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Date : 20001002

Dossier : T-633-92

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                                                                          demanderesse

                                                         et

                LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.

                                                                                           défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

[1]Le présent litige est commencé depuis longtemps et a été mené de façon acrimonieuse. L'action principale porte sur la contrefaçon de droits d'auteur. La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), est une société de perception qui délivre des permis de reproduction d'oeuvres musicales figurant dans son répertoire. SOCAN a intenté la présente action en 1992 et alléguait que Landmark Cinemas of Canada Ltd. (Landmark), un exploitant de salles de cinéma, avait reproduit et continuait de reproduire les oeuvres de SOCAN sans permis et sans payer de droits de représentation.


[2]                          Le cheminement du litige a été pénible. Suivant l'examen de l'état de l'instance, un éventail de requêtes contestées ont été présentées essentiellement en vue d'obtenir des réponses à des questions posées lors d'un interrogatoire préalable, la participation à un interrogatoire préalable ainsi que la participation à un nouvel interrogatoire préalable. La présente requête, qui est la plus récente, vise à obtenir la récusation de Gowling, Lafleur & Henderson (Gowling) à titre d'avocats inscrits au dossier.

[3]    La demande de récusation de Gowling a été présentée par la défenderesse en juin 2000, alors que la Cour était saisie d'une requête visant à forcer M. Brian F. McIntosh, directeur et administrateur de la société défenderesse, à se soumettre à un nouvel interrogatoire préalable pour répondre aux questions refusées. Cette requête est actuellement ajournée.

[4]                 La défenderesse a présenté sa demande au motif qu'il y avait eu des communications téléphoniques directes entre, d'une part, Mme Melany Peech, du cabinet Gowling, et, d'autre part, M. McIntosh et deux membres de son personnel sans que n'en soient informés les avocats de Landmark.


[5]                 Mme Peech a téléphoné à Landmark pour s'enquérir sur des questions directement touchées par la présente instance. Plus précisément, les questions posées par Mme Peech à M. McIntosh et à son personnel avaient trait à l'exploitation et à la gestion de certains cinémas et à leur lien avec la défenderesse. Ces questions ne sont pas seulement liées au litige, mais se rapportent aussi à des éléments relatifs aux renseignements mêmes dont la demanderesse voulait forcer la communication lors de son interrogatoire préalable de M. McIntosh.

[6]                 Au moment où elle a communiqué avec la défenderesse, Mme Peech était une stagiaire en droit travaillant au bureau de Calgary de Gowling et agissant selon les instructions de M. Robert Housman, un avocat du même bureau. Pour sa part, M. Housman avait reçu des instructions de la part de M. Gilles Daigle, l'avocat ayant le rang le moins élevé des deux avocats du bureau d'Ottawa de Gowling qui étaient chargés de la poursuite de l'action au nom de SOCAN. M. Daigle a participé pleinement à la présente instance, ayant à un moment donné mené une partie de l'interrogatoire préalable de M. McIntosh.

Les faits

[7]                 Plus particulièrement, les événements se sont déroulés de la façon suivante. À la fin de 1999, M. Daigle, du bureau d'Ottawa de Gowling, a demandé à M. Housman de l'aider à obtenir certains renseignements relatifs aux propriétaires et aux exploitants de salles de cinéma en Alberta. En février 2000, M. Housman a demandé à Mme Peech de l'aider à recueillir ces renseignements. La preuve présentée au nom de Gowling dans le cadre de la présente requête est constituée des affidavits de M. Housman et de Mme Peech.


[8]                 L'affidavit de M. Housman dit essentiellement ce qui suit. Suivant ses conversations avec M. Daigle, M. Housman connaissait le litige en cours ainsi que le fait que Landmark était la défenderesse. Il a demandé à Mme Peech d'obtenir des renseignements sur le lien existant entre Landmark et un certain nombre de cinémas particuliers en Alberta. Il n'a donné aucune instruction écrite à Mme Peech, mais il lui a suggéré expressément de vérifier les renseignements accessibles au public auprès des organismes d'attribution des permis créés par la législation applicable. Il n'a pas donné instruction à Mme Peech de parler à Landmark. Il soutient qu'il n'aurait d'ailleurs pas pu donner une telle instruction puisqu'il avait appris lors de sa conversation avec M. Daigle qu'il y avait un litige en cours impliquant Landmark.

[9]                 La couverture de la chemise du dossier remis à Mme Peech pour les fins des recherches comportait une indication décrivant l'affaire de façon sommaire. Le dossier décrivait l'affaire de la façon suivante :

[TRADUCTION] Mandats - recherches de titre objet : le dossier Gowling ... (La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. Objet : contrefaçon de droit d'auteur)

[10]            Dans son affidavit, Mme Peech confirme les instructions de M. Housman et sa suggestion d'utiliser les renseignements fournis en vertu de la loi pour l'obtention d'un permis comme moyen de déterminer l'identité des gestionnaires des cinémas visés. Elle confirme ne pas avoir eu d'instructions écrites de la part de M. Housman. En contre-interrogatoire, Mme Peech admet ne pas avoir lu la chemise et avoir tiré ses propres conclusions quant à l'objet de l'exercice à partir de sa lecture du dossier. Elle croyait qu'elle recherchait des [traduction] « défendeurs potentiels dans le cadre d'une action » .


