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Date : 20040908

Dossier : IMM-2905-03

Référence : 2004 CF 1225

ENTRE :

ANDREY SOLODOVNIKOV

NATHALIA SOLODOVNIKOV

PAVEL SOLODOVNIKOV

VLADIMIR SOLODOVNIKOV

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Lemieux

[1]                Le 26 mars 2003, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) décide que les revendicateurs d'asile, citoyens d'Israël, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini à l'article 2(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Le tribunal avait tenu des audiences le 2 juin, le 3 août et le 30 octobre 2002.


[2]                Plusieurs moyens sont invoqués par les demandeurs à l'encontre de cette décision; cependant, leur point majeur est la prétention que le tribunal a omis de considérer un des motifs de la Convention que le revendicateur principal, le père de la famille, avait soulevé sa crainte d'être persécuté du fait de son opinion politique, c'est-à-dire, son refus anticipé de prêter service militaire obligatoire dans les réserves des Forces de défense israéliennes (FDI).

[3]                La Cour d'appel fédérale dans son arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1993] 3 C.F. 540 a reconnu que le refus de participer au service militaire et la sanction de l'État, tributaire de ce refus, peuvent être considérés comme une persécution dans certaines circonstances.

[4]                Le dossier certifié du tribunal fait état des faits suivants :

(1)         Les revendicateurs sont nés en Ukraine et se sont rendus en Israël en janvier 1996.


(2)         Lorsque le revendicateur principal a déposé le 22 janvier 2001 son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la crainte invoquée était sa persécution par des extrémistes religieux et la tolérance, voir l'inaction, de l'État israélien d'assurer la protection à sa famille. M. Solodovnikov n'avait pas mentionné dans son FPR, à cette époque, une crainte de persécution du fait de son refus anticipé d'être obligé de servir dans les réserves des FDI. Les revendications de son épouse et de ses deux enfants sont basées sur la sienne.

(3)         C'est le 22 mai 2002 qu'il dépose un addendum en réponse à la question 37 du FRP. Cet addendum fut reçu en preuve par le tribunal comme la pièce P-12. Il se lit en partie comme suit :                                

Quand j'ai rédigé la réponse à la question 37 de mon FRP,

je l'ai fait sans consulter d'avocat. Et ne savais pas que

les poursuites judiciaires pour refus de prêter service

militaire pouvait être considérées comme une forme de

persécution politique, donc je n'ai pas fait mention des faits

qui suivent. Je souligne que ce n'est pas la raison principale

            qui nous a incité à quitter Israël, mais c'est une des raisons

            pour lesquelles nous ne voulons pas y retourner.

[...]

En Israël, pour des raisons que j'ignore, je n'ai pas été appelé

à faire mon service de militaire de réserve. J'aurais refusé

de le faire puisque je trouve (((((abhorrent))))) les actions des

Forces de Défense israéliennes (FDI) face aux Palestiniens.

Depuis le début du deuxième intifada les choses s'empirent

en Israël. Je serai probablement appelé à faire le service

des Réserves FDI, que je refuserai. Je serai détenu et marqué à vie socialement pour ce refus.

Mon frère cadet Nicolay a été appelé à faire son service. Il a

refusé de prendre les armes, pour les mêmes raisons que moi.

Il a été détenu un mois et demi et a été expulsé des FDI.

(4)        La question du service militaire fut débattue devant le tribunal durant l'audience du 30 octobre 2002 (voir le dossier du tribunal pages 913 et suivantes ; aussi les pages 956 à 958).


(5)        Elle fut aussi l'objet des représentations écrites par l'avocat des revendicateurs (voir le dossier du tribunal pages 63 et 64).

[5]         À l'audition de cette demande de contrôle judiciaire, la procureure du défendeur a reconnu que les motifs du tribunal ne faisaient aucune mention et ne contenaient aucune analyse cette la deuxième crainte exprimée par M. Solodovnikov.

