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Date : 20191002


Dossier : IMM-79-19

Référence : 2019 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

VIJAY KUMAR GILL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Gill sollicite l’annulation de la décision rendue le 23 octobre 2018 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada. Pour les motifs qui suivent, je ne vois aucune raison d’annuler la décision de l’agent. Selon les éléments de preuve, la décision est raisonnable.

[2]  M. Gill est un citoyen de l’Inde âgé de 50 ans. En 2006, sa sœur a présenté une demande en vue de parrainer sa demande de résidence permanente au Canada et celle de ses parents. Dans le cadre de ce processus, M. Gill a passé un examen médical qui a révélé qu’il est séropositif. Du fait de ce diagnostic, il ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la résidence permanente et il lui a été impossible de venir au Canada avec ses parents. Sa sœur et ses parents vivent actuellement au Canada. Jusqu’en 2016, M. Gill vivait avec une autre de ses sœurs en Inde, mais depuis 2016, il y habite seul.

[3]  En Inde, M. Gill est propriétaire d’une entreprise qui lui rapporte un revenu limité. Selon lui, il n’arrive pas à obtenir du travail supplémentaire en raison de la stigmatisation associée à sa séropositivité. Il dépend du soutien financier offert par sa sœur et ses parents; un compte en fiducie a d’ailleurs été ouvert à son nom.

[4]  En décembre 2016, M. Gill est venu au Canada, muni d’un visa de visiteur, pour rendre visite à ses parents et à sa sœur. Au cours de cette visite, M. Gill a commencé à s’intégrer à la famille de sa sœur et il a aidé celle-ci à prendre soin de son mari handicapé physiquement et de son beau-père âgé. Il a aussi effectué de nombreuses tâches ménagères et a créé des liens avec sa nièce. Pendant sa visite, M. Gill a demandé à être dispensé de l’application des critères de sélection au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire afin de faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada.

[5]  M. Gill a informé l’agent de sa séropositivité et lui a fait part de sa crainte d’être victime de discrimination en Inde. Il a en outre déclaré qu’il n’aurait pas suffisamment de soutien en Inde, puisque la majeure partie de sa famille habite au Canada. Enfin, il a souligné qu’il avait établi des liens étroits avec les membres de la famille étendue de sa sœur et qu’il lui était nécessaire de demeurer au Canada.

[6]  L’agent a jugé que même si M. Gill était proche des membres de sa famille, il n’avait pas établi que le fait de retourner en Inde aurait pour effet de rompre ces liens familiaux. L’agent a souligné qu’il existe divers moyens de communication et que les membres de la famille de M. Gill habitant au Canada pourraient lui rendre visite en Inde. L’agent a également jugé que si M. Gill retournait en Inde, sa sœur pourrait trouver quelqu’un d’autre pour l’aider à prendre soin de son mari et de son beau-père. De plus, l’agent a signalé que M. Gill pourrait continuer à recevoir du soutien financier et que ses deux sœurs qui vivent en Inde pourraient lui offrir un soutien affectif au besoin. S’appuyant sur ses conclusions, l’agent a jugé que les liens familiaux de M. Gill devaient être considérés comme un [traduction] « facteur favorable » dans le cadre de sa demande.

[7]  En ce qui concerne l’établissement de M. Gill au Canada, l’agent n’a accordé qu’un [traduction] « poids minimal » à ce facteur. De l’avis de l’agent, M. Gill n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il s’était intégré dans la communauté ou qu’il avait déployé des efforts pour acquérir des aptitudes qui faciliteraient son intégration. En revanche, l’agent a accordé un poids considérable à l’établissement de M. Gill en Inde puisque celui-ci y est né, qu’il y possède une entreprise, que des membres de sa famille y habitent et qu’il y a reçu des soins pour le VIH.

