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Date : 20050519

Dossier : T-951-04

Référence : 2005 CF 722

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

WRANGLER APPAREL CORP.

demanderesse

- et -

THE TIMBERLAND COMPANY

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         La demanderesse en l'espèce avait déposé, le 11 août 1995, deux demandes d'enregistrement de marque de commerce, savoir la demande no 751,769 portant sur la marque de commerce TIMBER CREEK BY WRANGLER pour des vêtements de loisirs, et la demande no 789,948 portant sur la même marque à utiliser pour des chaussures, toutes deux fondées sur l'emploi projeté. La défenderesse, The Timberland Company, s'est opposée à ces demandes par voie de déclaration d'opposition en date du 3 septembre 1996. Par décision en date du 5 mars 2004, l'agent d'audition du bureau du registraire des marques de commerce (le registraire) a accueilli la demande d'enregistrement de la marque pour les vêtements, mais refusé l'enregistrement de celle qui se rapporte aux chaussures pour le motif qu'elle crée de la confusion avec la marque de commerce TIMBERLAND de la défenderesse.

[2]         La Cour est saisie en l'espèce de l'appel interjeté de la décision du registraire portant refus d'enregistrement de la marque se rapportant aux chaussures.

Les points litigieux

[3]         Voici les points litigieux soulevés par les parties :

1)       Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable en l'espèce?

2)       Le registraire a-t-il commis une erreur :

a)          en imposant un fardeau de preuve inapproprié à la demanderesse;

b)          en analysant ou disséquant à tort l'utilisation des marques de commerce en question dans son appréciation des faits au regard de l'alinéa 6(5)e) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, modifiée (la Loi); ou

c)          en attachant une importance démesurée au fait que la demanderesse n'a pas encore utilisé la marque de commerce en question pour des chaussures?


Point litigieux no 1 : Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

Y a-t-il des preuves nouvelles?

[4]         Le précédent Molson Breweries c. John Labatt Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, page 196 (C.A.F.), pose pour règle que si le registraire a commis une erreur de droit ou si d'importantes preuves nouvelles sont produites qui auraient influé sur ses conclusions sur les faits ou l'exercice de ses pouvoirs discrétionnaires, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte et la Cour doit tirer sa propre conclusion sur le point de savoir si sa décision est correcte. Autrement, la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. En conséquence, la première question qui se pose est de savoir si l'impressionnante gamme de chaussures TIMBERLINE, y compris des sandales et des baskets, réunie par la demanderesse de diverses sources, constitue une preuve nouvelle.

[5]         La demanderesse soutient que cette « preuve nouvelle » établit qu'en juin 2004, les sandales, souliers et bottes TIMBERLAND continuaient à coexister, sur le marché canadien, avec les sandales, souliers et bottes TIMBERLINE. Cette preuve nouvelle, dit-elle, est importante à deux égards :

_     Elle établit pour la première fois que la marque de commerce TIMBERLINE est utilisée pour toute la gamme de chaussures couvertes par la marque TIMBERLAND, et non pas seulement les bottes;


_     Elle établit cette coexistence en juin 2004, c'est-à -dire moins de trois mois après la date à prendre en considération (5 mars 2004) pour décider si la marque de la demanderesse est enregistrable; les preuves soumises au registraire dataient de près de quatre ans avant la date à prendre en considération, ce qui fait que les preuves nouvelles sont plus à jour.

[6]         La demanderesse soutient que, face à la preuve de la coexistence des marques de commerce TIMBERLAND et TIMBERLINE, utilisées l'une et l'autre pour des bottes, souliers et sandales, le registraire aurait conclu que la marque de commerce TIMBERLAND BY WRANGLER pourrait aussi coexister sans confusion aucune.

[7]         Le premier problème qui se pose pour la demanderesse est la question de savoir s'il s'agit là d'une preuve « nouvelle » . Lorsque des preuves additionnelles sont produites, le critère à observer est « un critère de qualité et non de quantité » (Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA - The Engineered Wood Association (2000), 7 C.P.R. (4th) 239 (C.F. 1re inst.) (CCIP), paragraphes 36 et 37). La preuve nouvelle qui ne fait que compléter ou confirmer des conclusions antérieures ne suffit pas pour écarter la norme de la décision raisonnable simpliciter (CCIP, paragraphes 35, 39; AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd. (2003), 24 C.P.R. (4th) 326 (C.A.F.), paragraphe 12).

