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Date : 19990928


Dossier : IMM-5478-98

Ottawa (Ontario), le mardi 28 septembre 1999.


EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :


RAJINDER GEORGIO CANAGASURIAM,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE


     LA COUR ORDONNE :


     Que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision faisant l"objet du présent contrôle est annulée et la demande que le demandeur a présentée en vue d"être admis au Canada est renvoyée au défendeur pour qu"un autre agent statue à son tour sur celle-ci.



" Frederick E. Gibson "

                                             Juge


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19990928


Dossier : IMM-5478-98


ENTRE :


RAJINDER GEORGIO CANAGASURIAM,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d"une décision, datée du 4 septembre 1998, dans laquelle un agent des visas de l"Ambassade du Canada à Manille (Philippines) a déterminé que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences applicables en matière de résidence permanente au Canada soit à titre de réfugié au sens de la Convention, soit dans le cadre de toute autre catégorie d"immigrants.

[2]      Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur est étroitement liée à celle de son frère, Alino, qui, en compagnie de son épouse, a eu une entrevue avec l"agent des visas qui avait eu une entrevue avec lui-même et son épouse la même journée. La demande de résidence permanente au Canada que Alino Canagasuriam avait présentée en tant que réfugié au sens de la Convention ou en invoquant toute autre catégorie d"immigrants a aussi été rejetée. Cette décision a également fait l"objet d"une demande de contrôle judiciaire, que j"ai entendue juste avant la présente demande. Je rends mes motifs de décision et l"ordonnance concernant la demande de Alino la même journée que les présents motifs et l"ordonnance qui en découle1.

[3]      Les faits qui sous-tendent la présente demande et ceux qui sous-tendent la demande du frère du demandeur, Alino, sont étroitement liés. Pour illustrer cela et résumer le contexte de la revendication du demandeur, je ne peux faire mieux que citer abondamment l"affidavit qu"il a produit pour étayer la présente demande. La crédibilité du demandeur n"a pas été mise en cause.

