Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20191022


Dossier : IMM-2247-19

Référence : 2019 CF 1324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

KARIMOU OURY DIALLO

demandeur

et

Le MINISTRE de la citoyenneté et

de l’immigration

défendeur

Jugement et motifs

[1]  Monsieur Karimou Oury Diallo, le demandeur, est un citoyen de la Guinée. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par l’agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent) chargé de statuer sur l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). La présente demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La question déterminante qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité dans la décision défavorable qu’il a rendue au terme de l’ERAR (la décision). L’agent n’a tiré expressément aucune conclusion sur la crédibilité, mais il a conclu que M. Diallo n’avait fourni aucun élément établissant sa participation à des activités politiques en Guinée. L’agent n’a pas justifié cette conclusion malgré la déclaration fournie par M. Diallo relativement à son ERAR, dans laquelle il expliquait qu’il avait été membre d’un parti et donnait des précisions sur ses activités politiques. Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’agent a tiré une conclusion déguisée et déterminante sur la crédibilité dans sa décision, et qu’il aurait dû tenir une audience afin de donner à M. Diallo la possibilité raisonnable d’y répondre. La demande sera accueillie.

I.  Les faits

[3]  Dans l’exposé circonstancié qu’il a fourni au soutien de sa demande d’ERAR, M. Diallo a indiqué qu’il avait exercé des activités politiques en Guinée : il avait d’abord été membre du Rassemblement du peuple de Guinée (le RPG) et avait ensuite changé d’allégeance politique et s’était joint à l’organisation rivale appelée Union des forces démocratiques de Guinée (l’UFDG).

[4]  Monsieur Diallo a décrit de la façon suivante les événements à l’origine de son départ de la Guinée en 2013. L’UFDG a organisé une manifestation en mai 2013, au cours de laquelle M. Diallo a été présenté comme porte‑parole. Quelques jours après la manifestation, des agents de sécurité armés (des policiers et des soldats) se sont présentés à son lieu de travail, l’ont menacé, l’ont battu, et ont pris ses biens, dont 50 000 € qui appartenaient à ses associés. Monsieur Diallo a été arrêté, emprisonné, torturé et blessé par balle à la jambe. Le RPG était, à son avis, responsable de la descente. Monsieur Diallo a été libéré en novembre 2013, a consulté un médecin et a fui le pays pour se rendre en Guinée Bissau.

[5]  En janvier 2014, M. Diallo a quitté la Guinée Bissau pour se rendre au Brésil. De là, il est arrivé aux États-Unis le 14 décembre 2014, après être passé par un certain nombre de pays. Il a demandé l’asile aux États-Unis, mais sa demande a été rejetée. Il a été placé en détention pendant 14 mois et remis en liberté sous surveillance. Il était tenu de se présenter aux autorités américaines de l’immigration à des dates précises, ce qu’il a fait jusqu’au 2 février 2017. Monsieur Diallo craignait, après cette date, de se présenter comme prévu aux autorités étant donné que la plupart de ses amis étaient expulsés des États-Unis.

[6]  Monsieur Diallo est arrivé au Canada pour la première fois le 20 février 2017. Il a présenté une demande d’asile, mais sa demande a été jugée irrecevable suivant l’alinéa 101(1)e) de la LIPR puisqu’il est arrivé au Canada directement des États‐Unis. Une mesure d’exclusion a été prise contre M. Diallo et il est retourné aux États-Unis. Il est revenu au Canada le 1er avril 2018 et, bien que sa demande d’asile ait été cette fois encore jugée irrecevable, il était admissible à un ERAR. Monsieur Diallo a présenté sa demande d’ERAR le 18 avril 2018.

[7]  Monsieur Diallo craint de retourner en Guinée parce que sa vie y a été menacée tant par des représentants du RPG au pouvoir que par ceux à qui appartiennent les 50 000 € pris par les agents de sécurité armés lors de la descente de mai 2013.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Dans sa décision datée du 27 août 2018, l’agent a conclu que M. Diallo ne serait pas exposé à un risque au sens des articles 96 et 97 de la LIPR s’il retournait en Guinée. L’agent a tiré trois conclusions pour en arriver à cette décision :

  • (1) Monsieur Diallo n’a pas établi l’un des éléments essentiels de sa demande d’ERAR, savoir qu’il exerçait des activités politiques en Guinée ou qu’il a été arrêté et torturé pour cette raison. Selon l’agent, M. Diallo n’a présenté [traduction« aucune preuve de ses activités politiques », ni aucun rapport médical confirmant les blessures qui lui auraient été infligées au moment où il a été emprisonné et torturé.