[8]         Collectivement, les affidavits déposés en preuve font valoir que les chaussures TIMBERLINE, [traduction] « y compris chaussures de randonnée, bottes et sandales » , étaient en vente dans les magasins Canadian Tire à Ottawa, Calgary, Montréal et Toronto, en mai et juin 2004. En outre, il ressort d'une recherche sur Internet que des chaussures de randonnée TIMBERLINE auraient été en stock dans des magasins Canadian Tire dans d'autres villes.


[9]         À mon avis, cette information ne fait que compléter les preuves produites devant le registraire. Le dossier indique déjà que les chaussures TIMBERLINE, y compris bottes et souliers, étaient en vente dans toutes les régions du Canada en 1997 et 1998. Seules les sandales ntaient pas expressément mentionnées dans le dossier. Cependant il ne s'agit pas là d'une différence qui tire à conséquence. Ce que produit la demanderesse, c'est une preuve « quantitative et non qualitative » qui, de ce fait, ne satisfait pas au critère de la preuve « nouvelle » .

[10]       Une seconde faille dans cette preuve nouvelle tient à ce qu'elle a été produite après les dates pertinentes pour l'analyse de la confusion par le registraire. Vu que la décision de ce dernier est datée du 5 mars 2004 et que les affidavits en question ont été établis sous serment en juin 2004, la preuve « nouvelle » n'aurait pu affecter cette décision. Cette faille a été reconnue par la demanderesse durant les débats.

[11]       Pour résumer, je ne suis pas convaincue que cette preuve « nouvelle » justifie que je tire ma propre conclusion sur le point de savoir si la décision du registraire est correcte. En conséquence, la norme de contrôle judiciaire appropriée en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Qu'entend-on par norme de la décision raisonnable simpliciter?


[12]       Les deux parties citent l'arrêt de la Cour suprême du Canada Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, l'estimant instructif pour ce qui est du concept de décision raisonnable simpliciter. Le juge Iacobucci, prononçant le jugement unanime de la Cour, y examine ce que la norme de la décision raisonnable requiert de la juridiction de contrôle. Il a utilement relevé diverses caractéristiques de la norme et expliqué de quelle façon la juridiction de contrôle doit procéder à une « analyse en profondeur » . Pour notre propos et vu les points soulevés par la demanderesse, je pense que l'observation suivante du juge Iacobucci est la plus instructive :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. (paragraphe 55)

[13]       Il nous avertit que les motifs de la décision contestée doivent être considérés dans leur ensemble et que la juridiction de contrôle ne doit pas s'arrêter à une ou à certaines erreurs ou éléments de la décision qui n'affectent pas celle-ci dans son ensemble (paragraphe 56). Il s'ensuit à mon avis que si certains éléments sont primordiaux ou déterminants pour la décision, le fait qu'ils ne font pas l'objet d'un mode d'analyse raisonnable peut faire que cette décision soit déraisonnable dans son ensemble.

[14]       Qu'est-ce qui fait qu'un mode d'analyse soit déraisonnable? Sans considérer toutes les façons possibles dont un mode d'analyse pourrait être déraisonnable, j'estime que le serait celui qui est fondé sur une mauvaise appréciation des éléments de preuve. De même, si l'autorité décisionnelle ignore des preuves pertinentes ou importantes ou encore applique le mauvais critère juridique pour parvenir à sa décision, il se peut que le mode d'analyse ne soit pas valide. Cependant, quand bien même la juridiction de contrôle pourrait trouver qu'un ou plusieurs éléments de la décision contestée sont déraisonnables, il ne s'ensuit pas que cette décision, prise dans son ensemble, est déraisonnable. Il faut donc examiner l'effet de ces éléments sur la décision pour voir si, malgré les erreurs, celle-ci, prise dans son ensemble, est « défendable » .


