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Date : 20021120

Dossier : T-1619-01

Référence neutre : 2002 CFPI 2012

ENTRE :

FRANCIS WAHSATNOW

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le

MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]                La présente action a été introduite sous forme d'une espèce de recours collectif. Toutefois, pour diverses raisons, dont le fait qu'en tant que profane, il pouvait agir pour son propre compte mais non comme représentant d'un groupe, M. Wahsatnow a modifié l'intitulé de la cause. On se retrouvait ainsi avec une demande de réparation personnelle ainsi qu'il est précisé dans l'arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, à la page 557.


[2]                Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire par suite de la perte de la réserve Wahsatnow ou Muskegwatic no 126 qui est survenue lorsque les membres de la bande de Wahsatnow ou de Muskegwatic ont été transférés sur la réserve de Muskegwatic no 125A, sur des terres semblables situées sur le territoire de la réserve de Saddle Lake. La date du déplacement de la bande de Muskegwatic au secteur de Saddle Lake est incertaine. À un moment donné, le demandeur explique que la bande de Muskegwatic no 126 est dirigée par des étrangers depuis le 15 juillet 1897 :

[TRADUCTION]

7e)            La bande de Muskegwatic no 126 est dirigée par des étrangers depuis le 15 juillet 1897 par suite d'une décision inconstitutionnelle qui l'a forcée à se charger de bon nombre des changements ayant une incidence sur les droits issus de traités auxquels ont souscrit les chefs Bear Ears, Lasting, As Long As The Sun Shines and the Rivers Flow, de sorte que, présentement, la bande indienne de Muskegwatic no 126 n'est pas soumise aux traités indiens.

Ailleurs dans la déclaration, on parle du 8 juillet 1904, date à laquelle ce qui constituait alors la réserve de Muskegwatic avant le déplacement de la bande de Muskegwatic à Saddle Lake, est devenue terre publique. Les auteurs de l'ouvrage The History of Waskatenau and Districts, qui a été produit en réponse à une demande de précisions et sur lequel je reviendrai sous peu, fixe la date de l'acte juridique constatant la fusion des bandes et l'attribution des terres de Saddle Lake à 1900, tout en faisant remonter à 1891 le début de la réinstallation à Saddle Lake.


[3]                Les cartes géographiques actuelles mentionnent la ville de Waskatenau. Bien que la réserve de Wahsatnow, de Muskegwatic ou de Bear Ears ne figure pas sur les cartes récentes, elle est probablement située dans la région de Waskatenau, car dans sa réponse à la demande de précisions, le demandeur cite The History of Waskatenau and Districts. Si l'on en juge d'après l'emplacement actuel de Waskatenau, la réserve de Wahsatnow ou de Muskegwatic no 126 était située à une cinquantaine de milles au nord-est d'Edmonton, sur la rivière Saskatchewan Nord.

[4]                Le déplacement des membres de la bande du demandeur vers la nouvelle réserve, qui constitue une sorte de fusion, s'expliquerait par les violences continuelles dont les Muskegwatic auraient été victimes de la part des membres de la réserve de Saddle Lake.

[5]                La défenderesse invoque deux moyens au soutien de sa requête en radiation de la déclaration. En premier lieu, elle affirme que la réparation sollicitée par le demandeur est fondée sur des droits ancestraux, qui sont des droits collectifs qui ne donnent pas ouverture à une action de la part d'un simple particulier, et que M. Wahsatnow, qui n'a pas qualité pour solliciter une réparation à titre personnel, n'a pas de droit d'action. La défenderesse ajoute que la déclaration ne contient pas un exposé concis des faits essentiels et que, comme M. Wahsatnow contrevient ainsi à l'article 174 des Règles, la déclaration devrait être radiée pour abus de procédure.

[6]                L'instruction de la requête en radiation de la déclaration était initialement prévue pour le 22 août 2002, mais elle a été ajournée à la demande du demandeur. La requête a par la suite été instruite le 22 octobre 2002. Le demandeur a de nouveau réclamé un ajournement, qui lui a été refusé, avec permission cependant de soumettre des observations par écrit. La suite des événements, qui s'est soldée par l'autorisation accordée au demandeur de présenter ses observations par écrit, est exposée de la façon suivante dans une directive du 22 octobre 2002 :


[TRADUCTION]

La présente requête, qui a été déposée le 3 juillet 2002, devait initialement être instruite le 22 août 2002. À la suite de l'ouverture de l'audience, j'ai ajourné l'audience pour permettre au demandeur de faire le nécessaire pour se trouver un interprète.

