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Date : 20000609


Dossier : T-1803-98



Entre :

     JYC AUTO INC.,

     demanderesse,


     - et -


     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DENAULT


[1]      La demanderesse en appelle, aux termes de l'article 135 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) (la "Loi"), d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (le "ministre") en application de l'article 131 de la Loi. La demanderesse veut obtenir, par cette action, le remboursement de la somme de 7 634,68$ qu'elle a payée en droits de douanes lors d'une tentative d'importation au Canada d'une voiture Ferrari usagée.


[2]      Le 6 février 1998, le demandeur s'est vu confisquer à un poste de douanes canadien, une automobile de marque Ferrari, modèle Mondial 1985, dont il disait avoir fait l'acquisition d'un particulier américain pour la somme de 11 000$ U.S.


[3]      L'agent des douanes a saisi le véhicule en vertu de l'article 110 de la Loi. Selon l'agent, il existait des motifs raisonnables de croire que le véhicule avait été sous-évalué, et ce, dans le but d'éluder le paiement des droits de douanes légalement payables, ce qui constituait une infraction à l'article 32 de la Loi. Le montant requis pour la restitution du véhicule a été fixé à 13 828,79$ que la demanderesse a payés. Elle a ensuite déposé une demande de révision aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi.


[4]      Le 8 juillet 1998, le ministre a rendu une décision (P-11) en vertu de l'article 131 de la Loi, selon laquelle le motif d'infraction avait été valablement retenu pour justifier la saisie à titre de confiscation. Dans cette même décision, le ministre a aussi déterminé, aux termes de l'article 133 de la Loi, que, du montant reçu, 7 634,68$ devait être retenus comme confisqués et que le reste du montant, 6 194,11$ devait être remis à la demanderesse.1 Il faut noter que depuis le 21 février 1998, le véhicule avait été retourné aux États-Unis puisque selon Transport Canada, il ne pouvait être immatriculé au Canada en vertu de la Loi sur la sécurité automobile (P-9).


[5]      La demanderesse en appelle de la décision du ministre rendue en vertu de l'article 131 de la Loi.


[6]      En l'espèce, il s'agit de déterminer si, aux termes des articles 131 et 135 de la Loi, c'est valablement qu'a été retenu le motif d'infraction à la Loi ou à ses règlements, soit la sous-évaluation du véhicule au moment de l'importation, pour justifier la saisie à titre de confiscation du véhicule. Formulée autrement, la question en litige consiste à vérifier si l'agent avait des motifs raisonnables de croire2 que le déclarant n'avait pas répondu véridiquement3 à ses questions sur la valeur du véhicule que la demanderesse voulait importer.


[7]      Le fardeau de la preuve, en pareil cas, incombe à la partie demanderesse de démontrer, à l'égard des droits de douanes, l'observation de la Loi.4


[8]      La preuve de la demanderesse se résume en peu de mots. Steve Maman, co-propriétaire de la demanderesse spécialisée dans l'achat et la revente de véhicules exotiques, affirme avoir acheté de Dame Fatima Fateh de Millburn, New Jersey, par l'entremise de son frère Dr. M. Fateh, cette Ferrari 1985 pour la somme de 11 000$ U.S. payés comptant. Pour faciliter le transport du véhicule au Canada, M. Maman, sur la recommandation du Dr. Fateh aurait obtenu un document d'enregistrement temporaire ou "transit" (P-2), émis par une firme du New Jersey qui n'avait rien à voir dans la transaction, Essex Sports Car Inc. Un autre témoin de la demanderesse, Serge Attar, à qui le véhicule avait été confié pour évaluer le coût des réparations à effectuer, est venu témoigner qu'il en aurait coûté 26 111$ plus les taxes pour remettre ce véhicule en état.


[9]      En défense, l'agent des douanes Steve Halliday a raconté les circonstances ayant entraîné la saisie du véhicule. Intrigué devant le prix peu élevé payé par la demanderesse pour ce véhicule qui, selon le guide The Gold Book: Automobiles 1981-1997 (D-2), pouvait valoir, selon son état, entre 26 500$ et 37 000$, l'agent a décidé de faire certaines vérifications auprès de l'émetteur du "transit", Essex Sports Car Inc. qui, aux dires de M. Maman, n'avait rien à voir dans cette affaire si ce n'était d'accommoder les parties en émettant ce document d'enregistrement temporaire. À la suite de trois conversations téléphoniques entre l'agent Halliday et un représentant d'Essex Sports Car, cette firme a fait parvenir, par fax, trois copies de contrat dont les deux premiers semblaient porter la signature de S. Maman. Ils indiquaient respectivement que la vente avait été faite pour 0$ et 11 000$5. Quant au troisième contrat, non signé, il indiquait un prix de vente de 29 500$6. Devant tant d'informations contradictoires, l'agent des douanes a saisi le véhicule en dépit des protestations de S. Maman.