[15]       En l'espèce, la demanderesse soutient que certains éléments de la décision contestée ne sont pas raisonnables. En d'autres termes, que trois importants éléments du refus du registraire d'enregistrer la marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les chaussures n'ont fait l'objet d'aucune analyse valide. Je vais examiner ses arguments sur chacun des points soulevés. J'examinerai en tout premier lieu si le registraire a commis une erreur. S'il a commis une erreur à lgard de l'un quelconque de ces éléments, j'examinerai si l'erreur est dirimante pour la décision prise comme un tout.

Point litigieux no 2a) :    Le registraire a-t-il appliquéla mauvaise norme de preuve?

[16]       En cas d'opposition, il incombe au demandeur de prouver qu'il n'y a aucune probabilité de confusion entre la marque à enregistrer et celle de l'opposant. En l'espèce, il incombait à la demanderesse de convaincre le registraire que, selon la prépondérance de la preuve, il n'y avait aucune probabilité de confusion entre sa marque TIMBER CREEK BY WRANGLER et celle de la défenderesse, TIMBERLAND. La demanderesse soutient que le registraire a commis une erreur en appliquant la norme du « doute qui subsiste dans son esprit » , laquelle norme a été rejetée par la Cour d'appel fédérale dans son arrêt Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., [2002] 3 C.F. 405 (C.A.F.).

[17]       Il convient de rappeler à ce propos certains détails de l'affaire. La défenderesse, qui s'opposait aux deux demandes d'enregistrement (pour les vêtements et pour les chaussures), faisait valoir quatre motifs d'opposition devant le registraire.

_     Le premier motif était essentiellement un point de procédure, que le registraire a rejeté sommairement et qui n'est pas un facteur dans la demande de contrôle judiciaire en instance.


_     Le deuxième motif était que les marques à enregistrer créaient de la confusion avec les deux marques de commerce de TIMBERLAND si elles devaient être utilisées pour a) des articles de cuir, et b) des chaussures et des vêtements (alinéa 12 (1)d) de la Loi).

_     Le troisième motif était que, à la date du dépôt des demandes d'enregistrement de la demanderesse, la marque à enregistrer elle-même créait de la confusion avec les deux marques de commerce TIMBERLAND et avec le nom commercial The Timberland Company (paragraphe 16(3) de la Loi).

_     Enfin, la défenderesse s'opposait à l'enregistrement au motif que la marque de commerce de la demanderesse ne distinguerait pas ses marchandises vu l'utilisation au Canada de la marque de commerce et du nom commercial de l'opposante pour les chaussures, vêtements et accessoires.


[18]       Le registraire a commencé l'examen du deuxième motif en énonçant à bon droit la charge de preuve à appliquer et faisant observer que [traduction] « la loi fait obligation à la demanderesse de démontrer qu'il n'y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques en cause » . Il indique aussi que sa tâche consiste à appliquer le critère de la confusion entre les deux marques, tel qu'il est prévu au paragraphe 6(2) de la Loi, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont expressément prévues au paragraphe 6(5). (Le texte de ces dispositions forme l'annexe A des présents motifs). Il procède ensuite à l'appréciation des preuves produites et tire une série de conclusions spécifiques sur chacun des points litigieux. Dans ce contexte, son analyse porte sur l'une et l'autre demandes d'enregistrement, c'est-à -dire pour les vêtements comme pour les chaussures, tout en relevant certaines différences entre les deux. Par exemple, il note que la marque de la demanderesse n'a jamais été utilisée au Canada pour les chaussures.

[19]       À la suite de ces constatations, il a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Il résulte de ces constatations que la marque de l'opposante est devenue connue pour des vêtements comme pour des chaussures, que les marchandises des deux parties sont semblables et que les marques respectives présentent un degré assez élevé de ressemblance. Malgré l'utilisation par la tierce partie des marques TIMBER BAY pour les vêtements et TIMBERLINE pour les chaussures, je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que la demanderesse ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombe de prouver que les marques en cause ne créent aucune confusion. En d'autres termes, je conclus que j'ai encore un doute sur cette question (c'est-à -dire que les probabilités sont les mêmes dans un sens ou dans l'autre) et je dois résoudre ce doute en prononçant contre la demanderesse. Ainsi donc, le deuxième motif d'opposition visant la demande no 789,948 est fondé. [Non souligné dans l'original.]

[20]       En d'autres termes, il conclut que la demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombe quant à l'usage de la marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les chaussures.