[TRADUCTION]
1.      En mars 1996, mon frère Alino Canagasuriam et son épouse se sont enfuis du Sri Lanka, où ils craignaient être persécutés, pour se rendre à Manille (Philippines). Par la suite, en mai 1996, mon épouse et moi-même nous sommes également enfuis du Sri Lanka en direction de Manille, pour la même raison. J"ai demandé au Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) aux Philippines de me protéger afin que je ne sois pas renvoyé au Sri Lanka. J"ai également fourni une déclaration écrite au HCNUR exposant les raisons pour lesquelles je cherchais à me réfugier à l"extérieur du Sri Lanka et j"ai eu une entrevue de plus de deux heures avec des représentants du HCNUR concernant ma demande. Par suite de cette entrevue, le HCNUR aux Philippines m"a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention dans une lettre datée du 21 mai 1996.
...
6.      Mon frère Alino et moi-même avons chacun eu, en compagnie de nos épouses respectives, une entrevue à l"Ambassade du Canada de Manille, le 4 octobre 1996. Les deux entrevues ont été menées par la même agente des visas, soit Mme P.A. Fraser. Nos demandes ont été rejetées en février 1997, Mme Fraser ayant conclu que nous n"étions pas visés par la définition de réfugié au sens de la Convention. Nous avons présenté une demande de contrôle judiciaire, qui a été accueillie, et avons éventuellement été convoqués à une autre entrevue à l"Ambassade du Canada, qui devait être menée par John Burroughs, premier secrétaire de l"immigration. Cette entrevue a eu lieu en juillet 1997.
...
8.      Ma revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est fondée sur la crainte que j"éprouve d"être persécuté au Sri Lanka en raison de mes opinions politiques. Voici un résumé des renseignements que j"ai fournis au cours de l"entrevue, à l"ambassade canadienne.
9.      Je suis l"aîné d"une famille de sept enfants. Mon père, Wilson Canagasuriam, était un ingénieur civil qui travaillait pour le ministère de l"Irrigation. Ma mère, Sybil Canagasuriam, enseignait l"anglais. Notre famille a déménagé plusieurs fois au cours de mon enfance en raison du travail de mon père, mais nous nous sommes éventuellement établis à Batticaloa, dans la province du nord-est du Sri Lanka, vers 1969. Après le décès de mon père en 1973, je suis devenu chef de famille.
10.      Je suis un Tamoul du Sri Lanka et j"appartiens à la communauté catholique romaine tamoule de ce pays. J"ai fréquenté le collège St-Joseph"s, à Trincomalee, et le collège St. Michael"s, à Batticaloa. J"ai quitté l"école après avoir réussi mes examens de niveau " O " (ordinaire) en 1975 et j"ai commencé à travailler pour subvenir aux besoins de ma famille.
11.      En 1977, j"ai soutenu le TULF (Tamil United Liberation Front), un parti politique qui promettait aux Tamouls la création de leur propre patrie au Sri Lanka, l"" Ealam Tamoul ", vu l"intensification de la discrimination que la majorité cinghalaise faisait subir aux Tamouls. Cependant, comme le TULF n"a pu remplir ses promesses électorales, de nombreux jeunes Tamouls ont été déçus et ils ont commencé à réclamer une lutte armée afin d"atteindre cet objectif.
12.      La lutte armée a éventuellement pris naissance et elle était menée par les TLET (Tigres libérateurs de l"Ealam Tamoul). Ce développement a engendré une plus grande répression de la communauté tamoule, qui était pacifique, aux mains de l"armée du Sri Lanka, dont les membres appartenaient à la communauté cinghalaise. Les Tamouls ont été harcelés, détenus et battus, et plusieurs d"entre eux sont disparus. La population cinghalaise a pillé des foyers et des commerces tamouls dans le sud du pays, et les forces armées du Sri Lanka n"ont pas vraiment protégé les Tamouls.
13.      Vu la crainte que lui inspiraient ces incidents, ma mère m"a envoyé à Colombo pour que je suive un cours dans le domaine de la " réfrigération et air climatisé ", que j"ai complété en 1979. À Colombo, j"ai subi de la discrimination et des insultes parce que j"étais tamoul. Après avoir réussi mes examens, je n"ai pu me trouver un emploi à Colombo vu que j"étais un jeune Tamoul.
14.      Je suis retourné à Batticaloa, où j"ai éventuellement obtenu un emploi de commis d"hôtel à l"hôtel Sigiriya Village, à Sigiriya. J"ai travaillé là jusqu"en décembre 1985. Au cours de cette période, l"armée du Sri Lanka exerçait une pression constante sur nous, à Batticaloa, car elle soupçonnait tous les Tamouls d"être des terroristes. Les TLET exerçait également une pression constante sur nous, car ils voulaient que tous les Tamouls les soutiennent et ils recrutaient de jeunes Tamouls, même contre leur gré. J"ai réussi à conserver mon emploi à l"hôtel en ne tenant pas compte des insultes et de la discrimination que je subissais en raison de ma race et en m"efforçant d"avoir de bons rapports avec mes collègues cinghalais. En 1983, j"étais en visite à Colombo lorsque les émeutes contre les Tamouls ont éclatées, et j"ai vu de mes propres yeux le pillage d"immeubles et le meurtre de Tamouls. J"ai dû me réfugier en compagnie d"autres Tamouls dans un camp de réfugiés, pendant environ deux semaines.
15.      En 1986, j"ai obtenu un emploi dans un autre hôtel, à Negambo. À cette époque, je suivais un cours de " gestion du personnel ", que j"ai complété en avril 1987. À cette époque, j"ai été harcelé et j"ai fait l"objet de discrimination parce que j"étais tamoul, particulièrement lorsque survenait un incident impliquant les TLET. Compte tenu de la situation, j"ai accepté un emploi qui m"était offert en Arabie saoudite en juillet 1987. J"ai travaillé dans un hôpital de ce pays en tant que superviseur du nettoyage jusqu"en juin 1988, alors que je suis rentré au Sri Lanka.
