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Date : 20000622

T-1392-99

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DENAULT

E n t r e :

                                           SALTON APPLIANCES (1985) CORP. et

                                                    JASCOR HOME PRODUCTS INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                                                                 SALTON INC.,

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                ORDONNANCE

La présente requête en injonction est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                            PIERRE DENAULT            

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20000622

T-1392-99

E n t r e :

                                           SALTON APPLIANCES (1985) CORP. et

                                                    JASCOR HOME PRODUCTS INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                                                                 SALTON INC.,

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]                Les demanderesses sont deux petites sociétés canadiennes privées qui luttent contre une grande société anonyme américaine au sujet de l'emploi des marques de commerce SALTON et MAXIM. Les demanderesses sollicitent, par voie de requête, une injonction interlocutoire en vue de faire interdire à la défenderesse d'employer au Canada les marques de commerce SALTON    (no LMC 150167) et MAXIM (no LAC 462015).


[2]                Salton Appliances (1985) Corp. (Salton Canada) détient les droits de propriété sur la marque de commerce SALTON au Canada. Jascor Home Products Inc. (Jascor) détient quant à elle les droits de propriété sur la marque de commerce MAXIM au Canada. Salton Canada emploie depuis le 26 juin 1996 la marque de commerce MAXIM au Canada en liaison avec des hachoirs, en vertu d'une licence obtenue de Jascor.

[3]                La défenderesse Salton Inc. fabrique et importe de petits appareils électroménagers et de soins personnels et est propriétaire des marques de commerce SALTON et MAXIM aux États-Unis. La défenderesse emploie et a employé les mots SALTON et MAXIM en liaison avec ses marchandises au Canada, plus particulièrement en liaison avec des appareils portatifs exportés et distribués au Canada.

[4]                Compte tenu du critère à trois volets adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-Macdonald c. Canada (procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, pour obtenir la mesure qu'elles sollicitent, les demanderesses doivent convaincre la Cour : (1) qu'il y a une question sérieuse à juger en l'espèce ; (2) qu'elles subiront un préjudice irréparable dont elles ne pourraient être indemnisées par des dommages-intérêts ou par des dommages-intérêts qu'elles ne pourraient obtenir de la partie adverse ; (3) que la prépondérance des inconvénients les favorise.

Question sérieuse à juger


[5]         Les demanderesses affirment qu'elles sont propriétaires de deux marques de commerce distinctes, SALTON et MAXIM, qui ont été enregistrées au Canada, et qu'aux termes de l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985) ch. T-13, (la Loi), le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Les demanderesses soutiennent par conséquent que l'emploi de la marque de commerce SALTON sur les marchandises, dépliants et emballages de la défenderesse constitue une violation de sa marque de commerce au Canada.

[6]         Les demanderesses affirment également que la preuve démontre que la défenderesse utilise de façon illicite de la marque de commerce MAXIM au Canada en liaison avec la grille de George Foreman[1] et en liaison avec une rôtissoire électrique[2]. Les demanderesses soutiennent en outre que la défenderesse n'avait pas employé leur marque de commerce MAXIM avant la date du dépôt de la demande de Jascor, le 23 septembre 1988[3]. Elles affirment aussi que rien ne permet de penser que la marque de commerce MAXIM a été révélée ou qu'elle était bien connue au Canada avant le 23 septembre 1988.


[7]         En revanche, la défenderesse affirme que l'enregistrement de la marque de commerce MAXIM des demanderesses est invalide pour les motifs suivants : a) Jascor n'était pas la personne qui avait droit à l'enregistrement de la marque de commerce MAXIM au Canada au sens des articles 16 et 18 de la Loi ; b) en raison de la publicité indirecte dont l'horloge de marque MAXIM a fait l'objet dans des publications américaines et de la vente de cette horloge au Canada, la marque de commerce MAXIM n'est pas distinctive au sens des articles 2 et 18 de la Loi[4] ; c) la marque de commerce a été irrégulièrement enregistrée en liaison avec des hachoirs, alors qu'elle n'a été employée qu'en liaison avec des broyeurs d'aliments.

[8]         La défenderesse affirme également qu'elle n'emploie pas la marque de commerce SALTON au Canada, mais qu'elle utilise uniquement sa raison sociale, Salton Inc., et que, par conséquent, sa raison sociale légitime ne porte pas atteinte aux droits des demanderesses[5].

[9]         À l'ouverture des débats, la Cour a, au vu du dossier, estimé que la requête en injonction interlocutoire soulevait, en ce qui concerne les deux marques, SALTON et MAXIM, des questions sérieuses qui ne pouvaient être tranchées qu'une fois que la preuve aurait été communiquée au procès.

