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Date : 19990924


Dossier : IMM-3729-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 SEPTEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     MARNICKAM DUTTON JESURATNAM et

     THAYADEVI JESURATNAM,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     ORDONNANCE

     VU la demande présentée par les demandeurs pour le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié datée du 10 juin 1998;

     VU l'examen des prétentions écrites des parties et l'audience du 3 septembre 1999, tenue à Toronto (Ontario);

     IL EST ORDONNÉ QUE :

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Allan Lutfy

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.






Date : 19990924


Dossier : IMM-3729-98


ENTRE :


     MARNICKAM DUTTON JESURATNAM et

     THAYADEVI JESURATNAM,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Marnickam Dutton Jesuratnam et son épouse Thayadevi sont des citoyens de Sri Lanka. Les demandeurs ont une crainte de persécution par suite de leur origine tamoule, ainsi que de l'ancien statut de juge senior de M. Jesuratnam à Sri Lanka.

[2]      À plusieurs occasions, le tribunal de la Section du statut de réfugié a souligné qu'il considérait que les demandeurs étaient absolument dignes de foi1. Toutefois, malgré que le tribunal a accepté que les demandeurs avaient une crainte subjective, il a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir l'élément objectif requis pour fonder une crainte raisonnable de persécution. Le tribunal déclare ceci à ce sujet :

     [traduction]
     ... il y a absence de preuve démontrant qu'un juge ait été soumis à des représailles de la part des membres des TLET ou des JVP. ... Le demandeur était le seul juge Tamoul de la High Court qui travaillait dans une région en majorité cingalaise et il a déclaré qu'il avait jugé des membres, et des personnes qu'on soupçonnait d'être membres, des TLET et des JVP sans problème.

     ...

     Il se peut que le conflit qui perdure, les attaques des TLET contre des cibles civiles à Colombo, et le fait qu'il n'y a pas de processus sérieux de paix en cours, puissent à nouveau susciter une vague d'émeutes raciales comme celles qui ont eu lieu à Colombo en 1983. Il se peut aussi que les demandeurs fassent l'objet de représailles suite au travail que le demandeur accomplissait à Sri Lanka il y a une dizaine d'années. Toutefois, ceci n'atteint pas la norme précisée dans l'affaire Adjei1. Le tribunal conclut qu'il y a tout juste une faible probabilité que les demandeurs soient persécutés par suite de l'ancien statut du demandeur en tant que juge de la High Court et en tant que Tamoul. La même conclusion s'applique à la demanderesse. [Non souligné dans l'original]

     _____________

     1      Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 169 (C.A.).

[3]      L'avocate du défendeur n'a pas vraiment mis en cause la déclaration initiale des demandeurs portant que, lorsque la preuve n'est pas disponible sous forme documentaire, " le demandeur peut néanmoins établir que sa crainte est objectivement fondée en faisant état, dans son témoignage, de personnes qui se trouvent dans une situation analogue à la sienne2 ". Toutefois, les parties ne s'entendent pas sur l'évaluation que le tribunal a faite de la preuve portant sur l'élément objectif du critère.

[4]      Dans sa présentation très dynamique, l'avocat des demandeurs a soutenu que le tribunal a commis une erreur en n'acceptant pas que leur témoignage digne de foi pouvait répondre aux deux éléments du critère à deux volets. En particulier, il déclare que le tribunal n'a pas tenu compte d'une preuve importante que les demandeurs ont déposée à peu près six semaines après l'audience. Si je comprends bien cet argument, les demandeurs se fondent sur une déclaration faite par le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, où il est intervenu parce que la Section du statut n'avait pas tenu compte d'une partie de la preuve :

     Finalement, je dois me demander si la section du statut a tiré cette conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ". À mon avis, la preuve était si importante pour la cause du demandeur que l'on peut inférer de l'omission de la section du statut de la mentionner dans ses motifs que la conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de cet élément . ... L'affirmation " passe-partout " selon laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve dont elle était saisie n'est pas suffisante pour empêcher de tirer cette inférence, compte tenu de l'importance de cette preuve pour la revendication du demandeur. [Non souligné dans l'original]

