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Date : 20191009


Dossier : IMM-568-19

Référence : 2019 CF 1275

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ONUR GUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Onur Gur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 10 janvier 2019, par laquelle un agent des visas a refusé de lui délivrer un visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs autonomes. La demande de contrôle judiciaire est présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR].

I.  Les faits

[2]  Le demandeur, né en août 1980, est un résident de la Turquie. Il affirme détenir un certificat en programmation informatique et avoir travaillé comme graphiste de sites Web entre janvier 2001 et juin 2009. Pendant cette période d’emploi, il a également suivi, dans une université turque, un programme de quatre ans en économie au terme duquel il a obtenu un baccalauréat.

[3]  À partir de 2008, son épouse et lui ont lancé une entreprise qui conçoit et produit des gâteaux personnalisés. Ils préparent des gâteaux pour des familles ainsi que pour des sociétés clientes pour toutes sortes d’occasions. Il semble que le demandeur se distingue en proposant des figurines, des « sculptures » en 3D ainsi que différents types de personnages. Au fil des ans, l’entreprise a préparé des gâteaux pour des sociétés nationales et multinationales bien connues.

[4]  Le demandeur déclare ce qui suit dans son exposé circonstancié au sujet de son entreprise de pâtisserie :

[traduction]

Nos recherches préliminaires en Colombie‑Britannique et au Canada donnent à penser qu’il existe un marché en plein essor pour les gâteaux personnalisés partout dans la province et au pays. La conception d’un système en ligne de commande, de vente et de distribution (domaine dans lequel je possède une vaste expérience) nous permettra, à notre avis, de lancer et d’exploiter une entreprise prospère (en particulier dans une région où se trouvent des clients qui touchent des revenus plus élevés que les clients de notre emplacement actuel) et de contribuer en même temps à la vie artistique et culturelle du Canada.

[…] Nous avons également découvert qu’à Surrey et dans la région métropolitaine de Vancouver, il y a une véritable pénurie d’entreprises qui offrent des gâteaux personnalisés de qualité professionnelle en 3D, ornés de figurines.

Comme il est indiqué dans la lettre ci‑jointe et les copies papier du site Web, nous bénéficierons, pour démarrer notre ou nos entreprises, des conseils précieux de M. Jordan Bayezit, un bon ami de la famille qui exploite sa propre entreprise à Surrey (C.‑B.) depuis 1984 et qui commercialise avec succès des loukoums. Il partagera son expérience et nous aidera à franchir les premières étapes de notre travail autonome, à mettre sur pied notre entreprise, à faire des études de marché et de la publicité.

[5]  Rien dans le dossier ne permet de préciser en quoi consiste l’entreprise et quelles sont ses chances de réussite. Mis à part ces affirmations, qui ne sont étayées par aucun document ou élément de preuve, rien au dossier ne donne à penser que le demandeur est au courant de renseignements essentiels, au sujet par exemple de la demande de services de cette nature dans le Lower Mainland, en Colombie‑Britannique, ou des premières étapes menant à un travail indépendant.

[6]  Le demandeur indique également qu’il travaille comme concepteur Web pigiste. Encore une fois, rien ne permet vraiment de comprendre quelles sont les perspectives d’affaires dans ce domaine.

[7]  Enfin, le demandeur mentionne que, grâce à des économies réalisées au fil des ans, son épouse et lui disposent d’actifs et de ressources financières. Aucun détail n’est fourni, bien que le demandeur déclare être prêt à présenter sur demande des documents supplémentaires au sujet de ces ressources.

[8]  À mon avis, le dernier paragraphe de la demande (l’exposé circonstancié) est également révélateur. En voici un extrait :

[traduction]

Je me considère d’abord et avant tout comme un artiste qui possède de vastes compétences pratiques en affaires à titre de travailleur autonome. Comme je l’ai indiqué précédemment, mes compétences et mon expertise comprennent la conception de gâteaux personnalisés, la conception de sites Web, la gestion et l’exploitation de sites Web de commerce électronique, ainsi que la gestion des processus et procédures d’importation et d’exportation. Comme toutes ces compétences [...] sont transférables sur le marché canadien, je crois qu’après avoir travaillé avec mon épouse en équipe et en partenariat pendant près d’une décennie maintenant, nous pouvons commencer une nouvelle vie, lancer des entreprises au Canada et contribuer à la société et à la culture canadiennes en tant qu’artistes et travailleurs autonomes propriétaires d’entreprises, motivés et enthousiastes, ainsi qu’à l’économie canadienne, en embauchant des Canadiens dans le cadre des activités de notre entreprise et en servant la population canadienne.

