Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                            Date : 20010817

                                                                                                                                Dossier : IMM-3891-00

                                                                                                                                                                                                                                                                          

                                                                                                                                                                       

Ottawa (Ontario), le 17 août 2001

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

                                                   GEORGES YOUSSEF LE-HASBANI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                                O R D O N N A N C E


VU la demande de contrôle judiciaire du demandeur visant la décision de la Section du statut de réfugié (T98-06563), datée du 16 juin 2000, certifiée le 23 juin 2000, par laquelle la SSR a déterminé que le demandeur était exclu de l'application de la Convention en qualité de réfugié, aux termes de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés, et

APRÈS audition des allégations des avocats respectifs des deux parties, la Cour ayant jugé bon de différer sa décision,

LA COUR ORDONNE que la demande soit, et elle est, par la présente accueillie, la décision de la SSR est annulée et l'affaire renvoyée à celle-ci pour qu'un tribunal différemment constitué statue sur elle d'une façon compatible avec les conclusions et décisions de la Cour exposées dans les présents motifs rendus ce jour même.

« F.C. Muldoon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                                                                                            Date : 20010817

                                                                                                                                Dossier : IMM-3891-00

                                                                                                               Référence neutre : 2001 CFPI 914

Entre :

                                                   GEORGES YOUSSEF LE-HASBANI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

1. Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), datée du 16 juin 2000, statuant que le demandeur était exclu de l'application de la Convention en vertu de la disposition 1Fa).

2. Exposé des faits


[2]                 Le demandeur est un citoyen libanais de 36 ans qui dit craindre, avec raison, d'être persécuté par les autorités libanaises et par le Hizbollah. Il fonde sa demande sur les opinions politiques qu'on lui attribue, sa religion chrétienne et l'emploi qu'il occupait autrefois dans l'armée du Liban-Sud (ALS). Le 23 juin 2000, la SSR a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il en était exclu en vertu de l'alinéa 1Fa). Elle a déclaré, que n'eût été cette exclusion, il aurait été reconnu comme réfugié au sens de la Convention.

[3]                 Le demandeur était au service de l'ALS de novembre 1988 jusqu'au mois d'août 1998, dans la zone de sécurité libanaise. Il s'est engagé comme volontaire en 1988 pour, dit-il, protéger les Chrétiens du Liban, parce qu'il avait besoin de travailler pour survivre et qu'on l'aurait, croyait-il, recruté de force dans cette armée. Il a été promu une seule fois au grade de sergent en 1994. Ses fonctions étaient restées les mêmes qu'auparavant et il n'a jamais commandé d'autres soldats. Cette promotion n'a fait qu'augmenter sa solde de militaire.

[4]                 Le demandeur croyait que l'ALS avait pour mission d'assurer la survie des Chrétiens du Liban. Ce n'est pas une armée à vocation offensive, mais défensive. Le rôle du demandeur consistait à désamorcer les explosifs plantés par le Hizbollah dans la zone de sécurité. Il s'est rendu compte, toutefois, qu'il était visé par le Hizbollah lorsqu'un engin explosif a été placé sous sa voiture stationnée près de son domicile.

[5]                 Il a refusé une fois d'obéir à des ordres qu'il avait reçus et a subi de ce fait une amende de 200 $ qui ont été déduits de son salaire. Il s'agissait en l'occurrence de faire sauter une maison, la rendant inutilisable pour le Hizbollah. Il avait refusé d'exécuter cet ordre parce qu'il croyait que ladite maison appartenait à des individus qui n'adhéraient pas à cette formation.

[6]                 Le demandeur savait que, dans le passé, l'ALS avait tiré des obus sur des villages, dans la seule intention, croyait-il, d'attaquer les combattants du Hizbollah qui s'y cachaient parmi les villageois.


[7]                 Il savait aussi que les Forces de défense israéliennes (FDI) possédaient des armes au phosphore, mais il n'avait jamais vu l'ALS utiliser pareille munition. Il n'ignorait pas non plus que les FDI disposaient de mortiers de campagne qu'il n'avait jamais vu utiliser. Il connaissait aussi l'existence de bombes de proximité, mais ne croyait pas que l'ALS en faisait usage. Il ignorait si les FDI s'en servaient.

[8]                 Le demandeur n'a jamais participé à l'arrestation ou la détention d'ennemis de l'ALS, ni n'a pris part à des interrogatoires de prisonniers. Il n'était pas autorisé à se rendre sur leurs lieux de détention.