[21]       Passant au troisième motif d'opposition, le registraire conclut que la demanderesse s'est acquittée de l'obligation qui lui incombe de prouver qu'il n'y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre la marque de l'opposante et sa marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les vêtements. Cependant, pour ce qui est de son utilisation pour les chaussures, il a conclu en ces termes :

[TRADUCTION] Pour les mêmes raisons que celles que nous avons relevées au sujet du deuxième motif d'opposition, je conclus que la demanderesse ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombe de prouver qu'il n'y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre la marque et le nom de l'opposante, d'une part, et sa propre marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les chaussures. Pour les motifs susmentionnés, je dois conclure que les probabilités de confusion ne font pencher la balance ni d'un côténi de l'autre. Puisqu'il en est ainsi, je dois résoudre l'incertitude en prononçant contre la demanderesse. Ainsi, le troisième motif d'opposition visant la demande no 789,948 [chaussures] est fondé. [Non souligné dans l'original.]


[22]       Enfin, le registraire a examiné le quatrième motif d'opposition pour conclure comme suit :

[TRADUCTION] Le quatrième motif d'opposition à chaque demande est essentiellement la question de la confusion à la date du dépôt de l'avis d'opposition. Pour les motifs exposés à lgard des deuxième et troisième chefs d'opposition, je conclus que la marque de commerce TIMBER CREEK BY WRANGLER de la demanderesse pour les vêtements ne crée aucune confusion avec la marque de commerce et le nom commercial de l'opposante. Le quatrième motif d'opposition à la demande no 751,769 est donc rejeté. Par contre, je conclus que la demanderesse ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombe de prouver que sa marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les chaussures ne crée aucune confusion avec la marque de commerce et le nom commercial de l'opposante. Le quatrième motif d'opposition à la demande no 789,948 est donc fondé. [Non soulignédans l'original.]

[23]       Dans sa décision, le registraire fait observer à bon droit que la demanderesse doit s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de prouver que sa marque ne crée aucune confusion, et ce à quatre reprises, avant qu'il ne commence l'analyse et après qu'il a examiné chacun des trois motifs d'opposition. Par deux fois, il a ajouté à cette observation des termes qui, de l'avis de la demanderesse, indiquent que son mode d'analyse repose sur un mauvais critère. Dans l'examen du deuxième motif, le registraire énonce d'abord le critère approprié puis ajoute :

[TRADUCTION] En d'autres termes, je conclus que j'ai encore un doute sur cette question (c'est-à -dire que les probabilités sont les mêmes dans un sens ou dans l'autre) et je dois résoudre ce doute en prononçant contre la demanderesse.

[24]       De même, au sujet du troisième motif d'opposition, il conclut que la demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait parce que « les probabilités de confusion ne font pencher la balance ni d'un côté ni de l'autre » .

[25]       La demanderesse soutient que ces propos démontrent que le registraire lui a imposé un fardeau plus lourd que celui qui est de rigueur face à une opposition. Elle invoque l'arrêt Dior, précité, au paragraphe 10, où la Cour d'appel fédérale s'est prononcée en ces termes :


À mon avis, le registraire a commis une erreur en appliquant la norme du « doute qui persiste dans mon esprit » , imposant ainsi au requérant un fardeau plus lourd que celui qui est applicable en matière civile.

[26]       Il appert que dans ce passage, la Cour assimilait la norme du « doute qui persiste dans mon esprit » à celle qui pose que le demandeur doit prouver hors de tout doute raisonnable qu'il n'y a aucune confusion. Si pareille norme était appliquée par le registraire, j'aurais été obligée de conclure qu'il y avait erreur susceptible de contrôle judiciaire. La norme appropriée en l'espèce est la prépondérance de la preuve.

[27]       Cependant, avant de sauter à la conclusion que le registraire a appliqué la mauvaise charge de preuve, il convient de pousser un peu plus loin la lecture de l'arrêt Dion. Au paragraphe 13, la Cour a pris acte de la description du fardeau de preuve en matière civile, qu'avait faite lord Denning dans Miller v. Minister of Pension, [1947] 2 All E.R. 372, page 374 (K.B.) :

Il suppose un degré raisonnable de probabilité, mais pas un degréde probabilité aussi élevé que celui qui est exigé en matière pénale. Si la preuve est telle qu'elle permet au tribunal de dire : « Nous estimons que cela est plus probable qu'improbable » , le fardeau est déchargé, mais si les probabilités sont égales, le fardeau n'est pas déchargé. [Non souligné dans l'original.]