[11]            Le 16 février 2000, Mme Peech a commencé ses recherches. Elle s'est adressée au conseil législatif pour savoir qui appliquait la Alberta Amusement Act. Elle a par la suite fait porter ses recherches sur les municipalités titulaires d'un permis de la province les autorisant à accorder des permis de films aux cinémas, notamment sur le bureau des permis de Calgary.

[12]            Mme Peech a ensuite fait ses appels fatidiques à Landmark. L'extrait suivant est tiré de son affidavit et relate l'essentiel des appels téléphoniques :

[TRADUCTION]

9.             Au cours des recherches que j'ai faites ce jour-là, soit le 16 février 2000, j'ai fait deux appels téléphoniques à Landmark (262-4255). J'ai parlé à la réceptionniste, à qui j'ai demandé quel genre de société Landmark était et ce qu'elle faisait. Je lui ai demandé ce qu'elle connaissait au sujet de Jan Theatre, Towne Cinema Theatres et Prairie Cinema. Je ne suis pas certaine d'avoir mentionné le Monarch Theatre. La réceptionniste semblait ne rien connaître à leur sujet, mais elle m'a dit que « tous les petits cinémas portent le nom "Landmark" » . Elle ne paraissait pas être en mesure de me dire quoi que ce soit au sujet de Landmark, et elle a transféré mon appel à une femme s'appelant « Jan » .

10.           Jan a refusé de répondre à mes questions au sujet de Landmark. Je lui ai posé des questions au sujet de Landmark et des cinémas que j'ai mentionnés au paragraphe 9. Je suis certaine d'avoir soulevé le nom Monarch Theatres lors de ma conversation avec Jan. En fait, je n'ai reçu aucun renseignement de sa part et elle m'a dit qu'elle référerait mes questions à un dénommé Brian McIntosh, qui me rappellerait. J'ai donné à Jan mon nom et mon numéro. À ce moment-là, j'ignorais que Brian McIntosh était le président de Landmark.

11.           Le 18 février 2000, M. McIntosh n'avait pas retourné mon appel, de sorte que je l'ai appelé directement. Après que je me sois identifiée, M. McIntosh m'a demandé quels étaient les renseignements que je cherchais. Je lui ai répondu que je cherchais à obtenir des renseignements sur le lien existant entre Landmark et les cinémas que j'ai mentionnés au paragraphe 9. Je suis également certaine d'avoir mentionné le Monarch Theatre dans les questions que j'ai posées à M. McIntosh.

12.          M. McIntosh m'a alors demandé quelle était précisément ma question. J'ai répondu que je voulais savoir quel était le lien existant entre Landmark et les cinémas que j'ai mentionnés ou si Landmark gérait ces cinémas.

13.          M. McIntosh m'a dit qu'il prenait en note ma question précise et qu'il me rappellerait. Il ne m'a fourni aucun autre renseignement.


14.          J'ai fait un deuxième appel téléphonique à Landmark le 16 février 2000. J'ai fait cet appel parce qu'au cours de mes recherches, j'ai appris l'existence de la Motion Picture Theatre Association of Alberta (MPTA). Le président vivait à Lloydminster, et il était indiqué que le secrétaire était Ian Harwood, qui était à l'emploi de Landmark. J'ai appelé M. Harwood relativement à sa fonction de secrétaire de la MPTA. Je l'ai appelé et lui ai posé des questions au sujet de la MPTA, et je lui ai demandé quel genre de sociétés étaient membres. Je lui ai aussi posé des questions sur les conditions d'adhésion et sur les objets de l'organisation. M. Harwood ne m'a donné aucun renseignement particulier au sujet de Landmark, et je ne lui ai posé aucune question à cet égard. (Affidavit de Mme Melany Peech daté du 16 mai 2000, aux pages 3 et 4)

[13]            Suivant les appels, Mme Peech a fait un résumé de ses démarches, y compris des conversations qu'elle avait eues avec les différentes personnes chez Landmark, et elle a transmis une copie du résumé à M. Daigle à Ottawa.

[14]            M. Housman n'a pas lu le résumé. Mme Peech a toutefois eu des nouvelles de M. Daigle, qui a appelé par la suite (probablement à la fin de février ou au début de mars 2000) pour l'informer qu'il y avait une action en cours impliquant Landmark, que ses appels étaient inappropriés et qu'ils constituaient une source d'inquiétude. Mme Peech témoigne que c'est seulement lorsque M. Daigle l'a appelée pour l'en informer qu'elle a su que Landmark était défenderesse dans le cadre d'une action en cours et que la cliente de Gowling était demanderesse.


[15]            La preuve présentée par Landmark pour les fins de la présente requête consiste en l'affidavit de M. McIntosh. Ce dernier raconte qu'il a subi un interrogatoire préalable à titre d'administrateur de Landmark en avril 1994 et le 20 décembre 1999, et qu'à cette dernière date, on lui a notamment demandé de répondre à un bon nombre de questions relatives à la personne morale « Towne Cinema Theatres (1975) Limited » , au rôle de Landmark dans l'exploitation de certaines salles de cinéma, à l'identité des propriétaires de certaines salles de cinéma ainsi qu'aux relations opérationnelles entre Landmark et les cinémas participants. Des oppositions ayant été soulevées au cours de l'interrogatoire à l'égard de certaines de ces questions par son avocat, M. McIntosh n'y a pas répondu.