[9]                 En ce qui concerne [TRADUCTION] « l'opération responsabilité » , le demandeur savait que l'ALS n'avait pas bombardé les villages situés dans la zone de sécurité, mais plutôt des localités sises au-delà de cette zone d'où partaient les attaques du Hizbollah.

[10]            Il ignorait si l'ALS bombardait régulièrement des cibles civiles et ne croyait pas qu'elle s'attaquait de la sorte à la population.

[11]            Le demandeur n'était pas membre du service de sécurité de l'ALS et n'a jamais fourni des renseignements aux FDI.

[12]            Bien que la SSR ait conclu que l'ALS n'était pas un organisme mû par un seul objectif limité et brutal, elle a tiré les conclusions de fait suivantes :

a)         Les forces de sécurité de l'ALS ont couramment recours à la torture des détenus;

b)         Un élément de cruauté barbare caractérise la torture et le confinement des détenus soupçonnés de participer aux attaques contre l'ALS et Israël;

c)         L'ALS a systématiquement expulsé de la zone de sécurité des civils libanais dont elle connaissait ou soupçonnait la sympathie et la collaboration avec le Hizbollah;

d)         L'ALS embrigadait de force plusieurs de ses recrues;

e)         Les activités de l'ALS, du moins certaines d'entre elles, dans la zone de sécurité constituaient des crimes contre l'humanité.


[13]            La SSR a estimé qu'il y avait de solides raisons pour dire que le demandeur s'était fait complice des crimes contre l'humanité perpétrés par l'ALS durant les années de service qu'il a passées de 1988 à 1998. Il s'y est engagé de son plein gré pendant dix ans et a atteint le grade de sergent. Il a également désamorcé des explosifs dans la zone de sécurité.

[14]            La SSR a jugé qu'en raison de son long service dans l'ALS, le demandeur avait certainement eu connaissance des pratiques qui avaient cours dans cette armée. Elle a constaté qu'il assurait par son travail le dégagement des routes dans la zone de sécurité et permettait ainsi à l'armée de remplir sa mission.

[15]            Elle a également conclu que n'eût été l'exclusion du demandeur en tant que réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fa), le tribunal lui aurait reconnu cette qualité.

3. Le point en litige

[16]            La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que le demandeur était complice des crimes contre l'humanité commis par l'ALS?

4. Observations du demandeur

[17]            La Loi sur l'immigration exclut certaines personnes de l'application de la Convention en vertu de l'article 1F. La norme d'exclusion législative prescrit que la Convention ne soit pas appliquée à une personne « dont on aura des raisons sérieuses de penser » qu'elle tombe dans une catégorie d'immigrants non admissibles.


[18]            Le paragraphe 149 du Guide du HCNUR énonce qu'il faut interpréter restrictivement les dispositions d'exclusion étant donné les graves conséquences qui pourraient retomber sur la personne concernée. Le juge en chef adjoint Jerome a commenté ce point dans l'arrêt Cardenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 244 (1re inst.), où il déclare, au paragraphe 24: « Étant donné les dangers que risque de courir, dans ce genre de situation, le demandeur de statut, la Commission doit fonder sa décision d'exclusion sur des preuves nettes et convaincantes » .

[19]            La Cour d'appel fédérale a statué dans Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 221 (C.A.F.), que l'applicabilité de la disposition d'exclusion ne repose pas sur la question de savoir si le demandeur a été accusé ou déclaré coupable des actes prévus dans la Convention. Le Ministre doit seulement se conformer à la norme de preuve comprise dans l'expression « raisons sérieuses de penser » . La norme de « preuve inférieure à celle prévue en droit civil » invoquée par cette Cour dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) est bien inférieure à celle qu'exige le droit criminel (hors de tout doute raisonnable) ou du droit civil (selon la prépondérance des probabilités ou la prépondérance de preuve); cette norme est conforme à l'intention des signataires de la Convention qui tenaient fermement à ce que les criminels de guerre ne puissent bénéficier d'aucune protection internationale. La norme de preuve requise n'intervient en droit que lorsque le tribunal est appelé à rendre des décisions qu'on peut ranger parmi les questions de fait. La norme de « preuve inférieure à celle prévue en droit civil » n'est pas pertinente lorsque la question litigieuse est essentiellement une question de droit. Par exemple, le point de savoir si l'appelant ou des membres de son peloton ont tué des civils ou si l'appelant a monté la garde pendant qu'un prisonnier était torturé, sont des questions de fait. Mais la question de savoir si le meurtre de civils par le personnel militaire peut être qualifié de crime contre l'humanité est bien une question de droit qui doit être tranchée conformément aux principes juridiques plutôt qu'en fonction d'une norme de preuve.