[8]  L’agent s’est aussi penché attentivement sur la séropositivité de M. Gill. Il a souligné les récents changements apportés à la loi indienne visant à éliminer la stigmatisation et la discrimination liées à la séropositivité ainsi qu’à améliorer la disponibilité des traitements. L’agent a reconnu que les mesures prises en Inde ne sont [traduction] « pas parfaites » et que la stigmatisation et la discrimination liées à la séropositivité persistent. Cependant, il a conclu que les tentatives de l’Inde pour régler ces problèmes minaient l’argument concernant la séropositivité de M. Gill. L’agent a aussi souligné que M. Gill et son médecin avaient tous deux présenté des éléments de preuve démontrant que l’infection au VIH de M. Gill était maîtrisée et qu’il continuerait à avoir accès à un traitement en Inde. Compte tenu de ces renseignements, l’agent a conclu que les éléments de preuve n’étayaient pas le fait que M. Gill craignait que sa séropositivité ait des répercussions défavorables importantes.

[9]  Enfin, l’agent s’est penché sur l’intérêt supérieur de la nièce de M. Gill. Il a conclu que celle-ci fréquentait l’université et qu’elle ne rendait visite à sa famille que toutes les trois ou quatre semaines. Il a fait remarquer que M. Gill pourrait continuer à entretenir des liens avec sa nièce même s’il se trouvait en Inde et que, si sa nièce trouvait la séparation difficile, elle pourrait trouver du réconfort auprès des membres de sa famille qui habitent au Canada.

[10]  Après avoir effectué une [traduction] « évaluation globale » de la demande de M. Gill, l’agent a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs pour accueillir la demande.

[11]  M. Gill soutient que l’agent a commis une erreur en concentrant son attention sur les efforts déployés par le gouvernement indien pour combattre le VIH. Il a ajouté que ce faisant, l’agent avait détourné à tort son attention de l’expérience personnelle de M. Gill. De l’avis de ce dernier, le défaut de l’agent de tenir compte de sa situation particulière constitue une erreur susceptible de révision.

[12]  M. Gill invoque plusieurs précédents dans lesquels il a été établi que les agents commettent une erreur lorsqu’ils se fondent uniquement sur les éléments de preuve relatifs à la situation au pays pour conclure que les demandeurs séropositifs ne sont pas exposés à des difficultés dans leur pays d’origine (XY c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 213 [X.Y.], au par. 33; Mings-Edwards c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 90 [Mings-Edwards], au par. 15).

[13]  Je souscris à l’avis du défendeur selon lequel une lecture de l’ensemble de la décision de l’agent révèle que celui-ci a tenu compte de la situation particulière de M. Gill. L’agent a décrit la déclaration de M. Gill concernant le traitement qui lui était réservé en Inde et il a déclaré qu’il avait examiné les circonstances personnelles de M. Gill avant de se pencher sur la preuve générale. Comme le souligne le défendeur, M. Gill, qui doit composer avec sa séropositivité depuis 10 ans en Inde, avait [traduction] « très peu de choses à dire » au sujet de la stigmatisation et de la discrimination dont il était victime.

[14]  La situation de M. Gill est très différente de celles exposées dans les décisions XY et Mings-Edwards. Dans ces affaires, ce n’est qu’une fois arrivées au Canada que les demanderesses ont appris qu’elles étaient séropositives. Leurs demandes portaient sur la question de savoir si les agents avaient correctement évalué le changement survenu dans leur situation personnelle. En l’espèce, M. Gill a vécu en Inde après avoir reçu le diagnostic d’infection au VIH et il n’a fourni qu’une déclaration dans laquelle il mentionnait être victime de stigmatisation sans réellement présenter d’éléments de preuve pour corroborer sa déclaration.

[15]  De plus, M. Gill soutient que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentant la réalité des personnes séropositives en Inde. Il mentionne que l’agent s’est appuyé sur la preuve documentaire pour conclure que l’Inde avait pris des mesures dans le but de réduire la stigmatisation liée au VIH, mais qu’il ne s’est pas arrêté aux parties de cette même preuve qui contredisaient cette conclusion. Ces éléments expliquent que les personnes séropositives en Inde continuent d’être victimes de discrimination, plus particulièrement dans le secteur des soins de santé.