On peut présumer que ces affirmations visent à satisfaire aux exigences d’obtention d’un visa dans la catégorie des travailleurs autonomes, laquelle est limitée de nos jours aux personnes ayant de l’expérience en matière d’activités culturelles et sportives et relativement à l’achat et à la gestion d’une ferme (article 100 et paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]). Si ce n’est pour dire que le demandeur se considère comme un artiste, il n’y a pas grand-chose à l’appui de ces affirmations. Quoi qu’il en soit, comme on peut le constater, le demandeur se fonde sur ses compétences pour prétendre qu’il satisfait aux exigences d’obtention d’un visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs autonomes.

II.  La décision

[9]  Dans la décision visée par le présent contrôle judiciaire, l’agent a conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait la capacité à réussir son établissement économique au Canada. Selon le paragraphe 100(1) du Règlement,

[…] la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

… the self-employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self-employed persons within the meaning of subsection 88(1).

[10]  Le décideur conclut que le demandeur ne répond pas à l’exigence prévue dans la définition de « travailleur autonome » figurant au paragraphe 88 (1) [traduction] « parce que la preuve présentée ne [le] convainc pas que [le demandeur a] la capacité et l’intention de devenir travailleur autonome au Canada » (dossier certifié du tribunal [DCT], p. 3). Les notes prises par le décideur et conservées dans le Système mondial de gestion des cas (le « SMGC ») expliquent dans une certaine mesure les motifs du refus. Voici le passage pertinent :

[traduction]

[…] J’ai examiné les observations, mais j’estime que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements au sujet de ce qui précède. Il a déclaré qu’il avait l’intention de devenir travailleur autonome et il a mentionné ses expériences antérieures. Le demandeur n’a fourni aucun autre détail sur ses intentions, aucun plan d’activités menant à son travail autonome au Canada, aucune preuve de recherche sur le travail et le milieu des affaires en Colombie‑Britannique quant au travail indépendant proposé, à la concurrence, aux employeurs potentiels, aux clients, aux coûts, etc. Rien n’indique que le demandeur a établi des contacts avec des parties au Canada afin d’étudier la possibilité pratique d’exercer le travail autonome envisagé, la demande pour son travail, etc. Compte tenu des renseignements fournis, je ne suis pas convaincu que le demandeur a la capacité et l’intention de devenir un travailleur autonome au Canada.

Demande refusée.

(DCT, p. 5‑6.)

III.  Arguments et analyse

[11]  Le demandeur fait valoir trois arguments. Tout d’abord, il soutient qu’il y a eu en l’espèce manquement à l’équité procédurale en raison du défaut de l’agent de lui donner la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées. Le demandeur fait ensuite valoir que la décision est de toute façon déraisonnable. Enfin, il affirme dans son mémoire que les motifs sont insuffisants. Toutefois, seuls les deux premiers arguments ont été plaidés à l’audience.

A.  Caractère suffisant des motifs

[12]  Examinons pour commencer le dernier argument relatif au caractère suffisant des motifs. Cet argument repose sur une décision de la Cour qui, malheureusement pour le demandeur, a depuis été supplantée par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Le demandeur se fonde exclusivement sur la décision Rolfe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1514, à l’appui de sa thèse selon laquelle l’insuffisance des motifs peut justifier l’accueil de la demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], la Cour suprême a conclu ce qui suit :

[14]  Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[15]  La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

Voilà qui suffit pour trancher cet argument.

B.  Équité procédurale

[13]  L’argument relatif au manquement à l’équité procédurale invoqué par le demandeur repose exclusivement sur la décision de notre Cour Mohitian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1393 [Mohitian]. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la décision d’un agent des visas était déraisonnable parce que la lettre de décision et les notes du SMGC étaient fondamentalement contradictoires, ce qui rendait la décision inintelligible et, par conséquent, déraisonnable. La Cour s’est ensuite exprimée sur le déni d’équité procédurale dont aurait fait preuve l’agent des visas dans cette affaire. Il semble que la demande de visa était en suspens depuis plus de sept ans. En février 2015, l’agent des visas a demandé des formulaires et des documents mis à jour; la lettre contenait une liste de contrôle détaillée de deux pages indiquant les formulaires et les autres documents que le demandeur devait présenter. Dans sa lettre, l’agent ne demandait pas au demandeur de présenter un plan d’affaires. Il appert néanmoins que, dans sa décision, l’agent des visas a exprimé des doutes quant au caractère réaliste du plan d’affaires du demandeur. Pour cette raison, la Cour a conclu qu’« il n’était pas équitable en l’espèce que l’agent ne lui signale pas les inquiétudes que suscitait son plan d’affaires, d’autant plus que ni la Loi ni le Règlement ne lui imposaient de présenter un tel plan en bonne et due forme » (par. 23).