[20]            La SSR est tenue de tirer des conclusions précises quant aux crimes dont elle estime le revendicateur coupable. Dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Linden se prononce en ces termes :


Vu la gravité des conséquences éventuelles du rejet fondé sur la section Fa) de l'article premier de la Convention, de la revendication de l'appelant et la norme de preuve relativement peu rigoureuse à laquelle doit satisfaire le Ministre, il est crucial que la section du statut rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l'humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis. On peut dire que faute d'avoir tiré les conclusions nécessaires sur les faits, la section du statut a commis une erreur de droit.

[21]            Les complices peuvent être frappés de la disposition d'exclusion, mais la SSR doit déterminer le degré de complicité pour que cette exclusion soit applicable. [Ramirez, supra]. Le désamorçage d'explosifs s'inscrit bien dans la position du Canada contre les mines terrestres.

[22]            L'arrêt Ramirez, supra, énonce que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne suffit pas normalement à exclure un revendicateur du statut de réfugié, sauf si l'organisation en question se fixe principalement un objectif limité et brutal, tel qu'une police secrète. Dans ce cas, la simple adhésion peut, par nécessité, entraîner la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.

[23]            L'arrêt Moreno, supra, déclare que la complicité repose sur l'existence d'un dessein commun et de la connaissance que les parties en question peuvent en avoir. La mens rea demeure un élément essentiel du crime.

[24]            Le demandeur soutient que la SSR doit détailler les preuves qui l'ont conduite à déterminer que le demandeur est exclu de l'application de la Convention. Cette preuve doit démontrer l'existence d'un dessein commun poursuivi par l'auteur et le complice ainsi que la participation personnelle et consciente de l'individu. [Moreno, supra; Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 71 F.T.R. 171 (1re inst.), et Bazargan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 1209 (C.A.)(QL)]. La culpabilité par association répugne à la loi.


[25]            L'arrêt Moreno, supra énonce encore que plus une personne est éloignée des auteurs des décisions, moins il est probable que le degré de complicité requis pour entraîner des sanctions criminelles ou l'application de la disposition d'exclusion sera atteint.

[26]            La Cour a statué dans l'arrêt Cardenas, que lorsque la SSR applique la disposition d'exclusion, elle devrait s'efforcer de soigneusement détailler les actes criminels qu'elle juge avoir été commis par le revendicateur, en raison des graves conséquences qui retomberaient sur lui. Il en va particulièrement ainsi dans les cas où la SSR a conclu que le revendicateur est bien fondé à craindre la persécution dans son pays d'origine. Tel est le cas en l'espèce.

[27]            En appliquant la disposition d'exclusion, la SSR doit établir un lien entre les crimes contre l'humanité et le demandeur et fournir une analyse appropriée indiquant de quelle façon il a partagé un objectif commun tout en ayant connaissance de certains des actes de violence commis. Dans Saridag c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 307 (1re inst.), le revendicateur faisait partie d'une organisation visant un objectif limité et brutal et pourtant, la Cour a exigé une preuve plus probante que la seule appartenance.

[28]            Le demandeur soutient qu'il faut prouver sa participation personnelle et consciente aux atrocités commises par l'organisation, même si cette dernière est tenue pour terroriste. [Voir Balta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1995) 27 Imm. L.R. (2d) 226 (1re inst.)]

[29]            Il y a une différence entre « tuer » et « assassiner » des civils dans le contexte d'une confrontation militaire. La conclusion disant qu'un crime de guerre ou contre l'humanité a été commis par un simple soldat engagé dans une action contre un ennemi armé, ne doit pas se situer dans le cadre de l'exclusion de réfugié telle que définie dans la Convention. Le fait que de simples soldats tuent des civils au cours d'une action menée contre un ennemi armé pourrait être qualifié de crime contre l'humanité si les victimes ont été l'objet « de massacres intentionnels, délibérés et injustifiables » . [Gonzales c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 229 (C.A.F.)]


[30]            Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en concluant à sa complicité à des crimes contre l'humanité commis par l'ALS en raison de sa longue période de service dans cette armée. La SSR avait en main les éléments de preuve suivants :

a.        l'ALS était, à l'origine, une organisation visant à assurer la survie des forces chrétiennes libanaises;

b.        elle a défendu la population chrétienne du Liban-Sud contre les milices rivales du Hizbollah, de Amal ainsi que des milices druzes et des factions armées de l'OLP durant les 15 ans de guerre civile entre 1975 et 1990;

c.         elle s'est alliée aux FDI et à celles du renseignement israélien pour surveiller la zone de sécurité au Liban-Sud, en 1985;

d.         elle dirigeait les affaires de la zone de sécurité en ayant en vue des objectifs administratifs et militaires dans cette zone;

e.        le groupe le plus actif dans la lutte contre l'ALS au Liban-Sud était le Hizbollah, la zone de sécurité constituant la ligne de front la plus explosive du conflit israélo-arabe;

f.         la guérilla du Hizbollah a essayé de pénétrer dans la zone pour y commettre des actes terroristes contre l'ALS et les Israéliens, tant civils que militaires, pour planter des mines et tendre des embuscades aux patrouilles des forces israéliennes et de l'ALS.

