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Date : 20050216

Dossier : IMM-10520-03

Référence : 2005 CF 255

Toronto (Ontario), le 16 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                            BENEDICTA EFOLE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Mlle Efole est une Nigériane de 39 ans qui prétend avoir une crainte fondée d'être persécutée parce qu'elle a été forcée de se marier contre son gré et qu'elle a ensuite fait l'objet d'abus psychologiques, physiques et sexuels. Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le 8 décembre 2003, par laquelle elle a rejeté la revendication de Mlle Efole et déclaré qu'elle était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[2]         La seule question dont je suis saisi est de savoir si les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables. Je ne peux en arriver à cette conclusion et, par conséquent, je vais rejeter la demande.

[3]         Quand la demanderesse est arrivée pour la première fois à l'aéroport international Pearson le 11 mars 2003, munie d'un faux visa, elle a d'abord déclaré qu'elle entrait au Canada à titre de visiteur. Quand on lui a demandé d'autres renseignements au point d'entrée, elle a indiqué qu'elle venait y chercher un emploi afin de mieux subvenir aux besoins de ses enfants, ainsi qu'à ceux de sa mère et de ses frères et soeurs. Après que l'admission lui eut été refusée à titre de visiteur, elle a revendiqué le statut de réfugié. Elle a déclaré que ses enfants souffraient parce que le gouvernement nigérian ne l'autorisait pas à trouver un bon emploi. Elle a déclaré qu'elle n'était pas en mesure d'offrir à ses enfants une bonne éducation et a demandé à demeurer au Canada pendant un an, pour y travailler et y gagner de l'argent pour sa famille. Aucune mention n'a été faite de son époux.


[4]         Dans son exposé des faits figurant dans le formulaire de renseignements personnels (FRP), déposé le 31 mars 2003, Mlle Efole a déclaré qu'elle avait été forcée de vivre en union de fait contre sa volonté et qu'elle avait ensuite été abusée par son mari, qui est un chef puissant du nom de Michael Odiase. Elle prétend qu'elle s'est opposée à l'arrangement parce qu'elle est chrétienne et qu'il ne l'est pas, et parce qu'il avait plus de 40 ans à l'époque. Toutefois, ses oncles l'ont forcée à accepter cette union.

[5]         Mlle Efole prétend qu'elle était virtuellement prisonnière quand elle vivait avec le chef et qu'elle était agressée physiquement, sexuellement et psychologiquement. Après qu'elle eut commencée à vivre avec lui, elle a découvert qu'il avait déjà six femmes et que l'une d'entre elles l'avait divorcé à cause de son comportement violent. Elle allègue qu'elle a essayé d'échapper à l'emprise du chef, mais que chaque fois ses gardes du corps l'ont traquée et l'ont ramenée. Si elle retourne au Nigéria, elle craint d'être tuée par son mari.

[6]         La Commission n'a pas cru le récit de Mlle Efole. Elle a conclu que les affirmations de celle-ci - c'est-à-dire le fait qu'elle a été victime de violence conjugale dans le contexte d'une longue union de fait et qui est invoquée comme raison principale pour demander l'asile - n'étaient pas crédibles.

[7]         Comme son avocat l'a reconnu d'emblée, le témoignage de Mlle Efole à l'audience a été vague et elle était confuse au sujet de certains événements, de certaines dates et de certains lieux. L'avocat prétend que cela est attribuable à un manque d'éducation. Mais Mlle Efole a terminé ses études secondaires et a fait un an d'études postsecondaires. L'anglais est sa langue maternelle. La Commission la décrit comme une femme intelligente.


[8]         La demanderesse a raconté dans son témoignage qu'elle a essayé de quitter le chef Odiase à plusieurs reprises : en 1989 - pendant six mois - chez sa mère et ensuite chez un ami; de 1990 à 1992 à Lagos; de 1995 à 1999 à Lagos encore; et de 2001 à 2002. La dernière tentative a eu lieu en janvier 2003 à Warri, puis au Canada en mars 2003. La Commission a jugé que son témoignage au sujet de ses événements était [traduction] « vague, incohérent et peu crédible » .

[9]         La Commission s'est demandée pourquoi, alors que Mlle Efole déclare qu'elle était virtuellement prisonnière, elle a pu quitter son mari pour de longues périodes et qu'elle a pu poursuivre ses études secondaires et postsecondaires. En outre, aucune preuve documentaire n'a été déposée pour étayer l'aspect de la revendication de la demanderesse concernant son mariage et la naissance de ses enfants. La demanderesse n'a pas non plus fourni d'explication au sujet de l'absence de documents, à l'exception du fait qu'elle dit n'avoir pas songé à les obtenir. La Commission n'a pas accepté son explication quant à savoir pourquoi elle n'avait pas dévoilé le motif de sa fuite Au Canada, c'est-à-dire qu'elle avait honte.

[10]       La demanderesse prétend que, bien que la Commission ait le droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité, quand elle évalue des conclusions négatives relatives à la crédibilité basées sur des inférences tirées de la preuve, la Cour est dans la même position que la Commission et peut annuler la décision de cette dernière si les conclusions sont déraisonnables : Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).


