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Date : 20191028


Dossier : IMM‑1217‑19

Référence : 2019 CF 1338

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

OLASUBOMI ABOSEDE IPAYE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Ipaye, est une citoyenne du Nigéria qui craint la famille de son défunt époux.

[2]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de protection de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas établi son identité. En appel, et après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a reconnu que Mme Ipaye avait établi son identité. Toutefois, la SAR a rejeté l’appel au motif que Mme Ipaye avait une possibilité de refuge intérieur [la PRI] au Nigéria, une question qui n’avait pas été tranchée par la SPR.

[3]  En application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], Mme Ipaye sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[4]  Dans ses observations écrites, Mme Ipaye soutient que les questions en litige concernent la compétence de la SAR d’analyser la question de la PRI et le caractère raisonnable de la décision relative à cette PRI.

[5]  J’ai donc formulé les questions ainsi :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’appel pour un motif qui n’a pas été abordé par la SPR?

  2. Dans le cas contraire, l’analyse de la PRI par la SAR était‑elle raisonnable?

[6]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en se penchant sur la question de la PRI et que ses conclusions liées à cette PRI sont raisonnables. La demande est rejetée.

II.  Norme de contrôle

[7]  La norme de contrôle que la Cour doit appliquer lorsqu’elle examine des décisions de la SAR, y compris des décisions concernant une PRI, est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30, 34 et 35 [Huruglica]; Okechukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1142, aux paragraphes 17 et 20 [Okechukwu]).

[8]  Les questions touchant véritablement à la compétence doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 59 [Dunsmuir]). Cependant, l’examen par la SAR de la question de la PRI en l’espèce amène plus justement celle‑ci à interpréter sa loi constitutive, particulièrement les articles 110 et 111 de la LIPR. Lorsqu’un tribunal interprète sa loi constitutive, il est présumé que la norme de la décision raisonnable s’applique à cette interprétation (Huruglica, aux paragraphes 30 à 33; Dunsmuir, au paragraphe 54). La question soulevée en l’espèce ne touche pas véritablement à la compétence; il s’agit plutôt d’une question d’interprétation. J’adopterai donc la norme de la décision raisonnable pour examiner toutes les questions soulevées.

III.  Analyse

[9]  Au cours des plaidoiries, l’avocate de Mme Ipaye a soulevé des arguments d’équité procédurale concernant le refus de la SAR d’accorder une audience à sa cliente, son examen d’un guide jurisprudentiel relatif aux PRI au Nigéria, son examen des documents contenus dans le cartable national de documentation alors en vigueur et son évaluation de certains éléments de preuve.

[10]  Aucune de ces questions n’a été soulevée dans les observations écrites déposées au nom de Mme Ipaye pour demander l’autorisation d’interjeter appel.

[11]  Le mémoire du défendeur relatif à l’autorisation d’appel précise que [traduction] « le seul argument que la demanderesse a présenté dans sa demande est que la SAR a commis une erreur en fondant sa décision sur un motif différent de celui de la SPR ». Mme Ipaye n’a pas déposé de mémoire en réplique. Le défendeur s’oppose maintenant aux nouvelles questions soulevées.

[12]  L’ordonnance autorisant l’appel permettait à Mme Ipaye de déposer d’autres affidavits en preuve ainsi qu’un mémoire des arguments, mais elle n’en a rien fait. Une partie ne peut soulever à l’audience des questions ou des arguments qui n’avaient pas été soulevés dans ses observations écrites (Radha c Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 1040, aux paragraphes 13 à 19). Les arguments relatifs à l’équité sont nouveaux. L’objection du défendeur est donc maintenue.

[13]  Quoi qu’il en soit, dans leur version actuelle, les arguments relatifs à l’équité auraient été peu utiles à la demanderesse, car les manquements allégués à l’équité procédurale ne sont pas évidents à la lumière du dossier. Les arguments étaient décousus, et la plupart des éléments de preuve pertinents sur le plan procédural figurant au dossier, y compris l’incidence des trois avis distincts au moyen desquels la SAR a invité la demanderesse à présenter des observations concernant la PRI, n’ont pas été abordés.