[28]       Plus loin, au paragraphe 15, la Cour a conclu en ces termes :

Dans le meilleur des scénarios, ce n'est que lorsque les probabilités sont égales qu'on peut dire qu'il existe une sorte de doute, lequel doit être résolu en faveur de l'opposant.


[29]       L'observation de lord Denning et cette dernière conclusion de la Cour sont tout à fait logiques. L'adoption de la norme de la prépondérance de la preuve impose de mettre dans la balance les éléments de preuve produits ou de tirer une série de conclusions. Lorsque la charge de la preuve incombe à une partie, il faut que cette appréciation comparative des éléments de preuve ait pour résultat de faire pencher la balance du côté de la partie qui doit s'acquitter de cette charge. En l'espèce, pour ce qui est de l'usage de la marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les vêtements, la balance penche du côté de la demanderesse et le registraire conclut que les marques de cette dernière ne créent pas de la confusion avec les marques de commerce et le nom commercial de la défenderesse.

[30]       Cependant, si la balance penche du côté de l'opposant ou reste en parfait équilibre, la partie qui est tenue à la charge de la preuve ne se sera pas acquittée de cette charge. Si le registraire, après avoir attentivement analysé chaque facteur, conclut que les probabilités sont égales de part et d'autre, c'est la demanderesse qui perd. C'est ce qui s'est produit en l'espèce quant à l'usage de la marque pour les chaussures.

[31]       Sous cet éclairage, il appert que le registraire, lorsqu'il a prononcé les termes dont s'inquiète la demanderesse, n'appliquait pas le critère plus rigoureux du « doute qui persiste dans mon esprit » mais ne faisait que décrire correctement son état d'esprit au moment où, après avoir examiné tous les éléments de preuve produits, il conclut que les probabilités étaient égales de part et d'autre. Je suis convaincue qu'il a appliqué le critère approprié tout au long de son analyse. En conséquence, je juge raisonnable le mode d'analyse qu'il a adopté pour conclure que la demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait.


Point litigieux no 2b)     Le registraire a-t-il commis une erreur par une mauvaise analyse de l'usage des marques de commerce en question au regard de l'alinéa 6(5)e) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, modifiée (la Loi)?

[32]       En page 13 de sa décision, le registraire a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Pour ce qui est de l'alinéa 6(5)e) de la Loi, il y a, à tous les égards, une assez forte ressemblance entre les marques en question. L'une et l'autre commencent par le mot TIMBER et l'une et l'autre ont une connotation sylvestre. Bien que celle de la demanderesse soit suivie des mots BY WRANGLER, il ressort de son propre témoignage qu'elle minimise souvent cette partie de la marque mais met l'accent sur les deux premiers éléments, savoir TIMBER CREEK.

[33]       Selon la demanderesse, il ressort du passage ci-dessus que le registraire a disséqué sa marque et examiné de quelle façon celle-ci était utilisée. Elle soutient que pour examiner si une marque est enregistrable, il doit seulement l'examiner telle qu'elle doit être enregistrée et ne peut se demander de quelle façon elle sera utilisée dans le commerce (Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 3, page 11 (C.A.F.)). En d'autres termes, elle soutient que pareil facteur pourrait compter dans une action en commercialisation trompeuse, mais que le registraire ne devrait y attacher aucune importance pour juger s'il y a confusion.


[34]       Je ne vois aucune erreur dans la conclusion du registraire. S'il ne faut pas disséquer une marque de commerce par un examen au microscope, on peut en examiner les caractéristiques individuelles aux fins de comparaison (United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247, paragraphe 34 (C.A.F.). La première partie d'une marque est particulièrement importante et est souvent examinée à part (Conde Nast Publications Inc. c. Union des Editions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, page 188 (C.F. 1re inst.)). Le registraire peut aussi examiner comment les marques sont présentées au public (Pink Panther, paragraphe 37). En l'espèce, il note que dans la présentation de la marque, la demanderesse minimise souvent les mots BY WRANGLER. À la lumière de la jurisprudence citée ci-dessus, je trouve entièrement acceptable cet examen de la marque de la demanderesse.