Cette requête ajournée devait être instruite ce matin. Le demandeur n'avait pas déposé et signifié le dossier de requête obligatoire prévu à l'article 365 des Règles et qui, aux termes de mon ordonnance du 22 août 2002, devait être déposé et signifié au plus tard le 27 septembre 2002.

Ce matin, le demandeur a de nouveau réclamé l'ajournement de la requête. Le demandeur a expliqué que son interprète, qui avait vraisemblablement étudié la requête et y avait consacré du temps, n'était pas en mesure de se présenter devant le tribunal aujourd'hui. J'ai expliqué au demandeur non seulement qu'une requête aussi simple [sic] que celle-ci ne pouvait être ajournée à volonté, mais aussi que je n'étais pas intéressé à connaître les vues personnelles de l'interprète sur les traités, l'histoire ou la requête. J'ai souligné que l'interprète jouait un rôle purement technique, car son travail consiste à traduire d'une langue à l'autre les propos d'un interlocuteur sans retrancher ou ajouter quoi que ce soit à ce qui est dit. Un interprète ne peut se porter à la défense de quelqu'un.

Pour permettre l'instruction de la requête, j'ai demandé à l'avocat de la défenderesse de formuler les observations de la défenderesse en des termes simples, ce qu'il a fait. L'avocat a cité des extraits de l'argumentation de la défenderesse, ainsi qu'il est précisé dans le dossier de requête de la défenderesse, sur lequel la défenderesse s'est fondée. J'ai ensuite signalé au demandeur les points essentiels dont il devait traiter pour répondre à la requête de la défenderesse. Le demandeur n'était pas prêt à commencer aujourd'hui.

Il n'y aura plus d'audition en ce qui concerne la présente requête. Le demandeur doit présenter par écrit tout argument pour contester la requête en radiation de la déclaration. Le demandeur devra déposer et signifier ses observations écrites ainsi que tout affidavit au plus tard à la fermeture du greffe le 5 novembre 2002.

La défenderesse doit déposer et signifier par écrit sa réponse aux observations écrites du demandeur au plus tard à la fermeture du greffe le 19 novembre 2002.

Pour le cas où le demandeur ne déposerait et ne signifierait pas d'observations écrites, je vais examiner attentivement les éléments soumis par la défenderesse, les arguments que l'avocat de la défenderesse a plaidés oralement, ainsi que la déclaration, et je vais rendre ma décision sur ce seul fondement.


[7]                J'ai décidé d'autoriser le demandeur à répondre par écrit à la requête en radiation de la défenderesse pour plusieurs raisons. Premièrement, M. Wahsatnow n'a pas déposé d'observations écrites en réponse à la requête de Sa Majesté, peut-être parce qu'il ne comprenait pas la procédure invoquée par Sa Majesté. Deuxièmement, même si M. Wahsatnow était accompagné d'un ami qui l'aidait pour l'interprétation et qui confirmait ce que M. Wahsatnow savait qui se passait, M. Wahsatnow n'était pas prêt à formuler des observations oralement à ce moment-là. Troisièmement, avant et après les observations de Sa Majesté, j'ai attiré l'attention de M. Wahsatnow sur l'aspect procédural de la requête, par opposition au fond de son action et je lui ai expliqué les points qu'il devait aborder. Il convenait donc qu'il ait la possibilité de répondre aux observations de Sa Majesté. Finalement, bien qu'il agisse pour son propre compte, M. Wahsatnow ne semblait pas au courant de la procédure invoquée par Sa Majesté au sujet de sa requête et il était donc juste de lui accorder du temps pour réfléchir sur les observations de Sa Majesté, sur la jurisprudence et sur sa plaidoirie orale, en vue d'obtenir de l'aide pour donner une réponse réfléchie. Pour aider le demandeur à formuler une réponse réfléchie, j'ai demandé à l'avocat de Sa Majesté de formuler sa plaidoirie d'une façon simple et directe, ce que l'avocat a fait d'une manière admirable.