Préjudice irréparable


[10]       Les demanderesses soutiennent qu'il y a lieu d'inférer des agissements de la défenderesse que l'utilisation non autorisée que celle-ci a faite des marques de commerce des demanderesses a créé de la confusion chez les consommateurs, les détaillants et les fournisseurs canadiens[6]. Elles affirment en outre qu'il suffit de faire la preuve de la confusion créée chez les consommateurs pour démontrer qu'elles ont subi un préjudice irréparable[7].

[11]       Les demanderesses estiment que les éléments de preuve relatifs au préjudice irréparable ne sont pas spéculatifs, étant donné qu'ils démontrent qu'elles ont reçu des plaintes de clients insatisfaits au sujet des produits de la défenderesse et que les détaillants leur ont retourné des produits fabriqués par la défenderesse. Les demanderesses soutiennent donc que leur réseau de distribution est perturbé et affaibli en raison des agissements de la défenderesse. Qui plus est, les demanderesses font remarquer que la défenderesse intensifie ses efforts en vue de s'emparer de leur achalandage.

[12]       En résumé, les demanderesses soutiennent que la défenderesse est déterminée à déstabiliser leur entreprise en distribuant et en vendant des appareils pour la cuisine portant leur marque de commerce MAXIM. Cet emploi illégal, affirment les demanderesses, crée de la confusion parmi les Canadiens qui associent la marque à des produits de la même catégorie générale et fait perdre à leur marque son caractère distinctif, ce qui risque de les forcer à fermer leurs portes.


[13]       La défenderesse conteste énergiquement la thèse des demanderesses et affirme qu'une conclusion de confusion ne prouve pas nécessairement qu'il y a eu perte d'achalandage et que, même si cette preuve est établie, une perte d'achalandage ne constitue pas un préjudice irréparable[8]. La défenderesse affirme qu'en l'espèce, les demanderesses n'ont présenté aucune preuve concrète de préjudice irréparable.

Prépondérance des inconvénients

[14]       La question de la prépondérance des inconvénients n'a pas été débattue très énergiquement à l'audience bien que les avocats des deux parties aient abordé la question dans leur mémoire respectif.

[15]       Les demanderesses soutiennent que la défenderesse pourrait aisément distribuer et vendre ses produits sous des marques de commerce ou des appellations commerciales différentes au Canada. Quant à elles, elles affirment que la perte de caractère distinctif qu'ont subie leurs marques de commerce et la perte de débouchés dont elles sont victimes constituent un préjudice irréparable qu'aucune indemnité ne pourrait réparer.


[16]       La défenderesse souligne le fait que les demanderesses ont refusé de fournir un engagement et qu'elles ne sont pas financièrement en mesure de l'indemniser du préjudice qu'elle subirait. Par contraste, la défenderesse fait valoir qu'elle s'est engagée à tenir une comptabilité de ses ventes et qu'en tout état de cause, elle serait en mesure d'indemniser les demanderesses au procès. La défenderesse ajoute que les demanderesses ont laissé s'écouler une période de temps excessive avant de saisir la Cour de la question et ce, malgré le fait que des négociations ont lieu entre les parties depuis au moins 1997.

Analyse

[17]       Ainsi que je l'ai déjà signalé, je suis convaincu, eu égard aux circonstances de la présente affaire, qu'il existe effectivement des questions sérieuses à juger en ce qui concerne les marques de commerce de deux demanderesses. J'estime que l'existence ou l'inexistence d'une violation des droits des demanderesses sur leurs marques de commerce constitue une question sérieuse. J'estime également que la question de l'invalidité de la marque de commerce MAXIM des demanderesses que la défenderesse a soulevée, ainsi que sa prétention qu'elle n'emploie pas la marque de commerce SALTON devront être tranchées au procès.

[18]       Toutefois, dans la mesure où, par la présente requête, les demanderesses sollicitent une réparation extraordinaire, en l'occurrence une injonction interlocutoire, la véritable question en litige est celle de savoir si les demanderesses subiront un préjudice irréparable si la réparation qu'elles sollicitent leur est refusée.

[19]       Les demanderesses n'ont pas persuadé la Cour, par des preuves claires et convaincantes, qu'elles subiraient effectivement un tel préjudice.


[20]       Une confusion sera peut-être inévitablement créée si, étant légalement autorisées à utiliser les mêmes marques dans leur pays respectif, les parties décident d'en employer une des deux ou les deux dans le pays de la partie adverse. Mais dans une affaire comme la présente, pour qu'elle puisse s'écarter du principe général suivant lequel le statu quo doit être maintenu tant qu'une décision n'a pas été rendue sur le fond, la Cour doit être convaincue que les dommages-intérêts que les demanderesses pourraient obtenir ne constitueraient pas une réparation suffisante que la défenderesse serait financièrement en mesure de payer[9].

[21]       Les éléments de preuve relatifs au préjudice irréparable doivent être clairs et non spéculatifs. Dans l'arrêt Center Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey, (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.), le juge Heald déclare, à la page 54 :

[TRADUCTION]

On ne peut inférer ou supposer qu'il y a nécessairement préjudice irréparable dès que l'on démontre l'existence d'une confusion [...] La perte d'achalandage et le préjudice irréparable ne peuvent être inférés ; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs » .

[22]       En l'espèce, M. Hugh A. Johnstone, président de Salton Canada, a admis, en contre-interrogatoire, que les demanderesses ne possèdent pas la moindre part du marché en ce qui concerne les préparateurs culinaires, les centrifugeuses et les grilles-égouttoirs, c'est-à-dire les produits que la défenderesse vend sous la marque de commerce MAXIM. M. Johnstone a également reconnu en contre-interrogatoire qu'il n'a jamais essayé d'attribuer une valeur à l'achalandage relatif aux marques de commerce SALTON ou MAXIM.


[23]       Sur la présumée confusion qui se solderait par une perte du caractère distinctif de leurs marques, les demanderesses invoquent deux questions, à savoir le registre des plaintes des consommateurs et la participation à une foire commerciale organisée par Canadian Tire. En ce qui concerne le registre des plaintes, M. Johnstone a reconnu en contre-interrogatoire qu'il n'a pas entraîné la perte d'une seule vente pour sa compagnie. Pour ce qui est de la foire commerciale organisée par Canadian Tire, où il a découvert que la défenderesse tenait un stand sous l'appellation commerciale de « Maxim-Toastmaster » où elle exposait une section de dix pieds du « MAXIM George Foreman Grill » , M. Johnstone a reconnu, lors de son contre-interrogatoire, que sa compagnie n'avait pas affiché la marque de commerce MAXIM lors de cette foire et qu'il n'était au courant d'aucun préjudice subi par suite de l'exposition de ce produit par la défenderesse.

[24]       À défaut d'éléments de preuve clairs et convaincants permettant de déterminer si la confusion alléguée par les demanderesses leur causerait un préjudice irréparable dont elles ne pourraient être indemnisées par des dommages-intérêts, je suis d'avis que la présente demande ne peut réussir. De plus, compte tenu du fait que les demanderesses étaient déjà au courant, le 16 juin 1997, de l'intention de la défenderesse de cesser l'utilisation de la marque de commerce MAXIM au Canada, ainsi qu'il ressort de sa réponse écrite à la mise en demeure que les demanderesses lui avaient envoyée le 26 mai 1997, je conclus que les demanderesses n'ont pas agi avec diligence en attendant au 4 août 1999 pour introduire la présente instance, plus de deux ans plus tard.


[25]       La présente demande sera rejetée et les dépens suivront l'issue de la cause.

___PIERRE DENAULT________

       Juge

Ottawa (Ontario)

Le 22 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                T-1392-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : SALTON APPLIANCES (1985) CORP. et autre

c. SALTON INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 31 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Denault le 22 juin 2000

ONT COMPARU :

Me Hughes Richard                                                        pour la demanderesse

Me Pierre-Emmanuel Moyse

Me Mark K. Evans                                                        pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Léger, Robic & Richard                                                 pour la demanderesse

Smart & Biggar                                                             pour la défenderesse



[1]Les demanderesses font état d'une foire commerciale annuelle organisée les 12 et 13 septembre 1999 par Canadian Tire (la Canadian Tire Products Parade), où la défenderesse tenait un stand sous l'appellation commerciale de « Maxim-Toastmaster » où elle a exposé une section de dix pieds du « MAXIM George Foreman Grill » .

[2]Les demanderesses se réfèrent à une infopublicité d'une demi-heure que la défenderesse a fait diffuser sur le Shopping Channel le 13 septembre 1999 partout au Canada. Elle y annonçait une rôtissoire électrique en liaison avec la marque de commerce MAXIM.

[3]Selon les demanderesses, le fait que la marque de commerce MAXIM apparaisse dans des publications américaines est sans intérêt (paragraphe 4(1) de la Loi, Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd., (1968), 55 C.P.R. 176 (C. de l'Éch.), Thomas J. Lipton c. HVR Co., (1995), 64 C.P.R. (3d) 552, à la page 556 (Comm. opp. M.C.).

[4]Hughes on Trade-marks, édition à feuilles mobiles, Toronto et Vancouver, Butterworths, 1984, aux pages 457 et 459 à 466.

[5]Article 20 de la Loi.

[6]Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Cviolin et Bow Maker Inc., (1997), 72 C.P.R. (3d) 373 (C.F. 1re inst.).

[7]Boutique Au coton Inc. c. Pant-o-Rama Inc., (1987), 17 C.P.R. (3d) 409 (C.F. 1re inst.).

[8]Nature Co. c. Sci-tech Educational Inc., (1992), 41 C.P.R. (3d) 359 (C.A.F.), Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey, (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.), Ault Foods c. George Weston, (1996), 68 C.P.R. (3d) 87 (C.F. 1re inst.).

     [9] Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, à la page 473.

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