  • (2) Monsieur Diallo ne serait exposé à aucun risque en raison de ses activités politiques antérieures. Selon la preuve documentaire sur la situation en Guinée, l’UFDG est devenue un parti politique d’opposition influent dont les membres siègent à l’Assemblée nationale et occupent des postes importants au sein du gouvernement. L’agent a estimé que le climat politique en Guinée était plus calme depuis les élections de 2018 et qu’il était peu probable que les autorités cherchent à éliminer M. Diallo en raison des activités politiques qu’il avait exercées en 2013.

  • (3) Monsieur Diallo n’a pas établi qu’il avait fait l’objet de menaces de mort en lien avec la disparition des 50 000 €.

[9]  L’agent n’a accordé aucun poids aux éléments de preuve documentaire présentés par M. Diallo : un document dans lequel le frère de M. Diallo attestait que celui‑ci avait été victime de menaces en raison du vol des 50 000 €; les certificats de décès du père et du frère de M. Diallo; et diverses photographies. L’agent était d’avis que l’attestation fournie par le frère de M. Diallo n’appuyait pas son récit et que l’attestation et les certificats de décès avaient manifestement été modifiés. L’agent a également relevé plusieurs problèmes concernant les photographies, dont le fait qu’aucune des personnes photographiées n’était identifiée ou identifiable et le fait que les photographies des manifestations n’étaient pas datées et qu’aucune explication n’y était jointe.

III.  Question préliminaire – nouveaux éléments de preuve

[10]  Le défendeur fait valoir que M. Diallo a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve (nouveaux éléments exposés dans son affidavit ainsi que sa carte de membre de l’UFDG) à l’étape de la présente demande. Le défendeur affirme que M. Diallo répond à des problèmes de fond soulevés par l’agent dans sa décision.   

[11]  Il est bien établi que le dossier de preuve soumis à l’examen de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier dont disposait le décideur. Quelques exceptions reconnues s’appliquent à ce principe général, notamment l’admissibilité d’un affidavit qui contient des renseignements généraux, et dans lequel l’auteur soulève des problèmes d’équité procédurale et fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20). Or, aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[12]  J’ai examiné l’affidavit du 29 avril 2019 de M. Diallo, et je suis du même avis que le défendeur. Je ne tiendrai pas compte des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Diallo, plus particulièrement aux paragraphes 3 et 4 de son affidavit. Je ne tiendrai pas compte non plus de la carte de membre de l’UFDG que M. Diallo cherche à faire verser au dossier de la Cour, comme pièce jointe à son affidavit. Monsieur Diallo soutient qu’il avait fourni son affidavit et sa carte de membre pour étayer son argument de nature procédurale, selon lequel il n’avait pas bien compris en quoi consistait le processus d’ERAR et pensait qu’il aurait l’occasion de fournir d’autres documents. J’estime que cet argument n’est pas convaincant. Monsieur Diallo ne peut ajouter des éléments après avoir reçu la décision. Il n’est pas suffisant d’affirmer qu’il n’avait pas bien compris le processus d’ERAR pour écarter le principe général voulant que le dossier sur lequel repose le contrôle de la décision soit celui dont disposait l’agent.  

IV.  Question déterminante et norme de contrôle

[13]  La question déterminante à laquelle je dois répondre est celle de savoir si l’agent a tiré dans sa décision, en rapport avec le témoignage de M. Diallo, des conclusions déguisées sur la crédibilité. Si ma réponse est affirmative, M. Diallo soutient que l’agent aurait dû tenir une audience conformément à l’alinéa 113b) de la LIPR et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002 227 (le RIPR).