16.      En novembre 1988, j"ai épousé une Cinghalaise, Mme Kamani Kumari Boyagoda, dont je suis tombé amoureux au Sigiriya Village, à l"époque où j"y travaillais. Ma famille et celle de Kamani se sont opposées au mariage. Je croyais que notre mariage créerait une harmonie entre ma famille et la communauté cinghalaise. Kamani était bouddhiste, mais elle s"est convertie à la religion catholique après notre mariage. Elle a éventuellement été acceptée par ma famille après le mariage, et sa mère en est venue à accepter le mariage. Cependant, les autres membres de sa famille n"ont pas eu de contact avec nous depuis le mariage.
17.      De 1989 à mars 1993, j"ai travaillé en tant que directeur administratif/comptable pour l"agence de voyage Y-SHE Holidays (Private) Limited, qui se trouve à l"hôtel Galadari Merideen, à Colombo, sur le chemin Lotus. Mon épouse et moi-même vivions à l"écart des autres membres de ma famille à cette époque. Je ne prenais part à aucune activité politique. Cependant, en raison du seul fait que je suis tamoul, la police m"a arrêté en 1990. On m"a alors dit qu"on voulait me donner une leçon. On m"a arrêté un vendredi afin que je passe la fin de semaine en prison, mais heureusement, mon frère Alino, qui était étudiant en droit à l"époque, a réussi à me faire libérer. Je n"ai fait l"objet d"aucune accusation. Les autorités policières m"ont arrêté simplement pour me harceler et m"intimider parce que je suis un Tamoul. À cette époque, j"ai tenté de quitter le pays parce que j"en avais assez d"être coincé entre les TLET et les forces armées du Sri Lanka. Cependant, cette tentative a échoué.
18.      En avril 1993, j"ai commencé à travailler en tant que directeur administratif/comptable pour la société Eagle Informatic Systems (Private) Ltd., à Colombo. Depuis que la guerre avait éclaté entre les TLET et les forces gouvernementales du Sri Lanka, en 1990, j"avais fait le nécessaire pour que les autres membres de ma famille quittent Batticaloa pour s"installer à Colombo, vu que la situation à Batticaloa était extrêmement dangereuse. L"état de santé de ma mère était très mauvais en raison des bombardements, des arrestations, des sévices, etc. dont les Tamouls faisaient constamment l"objet. Nous devions nous enregistrer auprès des autorités policières, mais nous risquions toujours d"être arrêtés parce que quiconque nous en voulait pouvait dire aux autorités policières que nous étions des " Tigres ". Nous avons été beaucoup harcelés et persécutés pour cette raison. Vers 1992, nous avons déménagé dans une maison qui se trouvait à Mount Lavinia, où nous avons demeuré jusqu"en avril 1994. Plus tard, nous avons déménagé dans une autre maison à Mount Lavinia, dans laquelle nous avons vécu jusqu"en janvier 1996. Les membres de ma famille qui vivaient à Mount Lavinia à cette époque comprenaient mon frère Alino et son épouse, mon frère Antonio, et ma mère (jusqu"à ce qu"elle rende visite à ma soeur Leonie, au Canada, en 1995).
19.      Les membres de notre famille ont commencé à se disperser au cours de cette période. En mars 1989, ma soeur Leonie a épousé un médecin tamoul et elle a déménagé avec lui en Angleterre, puis au Canada. Mon autre soeur, Charmaline, qui était enseignante à Batticaloa, a dû s"enfuir à Kandy après qu"elle a été arrêtée par l"armée du Sri Lanka. Mon jeune frère Antonio a commencé à s"impliquer au sein d"un autre groupe militant tamoul, le EPRLF; pour cette raison, ma mère a fait le nécessaire pour qu"il aille vivre à Colombo. Ma soeur Miriam a épousé un " Tamoul du Hill Country " qui est chrétien et qui connaît la langue et la culture cinghalaises et quia n"est pas considéré comme un Tamoul. Elle s"est installée avec la famille de celui-ci. Nous avons eu peu de contact avec elle après son mariage, car la famille ne voulait pas que l"on sache qu"ils sont tous les deux des Tamouls.
20.      Cependant, les membres de ma famille ont continué d"être persécutés parce qu"ils sont tamouls et parce qu"on les soupçonne de s"opposer au gouvernement du Sri Lanka. Mon frère Marino, qui travaillait dans le domaine de la publicité à Colombo, se faisait constamment harceler par l"armée et la police du Sri Lanka. Les autorités le harcelaient parce qu"il était lié à M. Lucien Rajakarunanayake, un journaliste qui, à la fin des années 80, avait fortement critiqué le gouvernement de l"UNP. Mon frère Marino avait également enregistré une conversation de pilotes du Sri Lanka qui avaient bombardé des cibles civiles en 1987, et un article à propos de cet incident avait été publié dans des journaux étrangers. En raison de ce harcèlement, mon frère Marino s"est rendu en Angleterre en 1990, où il a revendiqué le statut de réfugié.
21.      Pendant cette période, ma soeur cadette Charmaline, qui se trouvait à Colombo, a été arrêtée deux fois pour la seule raison qu"elle est tamoule. Un Tamoul qui résidait en Hollande a demandé à Charmaline si elle voulait l"épouser; elle s"est rendue dans ce pays en novembre 1993. En fin de compte, comme elle n"a pas voulu épouser cet homme, elle s"est rendue au Canada en avril 1994, où elle a obtenu le statut de réfugiée au sens de la Convention. Mon jeune frère Antonio ayant reçu une balle, ma mère, qui craignait le pire, a fait le nécessaire pour qu"il se rende à Abu Dhabi en 1992. N"ayant pu se rendre plus loin, il a dû retourner au Sri Lanka. Il a tenté de nouveau en 1993 de se rendre en Angleterre en passant par Bangkok, mais il est retourné au Sri Lanka après huit mois.