[14]  Or, la situation est différente en l’espèce, où on reproche au demandeur de ne pas avoir fourni suffisamment de renseignements pour établir sa capacité à réussir son établissement économique au Canada et à devenir un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) du Règlement. Aucune lettre n’a jamais été envoyée au demandeur pour lui demander de produire des renseignements autres qu’un plan d’affaires, et on lui reproche ensuite de ne pas avoir présenté un plan d’affaires réaliste.

[15]  Le demandeur a cherché à faire valoir que la présente espèce est semblable à l’affaire Mohitian. Je ne suis pas d’accord. Dans l’affaire qui nous occupe, l’agent des visas n’était tout simplement pas satisfait des renseignements fournis par le demandeur. En effet, ces renseignements n’établissent rien. Or, l’exigence fondamentale de la loi est que le demandeur qui veut devenir résident permanent en raison de son travail autonome démontre sa capacité à réussir son établissement économique au Canada, ce qui, à son tour, se traduit par une capacité « de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada » (définition de « travailleur autonome » au paragraphe 88(1) du Règlement). Il ne suffit pas de prétendre avoir certaines capacités et vouloir travailler à son compte : il faut aussi démontrer la capacité de travailler à son compte, d’être en mesure de créer son propre emploi. En fait, le demandeur n’a fourni aucun renseignement susceptible d’appuyer sa prétention qu’il a la capacité de créer son propre emploi au Canada. Il est boulanger‑pâtissier et a la capacité de préparer des gâteaux personnalisés. Rien ne permet d’étayer l’affirmation selon laquelle le marché des gâteaux personnalisés est en plein essor partout en Colombie‑Britannique et au Canada. Les notes du SMGC traitent précisément de cette absence de preuve, tandis que l’agent des visas reproche au demandeur de ne pas avoir fourni de détails concernant ses intentions ou son plan d’activités menant à son travail autonome au Canada. Il n’y a même pas de preuve concernant les recherches effectuées sur l’environnement de travail et le milieu des affaires en Colombie‑Britannique. L’agent des visas ne pouvait aucunement être convaincu de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. La situation en l’espèce est tout à fait différente de celle qui a mené à la conclusion tirée dans la décision Mohitian, où les renseignements supplémentaires sollicités – lesquels n’équivalaient pas à un plan d’affaires – ont par la suite été qualifiés de plan d’affaires irréaliste.

[16]  Notre Cour a constamment conclu que les exigences en matière d’équité procédurale étaient restreintes dans le cadre d’une demande de résidence permanente. Dans la décision Tollerene c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 538, la Cour a souscrit aux observations formulées dans Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264 [Hamza], où la Cour écrivait, au paragraphe 23, que « l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre [décisions citées omises] ». Aux paragraphes 24 et 25 de la même décision, la Cour a ajouté ceci :

[24]  Troisièmement, un agent des visas est ni tenu d’aviser un demandeur ou une demanderesse des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande. En outre, un agent des visas n’est pas tenu de demander des précisions ou des documents supplémentaires, ou de donner l’occasion au demandeur ou à la demanderesse de dissiper ses préoccupations, lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur ou la demanderesse se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement [décisions citées omises].

[25]  Néanmoins, l’agent peut être tenu de donner la chance au demandeur de répondre à ses préoccupations lorsqu’il s’agit de préoccupations liées à la crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité des documents présentés par le demandeur et non de préoccupations liées au caractère suffisant de la preuve qui a été présentée.

[17]  La Cour est arrivée à la même conclusion dans une affaire encore plus récente, Lv c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 935, où elle affirme ce qui suit :

[23]  Dans le contexte des demandes de résidence permanente, l’agent d’immigration n’est nullement tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien‑fondé de la demande, d’informer le demandeur de ses préoccupations concernant le respect des exigences de la loi, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes [décisions citées omises]. Imposer une telle obligation à un agent des visas reviendrait à donner un préavis d’une décision défavorable, une obligation qui a été explicitement rejetée par notre Cour à maintes occasions [décisions citées omises].

