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Date : 20040224

Dossier : IMM-1271-03

Référence : 2004 CF 275

Toronto (Ontario), le 24 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                         TIBOR LAHOCSINSZKY

ANITA PETO

MARTON LAHOCSINSZKY

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit de Tibor Lahocsinszky, de son épouse Anita Peto, et de leur enfant, Marton, une famille hongroise qui est arrivée au Canada le 30 avril 2001. Quatre jours plus tard, les demandeurs ont déposé une demande d'asile dans laquelle ils alléguaient être persécutés du fait qu'ils étaient victimes d'actes criminels. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande. Elle a conclu que les actions des demandeurs, lorsqu'ils ont déposé des Formulaires de renseignements personnels (FRP) révisés à l'audience visaient « [...] à renforcer leurs demandes d'asile et à induire en erreur la Commission [...] » . La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas produit une preuve crédible établissant que les incidents qu'ils avaient décrits dans les nouveaux FRP étaient réellement survenus. En outre, la Commission a conclu que l'État offre une protection adéquate aux victimes de crimes en Hongrie.

[2]                Les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision de la Commission au motif que cette dernière a commis une erreur en centrant son analyse exclusivement sur la date de présentation des FRP révisés. Selon les demandeurs, la Commission a décidé d'accepter les nouveaux FRP mais par la suite, elle n'a tenu compte ni des explications fournies au sujet du dépôt tardif ni du contenu des FRP. De plus, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur quand elle a pris une décision fondée sur le fait que la protection de l'État était disponible alors que le commissaire-président leur avait bien dit que la seule question en litige était celle de la crédibilité, à cause de la présentation tardive des FRP.

Contexte

[3]                Les demandeurs ont demandé l'asile le 4 mai 2001. Le 10 mai 2002, le désistement des demandes a été prononcé. Toutefois, l'ancien avocat des demandeurs a déposé une demande de réouverture de l'instruction, demande qui a été agréée.

[4]                Le 9 août 2001, l'avocat des demandeurs avait, bien entendu, déjà reçu les copies traduites des FRP des demandeurs. Le même jour, il a écrit à la Commission pour demander que soit prolongé le délai jusqu'au 22 août pour qu'il puisse examiner les documents et s'assurer avaient été remplis. Le prolongation a été accordée et, le 22 août 2001, l'avocat a déposé les FRP originaux des demandeurs à la Commission. Même si l'avocat a prétendu qu'il lui fallait plus de temps pour s'assurer que les formulaires étaient correctement remplis, il n'a vraisemblablement jamais effectué cet examen puisque les formulaires déposés auprès de la Commission ne contenaient pas tous les renseignements demandés. Dans certains cas, aucune réponse n'avait été inscrite et la partie narrative du formulaire du demandeur principal ne contenait que quelques lignes là où ce dernier devait fournir des renseignements généraux sur sa famille. Les expériences que les demandeurs auraient soi-disant vécues et qui en auraient fait des victimes d'actes criminels n'étaient nulle part mentionnées; en fait, le formulaire ne contient aucun renseignement susceptible de donner droit à une demande d'asile.


[5]                Les demandeurs et leur avocat ont expliqué à la Commission que l'interprète dont les services avaient été retenus pour aider les demandeurs était gravement malade et que ses propos étaient quelquefois incohérents lorsqu'il avait traduit les FRP. La maladie de l'interprète a finalement entraîné le décès de ce dernier. En juillet 2002, les demandeurs savaient que leurs FRP contenaient des erreurs et leur avocat les a avisés qu'ils devaient lui remettre des formulaires correctement remplis le plus tôt possible. Les demandeurs n'ont fourni ces renseignements à leur avocat qu'en décembre 2002. Puisque l'avocat attendait toujours d'autres renseignements de la part des demandeurs, il n'a déposé les formulaires à la Commission que le 8 janvier 2003, c'est-à-dire la veille de l'audience. La Commission n'était pas en possession des documents au début de l'audience. Après avoir entendu les observations des demandeurs, y compris les raisons pour lesquelles les documents avaient été déposés tardivement, le président de l'audience a accepté les FRP révisés.

[6]                Les nouveaux FRP relatent les expériences du demandeur principal qui prétend avoir été abordé par plusieurs individus dont un agent de police. Ces personnes lui ont demandé de vendre des drogues illicites. Aux dires du demandeur principal, lui-même ainsi que les membres de sa famille ont fait l'objet de menaces et de sévices corporels quand il a refusé d'acquiescer aux demandes de ces individus. Son fils Marton a été blessé gravement au point de devoir se faire soigner dans un hôpital. Quand Marton a reçu son congé de l'hôpital, la famille s'est enfuie au Canada.