[16]            Se fondant sur les renseignements dont il disposait et sur sa croyance en la véracité des renseignements qui lui ont été fournis par son personnel, M. McIntosh aborde en premier lieu dans son affidavit ce qui s'est passé entre son ancienne réceptionniste, Mme Tracy Drinnan, et Mme Peech. Cette version est essentiellement identique à celle de Mme Peech. Quant à l'appel que la réceptionniste a transféré à sa secrétaire, Mme Jan Brown, M. McIntosh dit :

[TRADUCTION] b) ...Que l'appel a alors été transféré à ma secrétaire personnelle, qui se souvient s'être fait demander, notamment : « . . . êtes-vous Towne Cinema Theatres ou êtes-vous Landmark Cinemas, ou est-ce que Towne Cinema Theatres et Landmark sont les mêmes? . . . » , « . . . Landmark et Towne Cinema Theatres sont-elles les mêmes? » . Elle m'informe qu'on lui a dit au cours de la conversation que la cliente de l'auteur de l'appel voulait communiquer avec « l'exploitant » du cinéma situé au 609 -2 Street, Medicine Hat, Alberta, mais pas avec le « propriétaire » du cinéma..          (Affidavit de M. Brian F. McIntosh, à la page 2.)

[17]         M. McIntosh témoigne qu'il a été informé le 18 février 2000 par sa réceptionniste qu'une certaine Mme Peech lui avait laissé un message demandant de retourner l'appel. Il a ensuite retourné l'appel dans le cours normal de ses affaires et, selon sa version, les événements suivants se sont produits :

      [traduction]


5.     [...] Une femme a répondu en s'identifiant comme étant Melany Peech, soit la personne qui avait laisséle message. Elle s'est présentée comme avocate au cabinet « Gowling » de Calgary, et elle a dit qu'elle cherchait à obtenir des renseignements au nom d'un avocat (qu'elle n'a pas nommé) de « Gowling » à Ottawa, qui, selon elle, faisait des recherches au nom d'une cliente d'Ottawa de ce cabinet, dont elle ignorait le nom. Je lui ai demandéce qu'elle désirait savoir. Elle a répondu que, se référant au courriel qu'elle avait reçu d'un avocat oeuvrant au bureau d'Ottawa de Gowling, elle cherchait à identifier quelle personne ou société « exploitait » les cinémas connus sous les noms de Monarch Theatre, de Towne Cinema, Medicine Hat (Alberta) et de Jan Cinema, Grande Prairie (Alberta).[...]

6.     M'apercevant que ces questions pouvaient avoir rapport avec le présent litige et m'apercevant également que l'appel téléphonique précédent reçu par ma réceptionniste et ma secrétaire pouvait aussi avoir rapport avec le litige, j'ai décidéde ne lui donner aucun renseignement et je lui ai indiquéque j'examinerais sa demande d'information et que je la rappellerais.

7.     J'ai téléphonéà mon avocat pour lui demander si jtais tenu de répondre aux questions posées par les avocats de la partie adverse dans le litige. Suivant cette conversation, je crois que cette communication directe avec moi et avec mon personnel, sans la connaissance et l'approbation de mon avocat, est inappropriée. (Affidavit de M. Brian F. McIntosh, aux pages 2 et 3.)

[18]            Le contre-interrogatoire relatif à l'affidavit de M. McIntosh révèle les faits suivants. Mme Drinnan et Mme Brown ne sont pas des employés de Landmark. À la suite de l'appel de Mme Peech le 16 février, Mme Brown a parlé à M. McIntosh et l'a informé qu'elle avait reçu « un appel inhabituel » . Elle a également informé M. McIntosh du fait que Mme Peech s'était présentée à elle comme travaillant chez Gowling. M. McIntosh a dit qu'il croyait que Mme Brown avait pris des notes de la conversation, mais qu'il ne les avait pas regardées. Il n'y a aucune preuve par affidavit de Mme Brown tant en ce qui a trait à la conversation qu'elle a eue avec Mme Peech qu'à celle qu'elle a eue avec M. McIntosh par la suite.


[19]            Lors du contre-interrogatoire, M. McIntosh ne pouvait pas se souvenir s'il avait parlé à Mme Brown le 16. Il a cependant admis avoir parlé des appels à son avocat, M. George H. Akers, avant que Mme Peech ne lui téléphone le 18. Au moment où il a parlé à M. Akers, il savait que Mme Peech travaillait chez Gowling et qu'elle avait posé des questions relatives à certains cinémas, y compris le Towne Cinema. Les relevés téléphoniques déposés en preuve par Gowling appuient le fait qu'il y a eu une conversation téléphonique entre M. McIntosh et M. Akers à 16 h 19 le 17 février et que celle-ci a duré environ une demi-heure. Au cours de l'interrogatoire relatif à l'affidavit de M. McIntosh, ce dernier, sur l'avis de son avocat, a refusé de répondre aux questions portant sur la conversation qu'il a eue avec M. Akers quant aux appels faits par Mme Peech le 16. De la même manière, M. McIntosh a refusé de répondre à la question de savoir si, avant sa conversation du 18 avec Mme Peech, il avait une opinion ou avait tiré une conclusion relative à l'opportunité des appels que Mme Peech avait faits à Mme Drinnan et à Mme Brown le 16.