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’appel pour un motif qui n’a pas été abordé par la SPR?

[14]  Mme Ipaye soutient que les articles 110 et 111 de la LIPR ne peuvent être interprétés comme autorisant la SAR à rejeter une demande pour un motif qui n’a pas été abordé par la SPR et que la LIPR ne permet pas à la SAR de créer un nouveau dossier ou de demander des observations sur des questions qui n’ont pas été examinées par la SPR.

[15]  Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale a examiné les articles 110 et 111 de la LIRP. Se fondant sur cette analyse, la juge Gauthier, au nom de la Cour, décrit le rôle de la SAR de la manière suivante au paragraphe 78 :

 [78]  À cette étape‑ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b) de la LIPR). [Non souligné dans l’original.]

[16]  La jurisprudence est claire. La SAR peut, en se fondant sur le dossier dont disposait la SPR et sur toute observation ou tout élément de preuve additionnel qui lui a été présenté de manière adéquate en appel (paragraphes 110(3), (4), (5) et (6)), trancher une affaire sur un fondement qui n’a pas été examiné par la SPR. Cependant, lorsque la SAR doit trancher une question qui n’a pas été examinée précédemment, les principes d’équité exigent qu’elle fournisse à l’appelant un avis ainsi que l’occasion de présenter des observations (Okechukwu, au paragraphe 26; Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 887, au paragraphe 14).

[17]  En l’espèce, la SAR a bien donné un avis à la demanderesse. À trois reprises distinctes, elle a invité Mme Ipaye à présenter des observations, par l’entremise de son avocate, concernant la question de la PRI. Mme Ipaye a en fin de compte déposé un affidavit en réplique. Aucune objection n’a été soulevée concernant le fait que la SAR a tenu compte d’une PRI et aucune observation écrite n’a été déposée.

[18]  La SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant l’appel au motif que Mme Ipaye avait une PRI viable.

B.  L’analyse de la PRI par la SAR était‑elle raisonnable?

[19]  Mme Ipaye affirme que le caractère raisonnable de la décision relative à la PRI est une question en litige, mais elle n’a présenté aucune observation à cet égard. J’ai néanmoins examiné l’analyse que la SAR a faite de la PRI.

[20]  La SAR a adéquatement déterminé le critère en deux volets applicable à la PRI : la SAR peut conclure qu’un demandeur a une PRI si elle est convaincue que (1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région du pays où, selon elle, il existe une PRI et (2) le demandeur peut raisonnablement trouver refuge dans cette région du pays. La SAR a tenu compte des éléments de preuve et des renseignements contenus au dossier, y compris du témoignage que Mme Ipaye a fait devant la SPR, de ses éléments de preuve documentaires, des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays et du guide jurisprudentiel. Rien n’indiquait dans les observations orales ou écrites que ces renseignements n’étaient pas accessibles à Mme Ipaye ou à son avocate.

[21]  La SAR a examiné attentivement la possibilité de persécution et le caractère raisonnable des PRI proposées. En ce faisant, elle a abordé le risque que les agents de persécution identifiés trouvent la demanderesse ainsi que la question de savoir si une personne ayant le profil de Mme Ipaye pouvait raisonnablement déménager au Nigéria. La SAR a également examiné les conditions auxquelles ferait face Mme Ipaye en tant que demanderesse d’asile dans les PRI proposées, se penchant notamment sur des facteurs comme le transport et les déplacements, la langue, l’éducation, l’emploi, le logement, la religion et les soins de santé. L’analyse de la SAR prend en compte la preuve et lie celle‑ci aux conclusions tirées. Elle comporte également les éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité requis, et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

IV.  Conclusion

[22]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question importante de portée générale aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1217‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1217‑19

 

INTITULÉ :

OLASUBOMI ABOSEDE IPAYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Mbong Elvira Akinyemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alisson Engel‑Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mbong Elvira Akinyemi

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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