[14]  La jurisprudence récente de la Cour appuie la conclusion selon laquelle la décision de l’agent chargé de l’ERAR de tenir ou non une audience est une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474, aux paragraphes 6 à 10; Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 831, au paragraphe 16). Toutefois, en l’espèce, l’agent ne s’est pas demandé s’il devait tenir une audience et je juge utile l’analyse du juge Pentney dans A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165 (A.B.) (voir également Sala Del Rosario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 705, au paragraphe 11). Voici ce qu’affirme le juge Pentney (A.B., aux paragraphes 13 et 14) :

[13]  Toutefois, au vu des faits qui m’ont été soumis en l’espèce, je ne suis pas d’avis que l’application de l’analyse relative à la norme de contrôle à laquelle on procède habituellement est particulièrement utile (voir Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, aux paragraphes 52 à 55 [Huang]). Je trouve qu’il est préférable d’appliquer les directives récentes qu’a énoncées la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 :

[54]  La Cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. [...]

[14]  Pour examiner cette question, les facteurs qui suivent sont particulièrement pertinents. Le demandeur a présenté une demande d’audience précise et détaillée, en faisant référence aux facteurs énumérés à l’article 167 du RIPR. Toutefois, l’agent n’en a fait aucune mention, pas plus qu’il n’indique si – ou de quelle façon – il a évalué ces facteurs. En ce sens, il n’y a tout simplement aucune « décision » à contrôler, hormis le fait que l’agent n’a pas tenu d’audience. [...]

[15]  Les faits soumis à l’examen du juge Pentney diffèrent de ceux de la présente affaire, car, dans A.B., le demandeur avait présenté une demande d’audience détaillée dont l’agent chargé de l’ERAR n’avait pas tenu compte dans sa décision (Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446, aux paragraphes 19 et 30 (Sallai), expose une situation différente, où la juge Kane a analysé la jurisprudence et examiné si la décision prise à l’issue de l’ERAR possédait les attributs de la raisonnabilité, après avoir souligné que l’agent dans cette affaire s’était demandé s’il y avait lieu de tenir une audience). En l’espèce, l’agent n’a fait aucune remarque concernant la tenue d’une audience, probablement parce que M. Diallo, qui n’était pas représenté par avocat à l’époque, n’en a pas fait la demande. Comme c’était le cas dans A.B., il n’y a aucune « décision » à contrôler, de sorte que je n’ai pas à me demander si elle possède les attributs de la raisonnabilité. Par conséquent, j’examinerai si le processus d’ERAR auquel a été soumis M. Diallo en l’absence d’une audience était juste et équitable.

V.  Analyse

[16]  Je tiens à souligner, comme point de départ de mon analyse, que la plupart des demandes d’ERAR sont traitées sur dossier. Selon l’alinéa 113b) de la LIPR, « une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires », lesquels sont énumérés à l’article 167 du RIPR :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing – prescribed factors

167  Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167  For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a)  l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

a)  whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b)  l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

b)  whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c)  la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

c)  whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[17]  En résumé, les éléments de preuve présentés à l’agent par le demandeur d’asile, visant à établir les éléments mentionnés à l’article 96 ou à l’article 97, doivent soulever une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur pouvant permettre de sceller le sort de la demande d’ERAR. Dans les cas où l’on reproche à l’agent d’avoir tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité, il est particulièrement difficile de savoir si de tels éléments de preuve sont en jeu. Souvent, l’agent ne tire expressément aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité et il conclut seulement que les éléments de preuve présentés par le demandeur ne permettent pas d’établir le bien‑fondé de sa demande ou l’existence d’un risque auquel il serait exposé.

[18]  Je conviens avec le défendeur qu’un décideur peut évaluer le caractère suffisant de la preuve produite par le demandeur sans avoir à se prononcer sur la crédibilité (Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067; Ahmed, au paragraphe 31; A.B., aux paragraphes 25 à 27). La Cour doit, dans tous les cas, se demander si le décideur pouvait raisonnablement, selon le dossier de preuve dont il disposait, tirer une conclusion quant au caractère suffisant de la preuve sans avoir à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.