[31]            Le demandeur allègue que les éléments de preuve démontrent, qu'en pénétrant dans la zone de sécurité, les milices du Hizbollah menaient une action offensive. L'ALS avait pour tâche d'assurer la sécurité des habitants de cette zone, notamment en déblayant les mines déposées par cette guérilla, ce qui concordait, et concorde entièrement, avec le leadership du Canada et ses obligations issues de traités visant à éliminer les mines terrestres.

[32]            Rien ne prouve, dit-il, qu'il ait commis quelque abus contre les droits de la personne. Par ailleurs, l'ALS ne vise pas, dit-il, un objectif limité et brutal et il appuyait son dessein consistant à protéger la zone de sécurité contre les incursions.


[33]            Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en statuant que la protection de la zone de sécurité constitue un objectif commun partagé. L'objectif commun qui consiste à protéger la population civile contre les attaques de groupes terroristes comme le Hizbollah est une fin légitime qui n'offense pas la communauté internationale ni n'entraîne l'application de la clause d'exclusion. Rien ne prouve non plus, déclare-t-il, qu'il ait eu vent d'actes de persécution de la part de l'ALS ni qu'il y ait personnellement participé. En fait, la preuve démontre tout le contraire, notamment son refus de faire sauter une maison et la sanction qui s'est ensuivie pour lui.

[34]            La SSR a omis de signaler les activités criminelles précises dont le demandeur aurait été complice, pas plus qu'elle n'a analysé les crimes qu'elle lui attribue. Elle n'a pas déterminé que l'ALS était une organisation dont l'objectif était limité et brutal.

[35]            Elle n'a pas mis en question la crédibilité du demandeur. À la lumière des preuves que celui-ci a fournies, la SSR a tiré une conclusion erronée en disant que « le revendicateur devait savoir que les détenus de l'ALS étaient brutalement torturés et emprisonnés pendant de longues périodes sans pouvoir bénéficier de l'application régulière de la loi » et que « le revendicateur a dû avoir connaissance de toutes ces pratiques après dix années de services au sein de l'ALS » . L'erreur de la SSR est manifeste.

5. Observations du défendeur

[36]            Le défendeur soutient que des preuves suffisantes lui donnaient des raisons sérieuses de croire que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité commis par l'ALS. La SSR n'a pas fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, dit-il, ni n'a commis une erreur de droit, pas plus qu'elle n'a tiré des conclusions déraisonnables. La Cour rejette ce plaidoyer.


[37]            La Loi sur l'immigration révèle l'intention du Parlement d'interdire l'entrée au Canada de criminels dangereux en les excluant de l'application de la Convention. [Canada (Procureur général) c. Ward [1993], 2 R.C.S. 689, page 742]. C'est correct.

[38]            L'alinéa 2(1)b) de la Loi sur l'immigration exclut certaines personnes de la définition de « réfugié au sens de la Convention » par renvoi à l'article 1 de la Convention :

2(1) « réfugié au sens de la Convention »

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

b)            qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclus de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente Loi;

[39]            La section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés énonce ce qui suit :

F.             Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a)            qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

[40]            Dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a interprété le mot « commis » , dans la disposition précitée, en formulant les principes suivants :


a.            La simple appartenance à une organisation qui commet des infractions internationales ne suffit pas pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié;

b.            la participation personnelle et consciente à des actes de persécution est nécessaire;

c.             l'appartenance à une organisation qui vise des fins limitées et brutales, comme celle d'une police secrète, peut impliquer nécessairement une participation personnelle et consciente;

d.             la simple présence sur les lieux où des actes de persécution sont commis ne permet pas d'établir une participation personnelle et consciente;

e.            La présence, jointe à l'association avec les auteurs principaux, constitue une participation personnelle et consciente;

f.             l'existence d'une intention commune et la connaissance que toutes les parties en ont est une preuve suffisante de complicité.

La Cour n'a pas exclu la preuve des incidents énumérés ci-dessus.