Décision de la Commission


[7]                La décision de la Commission est presque exclusivement fondée sur la crédibilité des demandeurs, particulièrement en ce qui a trait au fait qu'ils n'ont fourni aucun renseignement à l'appui de la soi-disant persécution dont ils auraient été victimes, pendant les quelque vingt mois qui ont suivi leur arrivée au Canada. La Commission a mentionné que les demandeurs étaient représentés par un avocat et qu'ils avaient eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'alléguer la persécution. Les demandeurs n'ont fourni aucun renseignement en rapport avec les allégations de persécution au point d'entrée, ni lorsqu'ils ont présenté leurs demandes d'asile pour la première fois, ni pendant l'audience relative au désistement ou pendant la préparation des premiers FRP. Ayant rejeté l'explication avancée par les demandeurs concernant le dépôt tardif, la Commission a également conclu que les incidents décrits dans les FRP révisés n'étaient pas survenus. Par voie de conséquence, la Commission a conclu qu'elle n'était saisie d'aucune preuve crédible ou digne de foi lui permettant de reconnaître aux demandeurs d'asile la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger. Tel que susmentionné, la Commission a également conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir d'une protection adéquate de l'État en Hongrie.

Questions en litige

[8]                Les demandeurs prétendent que la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve et que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

Analyse


[9]                La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a une expertise bien établie lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait, et notamment d'évaluer la crédibilité des demandeurs d'asile. D'ailleurs, ces décisions sont au coeur même de la compétence de la Commission. En tant que juge des faits, la Commission peut tirer des conclusions raisonnables concernant la crédibilité du récit d'un demandeur en tenant compte des incohérences, du bon sens et de la logique. Ainsi, pour que la Cour rejette une conclusion de fait de la Commission, il faut prouver que la conclusion est manifestement déraisonnable. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[10]            La Commission a rejeté la demande des demandeurs parce qu'elle n'a pas accepté l'explication qu'ils ont fournie du fait qu'ils avaient attendu 20 mois après leur arrivée au Canada avant d'alléguer la persécution. Pour ma part, j'estime que la Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle était saisie. Un examen des motifs de la Commission révèle que cette dernière a bien examiné la preuve des demandeurs concernant la maladie et le décès de leur interprète. Toutefois, la Commission a rejeté cette explication. Il est du ressort de la Commission d'apprécier la preuve et je ne vois aucun motif permettant à la Cour d'intervenir à cet égard.            


[11]            La Commission n'a pas mentionné précisément l'explication donnée par le demandeur principal concernant le fait qu'il n'avait pas allégué la persécution au point d'entrée, mais la Commission est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie jusqu'à preuve du contraire : Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.).

[12]            Je suis convaincue que la Commission a commis une erreur dans son examen de la protection de l'État. La Commission avait dit aux demandeurs que seule la crédibilité ferait l'objet d'un examen à l'audience, plus particulièrement au regard de leur explication du dépôt tardif des nouveaux FRP. Quand, par la suite, elle a fondé sa décision, en partie, sur le fait que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l'État en Hongrie, la Commission a violé les règles de justice naturelle.

[13]            Toutefois, la Cour ne rejettera pas une décision chaque fois qu'il y a manquement à la justice naturelle. Ainsi, elle n'annulera pas une décision si elle est convaincue que le manquement n'a pas influé sur le résultat : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extra-côtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, cité dans Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 172 N.R. 308, au paragraphe 9 (C.A.F.).


[14]            Pour que sa demande soit acceptée, le demandeur d'asile doit établir qu'il a une crainte subjective d'être persécuté dans son pays et que cette crainte est objectivement bien fondée : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La Commission avait conclu que les demandeurs n'avaient produit aucune preuve crédible ou digne de foi que les incidents décrits dans les FRP révisés s'étaient réellement produits. Les demandeurs n'avaient donc pas réussi à respecter le premier volet du critère de l'arrêt Ward. Puisque le critère à deux volets est de nature conjonctive, la conclusion de la Commission relative à la première question entraîne automatiquement le rejet de la demande des demandeurs. Je ne suis donc pas convaincue qu'en fin de compte, la violation des règles de justice naturelle sur la question de la protection de l'État aurait influé sur la décision finale dans la présente affaire.

[15]            Les demandeurs soutiennent également que le dépôt tardif des FRP révisés était attribuable à l'incompétence de leur premier avocat. Certes, l'incompétence d'un avocat peut justifier l'annulation d'une décision. Cependant, il incombe aux demandeurs de démontrer que les résultats de la procédure auraient été différents n'eût été les erreurs professionnelles de l'avocat : Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), cité dans Robles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 520. Bien entendu, l'avocat des demandeurs aurait pu faire preuve de plus de diligence, mais puisqu'une grande partie du retard relatif au dépôt des FRP révisés était attribuable aux demandeurs, je ne suis pas convaincue que l'intervention de la Cour à cet égard soit justifiée.

Certification

[16]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question pour fins de certification et par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                  « A. Mactavish »               

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1271-03

INTITULÉ :                                                    TIBOR LAHOCSINSZKY

ANITA PETO

MARTON LAHOCSINSZKY

c.                                                                                 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Peter Ivanyi                                                       POUR LES DEMANDEURS

Jeremiah Eastman                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova                                                 POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

Date : 20040224

Dossier : IMM-1271-03

ENTRE :

TIBOR LAHOCSINSZKY

ANITA PETO

MARTON LAHOCSINSZKY

                                                                demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            


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