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Date : 20050127

Dossier : IMM-2196-04

Référence : 2005 CF 138

Toronto (Ontario), le 27 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

STEVEN WILLIAM TUCK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]        M. Steven William Tuck (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 février 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a décidé que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

CONTEXTE

[2]        Le demandeur est citoyen des États-Unis. Il est arrivé au Canada le 1er juillet 2001 et il a fait une demande d'asile le 16 avril 2002, au motif qu'il disait craindre d'être persécuté aux États-Unis du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir, les personnes qui consomment le cannabis sativa (le cannabis ou la marihuana) à titre médical.

[3]        Subsidiairement, le demandeur a prétendu être une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, au motif que, s'il était renvoyé aux États-Unis, sa vie serait en danger ou qu'il serait exposé à des traitements ou à des peines cruels et inusités vu qu'il craignait de se voir refuser dans ce pays la marihuana dont il a besoin pour rester en vie.

[4]        La Commission a entendu la déposition du demandeur au sujet de ses activités de culture de marihuana et de distribution de ce produit aux personnes consommant la marihuana comme analgésique. Le demandeur a parlé d'un raid effectué sur sa ferme le 24 juillet 2000, lorsque les autorités ont trouvé 839 plants de marihuana dans une culture intérieure. Un autre raid a eu lieu le 12 mars 2001 et le demandeur et son conjoint se sont fait remettre une citation à comparaître pour répondre à une accusation.

[5]        Dans sa déposition, le demandeur a déclaré que, lorsqu'il s'est présenté à la cour avec son conjoint, on les a informés qu'il n'avait pas été porté et qu'il ne serait pas porté d'accusations contre eux.

[6]        Le demandeur croyait qu'il était harcelé par les agents des forces de l'ordre locales et, le 14 avril 2001, il a officiellement porté plainte et a engagé une action civile contre le shérif local. Trois jours plus tard, il a été accusé de six infractions relativement aux perquisitions et aux saisies effectuées en juillet et en mars 2001. Le demandeur a comparu devant la cour et il a signé une entente de non-comparution qui le dispensait de comparaître devant la cour jusqu'à la sélection du jury du procès.

[7]        Une enquête préliminaire a eu lieu à la Cour supérieure du comté de Humbolt le 25 juillet 2001. Le demandeur n'a pas comparu et un mandat d'arrêt a été lancé contre lui par le juge. Selon le demandeur, son avocat l'a apparemment informé que le shérif avait l'intention de le priver de morphine et de cannabis s'il était arrêté et détenu dans l'attente de son procès.

[8]        A l'époque des raids et des accusations, il résidait dans l'État de Californie. La Californie, en 1996, avait adopté la Compassionate Use Act (CUA), article 11362.5 du Code de la santé et de la sécurité de la Californie. Cette loi autorisait les personnes ayant besoin de consommer de la marihuana à des fins médicales de cultiver leurs propres plants. Elle n'était applicable que dans l'État de Californie, et elle était en conflit direct avec la position adoptée par la Federal Drug Enforcement Agency, qui considérait que la marihuana est un narcotique de l'annexe I sans valeur médicale.

[9]        Aux termes de la loi fédérale, la possession et la consommation de marihuana pourraient mener les forces de l'ordre fédérales à porter des accusations contre le demandeur. Il craint qu'elles le fassent éventuellement et qu'il se verra refuser l'accès à la marihuana à des fins médicales s'il est déclaré coupable de ces infractions et emprisonné. Nul élément de preuve n'établit que des accusations relatives à la loi fédérale ont été portées contre lui.

[10]      La Commission a examiné les éléments de preuve produits par le demandeur et conclu à l'absence d'une crainte subjective d'être persécuté et de risque de préjudice aux États-Unis. Elle a conclu que cette crainte était hypothétique. Néanmoins, elle a analysé la question de la protection offerte par l'État et, en fin de compte, elle a conclu que le demandeur n'avait pas produit de preuves « claires et convaincantes » montrant que les États-Unis refusaient ou étaient incapables de le protéger des risques et des préjudices. À cet égard, la Commission s'est appuyée sur les motifs exposés dans la décision Kubby et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (17 novembre 2003), No dossier SPR #VA2-01374, en ligne : CISR < http://www.irb-cisr.gc.ca/fr/decisions/public/kubby/kubby_f.pdf > , une affaire mettant en jeu des faits semblables concernant la consommation de marihuana à des fins médicales d'un citoyen des États-Unis résidant en Californie.

[11]      La Commission a étudié la prétention du demandeur, selon laquelle il était une personne à protéger, aux termes de l'article 97 de la LIPR. Elle a conclu que, vu l'ensemble de la preuve, le demandeur n'avait pas établi qu'il y avait des motifs solides de croire qu'il serait personnellement exposé au risque d'être torturé ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé aux États-Unis.

ANALYSE ET DÉCISION

[12]      La norme d'examen applicable aux décisions du tribunal est la décision manifestement déraisonnable; voir Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.). En regard de cette norme, je suis d'avis que, en l'occurrence, rien ne justifie l'intervention de la Cour.

[13]      Il ressort clairement de la preuve que le demandeur craint d'être poursuivi pénalement par les autorités fédérales des États-Unis. La Commission a conclu que cette crainte était hypothétique. C'est aussi mon avis. Il suffit de citer l'extrait suivant de la déposition du demandeur devant la Commission pour montrer que les conclusions de la Commission ayant trait à la prétention d'être un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger s'appuient sur la preuve produite :

[...]

[TRADUCTION] S'ils me donnaient une lettre du gouvernement fédéral dès maintenant me disant qu'il ne me poursuivra pas rien que pour ces infractions, vous voyez, pour mes activités de cannabis médical - - pas une amnistie complète pour tout ce que j'ai fait, mais rien que pour ce qui a trait au cannabis médical, s'ils me donnaient une lettre me promettant que je ne serai pas poursuivi, je rentrerais et je me présenterais à mon procès devant une cour d'État demain. Je n'ai pas peur du jury si je suis jugé par une cour d'État, parce que ce que j'ai fait était réglo.

Mais maintenant, au fur et à mesure que les jours s'écoulent, mes preuves dépérissent, je suis donc partagé, ma situation empire de jour en jour et les fédéraux refusent de dire s'ils vont me poursuivre, oui ou non. C'est la seule chose que je leur ai demandée. Allez-vous me poursuivre, oui ou non? Parce que si les fédéraux ne vont pas me poursuivre, j'étais alors prêt à faire ce que vous venez de dire. Je veux négocier mon retour aux États-Unis avec les autorités de l'État. Cela ne me préoccupe pas.

[14]      La Commission n'a pas non plus fait erreur dans son évaluation de la protection offerte par l'État. Les États-Unis d'Amérique sont une démocratie. La CUA est une loi d'application générale dans l'État de Californie. La Federal Drug Enforcement Agency est un organisme fédéral chargé d'administrer la législation fédérale encadrant la consommation de drogues. Il n'appartient pas à la Cour de porter des jugements sur les choix législatifs des corps législatifs élus qui touchent les résidents de l'État de Californie ou de la République des États-Unis d'Amérique respectivement.

[15]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'y a aucune question susceptible d'être certifiée.

ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a aucune question susceptible d'être certifiée.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-2196-04

INTITULÉ :                                                       STEVEN WILLIAM TUCK

                                                                           c.

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 28 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                      LE 27 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Rudolph Kischer                                                   POUR LE DEMANDEUR

Keith Reimer                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Group                                      POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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