire : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.).

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la preuve de discrimination n'équivalait pas cumulativement à de la persécution?


[12]            Les demandeurs citent le traitement déplorable dont avait fait l'objet M. Jonas par le passé, et les abus dont a été récemment victime sa femme en raison de leur relation. Ils soutiennent que le fait que la Commission n'ait pas accepté que ces mauvais traitements constituaient de la persécution est abusif sur le vu du dossier et constitue une erreur susceptible de contrôle.

[13]            Le défendeur soutient qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de la Commission compte tenu de la définition de « persécution » appliquée de façon constante par la Cour, définition suivant laquelle la « persécution » est le fait de tourmenter sans relâche par des traitements cruels, ou une succession de mesures prises systématiquement pour punir : Ahmad c. Canada (Solliciteur général),[1995] A.C.F. no 397 (1re inst.) (QL). Une interprétation raisonnable de la preuve appuie la conclusion suivant laquelle les mauvais traitements subis équivalaient uniquement à de la discrimination et ne constituaient pas de la persécution.

[14]            Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (C.A.) (QL), la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir quand la Cour devrait intervenir relativement à une analyse de ce qui constitue de la persécution :    

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[Non souligné dans l'original.]


[15]            Un autre tribunal ou même la Cour aurait pu interpréter la preuve différemment, mais l'analyse minutieuse faite par la Commission me convainc que sa conclusion n'est ni arbitraire ni déraisonnable et ne justifie pas l'intervention de la Cour.

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a traité de la question de savoir s'il était possible de se prévaloir de la protection de l'État?

[16]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit, parce qu'il aurait fallu considérer qu'il y avait absence de protection étatique étant donné le refus d'agir de la police relativement à l'un des incidents et le fait que, dans deux autres incidents, les policiers étaient eux-mêmes les agents de persécution. Les demandeurs s'appuient sur une preuve documentaire suivant laquelle, malgré les mesures concrètes prises au niveau politique et une coopération grandissante entre la police et les représentants roms, la discrimination subie au quotidien semble persister. La volonté de régler la situation des Roms ne peut être assimilée à une protection étatique adéquate, et la Commission n'a pas évalué l'efficacité de la protection fournie par l'État.


[17]            Le défendeur répond que les incidents cités par les demandeurs se sont produits il y a douze ans lorsque M. Jonas était jeune, et qu'il avait eu des problèmes avec le même policier à plusieurs reprises. Il incombe aux demandeurs de fournir des éléments de preuve suivant lesquels la protection étatique en Hongrie est inadéquate et ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau de preuve.

[18]            Les demandeurs d'asile doivent confirmer de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer leur protection : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La protection offerte par l'État n'a pas à être parfaite : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[19]            La Commission, dans ses motifs, affirme avoir examiné attentivement la preuve documentaire relative à la protection étatique. Ayant examiné la documentation soumise, la Commission a conclu que le gouvernement hongrois faisait des progrès pour ce qui est de l'amélioration de la situation des Roms, laquelle s'était améliorée depuis 2000. Elle a jugé que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver que l'État était incapable de protéger ses citoyens et qu'ils auraient dû tenter d'obtenir cette protection avant de demander l'asile.


[20]            Les faits de l'espèce sont semblables à ceux de l'affaire Nag c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 370 (1re inst.) (QL), dans laquelle la décision de la Commission a été confirmée parce qu'il a été jugé que les Roms pouvaient se prévaloir de la protection de l'État en Hongrie, mais que les demandeurs n'avaient pas tenté d'obtenir cette protection. La présente affaire peut être distinguée de deux autres décisions citées par les demandeurs : Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL), et Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1364 (1re inst.) (QL). Dans la décision Balogh, il y avait des éléments de preuve contradictoires sur la question de savoir si les Roms pouvaient se prévaloir de la protection de l'État. De plus, le demandeur avait sans succès cherché à obtenir cette protection. Dans la décision Bobrik, rendue il y a dix ans, la preuve montrait clairement que les autorités ne pouvaient fournir une protection efficace aux demandeurs.

[21]            En conclusion, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée aux fins de certification.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2726-03

INTITULÉ :                                                    LASZLO JONAS ET ZSUZSA ALMASSY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Elizabeth Jazsi                                        POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elizabeth Jazsi                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

Date : 20040804

Dossier : IMM-2726-03

ENTRE :

           

LASZLO JONAS ET ZSUZSA ALMASSY

                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                 


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