22.      Le 29 juin 1995, mon frère Alino a épousé Arul Shanthy dans le cadre d"une cérémonie civile. Après le mariage, notre mère s"est rendue au Canada pour rendre visite à ma soeur Leonie, à Halifax. Elle a obtenu une prolongation de la durée de son visa de visiteuse après que la situation s"est détériorée au Sri Lanka à la fin de 1995 et en 1996. Elle a depuis obtenu le statut de réfugiée au sens de la Convention en s"adressant à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié), au Canada. Sa revendication du statut de réfugiée était fondée sur sa crainte d"être persécutée vu ce qui était arrivé aux autres membres de notre famille, au Sri Lanka.
23.      En novembre 1995, mon cousin Paul Purusothman Thiagarajah, le fils du frère de ma mère, qui faisait partie des forces policières de réserve, a été arrêté par les autorités policières de Kotehena et détenu par le bureau des enquêtes criminelles sur la foi d"une accusation inventée. On le soupçonnait d"appartenir aux TLET et de fournir des renseignements à ces derniers. Mon frère Alino a tenté de lui rendre visite en tant qu"avocat le représentant, mais il n"a pas obtenu l"autorisation de s"entretenir avec lui et un agent l"a avisé que s"il se mêlait de cette affaire, il (Alino) serait assassiné.
24.      Paul a été agressé lors de sa détention et le muscle de son bras gauche a subi un dommage permanent. Il a été pendu par les pouces puis battu, ce qui a crée un espace vide dans son bras gauche, tout juste au-dessus du coude, là où il devrait y avoir un muscle. Alino a convaincu le juge d"ordonner que Paul demeure à l"hôpital de la prison de Welikade jusqu"à ce qu"il soit libéré. Après trois tentatives, Paul a été mis en liberté sous caution. Après sa libération, on lui a ordonné de se présenter chaque semaine au poste de police de Kotehena mais, comme il craignait qu"on lui ferait du mal, il s"est caché.
25.      Après cet incident, notre situation a énormément changé. Mon frère Alino a poursuivi son combat contre l"injustice et pour les droits du peuple tamoul, que les autorités policières et les forces armées maltraitent en application de la " Prevention of Terrorism Act ". Après la libération de Paul, les autorités policières et les forces de la sécurité se sont mises à notre rendre visite et à fouiller la maison que nous partagions tous. À l"occasion de ces visites, elles nous maltraitaient et menaçaient. J"ai eu la chance de ne jamais assister à l"une de ces fouilles.
26.      À l"occasion d"une de ces visites, cependant, mon épouse était à la maison. Les autorités policières ont examiné sa carte d"identité et constaté que l"un de ses noms était " Boyagoda ". On lui a demandé si elle était liée à Ajith Boyagoda, le commandant du navire " Sagarawardene ". Ajith Boyagoda ne prenait pas part aux activités des TLET, comme l"a mentionné la lettre de refus. Son navire a été attaqué par les TLET et il a été fait prisonnier. Cependant, on le soupçonne maintenant, semble-t-il, d"aider les " Tigres de la mer ", les forces navales des TLET. Après avoir dit à la police qu"il était son cousin, le fils du frère de son père, mon épouse a fait l"objet d"injures très graves et on a menacé de la tuer, elle et son cousin. On lui a dit que l"on nous soupçonnait de fournir des renseignements aux TLET afin de permettre à ceux-ci de détruire les forces navales du Sri Lanka.
27.      En janvier 1996, Mme Ganakumari, une amie de l"épouse de mon frère Alino, qui cohabitait avec elle, a été arrêtée par les autorités policières de Fort alors qu"elle se rendait au bureau des passeports pour obtenir son passeport. Elle était une étudiante et ancienne collaboratrice du professeur Thurairajah, l"ancien vice-recteur de l"Université de Jaffna (le professeur Thurairajah était une personne clé en ce qui concerne l"exploitation d"un abri et d"un hôpital souterrains immenses que les TLET avaient construits à Neerveli, à Jaffna, dont les forces armées du Sri Lanka se sont saisi en novembre 1995). Une ordonnance a été rendue, laquelle prévoyait la détention de Mme Ganakumari pour fins d"interrogatoire par les autorités policières de Fort, le département des enquêtes criminelles, le bureau national des enquêtes, le bureau des détectives criminels et l"unité spéciale d"enquête. Mon frère Alino, qui la représentait dans le cadre de l"instance dont elle faisait l"objet, a réussi à obtenir qu"elle soit mise en liberté sous caution. Elle s"est cachée après sa libération et s"est par la suite enfuie en Angleterre, où elle réside présentement.
28.      En décembre 1995 et janvier 1996, les forces de sécurité ont fouillé notre maison et nous ont interrogés à deux ou trois occasions. Nos voisins nous ont dit qu"en janvier 1996, des individus appartenant aux forces de sécurité sont venus dans notre quartier dans des véhicules non identifiés. Ces individus, qui portaient des vêtements civils, ont posé des questions concernant mon frère Alino. Ces unités des forces de sécurité composées d"individus portant des vêtements civils ont, au Sri Lanka, la réputation de faire " disparaître " des gens. Le frère de notre meilleur ami a ainsi disparu.
29.      En janvier 1996, une information s"est répandue selon laquelle une Cinghalaise qui avait épousé un Tamoul qui est inspecteur au sein des forces policières des TLET s"était rendue à Colombo pour assassiner le président. Lorsque cette information a commencé à circuler, notre locateur nous a demandé de quitter sur-le-champ, même si notre bail n"expirait qu"en avril 1997. Par ailleurs, à cette époque, nous avons été fouillés et interrogés à ce propos à un barrage routier, étant donné que mon épouse est, elle aussi, une Cinghalaise qui a épousé un Tamoul. ...
...

