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Date : 20000920

Dossier : IMM-4818-99

ENTRE :

JAZXHIU, ILIR

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) en date du 13 septembre 1999, par laquelle la Commission avait estimé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2] Le demandeur est citoyen albanais et membre de la minorité catholique romaine de ce pays. Sa revendication est fondée sur sa crainte d'être persécuté par la police et par les fondamentalistes musulmans à cause de ses opinions politiques et de sa religion.


[3] Les faits suivants sont extraits du Formulaire de renseignements personnels du demandeur, de la transcription de l'audience et des motifs de la décision. En 1990, le demandeur a fui l'Albanie pour l'Allemagne. Après avoir présenté sans succès une demande d'asile en Allemagne, il est retourné en Albanie en février 1998. Pendant qu'il vivait à Korce, le demandeur a aidé deux amis à construire une église, en échange du vivre et du couvert. Alors qu'il travaillait à ce projet, des membres de la foi musulmane l'injuriaient ouvertement, ainsi que ses amis. En mai 1998, l'église, encore inachevée, fut brûlée et le demandeur fut blessé. Aucune aide ne leur a été apportée par la police. Le demandeur et ses amis ont répandu un prospectus qui appelait à une aide pour l'église et pour le Parti démocratique.

[4] Durant cette période, le demandeur a aussi assisté à des réunions publiques et s'est exprimé contre le Parti socialiste.

[5] Le 1er juillet 1998, le demandeur et ses amis ont assisté à une réunion du Parti socialiste, durant laquelle ils ont critiqué le parti. Le jour suivant, le demandeur a été arrêté et accusé d'[TRADUCTION] « activités hostiles à l'intérêt national » . Selon le demandeur, il a été torturé, puis emprisonné jusqu'au 25 août 1998. Durant son hospitalisation pour des traitements médicaux, il s'est échappé, puis a quitté ensuite l'Albanie pour le Canada.


[6]         Il appert du Formulaire de renseignements personnels que, immédiatement avant ce dernier incident, le demandeur a été impliqué dans un conflit qui a conduit à son arrestation. Il aurait donné un faux nom à la police et aurait été libéré 20 heures plus tard.

[7]         Le demandeur affirme d'abord qu'il n'a pas eu droit à une audience équitable, en raison de l'interprétation déficiente et des interruptions excessives des membres de la Commission.

[8]         L'audience s'est déroulée en anglais, avec l'aide d'un interprète allemand. Il appert de la transcription que l'un des membres du tribunal ainsi que l'avocat du demandeur comprenaient l'allemand. Une lecture de la transcription révèle que, tout au long de l'audience, l'interprétation a posé des problèmes. Au début, l'interprète avait un mal considérable à suivre le rythme de l'instance. À plusieurs reprises également, le membre du tribunal ou l'avocat du demandeur venaient en aide à l'interprète lorsqu'il ne comprenait pas le demandeur. À certains moments, l'avocat du demandeur est intervenu pour corriger ce qu'il considérait être une erreur d'interprétation.


[9]         L'avocat du demandeur affirme que, eu égard aux difficultés évidentes surgies durant l'interprétation, et puisque l'un des membres du tribunal était en mesure de comprendre les témoignages dans la langue dans laquelle ils étaient produits, l'autre membre du tribunal se trouvait par le fait même exclu de l'audience.

[10]       En l'espèce, malgré les difficultés évidentes surgies durant l'interprétation, et vu les éclaircissements et rectifications apportés durant l'audience, vu également l'absence d'éléments de preuve indiquant l'existence d'autres erreurs, je ne suis pas persuadée que ces difficultés ont entraîné à elles seules une mauvaise appréciation de la preuve chez l'un ou l'autre des membres de la Commission.

[11]       Le point principal cependant concerne la compréhension que le demandeur avait de la procédure. Plus précisément, a-t-il bien compris les questions posées? Le demandeur a produit, dans le présent contrôle judiciaire, un affidavit dont le paragraphe 8 est rédigé ainsi :

[TRADUCTION]

Durant l'audience, et durant la pause, j'ai indiqué à mon avocat que j'avais du mal à comprendre l'interprète et que l'interprète parlait très fort. Mon avocat m'a dit que l'interprète « faisait de son mieux » et que, de toute manière, l'un des membres du tribunal parlait allemand, de même que l'ACR.