[8]                Dans sa réponse écrite aux observations de Sa Majesté, M. Wahsatnow me demande de me récuser en raison de mon manque d'intérêt au sujet des traités et de l'histoire. Le demandeur poursuit sa réponse en parlant de l'atteinte à ses droits et du traitement cruel dont il se dit victime, en affirmant [TRADUCTION] « être privé de sa liberté et de son droit à la protection et au bénéfice de la loi » . Dans sa réponse, M. Wahsatnow n'aborde pas concrètement les observations écrites et le plaidoyer de la défenderesse. Il se contente d'écarter du revers de la main la requête de la défenderesse dans les deux derniers paragraphes de son mémoire :


[TRADUCTION]

5)              Le demandeur estime que les allégations et le dossier de requête de la défenderesse ne sont que des interprétations faites après coup, qu'ils sont tous circonstanciels et dénués de pertinence.

6)              Le demandeur se fonde sur toutes les dispositions reconnues par la Proclamation royale du 7 octobre 1763 ainsi que sur tout autre document dont la Cour jugera bon de tenir compte.

Vu l'absence de réponse utile, j'ai traité la présente requête comme j'avais dit que je le ferais dans le dernier paragraphe de mes directives, c'est-à-dire en examinant attentivement les éléments soumis par la défenderesse, les arguments formulés par l'avocat de la défenderesse et la déclaration, que j'ai interprétés à la lumière des éclaircissements apportés par M. Wahsatnow.

ANALYSE

[9]                Si j'ai bien compris, la déclaration commence par l'assertion que la bande de Wahsatnow, auparavant appelée bande de Muskegwatic, qui était dirigée par le chef Bear Ears, occupait la réserve Muskegwatic no 126, qui a été arpentée en 1886 et qui était vraisemblablement connue sous le nom de réserve de Wahsatnow ou de réserve de Bear Ears. Cette réserve était située sur la rivière Saskatchewan Nord à une quinzaine de milles au nord de ce qui s'appelait alors Fort Victoria, en direction d'Edmonton. Il semble qu'à un moment donné, peut-être au cours de la période comprise entre 1891 et 1896, la bande de Muskegwatic a été déplacée vers la réserve de Saddle Lake, qui se trouve en direction est-nord-est d'Edmonton, à une centaine de milles en aval de la rivière Saskatchewan Nord. Cette fusion, qui s'est produite à la réserve de Saddle Lake, aurait eu lieu contre la volonté du chef Bear Ears, de sorte que :


[TRADUCTION]

[...] le chef Bear Ears et ses partisans ont été privés de leurs droits inhérents issus de traités en ce qui concerne la transmission des costumes, drapeaux et métaux (sic) transmis aux enfants des enfants dont ils sont les descendants.

Qui plus est, Sa Majesté serait intervenue de façon inconstitutionnelle dans la direction de la bande, de sorte qu'après la mort du chef Bear Ears, ses enfants n'ont pas hérité de sa charge et la direction a été confiée à un dénommé Mattoosk, qui n'était pas un descendant du chef Bear Ears. Ce qui nous amène vraisemblablement à 1904, année où, en fermant la réserve de Bear Ears, Sa Majesté a transformé la réserve en terre publique, contrevenant ainsi [TRADUCTION] « au droit international, au droit constitutionnel, à la common law, à la Proclamation royale du 7 octobre 1763 et au Code criminel du Canada, privant ainsi la bande de Muskegwatic de ses droits et de son identité » .