[11]       Pour ce qui est de son omission de déclarer le fondement de sa revendication aux agents au point d'entrée, Mlle Efole soutient que la Commission n'a pas tenu compte des Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, quand elle a évalué la raison pour laquelle elle n'avait pas dévoilé les véritables motifs de sa revendication aux agents de la CIC. La Commission a commis une erreur en évaluant son explication au regard des valeurs canadiennes, plutôt qu'en se fondant sur les stigmates et les préjudices nigérians à l'égard des victimes de violence familiale, qui sont répertoriés dans les documents décrivant la situation dans le pays : Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] A.C.F. no 584; Direction de la recherche de la CISR, Nigéria : protection offerte par l'État (2003), RIR NGA33078.E.

[12]       Le défendeur soutient qu'il était raisonnablement loisible à la Commission d'évaluer la crédibilité comme elle l'a fait, à la lumière du dossier, et que la Cour ne devrait pas modifier ses conclusions : Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81 (C.F.P.I.). Si la conclusion de la Commission est raisonnable, elle doit être maintenue : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)


[13]       La seule explication fournie par la demanderesse concernant le fait qu'il y a une différence entre son récit au point d'entrée et son témoignage à l'audience était qu'elle avait honte, même si elle a admis qu'elle avait toujours eu l'intention de revendiquer le statut de réfugié au Canada. Le défendeur prétend que la Commission était justifiée d'avoir des doutes au sujet de cette explication. La Commission a pondéré son explication au regard du fait que la demanderesse a eu de l'aide pour venir au Canada et elle a fondé sa conclusion sur l'ensemble de la preuve. L'incohérence s'attaque au coeur de la revendication : Parnian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 96 F.T.R. 142 (C.F.P.I.); Karikari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 169 N.R. 131 (C.A.F.).

[14]       La demanderesse prétend également que la Commission n'a pas accordé suffisamment de poids à deux rapports médicaux qui ont été déposés à l'appui de sa revendication. Le premier rapport est une brève déclaration d'un médecin décrivant des marques et des cicatrices sur le corps de Mlle Efole qui seraient compatibles avec les abus qu'elle a décrits. La Commission a noté que les renseignements concernant la source des blessures ont été fournis par la demanderesse et elle a conclu que ces blessures étaient également compatibles avec d'autres situations et n'appuyaient pas son récit. Le deuxième rapport provient d'un psychologue, le Dr Pilowsky, qui est d'avis que Mlle Efole souffre de symptômes de stress post-traumatique et de dépression. La Commission n'a pas contesté ces conclusions, mais elle a jugé que le rapport était de peu de valeur pour évaluer la revendication de la demanderesse.


[15]       Le défendeur soutient que l'évaluation qu'a faite la Commission de la preuve médicale était raisonnable et conforme au droit. Elle n'a pas cru les faits sous-jacents sur lesquels les rapports étaient fondés : Rokni c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] A.C.F. no 182 (C.F.P.I.)

[16]       Il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions prises par la Commission sur la base de conclusions relatives à la crédibilité : Aguebor, précité. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. À moins qu'il ne soit démontré que les inférences et les conclusions de la Commission sont si manifestement déraisonnables qu'elles ne pouvaient pas être prises, ou que la Commission semble les avoir prises de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, la présente Cour ne doit pas intervenir, qu'elle soit ou non d'accord avec ces inférences : Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 106 et Aguebor, précité.


[17]       La Commission a tiré plusieurs inférences et conclusions au sujet des invraisemblances qui sont contestables. Par exemple, la Commission a estimé qu'il était invraisemblable que la demanderesse ait continué ses études secondaires alors qu'elle était enceinte de huit mois. Le défendeur concède que cela n'est pas du tout improbable. En outre, la Commission a trouvé difficile d'accepter que les gardes du corps avaient ramené la demanderesse chez son mari en autobus plutôt qu'en voiture. On n'indique pas comment cela est invraisemblable. Toutefois, aucune de ces conclusions n'était au coeur de la décision de la Commission et, à mon avis, elles n'ont pas eu d'effet important sur le résultat. Aucune des conclusions relatives aux invraisemblances tirées par la Commission ne sont déraisonnables au point de constituer une erreur susceptible de contrôle.

[18]       Dans l'ensemble, il était loisible à la Commission d'en venir à ces conclusions à partir de la preuve et je suis incapable de conclure que la décision à laquelle elle est parvenue, - c'est-à-dire que le récit de la demanderesse n'était tout simplement pas crédible - était manifestement déraisonnable.

[19]       J'ai été troublé par l'absence, dans les motifs de la Commission, de toute référence explicite aux Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. Dans la décision T.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 255 F.T.R. 152 (C.F.P.I.), c'était là l'un des facteurs qui m'ont amené à conclure que la demande devait être accueillie. Toutefois, comme le fait remarquer le défendeur, une mention dans les motifs indiquant que les directives ont été examinées n'est rien de plus qu'une question de forme.


[20]       Après un examen attentif des motifs de la Commission et de la transcription de l'audience en l'espèce, je suis convaincu que la Commission était sensible aux différences interculturelles et aux questions de violence conjugale et qu'elle en a tenu compte dans l'évaluation de la revendication de la demanderesse. La difficulté au sujet de la présentation de la revendication de la demanderesse découle non pas des symptômes associés au syndrome des femmes battues ou de leur gêne à dévoiler les détails des abus sexuels ou physiques qu'elle a subis, mais plutôt de son incapacité à expliquer avec un semblant de vérité les événements importants de sa vie.

[21]       Aucune question grave de portée générale n'a été proposée et aucune ne sera donc certifiée.

ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés en date du 8 décembre 2003 soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »           

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-10520-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         EFOLE BENEDICTA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Loftus Cuddy                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Mary Matthews                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler & Associates                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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