[12]       Dans l'affaire Ming c. Ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté, (1990) 107 N.R. 296, à la page 300, le juge MacGuigan, adoptant les propos du juge Wilson, s'exprime ainsi : « Les parties reconnaissent que, comme l'a dit le juge Wilson dans l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et Association des conseillers scolaires francophones du Nouveau-Brunswick c. Minority Language School Board No. 50 et Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch, [1986] 1 R.C.S. 549, à la page 622 : "le principe de l'équité dans les procédures judiciaires exige à tout le moins qu'il y ait une capacité de comprendre et d'être compris". »

[13]       Ici, le fait que le demandeur s'est plaint des difficultés qu'il avait, et cela à la première occasion et immédiatement après un échange particulièrement difficile où il y avait des problèmes évidents, ajoute foi à son affirmation. D'ailleurs, sa difficulté de compréhension est attestée par les divers cas, mentionnés dans la transcription, où les réponses du requérant ne s'accordaient pas avec les questions posées. Il ne s'agissait pas de faux-fuyants de la part du demandeur, mais plutôt d'une absence totale de cohérence entre les questions et les réponses.

[14]       La frustration et l'impatience évidentes des membres du tribunal ont entraîné de nombreuses interruptions destinées à faire en sorte qu'il soit répondu aux questions. Finalement, certaines questions se sont perdues et sont demeurées sans réponse.


[15]       Le demandeur affirme aussi que la Commission n'a pas bien apprécié la preuve et n'a pas tenu compte de témoignages pertinents. Dans ses motifs, la Commission affirme que [TRADUCTION] « le revendicateur a tenté en vain de se faire passer pour une personne très visible et politiquement motivée » , mais aucun des éléments de preuve produits n'autorise cette conclusion. D'ailleurs, s'agissant de l'incident au cours duquel le demandeur a donné un faux nom à la police, la Commission s'est demandé pourquoi il n'avait pas été puni pour cet incident, étant donné que [TRADUCTION] « l'usurpation d'identité est un délit grave et, malgré cela, il n'a nullement été puni » . Ici, la Commission présume que les autorités étaient au courant de l'usurpation d'identité, mais rien n'autorise cette présomption.

[16]       La Commission met en doute aussi la crédibilité du demandeur concernant son arrestation pour [TRADUCTION] « activités hostiles à l'intérêt national » parce qu'aucune peine n'a jamais été prononcée contre lui. Toutefois, il ressort de la preuve que le demandeur s'est échappé. De plus, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire concordante produite par le requérant, soit un certificat délivré par la Cour de district de Korce, où l'on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Nous certifions par les présentes que Ilir Bardhyl Jazxhiu a été arrêté le 2 juillet 1998 en raison de ses activités démocratiques et de sa position anti-islamique.

Ilir Bardhyl Jazxhiu s'est enfui du pays le 27 août 1998.

Les poursuites engagées contre Ilir Bardhyl Jazxhiu continuent, en vertu de la loi 57364/23, depuis le 2 juillet 1998.


[17]       L'effet cumulatif des interruptions nécessitées par les éclaircissements, les rectifications, ainsi que les tentatives faites pour que le demandeur réponde aux questions posées, est tel que le demandeur n'a tout simplement pas eu une occasion équitable d'exposer le fondement de sa revendication. Cet aspect, jumelé à la mauvaise appréciation des éléments de preuve, fait que cette revendication devrait être renvoyée pour être de nouveau entendue.

[18]       En conséquence, la décision du 13 septembre 1999 est annulée, et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition par un tribunal différemment constitué.

[19]       L'avocat du demandeur a proposé une question à certifier, pour le cas où la Cour rendrait une décision se rapportant à un aspect particulier soulevé durant l'audience. Comme il n'a pas été nécessaire, aux fins des présents motifs, d'aborder cet aspect, aucune question ne sera donc certifiée.

                 « Dolores M. Hansen »                 

J.C.F.C.                           

Ottawa (Ontario)

Le 20 septembre 2000

Traduction certifiée conforme.

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               IMM-4818-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Jazxhiu, Ilir

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                13 mars 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Mme le juge Hansen

EN DATE DU                                     20 septembre 2000

ONT COMPARU :

Rocco Galiti,                                         POUR LE DEMANDEUR

Andrea M. Hoerton,                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Galati, Rodrigues & Associates             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR

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