[6]         Nonobstant cette lacune, la procureure du défendeur soumet en invoquant les facteurs suivants que cette Cour ne devrait pas casser la décision du tribunal :

(1)        Le procès-verbal révèle que le revendicateur principal n'a pas reçu de convocation de l'armée et qu'il n'avait pas mentionné cet élément ni dans sa déclaration au point d'entrée ni dans sa réponse initiale à la question 37 de son FRP.

(2)        D'après la preuve documentaire, Israël en 1999 avait renoncé à la mobilisation de nouveaux immigrants de plus de 18 ans ce qui est le cas du revendicateur principal qui avait 24 ans à son arrivée, mais ce qui n'était pas le cas de son frère qui avait 18 ans lors de sa conscription.


(3)        Même s'il avait démontré qu'il y avait une possibilité d'être conscrit, ce qu'il n'a pas fait, la pièce A-16 intitulé "Eligibility for Military Service" démontre qu'un père de famille arrivé en Israël après le 1er janvier 1997 et ayant 24-27 ans ne serait pas assujeti à la réserve dans les FDI.

(4)        Encore d'après la preuve documentaire, en Israël, s'il y a refus de service militaire, la sanction n'est pas systématiquement l'emprisonnement et que majoritairement les peines ne dépassent pas les trois mois.

[7]         La procureure du défendeur note que le frère du demandeur a été emprisonné douze jours en 1996 pour son refus et non un mois et demi comme M. Solodovnikov a témoigné et qui plus est, il a témoigné que son frère avait maintenant un excellent emploi en Israël.

[8]         La procureure du défendeur soumet que le tribunal n'avait pas à traiter de cet aspect de sa crainte de persécution compte tenu de son caractère purement et entièrement spéculatif dans son cas. Elle plaide qu'il n'est pas inutile de rappeler que la preuve documentaire portant sur le service militaire en Israël ne permettait pas, à elle seule, d'établir le bien-fondé quant à sa crainte de persécution fondée sur une quelconque obligation spéculative et non prouvée de faire son service militaire.


[9]         Elle ajoute que le tribunal n'était pas sans ignorer les prétentions de Monsieur Solodovnikov puisque qu'il l'a interrogé à ce sujet pour lui faire admettre qu'il n'avait pas reçu de convocation et que son frère n'avait fait que douze jours de prison. Finalement, la procureure plaide qu'il est reconnu que le tribunal n'avait pas à mentionner dans sa décision chacun des éléments de preuve qu'il avait devant lui. En conclusion, elle soumet que, vu la nature entièrement spéculative de cet élément de la revendication du demandeur principal, on ne saurait prétendre que l'omission par le tribunal de le mentionner est fatal et nécessite l'intervention de la Cour.

[10]       Il n'y a aucun doute que le tribunal avait l'obligation de statuer sur chacun des motifs de crainte de persécution invoqués par les revendicateurs. Ce principe découle de l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 745, où le Juge La Forest impose cette obligation à un tribunal même si le motif n'avait pas été soulevé par un revendicateur.

[11]       La procureure du défendeur cite les principes jurisprudentiels suivants :

1)          Vu la nature entièrement spéculative de ce motif, on ne saurait prétendre que l'omission par le tribunal de le mentionner est fatale et nécessite l'intervention de la Cour : Bouarouni c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] C.F. 1211 ; Yassine c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] A.C.F. no 949 (CAF) ; Patel c. Canada (Ministère de la Citoyennité et de l'Immigration), [2002] A.C.F. 55. Dans Kabedi c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] C.F. 442, le juge Noël de cette Cour écrit ceci aux paragraphes 8 à 10 de sa décision :

