Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041028

Dossier : IMM-10328-03

Référence : 2004 CF 1498

Ottawa (Ontario) ce 28ième jour d'octobre 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                        GUDAWAR SINGH GILL

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié ( « CISR » ), rendue le 4 décembre 2003, refusant de reconnaître au demandeur les qualités de « réfugié » au sens de la Convention et de « personne à protéger » et que par conséquent, la demande d'asile du demandeur a été refusée.


[2]                Le demandeur demande que la décision soit cassée, qu'une nouvelle audience devant un nouveau tribunal soit ordonnée, que toute mesure de renvoi soit suspendue durant l'instance, et que la Cour ordonne toute autre mesure interlocutoire ou finale qu'elle juge nécessaire pour réserver le droit des parties.

QUESTIONS EN LITIGE

(a)         Est-ce que le tribunal a rendu une décision entachée d'une erreur de droit fondée sur une conclusion de fait erroné, ou autrement en violation des principes de justice naturelle?

(b)         Est-ce qu'il y a une obligation pour le tribunal de s'assurer que tous les témoins nécessaires sont convoqués pour témoigner ou encore est-ce la responsabilité des parties?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs ci-dessous, je réponds à la première question par l'affirmative et à la deuxième par la négative.


LES FAITS

[4]                Le demandeur, Gudawar Singh Gill (M. Gill, ou le « demandeur » ), est citoyen indien. Il prétend être la cible des policiers indiens parce qu'ils croient que celui-ci est collaborateur avec les militants Kashmiri.    Les persécutions subies ont eu lieu lors de son arrestation et détention de sept (7) jours le 22 mars 1998 et de quatre (4) jours le 15 mars 2002 lors d'une deuxième arrestation.    Suite à ces détentions, le demandeur aurait été emprisonné et cruellement torturé jusqu'au point qu'il en perdit conscience et à chacune de ses sorties de détention, il aurait été conduit chez un médecin pour y être hospitalisé.

[5]                Le demandeur prétend avoir quitté son pays le 8 juillet 2002 et après avoir transité par l'Allemagne est arrivé au Canada ce même jour.    Il a donné avis de son intention de poursuivre la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le 9 juillet 2002.    M. Gill a, par la suite, rencontré l'agent d'immigration le 22 août 2002 en présence d'un interprète et un avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention fut complété.    Le 18 septembre 2002, M. Gill a préparé son Formulaire sur les renseignements personnels ( « FRP » ) avec l'aide de l'interprète de son procureur à son domicile et le FRP a été par la suite vérifié par son avocat.

[6]                Son audience eut lieu le 7 novembre 2003 et la décision négative fut signée le 4 décembre 2003.


DÉCISION CONTESTÉE

[7]                Le tribunal détermina que le demandeur manquait de spontanéité lors de ses réponses et qu'une fois détaché du texte du FRP, il avait beaucoup de difficulté à répondre aux questions. Selon le tribunal, cela indique un problème de crédibilité.

[8]                Le tribunal a ainsi trouvé la contradiction entre le FRP du demandeur et les documents d'immigration intitulés « Immigration Officer Interview Notes » ( « notes de l'agent d'immigration » ) troublante.    Les notes de l'agent d'immigration indique que lors de son entrevue avec l'agent d'immigration, le demandeur n'a pas fait allusion aux sévices qu'il allègue avoir subi lors de chacune de ses arrestations.    Le tribunal a rejeté les explications du demandeur que ce soit la faute de l'interprète ou de l'agent d'immigration, ou encore le demandeur n'a pas bien compris la question et que la traduction était inadéquate.

[9]                Pour conclure que le demandeur ne serait pas une personne à protéger lors de son retour en Inde, le tribunal s'est appuyé en grande partie sur la pièce A-5: India Assessment, Country Information and Policy Unit, Human Rights, Treatment of Returned Failed Asylum Seekers. Ce document énonce que le fait de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger et le rejet de celui-ci n'est pas un délit au retour en Inde.


PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[10]            Le demandeur prétend que le tribunal a commis des erreurs de droit en rejetant sa revendication en raison de son manquement à déclarer les éléments de torture lors de sa première entrevue avec l'agent d'immigration.