[10]      En pareil cas, le fardeau de la preuve, je l'ai mentionné plus haut, incombe à la demanderesse. Le paragraphe 135(1) de la Loi en vertu duquel cet appel par voie d'action est pris n'est pas très explicite. Dans Mattu c. Canada (M.R.N.)7, mon collègue MacKay s'est interrogé sur la nature de ce recours. Il a estimé que cet article de la Loi devait prévoir la tenue d'un procès de novo, "au sens où la Cour n'est pas obligée de s'en tenir à l'examen de la preuve dont disposait le ministre". Et mon collègue MacKay d'ajouter:

Par contre, tout comme dans le cas d'appel d'autres décisions administratives . . . , la Cour n'interviendra pas à la légère et devra être convaincue que le ministre ou ses mandataires n'ont pas observé un principe de justice naturelle ou qu'ils ont outrepassé les pouvoirs que leur confère la loi ou, encore, que leur décision repose sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait arbitraire, entachée de mauvaise foi ou tirée sans égard à la preuve présentée pour modifier la décision.

Je partage cette analyse de mon collègue. Je précise cependant que dans la mesure où, lors d'une enquête de novo, des faits peuvent être révélés qui n'étaient pas à la connaissance de l'agent des douanes lors de sa prise de décision, il faut agir avec circonspection lorsque vient le moment de décider si c'est valablement que l'agent des douanes a retenu le motif d'infraction à la loi ou à ses règlements.

[11]      À cet égard, je souligne dès maintenant certains faits que l'enquête devant cette Cour a révélés mais que l'agent des douanes ignorait au moment de la prise de décision de saisir le véhicule, à savoir: a) la firme Essex Sports Car Inc. n'avait effectivement rien à voir dans cette transaction; b) les signatures de S. Maman apparaissant aux deux premiers contrats remis à l'agent des douanes par Essex n'étaient pas les siennes, selon l'admission même de la partie défenderesse;8 c) une enquête subséquente effectuée aux État-Unis, en particulier auprès du Dr. M. Fateh, aurait révélé qu'au meilleur de sa souvenance et de celle de sa soeur, cette vente aurait été faite pour un prix de 18 000$9; d) qu'il devait en coûter près de 30 000$ pour remettre le véhicule en état; e) que la demanderesse avait déjà importé, dans le passé, des véhicules semblables, achetés de commerçants (P-7 et P-8)10.

[12]      Je le répète, ces faits n'étaient pas connus de l'agent des douanes . . . sauf par la dénégation véhémente du représentant de la demanderesse quant à ceux mentionnés en a) et b).

[13]      Par contre, de nombreux indices lui permettaient de croire que le représentant de la demanderesse ne lui répondait pas véridiquement aux questions qu'il lui posait sur la marchandise (article 13 de la Loi). Ainsi, 1) bien qu'ayant présumément été acheté d'un particulier, le contrat qui attestait de l'achat du véhicule étant rédigé sur un "contrat de vente entre commerçants" (P-1); 2) le véhicule fonctionnait et semblait en assez bonne condition, comme les photos en attestent, et ce, en dépit des protestations contraires de S. Maman; 3) le guide Gold Book lui attribuait une valeur, selon son état, variant entre 26 500$ et 37 000$; 4) trois documents avaient été émis coup sur coup par Essex à l'effet que le véhicule avait été vendu par cette firme à des prix respectifs de 0$, 11 000$ et 29 500$11.

[14]      Bref, j'estime que la demanderesse n'a pas fait la preuve que l'agent des douanes n'avait pas des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise aux termes des articles 110 et 32 de la Loi. La sanction peut sans doute paraître sévère dans la mesure où - la demanderesse l'a su plus tard - la Ferrari '85 ne pouvait être enregistrée au Canada à moins qu'on y apporte des modifications aux pare-chocs, et que la demanderesse a préféré la retourner aux États-Unis. Il s'agit là cependant d'un fait postérieur et étranger à la saisie du véhicule.

[15]      Pour ces motifs, l'action de la demanderesse est rejetée, avec dépens.


                             _________________________

                                     Juge


Ottawa (Ontario)

le 9 juin 2000

__________________

     1      La décision ne précise pas sur quelle base ces montants ont été ventilés.

     2      Article 110(1) de la Loi.

     3      Articles 12 et 13 de la Loi.

     4      Alinéa 152(3)d) de la Loi.

     5      Il faut présumer que les prix sont indiqués en dollars des États-Unis.

     6      Ibid.

     7      (1991) A.C.F. No. 539, T-675-89.

     8      Voir l'ordonnance du Protonotaire Morneau relative à la conférence préparatoire et à la conduite de l'action, en date du 6 octobre 1999, paragraphe 2.

     9      Supra, note no 5.

     10      Ces véhicules avaient, en apparence, été achetés de commerçants, non de particuliers.

     11      Supra, note no 5.

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