La position des parties

[20]            Les codes de déontologie professionnelle régissant les avocats prévoient généralement qu'un avocat sachant qu'une partie adverse est représentée par avocat ne doit pas communiquer avec cette partie relativement au fond du litige entre les parties, sauf si l'avocat de cette partie y consent. La défenderesse invoque à cet égard la règle 6 du chapitre 4 du Code of Professional Conduct of the Law Society of Alberta, qui prévoit :

6.             [TRADUCTION] Si un avocat sait qu'une partie est représentée par avocat dans une affaire donnée, il peut communiquer avec cette partie relativement à cette affaire uniquement par l'intermédiaire de son avocat ou directement avec elle si son avocat y consent.

et le paragraphe 4 du Code de déontologie professionnelle de l'Association du Barreau canadien prévoit que :

4.     Il est licite pour l'avocat de se renseigner auprès de tout témoin éventuel (que celui-ci ait étécitéou non à comparaître), mais il doit révéler ses intentions et éviter avec soin de suborner le témoin, de lloigner ou de l'empêcher de comparaître. Si la partie adverse est représentée, l'avocat doit se garder d'entrer en contact ou de traiter avec elle sans le consentement de son conseil.


[21]            La défenderesse prétend que la cour doit être guidée par les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235 (C.S.C.). Même si la question en litige dans cette affaire était l'existence d'un conflit d'intérêts, la Cour suprême était préoccupée, de façon générale, par la conduite des avocats et par la violation des normes d'éthique qui les régissent. La défenderesse soutient que la cour désire avant tout que le public ait confiance dans le processus, qu'il considère le système judiciaire équitable et qu'il n'y ait même pas une apparence d'irrégularité.

[22]        La défenderesse soutient que même si la Cour a compétence pour récuser l'avocat lorsqu'il y a contravention aux règles de déontologie professionnelle, il n'est pas nécessaire qu'il y ait contravention. Le critère applicable consiste à savoir si, à la lumière des faits, un membre du public qui est juste et raisonnablement informé conclurait que la bonne administration de la justice exige la récusation de l'avocat du dossier : Everingham v. Ontario, (1992) 88 D.L.R. (4th) 755, confirmé par (1992) 8 O.R. (3d) 121), et MacMillan Bloedel v. Freeman & Co. [1992] B.C.J. No. 2815. L'avocat de la défenderesse convient que la décision de la Cour de récuser ou non l'avocat en vertu du critère établi dépend des faits de l'affaire. Il prétend que, dans la présente affaire, la conduite de Gowling enlève manifestement à cette dernière le droit de continuer à s'occuper de cette action.


[23]            M. Beal, du bureau d'Ottawa de Gowling, est l'avocat principal chargé du dossier SOCAN. Il soutient au nom de Gowling que ce qui est en cause en l'espèce est une erreur malheureuse de la part d'une stagiaire. Mme Peech s'est formée une opinion relativement à la question en cause dans la tâche qui lui avait été confiée et, se fondant sans le savoir sur cette erreur, elle a, de sa propre initiative, adopté une conduite qui était manifestement inappropriée mais qui n'a eu aucune conséquence dans le cadre de la présente action. Quant à la conduite de M. McIntosh lui-même, M. Beal la qualifie de tentative de profiter indûment des actes d'une stagiaire inexpérimentée. Il demande à la Cour de tirer la conclusion défavorable appropriée du fait que Mme Brown, qui était en mesure d'indiquer la date et la nature de la conversation qu'elle a eue avec M. McIntosh, n'a fourni aucune preuve par affidavit en l'espèce : Lévesque c. Comeau, [1970] R.C.S. 1010, aux pages 1011 et 1012.

Analyse

[24]            Les décisions invoquées par la défenderesse méritent d'être examinées davantage. Les décisions MacMillan Bloedel et Everingham, précitées, portent directement sur les communications interdites avec les personnes représentées par avocat et exposent en détail les principes applicables.


[25]            Les faits de l'affaire MacMillan Bloedel sont les suivants. Dans l'action principale, la demanderesse, MacMillan Bloedel (MacBlo) poursuivait pour négligence en raison de la fourniture et de la fabrication de matériaux contenant de l'amiante. Sans que ne le sache MacBlo, les avocats des défenderesses avait pris les dispositions nécessaires pour participer à une visite guidée publique d'une usine de pâtes lui appartenant. Au moment de la visite, la Cour suprême de la Colombie-Britannique était saisie d'une requête par laquelle les défenderesses sollicitaient une ordonnance enjoignant à MacBlode permettre à leur avocat de pénétrer dans l'usine pour y faire une inspection liée au fond du litige. Les avocats des défenderesses se sont présentées à la visite prévue et ont été accueillis par une étudiante dont l'emploi d'été consistait à faire visiter l'usine au public. Au cours d'une conversation informelle, l'étudiante a appris que les cinq visiteurs, qui étaient arrivés par hydravion, étaient avocats. Ses soupçons ont été éveillés davantage par la connaissance qu'avaient apparemment les visiteurs de l'usine. Elle a fait part de ses soupçons au gestionnaire, qui a décidé qu'il accueillerait lui-même les visiteurs. Il les a rencontrés en fait pendant environ une demi-heure, répondant à des questions portant sur des sujets comme les rapports de l'usine avec les organismes de réglementation et son programme en matière d'amiante, sujets qui étaient pertinents au litige.