[10]            Bien que, suivant la déclaration, elle ait été contrainte de se réinstaller dans la réserve de Saddle Lake, devenant ainsi assujettie au gouvernement étranger de Saddle Lake et étant forcée de renoncer à ses droits et à ses ressources, la bande de Muskegwatic possédait effectivement des terres qui avaient été mises de côté pour elle, en l'occurrence la réserve Muskegwatic no 125A, à la réserve de Saddle Lake ou près de celle-ci. M. Wahsatnow allègue que la bande de Muskegwatic était victime d'une usurpation de pouvoirs de la part de [TRADUCTION] « dirigeants étrangers » c'est-à-dire, si je ne m'abuse, de la part des dirigeants de la bande de Saddle Lake, de sorte que les membres de la bande originale de Muskegwatic ont été [TRADUCTION] « dépouillés illégalement de tous les droits issus de traités, terres, ressources, droits à l'autonomie gouvernementale et droit aux versements prévus par des traités et à d'autres allocations » auxquels le demandeur et ses ancêtres avaient droit. En conséquence, [TRADUCTION] « [...] les enfants de la bande de Muskegwatic no 126 ont perdu leurs véritables ascendances par suite de cette purification ethnique » .

[11]            Dans sa déclaration, le demandeur poursuit en expliquant s'être adressé à plusieurs reprises à la défenderesse, notamment le 27 avril 1999, au sujet des membres de la bande de Wahsatnow ou de Muskegwatic no 126 et de leur mécontentement par suite de l'atteinte à leurs droits, de la contrainte et du préjudice que Sa Majesté leur a fait subir.

[12]            Dans sa déclaration, le demandeur sollicite plusieurs réparations, dont certaines sont incompréhensibles, mais qui semblent viser le rétablissement au moins en partie du statu quo, et notamment un jugement ordonnant que la réserve indienne de Muskegwatic no 125A soit détachée et barricadée pour empêcher toute autre atteinte à ses droits et que seuls les membres de la bande de Muskegwatic no 126 soient autorisés à l'administrer et qu'une indemnité soit versée pour la perte de la réserve de Muskegwatic no 126.

[13]            Voilà comment j'interprète la déclaration. J'ai toutefois en grande partie paraphrasé et interprété la déclaration, qui est plutôt décousue et semble renfermer beaucoup d'éléments qui ne sont pas pertinents. La défenderesse elle non plus ne savait pas trop à quoi s'en tenir, d'où la demande d'éclaircissements qu'elle a présentée le 16 octobre 2001.

[14]            Les éclaircissements que le demandeur a communiqués en réponse à la demande de la défenderesse portaient sur des aspects largement historiques et contenaient un extrait intéressant d'un ouvrage publié en 1986 par la Waskatenau and District Historical Society, By River and Trail: The History of Waskatenau and Districts. D'ailleurs, il semble que M. Wahatnow fonde au moins en partie sa réclamation actuelle sur cet ouvrage historique sur Waskatenau. Toutefois, ceci étant dit, les éclaircissements qui ont été donnés soulèvent un grand nombre d'autres questions.

[15]            Le 7 décembre 2001, Sa Majesté a déposé une défense dans laquelle elle conclut dans les termes les plus nets que le demandeur n'a pas de droit d'action, que son action est abusive, frivole et vexatoire et qu'elle constitue un abus de procédure et devrait être rejetée.

La déclaration est-elle abusive et vexatoire?


[16]            Pour trancher la présente requête, je tiens pour avérées les allégations contenues dans la déclaration modifiée et les précisions qui ont été fournies. La déclaration modifiée, dans laquelle M. Wahsatnow figure comme seul demandeur, devrait être radiée au motif qu'elle renferme de nombreuses simples assertions, spéculations et conclusions, qui ne constituent pas une cause d'action (voir, par exemple, la décision Ceminchuk c. IBM Canada Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 546, aux pages 550 et 551). D'ailleurs, ainsi que je l'ai précisé dans la décision Ceminchuk, une déclaration est abusive et vexatoire si le demandeur n'allègue pas suffisamment de faits pour que le défendeur puisse se défendre ou pour que le tribunal puisse rendre une décision à l'issue du procès (à la page 551). La déclaration est cependant entachée d'une irrégularité encore plus grave que le simple défaut d'articuler suffisamment de faits pour établir les éléments qui appuient une éventuelle cause d'action.