[4]      Je suis convaincu que l"agent des visas qui a pris la décision faisant l"objet du présent contrôle disposait de tous ces éléments de preuve, quoique sous une forme différente et peut-être moins organisée.

[5]      Dans sa lettre de décision, l"agent edes visas a écrit :

[TRADUCTION]
J"ai soigneusement examiné les renseignements que contient votre demande et ceux que vous avez fournis à l"entrevue. J"ai conclu que vous n"êtes pas un réfugié au sens de la Convention tel que cette expression est définie dans le Règlement, étant donné que vous n"êtes pas parvenu à établir que vous aviez une crainte fondée d"être persécuté pour l"un ou l"autres des motifs que prévoit la définition.
À l"entrevue, vous avez dit que votre demeure avait été fouillée à trois reprises. Votre épouse n"était présente qu"à une occasion. Vous n"avez pas assisté à l"une ou l"autre de ces fouilles.
Vous avez également mentionné que des voisins vous avaient informé de la présence de véhicules non identifiés dans votre quartier. Vous avez dit que vos voisins vous avaient avisé que les autorités vous recherchaient et que vous craigniez que celles-ci vous fassent " disparaître ".
Vous avez renvoyé à un troisième incident à l"occasion duquel votre épouse a été fouillée de façon inconvenante à un barrage routier.
À mon avis, ces événements ne contiennent aucun élément objectif suscitant une crainte de persécution. Vous avez reconnu que le nom de fille de votre épouse était le même que celui d"un activiste connu des TLET. Bien que la police eût agi de façon inconvenante envers votre épouse à une occasion alors qu"elle se trouvait à la maison, je n"estime pas que cela fasse partie d"un scénario de harcèlement qui constitue de la persécution ou qui suscite une crainte raisonnable de persécution.
J"ai également rejeté l"information concernant les voitures non identifiées. Aucun élément de preuve objective n"établit que de telles voitures ont jamais existé ou que leurs occupants vous recherchaient. De toute façon, les autorités savaient où vous viviez et elles s"étaient déjà rendues chez vous, comme il a déjà été mentionné.
Pour ce qui est de l"incident survenu au barrage routier, aucun élément de preuve n"indique que les autorités vous ciblaient, vous et votre famille. Il semble que le barrage routier était de nature courante, à une époque de troubles graves au Sri Lanka.
Je dois conclure que vous n"avez pas établi que vous aviez une crainte fondée d"être persécuté pour l"un ou l"autre des motifs que prévoit la définition de réfugié. Je conclus que vous n"êtes pas un réfugié au sens de la Convention tel que la Loi sur l"immigration définit cette expression.
Votre demande a également été appréciée en vue de déterminer si vous êtes admissible à immigrer au Canada dans le cadre d"une autre catégorie. J"ai déterminé que vous n"êtes pas admissible à immigrer dans le cadre de la catégorie des immigrants indépendants vu que vous ne possédez pas les compétences nécessaires pour exercer une profession présentement en demande au Canada. En conséquence, je dois rejeter votre demande de résidence permanente au Canada.
...