[26]            La cour a conclu que, malgré ses prétentions contraires, le gestionnaire savait en fait qu'il était sur le point de s'adresser à un groupe d'avocats qui n'étaient d'aucune manière liés à son employeur et qui avaient en outre une connaissance inhabituelle du fonctionnement de l'usine de pâtes. La cour a également conclu que la rencontre avait été totalement volontaire de la part du gestionnaire, qu'elle n'avait pas été sollicitée par les avocats et que le gestionnaire n'avait donné aucun renseignement qu'il n'aurait pas donné en réponse à des questions posées par des membres ordinaires du public visitant l'usine.


[27]            L'avocat de la demanderesse MacBlo a prétendu dans cette affaire que les avocats des défenderesses avaient contrevenu aux règles de déontologie professionnelle, créant ainsi une [traduction] « apparence d'irrégularité » suffisante pour les empêcher de continuer à agir dans l'instance. La défenderesse a soutenu qu'il ne s'était produit aucune contravention aux règles et que, de toute manière, il s'agissait d'une question devant être laissée à la discrétion du barreau approprié. Sans admettre l'existence d'une apparence d'irrégularité, l'avocat des défenderesses a prétendu que pour obtenir la récusation d'un avocat, la demanderesse devait démontrer non seulement l'existence d'une apparence d'irrégularité, mais aussi la [traduction] « probabilité de dommage réel » .

[28]            Les arguments de l'avocat dans le cadre de la présente requête ne sont pas essentiellement différents des arguments présentés par l'avocat dans MacMillan Bloedel. Ce dernier fait référence à l'exigence de la « possibilité de dommage » dans son argumentation tandis que M. Akers déduit en fait l'existence d'un dommage de la conduite reprochée et veut obtenir la récusation de Gowling essentiellement en raison de l'apparence d'irrégularité, qui est incontestable dans les circonstances selon lui. Dans les faits, M. Beal soutient que s'il y a apparence d'irrégularité, elle s'applique aux actes des deux parties. Il invoque l'inadvertance ainsi que l'absence de motif illicite de la part de Mme Peech et demande qui en subit préjudice.

[29]            Visant à circonscrire la question à laquelle la cour devait répondre et le critère qu'elle devait appliquer en conséquence, le juge Oliver, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a fait remarquer à la page 7 de MacMillan Bloedel :


[TRADUCTION] La réponse à la question de savoir si les avocats intimés ont contrevenu à une règle de déontologie professionnelle ou ont agi de façon inappropriée en parlant à M. Wiekenkamp doit être tranchée par le Barreau, et non pas par la Cour. La question à laquelle la Cour doit répondre n'est pas : les avocats intimés ont-ils en fait contrevenu à une règle de déontologie professionnelle?, mais plutôt : les actions qui seraient à l'origine de cette contravention sont-elles graves, du point de vue de l'équité du déroulement de l'action, au point d'exiger une intervention judiciaire?

Dans Manville Canada Inc. v. Ladner Downs, (1992), 63 B.C.L.R. (2d) 102, le juge Esson, juge en chef de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a clairement conclu que pour justifier la récusation d'un avocat, il fallait non seulement qu'il y ait « apparence d'irrégularité » , mais aussi une « probabilité de dommage » . Il a dit à la page 116 :

J'estime que le texte des motifs de la majorité [dans Succession MacDonald c. Martin] n'empêche pas la Cour de tenir compte de la réalité plutôt que des apparences ou des perceptions lorsqu'elle décide d'accorder ou non la réparation extraordinaire et radicale sollicitée dans les demandes de ce genre [de récusation d'un avocat].

Le juge en chef a poursuivi à la page 117 :

Il est juste que l'A.B.C. établisse une règle qui encourage ses membres à se comporter de manière à éviter jusqu'à l'apparence de conflit. Mais j'affirme qu'il est mal fondé, sur le plan des principes, d'appliquer cette règle directement à la question de savoir s'il faut interdire à un avocat d'agir. Cela revient à ne pas tenir compte, comme plusieurs décisions américaines semblent le faire, du caractère radical de la réparation sollicitée dans une procédure de ce genre. Une partie présente une demande visant à priver la partie adverse des services de l'avocat que cette dernière a choisi et qui la représente depuis des années. Une telle réparation cause nécessairement un préjudice et, étant donné que la partie privée de son représentant est une spectatrice innocente du litige existant entre son avocat et la partie adverse, cette réparation crée nécessairement une certaine injustice envers la partie innocente. L'imposition de ce préjudice et de cette injustice peut seulement être justifiée si elle vise à empêcher une injustice plus grave à l'égard de la partie qui présente la demande. Il s'ensuit que l'injonction doit être accordée seulement pour éviter au demandeur le risque de « dommage réel » , et non pas celui d'une simple perception. [non mis en gras dans l'original]