Absence de cause d'action

[17]            La présente action n'est plus un recours collectif : elle est plaidée comme une action personnelle portant sur la cession d'une superficie de 12,25 milles carrés de la réserve no 126 en échange d'une superficie de 14 milles carrés de ce qu'on appelle maintenant la réserve no 125A. J'accepte l'argument de la défenderesse qui qualifie l'opération de cession d'un bien possédé en commun en échange d'un autre. En fait, il s'agit en l'espèce d'un droit collectif. Cette conclusion s'impose lorsqu'on considère les réparations sollicitées aux paragraphes 8a) à 8g) et notamment le renvoi au Traité no 6, la cession illégale de terres mettant en cause la bande de Muskegwatic no 126, l'acte par lequel on a contraint la bande de Muskegwatic no 126 à renoncer à son identité héréditaire reconnue par traité, la demande de réintégration de la bande de Muskegwatic no 126 et de ses membres, la demande de jugement déclarant que la bande indienne no 125A qui se trouve sur le territoire de la réserve de Saddle Lake soit barricadée pour empêcher toute autre atteinte à ses droits, que seuls les membres de la bande de Muskegwatic no 126 soient autorisés à l'administrer et qu'une indemnité soit versée pour la perte de la réserve de Muskegwatic no 126, que tous ceux qui ne sont pas membres de la bande de Muskegwatic soient expulsés de la réserve no 125A, que tous les membres de la bande de Muskegwatic soient indemnisés par voie de dommages-intérêts pour le préjudice qu'ils ont subi parce qu'ils ont été contraints de se soumettre à des dirigeants étrangers et que l'on assure au demandeur des conditions de travail acceptables et que l'on réponde à ses autres besoins conformément au traité no 6.

[18]            La Cour suprême du Canada a souligné, dans l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1112, que les droits ancestraux sont des « [...] droits qui appartiennent à un groupe et qui sont en harmonie avec la culture et le mode de vie de ce groupe » . On ne peut appliquer à ces droits les concepts traditionnels de propriété propres à la common law. Ces droits font partie de la nature sui generis des droits ancestraux. Je ne peux concevoir comment un simple particulier pourrait exercer des droits collectifs. Ces considérations nous amènent à une déclaration ultérieure formulée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S 507.

[19]            Dans l'arrêt Van der Peet, à la page 540, la Cour suprême a souligné que le titre aborigène et les droits ancestraux découlaient de l'existence de collectivités distinctes :

Tant le titre aborigène que les droits ancestraux découlent de l'existence de collectivités autochtones distinctives, occupant « les terres comme leurs ancêtres l'avaient fait depuis des siècles » .

Dans ce passage, la Cour suprême cite l'arrêt Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313,à la page 328.

[20]            Dans l'affaire Calder, le juge Judson a notamment analysé le titre ancestral sur les terres et le territoire occupés par la tribu des Nishgas, en l'occurrence un territoire de quelque 1 000 milles carrés dans la région de la rivière Nass, d'Observatory Inlet, de Portland Inlet et de Portland Canal, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Le juge a souligné que le titre ancestral ne pouvait être considéré comme un droit personnel de la nature d'un usufruit, c'est-à-dire comme un droit d'usage et de jouissance conféré à titre personnel à un individu déterminé.


[21]            Cette conception des droits ancestraux et des droits issus de traités, qui semblent tous les deux constituer le fondement de la réclamation de M. Wahsatnow, a été davantage précisée dans l'arrêt R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393. Dans cette affaire, M. Sundown appartenait à une première nation crie signataire du Traité no 6. Le débat portait sur la question de savoir si M. Sundown pouvait abattre des arbres dans un parc provincial et les utiliser pour se construire une cabane en rondins. Le Traité no 6 conférait le droit de chasser pour se nourrir sur les terres occupées par Sa Majesté du chef de la province, notamment le parc provincial en question. Le droit de construire la cabane en question était contesté. Le juge Cory, qui a rédigé la décision de la Cour, a souligné que tout droit sur la cabane de chasse était un droit collectif découlant du traité et de la méthode de chasse traditionnelle utilisée, en l'occurrence celle des expéditions de chasse. Il a poursuivi en précisant que ce droit appartenait à l'ensemble de la bande et non à M. Sundown ou à quelque autre membre particulier de la bande. Il vaut la peine de reproduire intégralement ce passage :

[...] Les droits ancestraux ou issus de traités ne peuvent pas être définis d'une manière conforme aux notions de titre foncier ou de droit d'usage du fonds d'autrui reconnues en common law. Ils correspondent plutôt au droit que partagent des autochtones de participer à certaines pratiques auxquelles s'adonnent traditionnellement des nations autochtones déterminées dans des territoires donnés.