[5]      En l'instance, M. Jesuratnam a témoigné au sujet de deux menaces de mort qu'il a reçues alors qu'il était juge à Sri Lanka. En 1986, les Tigres de libération de l'Eelam Tamoul ont proféré la première menace de mort parce qu'il condamnait certains Tamouls à payer des amendes considérables alors qu'il était juge de district à Batticaloa4. Dans le mois qui a suivi cet incident, M. Jesuratnam a été nommé juge de la High Court à Anuradhapura. En 1988, alors qu'il était juge de la High Court à Colombo, M. Jesuratnam a fait l'objet d'une menace de mort de la part du Front populaire de libération, mieux connu sous le nom de JVP, parce qu'il avait condamné un de leurs partisans à une peine de prison. Ces menaces de mort sont sérieuses, mais rien dans la preuve n'indique qu'elles aient été suivies de violences physiques visant M. Jesuratnam. À mon avis, ceci explique pourquoi le tribunal a déclaré qu'il avait exercé son travail de juge " sans problème5 ".

[6]      Peu de temps après la menace de mort de 1988, M. Jesuratnam a accepté une nomination à Fidji, où il a exercé comme juge jusqu'en 1993. Il a alors pris sa retraite de la magistrature et est retourné vivre à Sri Lanka. À l'exception d'une période de huit mois en 1995 où il a résidé à Jaffna, il est resté à Colombo d'août 1993 à juillet 1996, date à laquelle il a quitté Sri Lanka pour se réfugier au Canada.

[7]      À la toute fin de l'audience, le tribunal a résumé, de façon exacte à mon avis, les motifs pour lesquels les demandeurs craignaient d'être persécutés à Sri Lanka, tels qu'on les trouve dans leurs formules de renseignements personnels et dans leurs témoignages. Dans ses commentaires, le membre du tribunal a insisté sur les incidents de vandalisme et les vols dont M. et Mme Jesuratnam ont été les victimes depuis leur retour à Sri Lanka en 1993. Il a aussi tenu compte de l'environnement politique instable actuel et il a pris acte du fait que les demandeurs avaient reçu des menaces, comme en ont reçues des partisans des droits de l'homme, dont certains ont été assassinés6.

[8]      Le membre du tribunal a aussi noté le témoignage de M. Jesuratnam portant qu'un juge avait été assassiné à Mullaittivu, au nord-est de Sri Lanka7. Il a toutefois invité les demandeurs à lui fournir une preuve additionnelle au sujet des menaces faites aux juges à Colombo :

     [traduction]

     Vous avez mentionné qu'on avait assassiné un juge à Mullaittivu, mais nous sommes particulièrement intéressés à la situation faite aux juges à Colombo. Je demande donc à votre avocat de prendre le temps de rechercher avec vous des renseignements additionnels au sujet des persécutions qui auraient été infligées à des juges à Colombo ou dans le Sud. De plus, comme vous avez indiqué que vous aviez une crainte ancienne (épellation phonétique) du JVP, il faudrait voir si vous avez une preuve documentaire portant sur la résurgence du JVP, à savoir s'il est en activité8. [Non souligné dans l'original]

[9]      À mon avis, ces commentaires démontrent que le membre du tribunal a compris le témoignage de M. Jesuratnam quant aux menaces de mort qu'il a reçues à Batticaloa en 1986 et à Colombo et 1988. Le tribunal pouvait tout à fait demander une preuve additionnelle au sujet de la persécution des juges à Colombo, surtout que M. Jesuratnam y avait pu poursuivre sa carrière judiciaire à Sri Lanka jusqu'en 1988. Il est d'ailleurs revenu à Sri Lanka en 1993 après avoir servi à Fidji. En faisant cette demande, le membre du tribunal fournissait aux demandeurs la possibilité d'ajouter au dossier une preuve additionnelle de persécution contre les juges dans le sud de Sri Lanka.

[10]      Le tribunal reconnaît avoir reçu la documentation et les arguments additionnels des demandeurs après l'audience. La source principale de ces renseignements est un avocat qui a pratiqué à Sri Lanka jusqu'en juin 1988. Son affidavit, qui est accompagné d'une certaine preuve documentaire, fait état de l'assassinat par les TLET d'un juge à Mullaittivu en 1985, assassinat qui était peut-être une conséquence d'autres prétendues activités à titre d'agent du gouvernement. Il a aussi fait état de l'assassinat d'un fonctionnaire judiciaire dans le nord de Sri Lanka en 1985, et de celui d'un magistrat intérimaire à un endroit non identifié en 1988.