[30]            Comme la défenderesse dans le cadre de la présente requête, la demanderesse dans MacMillan Bloedel a beaucoup insisté sur la décision rendue dans Everingham, précitée. Dans cette affaire, les patients d'un hôpital psychiatrique avaient intenté une poursuite contre le gouvernement de l'Ontario. Un avocat de la Couronne, qui devait contre-interroger un patient relativement à l'affidavit que celui-ci avait signé pour les fins de la poursuite, a rencontré le patient en privé en l'absence et à l'insu de l'avocat des patients alors qu'il visitait l'établissement psychiatrique. Le juge de la cour des requêtes a conclu que la rencontre était fortuite et qu'elle avait eu lieu en l'absence de motifs illicites puisqu'elle visait à dissiper les inquiétudes des patients. L'échange qui a suivi ne portait pas sur l'instance, et aucun renseignement de quelque nature que ce soit n'a été fourni à l'avocat de la Couronne. Le juge des requêtes a toutefois conclu que [traduction] « l'esprit » du commentaire 14 de la règle 10 du Code of Conduct of the Law Society of Upper Canada avait été violé, et il a interdit à l'avocat de continuer à participer à l'instance.

[31]         En appel, la cour a conclu qu'il n'y avait eu aucune contravention aux règles de déontologie, mais elle a néanmoins confirmé la récusation de l'avocat. La Cour d'appel a dit que le critère applicable était objectif et qu'il consistait en la question de savoir si une personne juste et raisonnablement informée conclurait que l'administration de la justice exige la récusation de l'avocat. Appliquant le critère, la cour a conclu que les faits de cette affaire étaient tels qu'un membre du public ne serait pas convaincu de l' [traduction] « équité absolue » du processus : Everingham, précité, à la page 5.

[32]        Dans McMillan Bloedel, le juge Oliver a examiné la décision rendue dans Everingham et a fait la distinction suivante àla page 8 de la décision :


[TRADUCTION] Le critère énoncédans Bell, Nash et Everingham, soit la question de savoir si un membre du public qui est juste et raisonnablement informéconclurait que la bonne administration de la justice exige la récusation de l'avocat, produirait évidemment des résultats différents selon les faits ayant donnélieu à la demande de récusation. La communication entre un avocat et un patient confinédans un établissement psychiatrique ou un justiciable en matière matrimoniale vulnérable sur le plan émotionnel est beaucoup plus susceptible de créer une « apparence évidente d'inéquité » et un risque de dommage réel que la communication entre un avocat et un dirigeant d'entreprise expérimenté. On ne peut pas facilement comparer ces situations.

[33]            Le juge Oliver a rejeté la requête en récusation puisqu'il a conclu à la lumière des faits de l'affaire que la demanderesse n'avait pas réussi à démontrer [traduction] « la probabilité qu'un dommage réel » avait été causé par les conversations reprochées (MacMillan Bloedel, précité, à la page 9).

[TRADUCTION] M. Wiekenkamp était sans aucun doute sur ses gardes au cours de la conversation, sachant qu'il parlait avec des avocats informés et curieux. La possibilité qu'il ait dit des choses causant un « dommage réel » à la position de la demanderesse dans le cadre de l'action est si éloignée qu'elle est à toutes fins pratiques nulle. La demanderesse n'a d'ailleurs pas prétendu avoir dit une chose préjudiciable ou regrettable, et elle n'a démontré l'existence d'aucun fondement factuel justifiant une crainte raisonnable que cela s'est produit.

[34]            Les parties n'ont pas attiré mon attention sur la décision rendue par le juge Brennan dans Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Seward [1997] 33 O.R. (3d) 604 (Division générale). Dans cette affaire également, la cour examinait les limites des principes relatifs aux communications avec les parties représentées et avec les témoins. Dans ses conclusions de droit, la cour répète les principes énoncés dans MacMillan Bloedel, précité. Elle indique qu'il faut s'en remettre aux barreaux en matière de violations des codes de déontologie et, à la page 6 de la décision, elle fait la déclaration suivante sur le moment où la cour doit intervenir pour récuser l'avocat :


[TRADUCTION] L'intégrité du système judiciaire serait mal servie si la cour récusait trop facilement les avocats à la demande des parties adverses. L' « apparence d'irrégularité » n'est pas un critère approprié dans les cas autres que les cas de véritable conflit d'intérêts, surtout lorsque l'apparence existe aux yeux de la partie adverse. J'accepte l'argument de la partie intimée, selon lequel l'obligation primordiale de Lerner était de servir les intérêts de son client. Il y a des cas oùl'intérêt public l'emporte sur cette obligation, mais la cour doit prendre soin de ne passer outre à cette obligation que pour les motifs les plus importants. Les faits de la présente affaire ne révèlent pas l'existence de motifs de cette nature, et la requête en récusation d'avocat doit être rejetée. [Non mis en gras dans l'original.]

[35]        La défenderesse a prétendu que même si on admettait que Mme Peech ne connaissait pas l'existence du litige, cela constituait au mieux un cas de négligence teintée d'une manoeuvre trompeuse, celle-ci résidant dans le fait que Mme Peech était obligée de révéler le nom de sa cliente pour interroger des témoins. En ce qui concerne la première allégation, je dirais qu'il n'appartient pas à la Cour de statuer dans le présent contexte sur la question de savoir si Gowling a été négligent dans la supervision de ses stagiaires.