[19]  Pour évaluer la crédibilité, il faut se demander si les éléments de preuve sont plausibles. Le caractère suffisant de la preuve porte sur la « quantité » d’éléments requis pour établir un fait ou satisfaire au fardeau de preuve. Ces notions ont été examinées en détail par mes collègues dans des affaires récentes (voir, par exemple, Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, aux paragraphes 16 à 35). Le juge Norris a expliqué brièvement la distinction entre la crédibilité et le caractère suffisant (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1207, au paragraphe 31 (Ahmed) :

[31]  Les décideurs qui ont à tirer des conclusions de fait sont souvent tenus de soupeser les éléments de preuve présentés et, avec comme toile de fond le fardeau et la norme de preuve, d’en déterminer le caractère suffisant par rapport aux questions en litige. Les évaluations de la crédibilité peuvent être un facteur important lorsqu’il est question de soupeser une preuve. Cependant, un décideur peut également conclure qu’une preuve est insuffisante sans qu’il faille en évaluer la crédibilité. Un critère utile dans le présent contexte est le suivant: il appartient à la cour de révision de se demander si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles soient véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande de protection. Dans la négative, la demande d’ERAR a alors échoué, non pas à cause d’une conclusion quelconque au sujet de la crédibilité, mais juste à cause du caractère insuffisant de la preuve. En revanche, si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles sont véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande et que, malgré cela, cette dernière a été rejetée, cela donne à penser que le décideur avait des doutes sur la véracité de la preuve.

[20]  Notre Cour est souvent appelée à distinguer si un décideur a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité ou s’il a tiré une conclusion quant au caractère insuffisant de la preuve. Dans chaque cas, le juge fonde sa décision sur la nature de la preuve produite au dossier et sur son examen attentif de la décision en question. Pour ce motif, il est nécessaire de faire un examen approfondi de la décision (Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474, au paragraphe 11).

[21]  Voici les extraits les plus importants de la décision :

[traduction]

Le demandeur affirme qu’il était un opposant politique bien connu, qu’il était membre de l’UFDG et qu’il dirigeait la section jeunesse. C’est dans ce contexte que, à la suite d’une manifestation où il agissait en qualité de porte‑parole, il a été arrêté, emprisonné, torturé et blessé par balle à la jambe.

Cela dit, le demandeur n’a présenté aucune preuve de ses activités politiques. [...]

[...]

L’UFDG est donc un parti important et les tensions qui ont suivi les manifestations de 2011 et de 2012 ont été très médiatisées. Le demandeur, qui affirme être l’un des dirigeants politiques de la section jeunesse de l’UFDG, n’a produit aucun élément de preuve étayant ses activités politiques. En fait, il n’a produit aucune carte de membre, aucune lettre émanant de membres du parti, aucune preuve de son rôle de chef de la section jeunesse du parti, ni aucune communication échangée dans ce contexte. Le demandeur affirme qu’il a été emprisonné et torturé et qu’il a même été blessé par balle à la jambe, mais il n’a produit aucun rapport médical confirmant ses blessures. Bref, le demandeur n’a pas prouvé l’un des éléments essentiels de sa demande, à savoir qu’il exerçait des activités politiques et que c’est la raison pour laquelle il a été emprisonné. [...]

[...]

Dans l’ensemble, la preuve produite n’établit pas l’engagement politique du demandeur. Elle n’établit pas non plus qu’il a été arrêté et torturé pour cette raison, ni que les membres de sa famille ont dû fuir la Guinée pour leur protection. De plus, la preuve objective démontre que les membres du parti auquel appartenait le demandeur sont toujours les représentants de l’opposition officielle, et que certains siègent à l’Assemblée. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincu que le demandeur est exposé à un risque en lien avec ses activités politiques. 

[22]  Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de l’ensemble de la preuve produite par M. Diallo et que sa conclusion selon laquelle aucun élément n’établissait les activités politiques de M. Diallo en Guinée était fondée uniquement sur le caractère insuffisant de la preuve. Je ne suis pas du même avis.

