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Date : 20040130

Dossier : IMM-3172-03

Référence : 2004 CF 147

OTTAWA (Ontario), le 30 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                    PARIMALAR SANGARAVELU

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 1er avril 2003, selon laquelle la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


FAITS

[2]                La demanderesse est une Tamoule du Sri Lanka de 37 ans qui est née et qui a grandi à Colombo. Elle prétend craindre d'être persécutée par un policier sri-lankais à cause de ses origines tamoules. En octobre 1995, le policier l'aurait arrêtée au motif qu'elle était soupçonnée d'avoir des liens avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET); elle a été battue, humiliée, soumise à un interrogatoire sévère et détenue pendant trois jours au poste de police de Slave Island. Elle a été libérée à la condition de ne pas déménager et de se rapporter à la police lorsqu'on le lui demanderait.

[3]                Elle a pris des dispositions afin de fuir le Sri Lanka en 1997 lorsqu'un agent de police dont elle avait rejeté les avances a menacé de l'arrêter comme partisane des TLET. Elle prétend avoir été contrainte de verser un pot-de-vin à l'agent pour l'empêcher de mettre sa menace à exécution et que l'agent l'avait avertie de ne pas le dénoncer à ses supérieurs. Elle est venue au Canada parrainée par un certain M. Sellathurai Krishnavasan à qui son frère voulait la marier. Elle est entrée au Canada comme résidente permanente le 19 avril 1997, à condition que le mariage arrangé soit célébré dans les 90 jours de son arrivée. Toutefois, le mariage n'a pas eu lieu parce que M. Krishnavasan vivait déjà avec une autre femme. La demanderesse a ensuite présenté une demande d'asile le 24 juin 2002.

[4]                La Commission a mis en doute la crédibilité de sa demande d'asile et a décidé que la demanderesse tentait tout simplement de contourner le système d'immigration. À la page 4 de ses motifs, la Commission a dit :

La demandeure est arrivée en avril 1997, soit un mois après que son fiancé a commencé à demeurer avec une autre femme. Son frère n'est revenu au Canada qu'en juillet 1997. Le tribunal estime qu'il existe un trop grand nombre de coïncidences et que ce mariage est un leurre visant à permettre à la demandeure d'entrer au Canada, tout en contournant le système d'immigration.

[5]                Quant à l'allégation concernant les menaces de l'agent de police, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas sollicité la protection que lui offrait l'État. Elle a dit, à la page 5 :

Le tribunal estime que le policier avait un comportement criminel et que, si la demandeure l'avait dénoncé à ses supérieurs, il n'aurait probablement pas pu lui faire de mal, car il aurait été puni. La demandeure a déclaré qu'elle ne pouvait obtenir aucune protection de la part des autorités. Le tribunal n'est pas d'accord. La demandeure n'a pas demandé la protection de son pays. Elle ne peut donc obtenir de protection internationale avant d'avoir sollicité celle de son pays.

[6]                La Commission a également conclu que les conditions dans lesquelles vivaient les Tamouls de Colombo s'étaient beaucoup améliorées et que la demanderesse ne risquait pas particulièrement d'être persécutée à cause de son origine ethnique. Il est dit, à la page 6 de la décision :

Le rapport indique aussi que les conditions des Tamouls à Colombo se sont considérablement améliorées. Le tribunal estime qu'étant donné le niveau élevé de sécurité à Colombo, il existe moins qu'une simple possibilité de persécution par les TLET à Colombo. En ce qui a trait à la crainte de la demandeure à l'égard des autorités, le tribunal estime que la demandeure ne court aucun risque d'être particulièrement la cible d'une arrestation et d'une détention. Elle fera l'objet de contrôles, d'arrestations et de courtes détentions, mais la Cour fédérale a statué que de courtes détentions, à des fins de prévention du désordre ou du terrorisme, ne constituent pas de la persécution.

[7]                Puis, aux pages 6 et 7, la Commission a conclu :

Le tribunal compatit avec la demandeure quant à sa préoccupation de réunir sa famille, dont tous les membres ont quitté le Sri Lanka. Toutefois, la réunification de la famille ne fait pas partie du mandat de la Commission. Il incombe à la demandeure d'établir que, selon la prépondérance des probabilités, il existe plus qu'une simple possibilité qu'elle subisse un tort suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution, si elle retournait aujourd'hui au Sri Lanka. De l'avis du tribunal, la demandeure n'a pas respecté cette obligation.