[41]            Lorsqu'elle analyse l'appartenance d'un demandeur à une organisation, la jurisprudence favorise l'examen, en premier lieu, du type d'organisation dont il s'agit. Si l'entité ne vise pas un objectif limité et brutal et que la perpétration de crimes contre l'humanité n'est pas sa principale raison d'être, mais qu'elle est un élément accessoire à son mandat et fait régulièrement partie de ses activités, il y aurait lieu alors de procéder à l'analyse du type d'organisation en cause, des activités d'un de ses membres et de l'intention de celui-ci au regard de cette organisation. [Guitierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 84 F.T.R 227 (1re inst.); et Rahal c. Procureur général, [1995] A.C.F. no 129(QL) (C.F. 1re inst, 26 janvier 1995, IMM-6894-93]

[42]            Le défendeur allègue que des organisations de libération armées comme l'ALS tombent dans la catégorie de celles qui ont commis des crimes contre l'humanité dans le cadre de leur mandat et accessoirement à leurs activités régulières. [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Solomon (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.)]. Cela ne prouve rien du tout!


[43]            Le défendeur réplique que les fonctions du soutien et l'aide fournie en vue d'améliorer l'efficacité de l'organisation, comme l'a fait en l'espèce le demandeur en désamorçant des charges explosives, correspond au genre d'activités qui justifient de conclure à la complicité. [Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Say c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst., 17 mai 1997, IMM-2547-96)].

[44]            La SSR a jugé que le demandeur partageait un objectif commun avec l'ALS, celui de protéger la zone de sécurité contre les incursions. Il savait que la conscription forcée était une pratique commune de l'ALS et que l'expulsion largement répandue de civils, en majorité musulmans, avait lieu. La SSR a conclu que le demandeur avait eu nécessairement connaissance des tortures brutales infligées par l'ALS à ses détenus et des longues périodes de leur détention. Elle a également jugé qu'après dix ans de service, il avait dû être au courant de ces pratiques, mais elle n'a pas pour autant rétracté son acquiescement au regard de la crédibilité personnelle du demandeur.

[45]            Le défendeur soutient que la SSR a raisonnablement conclu que le demandeur était, ou devait être, au courant des actes commis par l'organisation dont il faisait partie, ou bien qu'il les ignorait sciemment d'autant plus qu'il en était membre depuis dix ans.

[46]            Dans l'arrêt Bazargan, (1996) 205 N.R. 282 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale s'est prononcée en ces termes à la page 287 :

[11] Il va de soi, nous semble-t-il qu'une « participation personnelle et consciente » , puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requiert pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 316, « dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » . Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

[12] Cela dit, tout devient question de fait. Le Ministre n'a pas à prouver la culpabilité de l'intimé. Il n'a qu'à démontrer « que la norme de preuve qu'il doit satisfaire est moindre que la prépondérance des probabilités » , et qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable.


[47]            La SSR s'est appuyée sur la preuve documentaire pour conclure que l'ALS était une organisation qui commettait régulièrement des crimes contre l'humanité. Elle s'est également fondée sur la preuve que le demandeur a fournie confirmant ce point de vue. C'est pourquoi, le défendeur allègue que, sur la foi de cette preuve, la SSR a déterminé, à juste raison, que le demandeur était complice de tels actes et devait être frappé d'exclusion en vertu de l'alinéa 1Fa). La preuve à l'encontre du demandeur est largement insuffisante et le demeure. Celui-ci a, un jour après l'autre, mis sa vie et sa sécurité en péril pour assurer la protection des routes et du territoire à tous les habitants, et rien n'indique qu'il ait porté préjudice à quelqu'un. Il a le droit d'être cru.

6. Ordonnance sollicitée

[48]            Le demandeur sollicite de la Cour qu'elle accueille sa demande, annule la décision de la SSR et renvoie l'affaire à un autre tribunal de la SSR différemment constitué. Le défendeur s'y oppose bien sûr, mais la Cour est convaincue que l'intéressé a présenté en l'occurrence une demande de statut de réfugié légitime et que son dossier devrait être renvoyé à la SSR pour qu'elle statue sur le cas en tenant compte des présentes conclusions et décisions de la Cour. La demande est accueillie.

« F.C. Muldoon »

Juge

Ottawa (Ontario)

17 août 2001

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                       IMM-3891-00

INTITULÉ :                                GEORGES YOUSSEF EL- HASBANI c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE:          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:        le 9 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de M. le juge Muldoon

DATE DES MOTIFS: le 17 août 2001

ONT COMPARU

Linda Martschenko                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Linda Martschenko                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Windsor (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.