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Date : 20040514

Dossier : IMM-2115-03

Référence : 2004 CF 700

OTTAWA (ONTARIO) LE 14 MAI 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

VLADIMIROS EMINIDIS

ELZA EMINIDI

ANDREAS EMINIDIS

MARIA EMINIDOU

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la « Loi » ), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le « tribunal » ). Dans cette décision, le tribunal a conclu que les demandeurs ne satisfont pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » , tel que défini à l'article 2 de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. 1985, c. I-2.


CONTEXTE FACTUEL

[2]         Le demandeur principal est à la fois citoyen de la Russie et de la Grèce. Son épouse et ses deux enfants sont citoyens de la Grèce seulement. Ils déclarent tous avoir une crainte fondée de persécution en raison pour ce qui est du demandeur, de ses opinions politiques tant en Russie qu'en Grèce, et en ce qui a trait aux autres membres de la famille, sur leur appartenance à un groupe social (la famille).

[3]                En Russie, le demandeur a monté une entreprise de tricotage qui a eu beaucoup de succès. Sa réussite a crée de la jalousie dans son milieu, et sa famille a commencé à avoir des problèmes ce moment-là. Ses deux enfants ont été harcelés et agressés à l'école.

[4]                Toujours en Russie, le demandeur principal a présenté sa candidature en 1999 au poste de chef de l'administration de la région. Au cours d'une campagne électorale, il a critiqué l'administration existante. Il avait aussi entre-temps multiplié ses activités commerciales, qui comportaient certains aspects désagréables. Ces aspects désagréables (surveillance des personnes influentes au moyen de caméras cachées) ont amené la milice à faire des démarches pour fouiller ses locaux.


[5]                À cause de ces événements, le demandeur a décidé de quitter la Russie pour aller rejoindre sa famille en Grèce. Le lendemain de son arrivée en Grèce, il allègue avoir reçu des appels téléphoniques de Russie. Le 4 décembre 1999, on a tenté de l'enlever, mais il a résisté. Le demandeur a continué à recevoir des appels menaçants. Il a quitté la Grèce le 22 janvier 2000 pour venir au Canada.

[6]                Le 5 avril 2000, sa fille a failli être enlevée par un inconnu. La femme du demandeur principal a porté plainte à la police cinq jours après, mais cela n'a rien donné. Elle a dû, pour sa sécurité et celle de ses enfants, quitter la Grèce avec ces derniers pour rejoindre son mari au Canada.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]         Le tribunal a accepté la proposition selon laquelle les demandeurs ne seront pas protégés en Russie. Par contre, la question de protection par l'État grec doit être analysée. Le tribunal a dit que les demandeurs semblent avoir occulté les faits pour montrer l'incapacité de l'État grec de les protéger. En effet, le demandeur principal soutient que la Grèce, qui comporte une petite population, ne peut pas arrêter les ressortissants russes venus en grand nombre dans l'illégalité sur son territoire. Le tribunal est d'avis que la documentation du pays déposée par l'avocat du demandeur semble dire toute autre chose. D'abord, on ne parle pas du tout des Russes, mais plutôt des gens venant de la Turquie, de l'Iraq et de l'Iran. Ensuite, on explique bien que le gouvernement grec n'avait aucune entente avec les gouvernements de ces pays lui permettant de renvoyer ces personnes entrées illégalement. Les demandeurs n'ont donc pas réussi à établir de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État grec de les protéger.


QUESTION EN LITIGE

[8]         La seule question en litige est de déterminer si la décision rendue par le tribunal en est une qui justifierait l'intervention de la Cour.

PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS

[9]         Les demandeurs prétendent que le tribunal avait l'obligation de commenter sur la preuve documentaire et avait le devoir d'expliquer la pertinence de la preuve. Selon eux, la preuve documentaire non traitée par la Commission dans ses motifs porte sur des faits qui sont au coeur même de la revendication. Cette omission porte un coup fatal à la décision de la Commission : Gill c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) 2003 CFPI 656; G.D.C.P. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 989.

[10]            Les demandeurs soumettent que le tribunal ne peut s'appuyer uniquement sur une preuve documentaire générale sans tenir compte de la situation particulière des demandeurs, ni sans tenir compte de leurs témoignages quant aux aspects spécifiques de leur situation. Les demandeurs n'ont jamais été déclarés non crédibles, et en conséquence, toutes les allégations des demandeurs sont vraies.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR


[11]       Le défendeur soumet qu'une simple lecture des motifs de la décision démontre que le tribunal a analysé la preuve documentaire ainsi que tous les faits. De plus, le défendeur affirme qu'une simple lecture des motifs de la décision démontre clairement que le tribunal a tenu compte du témoignage des demandeurs lors de la première audience même s'il n'en a pas exposé explicitement tous les éléments dans ses motifs.                          

