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Date : 20040130

Dossier : T-294-00

Référence : 2004 CF 154

ENTRE :

                                                       PETER DUPLESSIS

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                          défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                         (Rendus à l'audience à Ottawa (Ontario)

                                                          le 29 janvier 2004)

LE JUGE HUGESSEN

[1]                Le demandeur est un ancien combattant âgé de 24 ans.

[2]                Au début des années 1990, le demandeur a été affecté à une mission de maintien de la paix dans ce qui était alors la Yougoslavie. Par suite des atrocités dont il a été témoin lors de cette mission, le demandeur a été atteint d'un syndrome de stress post-traumatique (le SSPT); il manifeste tous les symptômes normalement associés à ce trouble.


[3]                Le demandeur a été libéré des Forces armées canadiennes en 1998. Il maintient qu'il n'aurait pas dû être libéré. Il touche une pension de service et une pension d'invalidité.

[4]                Dans la présente action, le demandeur sollicite des dommages-intérêts par suite de la présumée omission de l'État de reconnaître son état et de le traiter en temps opportun. Dans l'action, le demandeur allègue l'omission systémique et politique générale des Forces armées de se préparer pour faire face au SSPT, le reconnaître, le prévenir, le traiter et s'en occuper ainsi que l'omission de tenir compte comme il se doit du fait que ce trouble peut se manifester et qu'il se manifeste sans qu'un préjudice physique soit subi. Il est certain que la demande est en partie fondée sur la négligence, et l'on donne les noms et numéros des préposés et agents individuels dont les actes engageraient censément une responsabilité du fait d'autrui de la part de l'État, mais, comme je l'ai dit, des omissions systémiques et politiques sont également invoquées.

[5]                Le demandeur allègue également le manquement à une obligation fiduciaire et la violation de la Charte, lesquels lui auraient censément causé préjudice.


[6]                Les faits pertinents qui sont allégués à l'appui de tous ces différents motifs sont, à mon avis, liés les uns aux autres d'une façon inextricable et j'estime qu'il est en pratique impossible de les examiner séparément dans le cadre d'une requête telle que celle-ci.

[7]                L'État demande maintenant un jugement sommaire rejetant l'action pour le motif qu'elle est prescrite compte tenu de l'article 269 de la Loi sur la défense nationale qui est ci-dessous reproduit :


269. (1) Les actions pour un acte accompli en exécution - ou en vue de l'application - de la présente loi, de ses règlements, ou de toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle, ou pour une prétendue négligence ou faute à cet égard, se prescrivent par six mois à compter de l'acte, la négligence ou la faute en question ou, dans le cas d'un préjudice ou dommage, par six mois à compter de sa cessation.

269. (1) No action, prosecution or other proceeding lies against any person for an act done in pursuance or execution or intended execution of this Act or any regulations or military or departmental duty or authority, or in respect of any alleged neglect or default in the execution of this Act, regulations or any such duty or authority, unless it is commenced within six months after the act, neglect or default complained of or, in the case of continuance of injury or damage, within six months after the ceasing thereof.


L'article 24 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif est également pertinent :


24. Dans des poursuites exercées contre lui, l'État peut faire valoir tout moyen de défense qui pourrait être invoqué :

24. In any proceedings against the Crown, the Crown may raise

a) devant un tribunal compétent dans une instance entre personnes;

(a) any defence that would be available if the proceedings were a suit or an action between persons in a competent court; and

b) devant la Cour fédérale dans le cadre d'une demande introductive.

(b) any defence that would be available if the proceedings were by way of statement of claim in the Federal Court.



[8]                La requête sera rejetée.

[9]                Premièrement, il me semble que la simple lecture de la déclaration montre qu'elle peut être interprétée comme alléguant une omission continue de la part de l'État de s'acquitter de ses présumées obligations envers le demandeur. Certaines des présumées omissions sont postérieures à la date qui précède de six mois la date à laquelle l'action a été intentée et ces omissions existeraient censément à ce jour dans certains cas.

[10]            Deuxièmement, étant donné que les présumées omissions sont censément des omissions systémiques, opérationnelles et politiques, il me semble que les principes énoncés dans des décisions telles que les décisions White c. Canada (Attorney General), [2002] B.C.J. no 1821 (C.S.) (QL), confirmée par [2003] B.C.J. no 442 (C.A.) et Swinamer c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 445 doivent s'appliquer pour empêcher l'État d'invoquer un bref délai de prescription afin de faire échouer la demande avant l'instruction. De toute évidence, cela ne veut pas dire que la demande est fondée ou qu'elle sera accueillie, mais simplement qu'elle doit être instruite.


[11]            Troisièmement, dans la mesure où la demande est fondée sur un présumé manquement à une obligation fiduciaire, il me semble qu'elle n'est pas fondée sur un délit et qu'elle entraîne une responsabilité directe plutôt que du fait d'autrui de la part de l'État. L'article 269 s'applique expressément aux « personnes » (version anglaise) et protège uniquement des « personnes » ; il exclut dont l'État de son champ d'application. Je n'ai pas à ce stade à dire si la demande est fondée, mais je crois qu'elle doit être instruite.

[12]            Enfin, il est selon moi certain que les délais de prescription généralement applicables s'appliquent à une demande fondée sur la Charte, mais je ferai ici notamment référence au jugement que j'ai rendu dans l'affaire St-Onge c. Canada [1999] A.C.F. no 1842 (1re inst.) (QL), confirmé par [2000] A.C.F. no 1523 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [2001] CSCR no 638; je doute sérieusement que l'État puisse se protéger contre pareilles demandes en adoptant des dispositions législatives qui s'appliquent uniquement à ses préposés; je tiens à noter en passant que l'article 269 ne peut s'appliquer à personne d'autre, et qu'il crée des délais de prescription rigoureux qui sont beaucoup plus courts que ceux qui s'appliquent dans tout autre cas. Je me reporterai ici également à la décision que la Cour d'appel a rendue dans l'affaire Prete c. Ontario (1993), 16 O.R. (3d) 161 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [1994] CSCR no 46. Au minimum, il me semble qu'une telle disposition législative devrait être justifiée en vertu de l'article premier. Par définition, une telle justification nécessiterait une instruction. La question ne peut pas être tranchée dans le cadre d'une requête en jugement sommaire comme celle-ci.


[13]            Comme il en a été fait mention, la requête en jugement sommaire sera donc rejetée.

[14]            Quant à la question des dépens, le demandeur a sollicité les dépens avocat-client pour le motif que le même délai de prescription a initialement été invoqué dans une requête antérieure en radiation présentée par l'État, laquelle a ensuite été abandonnée juste avant l'audience. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un motif justifiant l'imposition des dépens avocat-client. Toutefois, le demandeur a droit à ses dépens calculés de la façon ordinaire, lesquels seront taxés; eu égard aux circonstances, puisque je ne crois pas que la présente requête aurait dû être présentée, il sera ordonné que ces dépens soient payables immédiatement, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.

ORDONNANCE

La requête en jugement sommaire de la défenderesse est rejetée. Le demandeur a droit à ses dépens calculés de la façon ordinaire, ceux-ci devant être taxés. Les dépens sont payables immédiatement, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 30 janvier 2004.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-294-00

INTITULÉ :                                                    Peter Duplessis

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 29 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    le juge Hugessen

DATE DES MOTIFS :                                   le 30 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Barbara McIsaac, Helen Gray                           POUR LE DEMANDEUR

et Christopher Edwards

Michael Roach                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault                                             POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                   

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