C.  Caractère raisonnable

[18]  Enfin, le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. Je ne vois pas comment cette décision peut être considérée comme déraisonnable. En fait, le demandeur parle de sa capacité de produire des gâteaux spéciaux et de son opinion selon laquelle il existe un marché en plein essor pour les gâteaux personnalisés au Canada. La Cour a récemment fait remarquer, dans la décision Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 982, que certaines précisions sont requises pour pouvoir satisfaire au critère de la capacité à réussir son établissement économique au Canada. Au paragraphe 44 de cette décision, on peut lire ce qui suit :

En guise de conclusion sur le sujet, la façon dont les trois exigences relatives à l’expérience, à la capacité et à l’intention se conjuguent pour démontrer la viabilité d’une entreprise économique variera selon les circonstances. En l’occurrence, le projet de réalisation d’une série de films pour la télévision est une entreprise polyvalente faisant intervenir de nombreuses formes d’activités culturelles et d’autres métiers associés à la production et à la commercialisation d’un film à grand succès. Les projets à plus petite échelle peuvent mieux tirer parti de l’expérience personnelle et permettre d’établir des probabilités de succès dans une activité économique culturelle déterminée, puisqu’ils exigent des engagements antérieurs moins importants pour démontrer une intention probable de donner suite à l’activité. Toutefois, un élément fondamental de toute demande est la démonstration que les projets ont été conçus en détail et que des mesures concrètes ont été prises pour assurer la mise en œuvre qui mènera à une activité économique réussie afin de répondre aux exigences imposées à un travailleur autonome immigrant au sens du paragraphe 88(1).

Il me semble qu’un tel commentaire va de soi et je partage l’avis exprimé dans cette affaire. La décision de l’agent des visas de ne pas conclure que le demandeur a démontré sa capacité à réussir son établissement économique au Canada est éminemment raisonnable. La demande ne comporte pas les précisions nécessaires pour convaincre qui que ce soit que le critère prévu aux articles 100 et 88 du Règlement a été respecté. Les motifs donnés par l’agent des visas et les notes du SMGC permettent à la Cour de conclure que la décision en cause fait partie des issues possibles. Les motifs, considérés conjointement avec le dossier, me convainquent que la décision satisfait pleinement à l’exigence du caractère raisonnable.

[19]  Le demandeur soutient également que l’agent des visas n’a pas tenu compte de la preuve de sa capacité financière. Or, notre droit ne prévoit pas l’obligation d’examiner tous les arguments, car « [l]e décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, par. 16). Le véritable critère est énoncé dans la dernière phrase du paragraphe 16 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union : « En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. »

[20]  Il ne fait aucun doute à mon avis que la disponibilité d’actifs importants est un facteur pertinent. Toutefois, on ne saurait affirmer qu’il s’agit d’un facteur déterminant lorsque le dossier ne renferme aucun renseignement suffisamment précis sur la façon dont l’emploi autonome envisagé peut être fructueux. On ne peut pas dire que les ressources financières, en supposant qu’elles soient suffisantes – ce qui n’est pas prouvé –, militent manifestement en faveur d’une conclusion contraire et que la Cour peut par conséquent intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour tirer sa conclusion de fait (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35).

IV.  Conclusion

[21]  Il convient peut‑être de rappeler que la norme de la décision raisonnable appelle la retenue. Il incombe au demandeur de démontrer qu’une décision n’est pas raisonnable, au sens où cette notion est définie au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, la Cour d’appel fédérale a souligné que le contrôle du caractère raisonnable devrait commencer par l’examen de la décision qui a été rendue afin d’éviter de substituer la norme de la décision raisonnable à la norme de la décision correcte, car une cour de justice qui se serait prononcée sur ce qu’elle juge raisonnable peut en fait exclure toute autre évaluation comme étant raisonnable. En l’espèce, les motifs donnés pour refuser le visa de résident permanent sont clairs et, à mon avis, parfaitement raisonnables après examen du dossier dont disposait l’agent des visas. En d’autres termes, les motifs, lorsqu’ils sont considérés conjointement avec les renseignements présentés par le demandeur en vue de satisfaire au critère énoncé aux articles 100 et 88 du Règlement, répondent aux exigences relatives à la formulation des motifs et aux issues possibles. La déférence dont il y a lieu de faire preuve à l’égard de la décision commande que la Cour n’intervienne pas compte tenu des motifs donnés et des issues possibles acceptables.

[23]  En ce qui concerne le manquement allégué à l’équité procédurale, notre droit ne prévoit pas l’obligation de fournir au demandeur un résultat intermédiaire quant au caractère suffisant des éléments de preuve fournis. La décision Mohitian de la Cour vise une situation différente et n’est d’aucune utilité pour le demandeur.

[24]  Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier. La Cour partage ce point de vue.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑568‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’octobre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑568‑19

INTITULÉ :

ONUR GUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 30 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 9 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Alp Debreli

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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