[11]      À mon avis, le fait que le tribunal ne mentionne pas cette preuve additionnelle de façon spécifique dans ses motifs n'est pas une erreur qui ouvre la voie au contrôle judiciaire. Ces nouveaux renseignements portaient sur des incidents qui se sont produits entre 1985 et 1988, et ils ne répondent pas à la demande faite à la fin de l'audience de fournir des renseignements précis sur la situation des juges à Colombo et dans le sud de Sri Lanka. La preuve additionnelle est de même nature que le témoignage de M. Jesuratnam au sujet des menaces qu'il a reçues durant cette période, mais elle ne répond pas directement aux questions posées par le tribunal. Ces nouveaux renseignements ne constituent pas, dans le contexte qui m'est soumis, la " preuve importante " que mentionne le juge Evans dans l'affaire Cepeda-Gutierrez9.

[12]      À mon avis, les motifs de décision du tribunal traitent de façon exhaustive de sa perception des questions en cause. Il a conclu que le harcèlement qui a été infligé aux Jesuratnam depuis leur retour à Sri Lanka en 1993 n'est pas assimilable à de la persécution. Le tribunal s'est intéressé principalement à l'expérience vécue des demandeurs à Sri Lanka depuis 1993, principalement à Colombo. On comprend mieux dans ce contexte la référence à " l'absence de preuve10 " qu'on trouve dans la décision au sujet des représailles exercées contre les juges. Même si j'étais convaincu que l'expression " preuve insuffisante " aurait décrit plus exactement la documentation présentée au tribunal, je n'interviendrais pas dans les circonstances de cette affaire. Je suis convaincu que la preuve additionnelle n'a pas modifié la préoccupation exprimée par le tribunal à la fin de l'audience, savoir que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[13]      En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans le contexte de ces motifs, les parties n'ont pas suggéré que je certifie une question grave.

[14]      Cette affaire exige un dernier commentaire au sujet des demandeurs. M. et Mme Jesuratnam ont respectivement 72 et 61 ans. Le plus âgé de leurs enfants est citoyen canadien. Deux autres de leurs enfants ont été jugés être des réfugiés au sens de la Convention et ils sont présentement résidents permanents du Canada. La plus jeune de leurs enfants s'est vu accorder le statut de réfugié à la fin de l'audience tenue au sujet des revendications de ses parents. J'exprime l'espoir que le ministre et ses fonctionnaires verront ces motifs d'ordre humanitaire d'un bon oeil lorsqu'ils devront décider du statut futur des demandeurs au Canada.



     Allan Lutfy

     J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 24 septembre 1999


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-3729-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MARNICKAM DUTTON JESURATNAM
                     ET THAYADEVI JESURATNAM

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 3 SEPTEMBRE 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :              24 SEPTEMBRE 1999


ONT COMPARU


MICHAEL BATTISTA                      POUR LE DEMANDEUR

GERALDINE MACDONALD                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


MICHAEL BATTISTA                      POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      En décrivant le témoignage de M. Jesuratnam, le tribunal écrit ceci : [traduction ] " Dès le départ, il faut dire et redire que le demandeur était un témoin cohérent, direct et absolument digne de foi. Son attitude, sa façon de s'exprimer et la clarté de ses déclarations vont tout à fait dans le sens de son témoignage au sujet de son ancienne profession de juge à Sri Lanka, ainsi que du statut dont il jouissait à Sri Lanka lorsqu'il était en exercice. " Le membre unique du tribunal a repris ce point de vue dans l'avant-dernier paragraphe de ses motifs : [traduction ] " En terminant, je veux insister à nouveau sur le fait que le tribunal considère que les demandeurs étaient des témoins francs et dignes de foi. "

2          Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, à la p. 666. Voir aussi Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pp. 723 et 724.

3          [1998] J.C.F no 1425 (1re inst.) au paragraphe 27.

4          Dossier du tribunal, pp. 761 et 772.

5          Voir le paragraphe 2.

6          Dossier du tribunal, aux pp. 795 et 796.

7          Dossier du tribunal, p. 789.

8          Dossier du tribunal, p. 796.

9          Précitée, note 3.

10      Précitée, paragraphe 2.     

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