[12]            Le défendeur soumet que les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de preuve qui leur incombait en démontrant qu'il y avait une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés par des criminels russes s'ils retournaient en Grèce. Les demandeurs avaient l'obligation de démontrer que leur crainte est objectivement fondée, ce qu'ils n'ont pas réussi à faire.

ANALYSE

Protection de l'État

[13]       En ce qui concerne les allégations des demandeurs, il est important de mentionner le fait que leurs propos doivent être considérés véridiques, à moins qu'il existe des raisons d'en douter. Le juge Heald dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 a écrit ce qui suit :                                                                                               

J'estime que la Commission a agi arbitrairement en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant susmentionnées. Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. [...] En l'espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant.

[14]       Par contre, dans le cas en l'espèce, le tribunal a raison qui l'amène à avoir des doutes.


En effet, la preuve documentaire ne va pas dans le même sens que ce que disent les demandeurs en ce qui concerne l'aspect le plus important de leur revendication, soit la protection de l'État envers eux. Le tribunal a analysé la preuve documentaire et en a tiré la conclusion que l'État grec peut protéger ses citoyens. C'est la responsabilité du tribunal de demander si les demandeurs ont réclamé la protection de leur pays avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

La Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité. Toute protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur lorsqu'il est possible de l'obtenir, étant donné que la protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure "auxiliaire" qui n'entre en jeu qu'en l'absence d'appui national. L'incapacité d'un État dont il a la nationalité d'assurer sa protection peut être établie lorsque le demandeur s'est vraiment adressé à cet État et s'est vu refuser toute protection. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689)        

[15]       Le fardeau incombe aux demandeurs de prouver qu'ils ne peuvent réclamer la protection

de leur propre pays. Le demandeur dit que la milice russe s'est infiltrée en Grèce en raison de la proximité géographique entre les deux pays. Cela ne serait pas possible au Canada, car la distance géographique est immense entre la Russie et le Canada. Néanmoins, le demandeur est tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (Q.L.).

[16]       Le fait que le tribunal a accordé davantage de poids à la preuve documentaire, même

si les demandeurs ont été considérés crédibles, n'est pas une erreur. En fait, le tribunal a la compétence nécessaire pour le faire et il lui appartient d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont présentés. Le juge Rouleau a écrit ce qui suit dans l'arrêt Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (Q.L.) :


Enfin, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du requérant. Les membres de la Commission sont "les maîtres à bord", et il leur appartient d'apprécier les éléments de preuve qui leur sont présentés. En l'espèce, ils ont accueilli le témoignage du requérant, mais ils ont choisi d'accorder davantage d'importance à la preuve documentaire.

[17]    Dans une décision plus récente, Bustamante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration), [2002] A.C.F. no 643 (Q.L.), le juge Martineau a réitéré le même principe :

Malgré l'assertion formulée par l'avocat du demandeur, la présente affaire ne repose pas sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission. La question en litige en l'espèce consiste plutôt à savoir si la Commission pouvait raisonnablement arriver à la conclusion que le demandeur n'a pas rempli son obligation de fournir une preuve satisfaisante établissant qu'il répond à la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a simplement préféré la preuve documentaire aux assertions du demandeur. À cet égard, la Commission est autorisée à accorder davantage de poids à la preuve documentaire, même si elle conclut que le demandeur est digne de foi et crédible. [...] La "présomption" selon laquelle le témoignage sous serment d'un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l'être par l'absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu'on pourrait normalement s'attendre à y retrouver. (Bustamante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no. 643.)

[18]    Le tribunal explique que les demandeurs n'ont pas prouvé que le gouvernement grec

n'était pas en mesure de les protéger. Le tribunal est d'avis qu'aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Qui dit que les demandeurs en question sont mieux protégés au Canada ? En l'espèce, le tribunal déclare qu'il est déraisonnable que le demandeur s'attende à ce que son gouvernement réussisse toujours à protéger des personnes dans sa situation.


[...] lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. (Villafranca, supra)

CONCLUSION

[19]        Compte tenu de ce qui précède, et en particulier du fait que le tribunal a accordé plus de

poids à la preuve documentaire qu'au témoignage des demandeurs, ce que le tribunal a le droit de faire, il n'y a aucune raison qui justifierait l'intervention de cette Cour dans la décision rendue par le tribunal.                                                        

                                                      ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Sean Harrington »

                                                                                                                                            Juge                         


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                            IMM-2115-03

INTITULÉS :                                                                        VLADIMIROS EMINIDIS

ELZA EMINIDI

ANDREAS EMINIDIS

MARIA EMINIDOU

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                    MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   6 MAI 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                                         LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                          14 MAI 2004

COMPARUTIONS:

Michel Le Brun                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Michèle Joubert                                                                       POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michel Le Brun                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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