Arguments de la demanderesse

[8]                La demanderesse prétend que la Commission a excédé sa compétence en décidant que son mariage était un leurre. La demanderesse fait valoir que la Commission soulève une crainte raisonnable de partialité en qualifiant son mariage arrangé de leurre. La demanderesse soutient que la Commission n'a pas donné les motifs pour lesquels elle n'a pas reconnu que la protection de l'État n'était pas disponible pour ce qui touche les menaces du policier, et pour lesquels elle a conclu que la demanderesse n'avait pas essayé d'obtenir la protection de l'État avant de fuir.

Arguments du défendeur


[9]                Le défendeur affirme qu'en règle générale, on prend pour acquis qu'une nation est en mesure de protéger ses citoyens et que la preuve de l'incapacité d'un État de le faire dépend de la question de savoir si on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la demanderesse prenne davantage de moyens afin d'être protégée. Enfin, le défendeur fait valoir que le mariage arrangé n'a pas influé sur la conclusion de la Commission concernant l'absence de fondement objectif pour craindre la persécution à Colombo.

ANALYSE

[10]            C'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique aux conclusions de fait de la Commission et, de façon générale, la Cour ne doit pas substituer sa décision à celle de la Commission sauf si la décision de la Commission est manifestement erronée. Voir Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[11]            La Commission a utilisé le terme « leurre » pour décrire le mariage arrangé de la demanderesse. Elle a utilisé ce terme en décidant que la demanderesse avait eu recours au mariage arrangé afin de fuir le Sri Lanka. À mon avis, la question ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité, c'est-à-dire qu'elle n'amène pas une personne bien renseignée ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à croire que, selon toute vraisemblance, le décideur tranchera la question d'une manière inéquitable, que ce soit consciemment ou non. Voir Committee for Justice & Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, et Satiacum c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1985), 25 D.L.R. (4th) 466 (C.A.F.). En l'espèce, la Commission ne pouvait pas ne pas tenir compte des circonstances entourant la venue de la demanderesse au Canada. La Commission ne fait pas preuve de partialité à l'égard de la demanderesse parce qu'elle qualifie le mariage arrangé de la demanderesse de « leurre » puisque, en réalité, ce terme décrit parfaitement le mariage. Il a été démontré que le mariage arrangé n'était pas de bonne foi lorsque la demanderesse a constaté que son fiancé vivait avec une autre femme.

[12]            Quoi qu'il en soit, la question déterminante en l'espèce est de savoir si la demanderesse craignait objectivement, à juste titre, d'être persécutée. À cet égard, la protection de l'État est importante. La demanderesse a fui le Sri Lanka pour échapper à un certain agent de police qui la harcelait sexuellement. Elle ne l'a pas dénoncé aux autorités, c'est-à-dire qu'elle n'a pas sollicité la protection de l'État contre son comportement criminel à son égard.

[13]            Au paragraphe 50 de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le juge La Forest de la Cour suprême du Canada a défini en ces termes la protection de l'État :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. [Non souligné dans l'original.].

[14]            La Commission n'a ni omis de tenir compte de la preuve ni commis une erreur en tirant sa conclusion sur la protection de l'État ou sur le risque objectif de persécution auquel la demanderesse faisait face à Colombo. Selon la preuve que la demanderesse a elle-même déposée, le policier l'avait avertie de ne le dénoncer à ses supérieurs. Il savait donc qu'il serait puni. En outre, selon la preuve, à Colombo, les Tamouls sont en sécurité. Il arrive que les Tamouls de Colombo soient détenus, mais ils ne sont pas persécutés. La demanderesse n'a pas été persécutée. Elle a été la cible d'un comportement criminel de la part d'un agent de police hors-la-loi. La conclusion de fait tirée par la Commission n'est pas manifestement déraisonnable. L'avocat de la demanderesse a savamment soutenu que les Tamoules subissent ce genre de harcèlement sexuel sans qu'elles puissent solliciter l'aide des autorités, mais la Commission a été saisie d'une preuve selon laquelle les autorités punissent ce type de comportement criminel de la part de la police. L'avocat de la demanderesse fait valoir qu'il n'y a poursuite que dans les affaires très médiatisées lorsqu'une femme est violée ou assassinée. Cette distinction ne ressort pas clairement du dossier dont la Cour est saisie et ne peut constituer un motif d'annulation de la décision de la Commission.

[15]            La Cour ne peut conclure que la Commission a agi irrégulièrement ou avec partialité ou qu'elle a tiré des conclusions déraisonnables concernant la protection ou l'absence de fondement objectif à la crainte de persécution des femmes tamoules de Colombo.

[16]            Aucun avocat n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »              

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3172-03

INTITULÉ :                                                    PARIMALAR SANGARAVELU

c.

MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 30 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Manuel Jesudasan                                              POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Manuel Jesudasan                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Scarborough (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040130

                                            Dossier : IMM-3172-03

ENTRE :

PARIMALAR SANGARAVELU

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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