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Date : 20041105

Dossier : IMM-9384-03

Référence : 2004 CF 1556

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2004

Présent :        Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                                ERNEST FOKA

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 6 novembre 2003 par la Section de la protection des réfugiés (tribunal) qui ne reconnaissait pas à M. Ernest Foka (demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).


FAITS PERTINENTS

[2]                Le demandeur est originaire du Cameroun. Il est un homme d'affaires, oeuvrant principalement dans l'importation de matériaux de seconde main. Depuis mars 2000, il allègue être victime de fausses accusations de la part de la police et de la gendarmerie camerounaise.

[3]                Le demandeur soumet que le beau-père du président du Cameroun voulait l'expulser de sa maison, afin de pouvoir y construire son nouveau domicile. Afin de convaincre le demandeur de quitter sa maison, les gardes du beau-père l'auraient menacé verbalement à plusieurs reprises entre mars 2000 et novembre 2000.

[4]                Au mois de décembre, il aurait reçu sa première convocation et aurait été retenu pour plusieurs jours, accusé d'entretenir des relations avec le Cardinal Christian Tchoumi et son groupe de revendication. Le demandeur fut encore arrêté en avril 2001, et en mars, avril et mai 2002.


[5]                Le 3 janvier 2003, le demandeur fut menacé de mort s'il ne dénonçait pas ses liaisons avec le Cardinal. Il déposa alors une demande de visa de touriste au Haut-Commissariat du Canada au Cameroun, qui lui fut accordée le 29 janvier 2003. Mais, le demandeur ne quitta toujours pas le Cameroun. Le 15 mars 2003, il aurait été détenu et frappé à plusieurs reprises. Le 17 mars 2003, il a réussi à négocier son évasion, moyennant la somme de 2 millions de francs CFA.

[6]                Le 18 mars 2003, le demandeur aurait pris le premier vol à quitter le Cameroun, soit un vol d'Air France vers Paris. Le 29 avril 2003, le demandeur arrive finalement à Montréal, après un détour d'une semaine en France, de 27 jours au Brésil, et de quelques heures à New York. Le demandeur n'a présenté sa demande pour statut de réfugié que le 13 juin 2003.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                1.        Le tribunal a t-il erré dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

2.        Le tribunal a t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des conditions au Cameroun dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

ANALYSE

1.         Le tribunal a t-il erré dans son analyse de la crédibilité du demandeur?


[8]                Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas crédible. Ceci est une conclusion qui relève sans contredit de son domaine de compétence. Le tribunal s'est basé sur plusieurs éléments pour arriver à ce résultat. Entre autres, (1) le témoignage ajusté du demandeur lors de l'audition, (2) le comportement du demandeur incompatible avec celui d'une personne craignant réellement pour sa vie, (3) l'omission du demandeur dans son formulaire de renseignements personnels d'un fait important, soit, son arrestation et sa détention du 5 février 2002, (4) les intentions du demandeur en quittant son pays pour le Canada, et (5) les invraisemblances au coeur du récit.

[9]                Le tribunal a conclu que le demandeur avait ajusté son témoignage tout au long de l'audience. Il revient au tribunal de conclure sur la plausibilité du témoignage car le tribunal est seul à avoir vu et entendu le demandeur. En l'absence d'erreur manifeste, la Cour ne peut intervenir.

[10]            Le demandeur a séjourné en France, au Brésil et aux États-Unis avant de venir au Canada, mais n'a fait aucune demande de statut de réfugié dans ces pays. De plus, une fois arrivé au Canada, il a attendu près de deux mois avant de faire sa demande.


[11]            Avant de quitter définitivement son pays, le demandeur a voyagé dans divers pays et ce, même après avoir été convoqué à multiples reprises; mais, il retourna toujours volontairement au Cameroun. Cette Cour a reconnu, à plusieurs reprises, que le défaut de demander protection dans un pays signataire de la Convention peut être pris en considération (Ilie c. Canada (M.C.I.), [1994] A.C.F. no 1758; Ali c. Canada (M.C.I.), [1996] A.C.F. no 558; Skretyuk c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 783; Handzo c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1125).