[11]            Le demandeur prétend aussi que le tribunal ne pouvait pas rejeter du revers de la main l'ensemble des éléments objectifs contenus dans le dossier médical du Dr. J.B. Kornacki (Dr. Kornacki). Ce dossier indiquait que M. Gill avait plusieurs cicatrices qui pourraient être compatibles avec des marques de torture.    Le tribunal a accordé aucune valeur probante à ce document puisque les conclusions du Dr. Kornacki se fondaient en grande partie sur la version du demandeur. Toutefois, le demandeur prétend qu'il y a erreur lorsque le tribunal rejette le dossier sans commenter au sujet de la description des cicatrices faites par le médecin et l'opinion qu'il en avait. (Voir Badibanga c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), IMM-1827-99.)

[12]            De plus, le demandeur plaide qu'en ayant commis plusieurs erreurs manifestes, le tribunal a écrit une décision manifestement déraisonnable. D'après le demandeur, l'effet cumulatif des erreurs indique un manque sérieux d'attention ne donnant pas justice à la version du demandeur ce qui justifie l'intervention du tribunal.


[13]            Selon le demandeur, les erreurs, entre autres, sont les suivantes:

(a)         le tribunal a écrit que la pièce P-5 était un affidavit du sarpanch du village, alors qu'il s'agissait d'un affidavit du demandeur à propos de la vente de son camion;

(b)         le tribunal a écrit que rien a été dit à l'agent d'immigration lors de l'entrevue en août 2002 concernant la torture alors que l'agent d'immigration a noté qu'il y avait des cicatrices sur le front du demandeur;

(c)         le tribunal n'a pas considéré qu'une personne pouvait être détenue par les autorités d'immigration indiennes, et qu'il y avait aussi un risque que ces détenus pourraient être torturés;

(d)         le tribunal a considéré le fait que ni l'interprète ni l'agent d'immigration ont été convoqués pour confirmer l'histoire du demandeur (c'est-à-dire, confirmer son explication qu'il n'a pas compris les questions ou que les questions ne lui ont pas été bien traduites);

(e)        à la page 4 de la décision, 2ème paragraphe, le tribunal confond l'avis de revendication avec le FRP;

(f)         le tribunal considère que l'agent de protection des réfugiés était présent lors de l'audience alors qu'il ne l'était pas.


[14]            De plus, le demandeur prétend qu'en concluant que la crédibilité du demandeur était nulle et qu'en conséquence il existait aucun motif sérieux pour appliquer l'article 97(1) de la Loi, le tribunal a commis une erreur de droit.    D'après le demandeur, il faut analyser les faits en fonction de l'article 97(1) de la Loi et ce, malgré la conclusion de non-crédibilité.

[15]            En conclusion, le demandeur précise que le tribunal n'a pas tenu compte des principes indiqués dans l'affaire Sheikh c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1999), IMM-315-99, à l'égard de la crédibilité :

Les divergences sur lesquelles s'appuie la Section du statut doivent être réelles (Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), 135 N.R. 300 (C.A.F.). La Section du statut de réfugié ne doit pas mettre un zèle « ... à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant ... elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe [les éléments de preuve] » (Attakora c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1989), 99 N.R. 168 au paragraphe 9). Les contradictions ou l'incohérence doivent être raisonnablement liées à la crédibilité du demandeur (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1989), 98 N.R. (C.A.F.). Il doit être tenu compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables (Owusu-Ansah, pré-cité).

Le défendeur

[16]            Le défendeur admet que le tribunal a fait quelques erreurs dans sa décision mais est de l'opinion que ces erreurs ne sont pas des erreurs manifestes qui justifieraient une intervention. En plus, le défendeur prétend que le dossier du Dr. Kornacki, en constatant que les cicatrices du demandeur auraient pu être compatibles avec les allégations du demandeur, ne confirme pas la torture alléguée.