36 . Tout droit sur la cabane de chasse est un droit collectif découlant du traité et de la méthode de chasse traditionnelle utilisée, en l'occurrence celle des expéditions de chasse. Ce droit appartient à l'ensemble de la bande et non à M. Sundown ou à quelque autre membre particulier de la première nation de Joseph Bighead. Par exemple, M. Sundown ne pourrait pas interdire l'accès à la cabane aux autres membres de cette première nation qui jouissent du même droit de chasse issu de traité dans le parc provincial Meadow Lake.

(À la page 412)


Je répète le concept fondamental qui figure dans la jurisprudence, et notamment dans l'extrait précité de l'arrêt Sundown : les droits ancestraux et les droits issus de traités sont des droits collectifs des peuples autochtones. Ils ne sont pas des droits individuels.

[22]            En l'espèce, le droit revendiqué par M. Wahsatnow peut fort bien exister, mais ce n'est pas un droit qu'il peut lui-même revendiquer. Si ce droit existe, c'est un droit qui appartient à l'ensemble des membres actuels de la bande de Muskegwatic. Bien que M. Wahsatnow ait d'abord tenté de représenter tous les membres de la bande, il ne pouvait agir en cette qualité, en tant que profane.

DISPOSITIF

[23]            La réclamation de M. Wahsatnow n'est pas une réclamation personnelle. Ce n'est pas à lui qu'il appartient de présenter cette réclamation. D'ailleurs, même en acceptant tout ce qui est contenu dans la déclaration et dans les précisions qui ont été fournies et en accordant au demandeur le bénéfice du doute en ce qui concerne la signification d'une grande partie de ses prétentions, cette réclamation ne renferme pas de cause d'action valable. C'est une réclamation qui, nettement, manifestement, et indubitablement, ne révèle aucune cause d'action valable et qui est vouée à l'échec. Cette réclamation ne peut pas non plus, dans le cadre de la présente instance, être modifiée de manière à pouvoir être retenue. Il ne s'ensuit pas nécessairement qu'un recours collectif régulièrement intenté ne pourrait pas réussir, mais plutôt que la présente action est vouée à l'échec.


[24]            Ainsi que l'avocat de la Couronne l'a laissé entendre, certains aspects de l'histoire peuvent nous déplaire. En l'espèce, la thèse de M. Wahsatnow est que ses ancêtres, et lui-même par le biais de ses ancêtres, ont été dépossédés de leur héritage. Les choses qui nous déplaisent ne donnent pas nécessairement ouverture à une réparation. En l'espèce, il n'existe pas de réparation personnelle qui puisse être accordée à M. Wahsatnow.

[25]            Je n'avance aucune opinion sur la question. Cependant, ainsi que l'ami et interprète ad hoc de M. Wahsatnow l'a laissé entendre, il est fort possible que des abus aient été commis et le soient toujours en ce qui concerne la réserve de Muskegwatic no 125A et que M. Wahsatnow intente la présente action pour sa famille tout autant que pour lui-même. Toutefois, il sollicite dans sa déclaration des réparations personnelles qui ne reposent pas sur un droit personnel, mais uniquement sur un droit d'action collectif qui ne lui est pas ouvert en tant que simple particulier.

[26]            La présente action est radiée, avec permission de la modifier, sous réserve toutefois du droit de la bande de Muskegwatic d'intenter un recours collectif en retenant les services d'un avocat compétent.


[27]            Comme les dépens de la requête n'ont pas été réclamés, aucuns ne sont adjugés. La défenderesse peut toutefois faire taxer les dépens de l'action.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 20 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1619-01

INTITULÉ :                                       Francis Wahsatnow c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiens et du Nord canadien

LIEU DE L'AUDIENCE :                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 22 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                    le 20 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Francis Wahsatnow                                                                   LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

E. James Kindrake                                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Francis Wahsatnow                                                                  LE DEMANDEUR,

Edmonton (Alberta)                                                                   POUR SON PROPRE COMPTE

Morris A. Rosenberg                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)


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