[36]        Quant à la question de savoir s'il y a eu contravention aux règles de déontologie, je conviens qu'il y a lieu de laisser le barreau approprié se prononcer à cet égard. Cela étant dit, dans Everingham, précité, où les faits étaient essentiellement semblables aux faits de la présente affaire, la Cour d'appel a fait une interprétation téléologique de la règle de déontologie et a conclu à l'absence de contravention.


[37]        Que l'on utilise le critère du [traduction] « motif le plus sérieux » , de « la probabilité de dommage » ou du « dommage réel » , je suis d'accord avec l'opinion que dans des circonstances comme les présentes, il ne faudrait pas écarter le droit de choisir son avocat sans tenir compte de la nature, de la gravité et des conséquences de la conduite reprochée par rapport aux droits des parties. Il faut à tout le moins démontrer l'existence d'un indice de dommage ou de la possibilité d'injustice. D'ailleurs, même dans les cas de conflit d'intérêts, où il y a une présomption que des renseignements confidentiels ont été communiqués dans le cas de certains mandats de représentation, cette présomption peut être réfutée si l'avocat réussit à convaincre la cour que les faits démontrent qu'aucun renseignement n'a été communiqué. C'est cet exercice d'évaluation des faits qui doit résister à l'examen du public : Succession MacDonald, précité.

[38]            Comment faut-il donc interpréter les faits de la présente affaire et quel poids faut-il leur attribuer? J'accepte le témoignage de Mme Peech selon lequel elle ne savait pas que Landmark était défenderesse dans une action en cours, que M. McIntosh en était le président et qu'il était représenté par avocat. Même si elle était manifestement erronée, la conduite de Mme Peech était ni délibérée ni trompeuse. Elle a informé Mme Brown qu'elle était avocate chez Gowling et a dit à M. McIntosh que ses appels visaient à aider le bureau d'Ottawa de Gowling. Elle a posé ses questions directement, ignorant que Landmark était partie à un litige en cours. D'ailleurs, ni Mme Drinnan ni Mme Brown ne sont des employées de Landmark, de sorte qu'elles ne sont pas visées par l'interdiction invoquée par la défenderesse et qu'on ne peut pas dire qu'elles sont des « témoins » pour les fins de l'argument de M. Akers. Quant à la communication de renseignements préjudiciables, il est clair que Mme Peech n'a obtenu aucun renseignement pertinent au litige à l'exception de la déclaration apparemment anodine de la réceptionniste, Mme Drinnan.


[39]            Aucun élément de preuve n'indique que l'avocat a donné instruction à Mme Peech de faire les appels, que ce soit dans un but détourné ou non. En fait, lorsque M. Daigle, qui fut le premier à lire la note de cette dernière, a su ce qui s'était produit, il a téléphoné directement à Mme Peech pour l'informer que ces appels étaient inappropriés et qu'ils constituaient une source de consternation pour ses supérieurs. M. Beal a alors appris les événements et a téléphoné à M. Akers. Par la suite, revenant d'un voyage d'affaires, il a envoyé une lettre datée du 6 mars 2000 à M. Akers et à Landmark pour s'excuser. Dans sa lettre, M. Beal a reconnu qu'une « erreur » avait été commise et, à titre d'avocat chargé de l'affaire, il a accepté la responsabilité de la faute de Mme Peech. Ayant parlé à M. Beal et anticipant la lettre d'excuses, M. Akers a écrit à ce dernier pour la rejeter au nom de sa cliente. Dans sa lettre, M. Akers fait référence au litige long et difficile ayant donné lieu à des conflits personnels, à de la colère et à de l'animosité. Il confirme que le litige s'est révélé ardu pour les clients de même que pour les cabinets. M. McIntosh, furieux et méfiant, n'accepterait pas une excuse qu'il ne croyait pas. Les raisons pour lesquelles M. McIntosh a rejeté l'explication de Gowling et qui constituent manifestement le fondement de la présente requête sont expliquées plus en détail de la façon suivante dans l'affidavit de M. McIntosh :

        [traduction]

8.             Je suis informé par mon avocat, et je crois, que lors des conversations subséquentes qu'il a eues avec M. Beal, du bureau d'Ottawa du cabinet Gowling, ces incidents ont été qualifiés d' « erreur » . Pour les raisons qui suivent, je ne peux pas accepter cette explication.

9.             Dans les documents déposés auprès de la Cour dans le cadre de la présente action, je suis décrit par les avocats de la partie adverse comme étant « scandaleux et abusif » et « sans scrupules » . Mes déclarations assermentées ont été qualifiées de « particulièrement révoltantes » et de « méprisantes » . Je suis accusé de « mauvaise interprétation volontaire » . Lors de l'interrogatoire tenu le 20 décembre 1999, on m'a expressément accusé de donner des réponses fausses sous serment. Dans les faits, j'ai été traité de menteur.


10.           Les conversations que Mme Peech a eues au téléphone avec moi-même et mon personnel ainsi que les questions qu'elle a posées étaient si directes et si semblables aux questions qui ont fait l'objet d'oppositions lors de l'interrogatoire du 20 décembre 1999 que je ne peux pas m'empêcher de croire qu'elles faisaient partie d'un plan visant à contourner le processus judiciaire pour obtenir des renseignements au sujet de Landmark et, de cette dernière, des renseignements au sujet de tiers non désignés dans la présente poursuite au moyen de méthodes illicites.