[12]            De plus, même le demandeur, au paragraphe 4 de sa réplique, indique que :

Le délai mis pour revendiquer n'est qu'un élément parmi d'autres à considérer pour conclure qu'un revendicateur n'est pas crédible. Il ne peut constituer en lui seul une base suffisante pour rejeter une revendication. Dans l'arrêt Huerta v. Canada (M.E.I.) (1993), 157 N.R. 225 (F.C.A.), la Cour fédérale à dit ce qui suit:

The delay in making a claim to refugee status is not a decisive factor in itself. It is, however, a relevant element which the tribunal may take into account in assessing both the statements and the actions and deeds of a claimant.

[13]            C'est bel et bien l'analyse que le tribunal a faite, puisque le délai mis pour revendiquer n'est qu'un motif parmi d'autres pour rejeter sa demande.

[14]            Il était tout à fait légitime pour le tribunal de soulever l'omission du défendeur de mentionner son arrestation et sa détention du 5 février 2002.

[15]            Le tribunal était tout à fait en droit de souligner les divergences entre les intentions du demandeur offertes lors de l'entrevue pour obtenir son visa et la crainte alléguée une fois rendue au Canada.

[16]            Les incohérences quant aux craintes exprimées par le demandeur face aux menaces de la part du beau-père du président et au refus du Cardinal Tchoumi de le rencontrer, pouvaient évidemment être prises en compte par le tribunal.

[17]            C'est une analyse rigoureuse des faits qui a amené le tribunal à conclure que le demandeur n'était pas crédible. Le demandeur ne m'a pas convaincu que l'intervention de cette Cour était justifiée quant à ce motif particulier.

2.         Le tribunal a t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des conditions au Cameroun dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

[18]            Le demandeur soumet que le tribunal n'a pas pris en considération les documents personnels qu'il a déposés à l'appui de sa demande. Il existe par contre, une présomption selon laquelle le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve qui lui a été présentée.

Je ne puis conclure que la Commission a méconnu ce témoignage et a ainsi commis une erreur de droit que cette Cour doit corriger. Le fait qu'il n'est pas mentionné dans les motifs de la Commission n'entache pas sa décision de nullité. Il figurait au dossier; sa crédibilité et sa force probante pouvaient être appréciées avec les autres témoignages en l'espèce et la Commission avait la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi. Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102, paragraphe 8). (je souligne)

[19]            Voir aussi la décision Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Hundal, [1994] A.C.F. no 356, paragraphe 6, et Sinnathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 742, paragraphe 23 :

In Cepeda-Gutierrez v. Canada (M.C.I) (1998), 157 F.T.R. 35, Evans J., as he then was, stated that reasons given by administrative agencies are not to be read hypercritically by a Court, nor are agencies required to refer to every piece of evidence that they received that is contrary to their findings, and explain how they dealt with it. I am satisfied that the CRDD, in the case at bar, did consider the totality of the evidence before it.

[20]            Pour ce qui est de la preuve documentaire sur la situation du Cameroun, en plus des motifs ci-haut mentionnés, j'ajouterai qu'il n'est pas possible de rattacher la preuve documentaire relative à un pays donné à la demande d'un individu, en particulier si ce dernier n'a pas été trouvé crédible.

[...]le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.), [2002] 3 C.F. 537, paragraphe 29).

CONCLUSION

[21]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

-            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

-          Aucune question pour certification.

                   « Pierre Blais »              

                        J.C.F.

                                                                      


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-9384-03                                      

INTITULÉ :                                       ERNEST FOKA

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTREAL

DATE DE L'AUDIENCE :               26 OCTOBRE 2004

MOTIFS ET ORDONNANCE :    M. LE JUGE BLAIS   

DATE DES MOTIFS :                     5 novembre 2004           

COMPARUTIONS:

Stewart Istvanffy

POUR LE DEMANDEUR

Suzon Létourneau

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

STEWART ISTVANFFY

1070, Bleury, suite 503

Montréal (Québec)    H2Z 1N3

Téléphone: (514) 876-9776

Télécopie : (514) 876-9789

POUR LE DEMANDEUR



DEPARTMENT OF JUSTICE OF CANADA

Complex Guy-Favreau

200, René-Lévesque Blvd. Ouest

Tour Est, 5e étage

Montréal (Québec)    H2Z 1X4

Téléphone: (514) 283-6379Télécopie : (514) 283-3856

POUR LE DÉFENDEUR

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