[23]  L’agent disposait de l’exposé circonstancié produit par M. Diallo relativement à l’ERAR. Dans cet exposé, M. Diallo a relaté de manière détaillée sa participation aux activités de l’UFDG, notamment son rôle de dirigeant ainsi que sa participation à la manifestation de mai 2013. Il a également fait état de son emprisonnement et de la torture que lui ont fait subir des agents du gouvernement. L’agent n’a pas renvoyé à l’exposé circonstancié dans sa décision et n’a soulevé aucune préoccupation quant à la crédibilité, mais il a néanmoins conclu catégoriquement que M. Diallo n’avait présenté [traduction« aucune preuve quant à ses activités politiques ». L’agent n’aurait pu conclure à l’absence de preuve quant aux activités politiques de M. Diallo s’il avait ajouté foi aux affirmations de fait formulées par M. Diallo dans l’exposé circonstancié qu’il a produit relativement à l’ERAR. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent a fait une appréciation de la crédibilité du demandeur qu’il n’a pas exprimée dans sa décision. Il a donc tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité.

[24]  Les termes choisis par l’agent démontrent qu’il a rejeté, de manière implicite ou déguisée, le témoignage de M. Diallo :

   Le demandeur, qui affirme être l’un des dirigeants politiques de la section jeunesse de l’UFDG, n’a produit aucun élément de preuve étayant ses activités politiques.

   Le demandeur affirme qu’il a été emprisonné et torturé et qu’il a même été blessé par balle à la jambe, mais il n’a produit aucun rapport médical confirmant ses blessures.

[25]  Les faits exposés par M. Diallo relativement à ses activités politiques en Guinée constituent un élément clé de sa demande d’ERAR. Le rejet par l’agent du témoignage de M. Diallo soulevait une question importante en ce qui concerne sa crédibilité : les facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR étaient donc présents. 

[26]  À mon avis, l’agent aurait dû tenir une audience afin de donner à M. Diallo la possibilité de répondre aux questions que soulevaient son exposé circonstancié et les éléments de preuve à l’appui. Le défaut de l’agent à cet égard a fait en sorte de priver M. Diallo d’un processus équitable. Pour ce motif, j’accueille la demande de contrôle judiciaire de M. Diallo. Je fais également remarquer que M. Diallo, dont la demande d’asile était irrecevable parce qu’il est entré au Canada en provenance des États‐Unis, n’a pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations concernant son exposé circonstancié et sa crédibilité lors d’une audience antérieure devant la Section de la protection des réfugiés (A.B., au paragraphe 14). L’autre agent à qui sera confiée la tâche de rendre une nouvelle décision relativement à l’ERAR pourra vérifier l’exactitude des affirmations de fait de M. Diallo et évaluer ses réponses en fonction des éléments de preuve documentaire qu’il a versés, lesquels, je le reconnais, sont bien peu nombreux.

[27]  Le défendeur soutient que, même si l’agent avait évalué la crédibilité du demandeur de façon déguisée, son examen de la preuve documentaire relative à la Guinée était raisonnable. Vu la conclusion de l’agent selon laquelle l’UFDG s’élève, en cette période actuelle de calme politique en Guinée, au rang de parti de l’opposition dont les membres siègent en toute sécurité à l’Assemblée nationale, M. Diallo ne serait exposé à aucun risque s’il y retournait, malgré les activités politiques qu’il a exercées en 2013. Le défendeur fait valoir, en conséquence, que le rejet de la demande d’ERAR par l’agent était inévitable.

[28]  L’examen équitable de la preuve produite par M. Diallo signifie que le changement qui s’est peut-être produit depuis son départ dans la situation en Guinée ne permettra pas à lui seul de trancher la question de savoir s’il serait exposé à un risque à son retour. Bien que l’agent ait examiné le paysage politique actuel en Guinée et qu’il ait fourni à cet égard des explications claires et intelligibles, M. Diallo soutient que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires sur la situation dans le pays. Lors du réexamen, M. Diallo aura l’occasion de présenter des observations sur la situation politique actuelle en Guinée et sur la question de savoir s’il serait exposé à un risque à son retour, en raison de cette situation.

VI.  Conclusion

[29]  La demande est accueillie.

[30]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier nIN IMM 2247 19

LA COUR STATUE QUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de novembre 2019

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM 2247 19

 

INTITULÉ :

KARIMOU OURY DIALLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Nalini Reddy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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