11.           Mon intégrité a tellement été mise en doute, et de façon injustifiée selon moi, par les avocats de la partie adverse dans la conduite du présent dossier que j'ai la conviction profonde que rien n'arrêtera ces derniers dans leur tentative d'étayer leurs qualificatifs à mon égard, et par conséquent à l'égard de la défenderesse, comme ceux qui sont mentionnés au paragraphe 9 du présent affidavit. J'estime que les événements des 16 et 18 février 2000 sont des exemples des moyens qu'ils sont prêts à prendre. (Affidavit de M. Brian F. McIntosh, à la page 3.)

[40]            D'ailleurs, lorsqu'on lit la transcription des interrogatoires et des contre-interrogatoires dans la présente instance, on est frappé par le manque de courtoisie constant et par la fréquence des échanges acerbes auxquels ont participé les avocats et, parfois, M. McIntosh. Même si la colère et la méfiance de M. McIntosh sont fort réelles, les faits de la présente affaire n'appuient pas l'affirmation que la conduite inappropriée était délibérée ou qu'elle s'inscrivait dans un plan visant à le dénigrer davantage ou à contourner le processus judiciaire à l'aide de moyens illicites. Dans les faits, la défenderesse n'a causé aucun dommage, aucune injustice et aucun préjudice réels ou appréhendés relativement aux droits des parties dans la présente action en raison des communications interdites.


[41]         En outre, il est difficile de concilier le témoignage et la conduite de M. McIntosh lui-même dans la présente affaire. Même si son affidavit est dénué de dates et d'heures en ce qui concerne les conversations qu'il a eues avec Mme Brown et M. Ackers, il admet en contre-interrogatoire qu'il a consulté son avocat avant d'appeler Mme Peech. Je ne peux pas accepter que, même sans l'avis de son avocat, M. McIntosh ignorait, avant de retourner l'appel de Mme Peech, que les questions de cette dernière étaient liées au litige. M. McIntosh est un dirigeant d'entreprise averti et un habitué des interrogatoires et des contre-interrogatoires. Je ne doute pas qu'il stait déjà fait une opinion quant à l'opportunité des appels de Mme Peech bien avant de retourner son appel pour recevoir lui-même ses questions.

[42]            Peu importe à quel point M. McIntosh déteste les tactiques de Gowling et soupçonne ce dernier du pire, la Cour ne se préoccupe pas de sa perception des faits, mais bien de la confiance du public dans le processus judiciaire et, par conséquent, de la perception d'un membre informé du public. La question consiste à savoir si la conduite de Mme Peech et, par conséquent, celle de Gowling dans la présente instance est suffisamment grave ou a des conséquences suffisamment importantes quant à la perception du public relativement à l'équité de l'administration de la justice pour exiger que la Cour intervienne pour récuser Gowling, privant ainsi SOCAN de l'avocat qu'elle a choisi.

[43]            Sans écarter de quelque manière l'irrégularité de la conduite de Mme Peech, je ne peux pas conclure qu'un membre du public qui est juste et qui dispose de l'ensemble des faits de la présente affaire conclurait que l'administration équitable de la justice exige l'intervention de la Cour en faveur de la défenderesse.

[44]            Cela étant dit, je suis d'avis que M. Beal atténue l'affaire en faisant remarquer que Mme Peech se souviendra probablement de ces événements pendant longtemps. J'estime que ces événements sont porteurs de leçons pour toutes les personnes concernées.


Conclusion

[45]            La requête de la défenderesse est rejetée, et une ordonnance distincte est délivrée. Même si la demanderesse a eu gain de cause dans le cadre de la présente requête, les faits en cause font en sorte qu'il y a lieu d'ordonner que les dépens suivent l'issue de l'affaire.

    « Roza Aronovitch »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-633-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE c.

LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 27 JUIN 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE ARONOVITCH

EN DATE DU :         2 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU

CHARLES E. BEAL                                            POUR LA DEMANDERESSE

GEORGE H. AKERS AND                                             POUR LA DÉFENDERESSE

MARK E. LINDSKOOF

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

GOWLING, LAFLEUR

HENDERSON LLP                                             POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

NICHOLL & AKERS                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

EDMONTON (ALBERTA)


Date : 20001002

Dossier : T-633-92

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2000.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

ENTRE :

SOCIÉTÉCANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                      demanderesse

et

LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.

                                      défenderesse

                    ORDONNANCE

VU l'avis de requête déposé le 12 juin 2000 au nom de la défenderesse Landmark Cinemas of Canada Ltd., qui sollicite :

1.      Une ordonnance interdisant à Gowling de représenter ou de continuer à représenter la demanderesse dans le cadre de la présente requête.

2.    Les dépens de la requête.


VU les motifs que j'ai prononcés en ce jour;

LA COUR ORDONNE :

1.     La requête est rejetée.

2.    La présente action se poursuivra dans le cadre d'une instance à gestion spéciale.

3.    L'audition de la requête de la demanderesse, ajournée le 27 juin 2000, sera fixée à la date et l'heure convenues par les parties et sera présentable à la séance générale à Ottawa au plus tard le 19 octobre 2000.

4.    Les dépens de la requête sont adjugés à la demanderesse indépendamment de l'issue de l'affaire.

    « Roza Aronovitch »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


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