[17]            Le défendeur prétend aussi que le tribunal a judicieusement apprécié la preuve concernant les personnes retournant en Inde après avoir revendiqué l'asile avant de conclure que le demandeur n'était pas une personne à protéger.    Il rappelle que le fardeau appartient au demandeur.    Si le demandeur a vraiment subi des problèmes de traduction pendant l'entrevue avec l'agent d'immigration, il avait l'obligation de faire convoquer l'agent pour témoigner à cet effet; ce n'est pas au tribunal d'assumer le fardeau de preuve car celui-ci demeure sur les épaules du demandeur. Le défendeur rappelle aussi que le procureur du demandeur a renoncé à convoquer des témoins lors de l'audience.

ANALYSE

La norme de contrôle

[18]            La décision du tribunal est fondée sur la conclusion que le demandeur manquait de crédibilité. La norme de contrôle dans un tel cas est celle d'une décision manifestement déraisonnable puisque ces conclusions sont « au coeur du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » :

La Cour ne doit pas revoir les faits et apprécier la preuve (Montréal (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844).


Les conclusions quant à la crédibilité tirée par le tribunal ne seront pas annulées par la Cour à moins qu'elles aient été manifestement tirées sans tenir compte de la preuve : Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.). Cela signifie que le demandeur doit prouver l'existence, selon la prépondérance des probabilités, d'une erreur manifeste qui influe sur l'évaluation des faits. La norme de révision au sujet de telles conclusions quant aux faits tirés par un tribunal administratif est une norme fondée sur la retenue : Ville de Montréal, pré-cité. Autrement dit, il faut montrer que la preuve, ayant fait l'objet d'une révision raisonnable, ne peut pas venir étayer la conclusion de fait du tribunal (qui est la nature même des conclusions quant à la crédibilité) : Conseil de l'éducation de Toronto c. Fédération des enseignants-enseignantes des écoles secondaires de l'Ontario, district 15 (Toronto), [1997] 1 R.C.S. 487.

Dhindsa c. Canada (Ministre de la citoyenneté et l'immigration), [2000] A.C.F. no. 2011 aux paragraphes 41-43 (C.F. 1ère inst.). Voir aussi Giron c. Canada (Ministre de l'emploi et l'immigration), [1992] A.C.F. no. 481; Aguebor c. Canada (Ministre de l'emploi et l'immigration), [1993] A.C.F. no. 732.

Est-ce que le tribunal a commis une erreur en concluant négativement à l'égard de la crédibilité du demandeur?

[19]            La crédibilité et la valeur probante à attribuer à la preuve est du ressort du tribunal. Si les conclusions prononcées par le tribunal sont raisonnables à la lumière de la preuve, il n'y a pas de raison pour la Cour d'intervenir. Toutefois, le tribunal ne doit pas « manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions. » (Voir Attakora c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1989] A.C.F. No. 444 (C.A.F.).)


[20]            En l'espèce, le tribunal a remarqué que les réponses du demandeur manquaient de spontanéité et que le demandeur était lié à son FRP car il avait de la difficulté à répondre aux questions. Ce fait ajouté au fait que M. Gill n'a pas mentionné la torture lors de l'entrevue initiale et lorsqu'il a rempli le FRP, a permis au tribunal de conclure que M. Gill n'était pas crédible. Je note qu'à deux occasions (le 9 juillet 2003 (avis) et le 18 septembre 2003 (FRP), le demandeur a eu l'occasion d'informer les autorités d'immigration canadiennes des événements pendant lesquels il aurait été torturé. Il prétend que les questions n'étaient pas claires ou encore que la traduction était inadéquate. Le soussigné considère ces raisons pas acceptables. Lorsqu'une personne vit de la torture et que c'est la raison d'être pour demander l'asile, il est normal de s'attendre à ce que les événements soient déclarés à la première occasion. Il était certainement ouvert au tribunal de conclure négativement à l'égard de cette situation.

[21]            L'avis et le FRP sont des documents importants lors d'une demande de revendication du statut de réfugié. Un tribunal a l'obligation de les considérer sérieusement et de conclure tout en ayant permis au demandeur de s'expliquer, ce qui fut fait dans le présent dossier.