[6]      Sur le fondement de Ghorvei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)2, Adjei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)3, et Retnem c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)4, j"ai accueilli la demande que le frère du demandeur a présentée essentiellement sur la base que l"agent des visas avait commis trois erreurs susceptibles de contrôle. L"agent des visas a commis une erreur (1) lorsqu"il a omis de tenir compte du fait que le demandeur s"est vu reconnaître le statut de réfugié par le HCNUR et lorsqu"il a établi une distinction à ce sujet; (2) lorsqu"il a omis de tenir compte du fait que la définition de réfugié au sens de la Convention est anticipatoire et, partant, lorsqu"il a omis d"analyser la question de savoir si la crainte du demandeur d"être persécuté s"il était renvoyé au Sri Lanka était fondée; et (3) lorsqu"il a omis de considérer l"" effet cumulatif " des expériences que le demandeur a vécues.

[7]      Les mêmes erreurs susceptibles de contrôle paraissent avoir été commises en ce qui concerne la décision qui fait l"objet de la présente demande. À cet égard, l"omission de l"agent des visas de tenir compte de l"effet cumulatif des expériences que le demandeur a vécues lorsqu"il a examiné le bien-fondé de sa crainte d"être persécuté est particulièrement cruciale.

[8]      Le principe de l"" effet cumulatif " est approuvé tant par le Guide de l"immigration que le Guide du HCNUR, qui prévoit :

En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l"objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures discrimination), auxquelles viennent s"ajouter dans certains cas d"autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d"insécurité dans le pays d"origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d"esprit qui permet raisonnablement de dire qu"il craint d"être persécuté pour des " motifs cumulés "5.

[9]      En conséquence, pour les motifs qui ont été exposés relativement à la demande de contrôle judiciaire du frère du demandeur, la présente demande est également accueillie.

[10]      Comme dans l"affaire de Alino Canagasuriam, que j"ai également entendue, l"avocate du demandeur en l"espèce a recommandé que soit certifiée une question concernant les obligations d"un agent des visas qui examine une demande d"entrée au Canada d"une personne qui revendique le statut de réfugiée au sens de la Convention et qui a été reconnue comme telle par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, alors que l"avocate du défendeur a soutenu qu"aucune question ne devait être certifiée. Aucune question ne sera certifiée dans la présente affaire.


" Frederick E. Gibson "

                                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 septembre 1999.





Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-5478-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      RAJINDER GEORGIO CANAGASURIAM c. M.C.I.



LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 15 septembre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              28 septembre 1999



ONT COMPARU :


Patricia Wells                              POUR LE DEMANDEUR

Leena Jaakkimainen                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Patricia Wells                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Voir le dossier de la Cour no IMM-5281-98.

2      (1997), 138 F.T.R. 149 (C.F. 1re inst.).

3      [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.) (arrêt non cité dans la présente affaire).

4      (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 317 (C.A.F.) (arrêt non cité dans la présente affaire).

     Nations Unies, Bureau du HCNUR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, 1988, à la p. 15.

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