8 Sur la question de la validité de l'appartenance de la demanderesse à L'UDPS, la Commission doit se conformer aux Règles. En l'espèce, la Commission était tenue d'informer la demanderesse de son intention de s'en remettre à ses connaissances spécialisées pour se faire une opinion sur la validité de sa carte de membre. La Commission n'a pas informé la demanderesse qu'elle se fonderait sur ses connaissances spécialisées concernant les cartes d'adhésion à l'UDPS, et elle a conclu, au vu de l'absence de mentions attestant le paiement de cotisations, et au vu de l'absence de dates sur la carte produite par elle, que la validité de sa carte était suspecte. Manifestement, la Commission a commis un manquement au principe fondamental de l'équité procédurale en n'informant pas la demanderesse de son intention d'utiliser des renseignements relavant de spécialisation. Cependant, cela dit, la Cour doit quand même se demander si un tel manquement constitue une base suffisante pour conclure à l'existence d'une erreur révisable justifiant l'annulation de la décision et le renvoi à l'affaire à la Commission pour examen par d'autres commissaires.

9 Le premier point étant maintenant décidé, il faut également examiner le deuxième point, celui de savoir si l'erreur révisable est déterminante. Pour ce faire, la Cour doit examiner les autres conclusions relatives à la crédibilité de la demanderesse, vois les dites conclusions se justifient par elles-mêmes et, dans l'affirmative, dire si l'erreur est fondamentale au point de justifier à elle seule l'annulation de la décision.

10 Eu égard à la jurisprudence exposée dans l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) Et dans l'arrêt Mobile Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extra côtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, une erreur révisable qui constitue un manquement à la justice naturelle aura en général pour effet d'annuler l'audience et la décision qu'en a résulté ; cependant, une exception à cette règle stricte a été reconnue dans les cas où les autres éléments de la revendication autorisent la conclusion initiale et où le réexamen de la revendication conduirait tout probablement à la même décision.

2)          Considérant la preuve au dossier, l'insuffisance de motivation n'est pas tellement importante qu'elle équivaut à une violation des règles de justice naturelle : Dionne c. Radio Shack, [1999] no 3054 (CAQ) ; Shmulevich c. Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, (IMM-81-03, 5 décembre 2003, (CF.)).


3)          Le tribunal n'avait aucune obligation de mentionner toute la preuve devant elle : Hassan c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.) ;

4)          L'absence de motifs de la part d'un juge ne peut, en soi, justifier une révision en appel lorsque la décision est d'ailleurs appuyée par la preuve ou lorsque le fondement de la décision est évidente compte tenu des circonstances. (Voir, Sa Majesté la Reine c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752.)

[11]       Mon évaluation de la preuve qui était devant le tribunal sur l'objection de conscience et sur l'attitude de l'État d'Israël en matière de service militaire obligatoire est plus nuancée que celle soutenue par la procureure du défendeur surtout si on considère que la crainte de M. Solodovnikov n'était pas d'être conscrit dans l'armée régulière mais d'être obligé comme réserviste d'appuyer les efforts des FDI en Cisjordanie.

[12]       J'estime que la preuve documentaire n'est pas suffisamment précise et claire pour me permettre de conclure que la crainte du revendicateur principal est spéculative. La pièce P-16 "Eligibility for Military Service" semble indiquer que Monsieur Solodovnikov serait astreint à la réserve des FDI.


[13]       Le genre de cause en l'espèce n'en est pas une où le tribunal a conclu que la crainte de Monsieur Solodovnikov n'était pas bien fondée mais qu'il n'avait pas suffisamment motivé cette conclusion, et qu'un examen de la preuve appuyait entièrement le résultat. Ici, à mon avis, le tribunal a omis de trancher la question.

[14]       Pour tous ces motifs, cette demande ce contrôle judiciaire est accueillie; la décision du tribunal est cassée et les revendications des demandeurs sont retournées pour étude par un tribunal composé différemment. Je ne vois aucune question importante à être certifiée mais j'accorde aux parties jusqu'au 24 septembre 2004 pour en formuler une.         

                                                                       

« François Lemieux »

_______________________

Juge

Ottawa, (Ontario)

le 8 septembre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-2905-03

INTITULÉ :               ANDREY SOLODOVNIKOV ET AL

                                                                         partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION    

                                                                           partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 30 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   le 8 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Me William Sloan                                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Michèle Joubert                               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me William Sloan                                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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