Certaines autres prétentions du demandeur à propos des erreurs commises par le tribunal

[22]            Tout en constatant que le tribunal a fait quelques erreurs, il me semble que ces erreurs ne sont pas fatales. L'erreur la plus évidente est le fait que le tribunal a référé à la pièce P-5 comme étant un affidavit du sarpanch du village lorsqu'il s'agissait plutôt d'un affidavit du demandeur mentionnant qu'il avait vendu son camion. Cependant, le tribunal n'a pas fondé sa décision sur ce point. Par ailleurs, le tribunal avait aussi le droit de ne pas donner une valeur probante au rapport du Dr. Kornacki; ceci ne signifie pas que le rapport était faux. Il est vrai qu'il y avait des cicatrices sur le visage et le corps du demandeur qui auraient pu être le résultat de la torture, mais cela n'indique pas que le demandeur a, en effet, subi de la torture. Il est aussi vrai que l'agent d'immigration a noté qu'il y avait des cicatrices sur le visage du demandeur, mais le fardeau n'était pas sur l'agent d'immigration de demander une explication, mais sur le demandeur.


[23]            Finalement, le tribunal a indiqué que les personnes qui retournent en Inde après avoir fait revendication d'asile à l'étranger ne seront pas assujetti à la torture.    Le demandeur se plaint que cette conclusion ignore le fait qu'un individu comme lui (une personne ayant déjà été persécuté par les autorités indiennes) a un risque d'être torturé, même si ce n'est pas la pratique habituelle de l'Inde.    Mais cet argument du demandeur est fondé sur une conclusion que le tribunal a rejeté.

[24]            Malgré le fait qu'il y a des erreurs (affidavit P-5) et de la confusion (entre l'avis et le FRP, ainsi que la présence de l'agent de protection des réfugiés),celles-ci dans leur totalité, ne touchent pas la fondation de la décision. Les cours ne demandent pas la perfection. Il est permis d'être dans l'erreur en autant que cela ne touche pas le coeur-même de la décision. Le soussigné note que cette décision aurait nécessité plus de rigueur mais ce n'est pas fatal.

Est-ce qu'il y a une obligation sur le tribunal de convoquer les témoins nécessaires?

[25]            Puisque le demandeur a le fardeau d'établir le bien-fondé de sa revendication devant le tribunal, il lui revient entièrement de faire le nécessaire pour présenter toute la preuve qu'il juge nécessaire. Ceci inclus quatre (4) convocations de témoins nécessaires tel que l'interprète ou l'agent d'immigration. Il ne revient pas au tribunal de faire la preuve du demandeur à sa place.


Les requérants doivent soumettent la preuve qu'ils considèrent nécessaire et essentielle afin d'établir leur réclamation. Si les membres de la Section ne désirent pas entendre de preuve sur l'un ou plusieurs des éléments nécessaires à l'établissement de la réclamation, il est souhaitable et même impératif que cela soit noté au dossier. Par conséquent, à moins d'obtenir une dispense de la Section, les requérants ne doivent pas présumer quoi que ce soit quant à la preuve qu'ils doivent établir.

Voir El Jarjouhi c. Canada (Ministre de l'emploi et l'immigration), [1994] A.C.F. no. 466 (1ère inst.), para. 7.

CONCLUSION

[26]            Une lecture complète de la décision, tout en ayant pris note des erreurs mentionnées, me permet de conclure qu'il ne s'agit pas de conclusions manifestement déraisonnables. Il y a aucune raison pour intervenir.

[27]            Les avocats furent invités à proposer des questions pour fin de certification mais ils ont décliné.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-           Cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée et aucune question

ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

         Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                      IMM-10328-03

INTITULÉ :                     GUDAWAR SINGH GILL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        18 OCTOBRE 2004


MOTIFS DE                    L'Honorable Juge Simon Noël

EN DATE DU :                28 octobre 2004

COMPARUTIONS :                                      Me MICHEL LE BRUN

POUR LE DEMANDEUR

Me MARIE NICOLE MOREAU

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                          

                                                     

ME MICHEL LE BRUN, AVOCAT

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LE DEMANDEUR


MORRIS ROSENBERG

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.