[35]       Comme noté précédemment, la demanderesse se fonde sur l'arrêt Mr. Submarine pour faire valoir que la façon dont la marque sera utilisée ne doit pas être prise en compte dans l'analyse sur le risque de confusion. En l'espèce cependant, le registraire a examiné non seulement les éléments des mots, mais encore la façon dont la marque paraîtrait sur les boîtes et les cartes, et quelles couleurs seraient utilisées à l'arrière-plan. À mon avis, pareille analyse est bien différente d'une analyse de la façon dont les mots composant la marque paraîtraient. Le registraire eût-il pris en compte des preuves montrant que la marque de la demanderesse devait figurer sur le talon des bottes et celle de la défenderesse, sur la languette, nous aurions une situation semblable à celle dont était saisie la Cour dans Mr. Submarine, à savoir qu'il y aurait probablement eu erreur. Cependant la prise en considération des éléments des marques en cause en l'espèce est identique à l'appréciation approuvée dans Pink Panther.

[36]       En l'espèce, le registraire n'a pas entrepris une analyse au microscope des éléments des marques en cause; son mode d'analyse était raisonnable et sa conclusion, fondée sur les preuves. Il n'y a eu aucune erreur.

Point litigieux no 2c) : Le registraire a-t-il commis une erreur en attachant trop d'importance au fait que la demanderesse n'a pas encore utilisésa marque de commerce pour les chaussures?


[37]       Le registraire a conclu qu'il n'y a aucune probabilité de confusion entre les marques respectives de la demanderesse et de la défenderesse pour les vêtements. Il a tiré la conclusion contraire pour ce qui est des chaussures.

[38]       La demanderesse soutient que le registraire a attaché trop d'importance au fait qu'elle n'a pas encore utilisé sa marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour les chaussures.

[39]       Je note en premier lieu que celui-ci n'a pas interprété à tort les éléments de preuve produits sur ce point. Ceux-ci montrent que la demanderesse n'avait pas utilisé la marque au Canada pour les chaussures. Je note aussi que, de l'avis du registraire, il faut ajouter le fait que la marque TIMBERLAND était mieux connue pour les chaussures que pour les vêtements. Ce qui signifie que le défaut par la demanderesse d'utiliser sa marque pour les chaussures ntait pas le seul motif exposé par le registraire pour sa décision.

[40]       Cet argument sur la façon dont le registraire a apprécié les éléments de preuve n'est pas fondé. S'agissant de l'application de la norme de la décision raisonnable, il n'appartient pas à la Cour dvaluer à nouveau les preuves ou de substituer sa conclusion à celle de l'autorité administrative. Le registraire a conclu que le défaut par la demanderesse dtablir sa marque dans le commerce était une preuve cruciale. Je ne suis pas disposée à intervenir pour tirer la conclusion contraire.

Conclusion

[41]       En conclusion, je ne suis pas convaincue que le registraire ait commis une erreur. Pris dans leur ensemble, ses motifs de décision sont défendables. L'appel sera rejeté.


[42]       À la conclusion de l'audition de cet appel, j'ai demandé aux parties si elles souhaitaient présenter leurs conclusions quant aux dépens. Elles ne le souhaitaient pas. En conséquence, la défenderesse aura droit aux dépens, à taxer conformément à la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       L'appel est rejeté.                                                         

2.       Les dépens sont adjugés à la défenderesse, à taxer conformément à la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

« Judith A. Snider »

           Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                    ANNEXE A

Loi sur les marques de commerce,

L.R., ch. T-10 (la "Loi")

Art. 6(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

Y

Art. 6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Trade-marks Act, R.S., c. T-10 (the "Act")

s. 6(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

Y

s. 6(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-951-04

INTITULÉ:                                                     WRANGLER APPAREL CORP. c.

TIMBERLAND COMPANY

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           11 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                    MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                  19 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Diane E. Cornish                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Pibus                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt LLP                                              POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson LLP                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)

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