[16]  M. Gill affirme que si un agent ne cite que les éléments de preuve qui appuient sa conclusion sans se pencher sur les éléments de preuve contradictoires, l’agent est réputé avoir ignoré les éléments de preuve qui contredisent sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 1998 CanLII 667 (CF 1re inst.) [Cepeda-Gutierrez]). M. Gill s’appuie sur deux autres décisions pour étayer sa déclaration selon laquelle l’agent a déraisonnablement ignoré les éléments de preuve décrivant les difficultés auxquelles font face les personnes séropositives en Inde. Dans la décision XY, le juge Pentney a déclaré, au paragraphe 28, que l’agent avait commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve qui expliquait que la politique du gouvernement éthiopien contre la discrimination envers les personnes atteintes du VIH était peu appliquée. Dans la décision Ocampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1290, le juge Martineau a déclaré, au paragraphe 9, qu’il « était manifestement déraisonnable pour l’agent de se limiter à une déclaration toute faite selon laquelle le gouvernement déployait des efforts pour améliorer la situation, si l’on tient compte des éléments de preuve contradictoires précis présentés par le demandeur et de l’existence d’éléments contradictoires dans le rapport même sur lequel l’agent s’est fondé ».

[17]  Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle le principe énoncé dans la décision Cepeda-Gutierrez ne s’applique pas à l’élément de preuve en question. Dans sa preuve personnelle, M. Gill ne fait mention d’aucun préjugé précis dont il a fait l’objet; par conséquent, la preuve générale selon laquelle certaines personnes en Inde sont victimes de discrimination n’est [traduction] « pas particulièrement pertinente » en l’espèce. En outre, l’agent a reconnu cette réalité générale. Il a reconnu que [traduction] « le demandeur retournera dans une société où les personnes atteintes du VIH font l’objet de discrimination et de stigmatisation sociale ».

[18]  Aucune des affaires sur lesquelles s’est appuyé M. Gill ne s’applique aux faits en l’espèce, puisqu’aucun élément de preuve, précis ou autre, présenté par M. Gill ne vient contredire les conclusions de l’agent.

[19]  Enfin, M. Gill soutient que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas convenablement ses liens familiaux au Canada, et ce, de deux façons.

[20]  Premièrement, M. Gill soutient que l’agent n’a pas tenu compte de l’attente culturelle voulant qu’il prenne soin de ses parents. M. Gill fait valoir que l’agent ne s’est attardé qu’à sa relation avec sa sœur et la famille de celle-ci. Il ajoute que la conclusion selon laquelle les liens peuvent être maintenus à distance était viciée, puisque prendre soin de ses parents nécessite une certaine proximité physique.

[21]  Deuxièmement, M. Gill soutient que l’agent n’a pas bien saisi le fait qu’il s’ennuie en Inde. Il prétend que la conclusion de l’agent à savoir que ses deux sœurs en Inde pourraient lui apporter un soutien affectif ne tient pas compte des liens solides qui existent entre lui et les membres de sa famille qui vivent au Canada. À son avis, cette conclusion révèle plutôt que l’agent s’est concentré uniquement sur la question des difficultés, alors que ce n’est pas là le critère à appliquer.

[22]  Selon moi, l’analyse faite par l’agent des liens familiaux de M. Gill est raisonnable. L’évaluation est rigoureuse et, bien que l’agent ne fasse pas mention de chaque élément d’information, ses motifs indiquent qu’il n’a pas fait fi de la preuve produite par M. Gill.

[23]  En ce qui concerne les préoccupations particulières de M. Gill, je suis convaincu que l’agent a tenu compte du désir de M. Gill de prendre soin de ses parents. M. Gill s’appuie une fois de plus sur le principe énoncé dans la décision Cepeda-Gutierrez selon lequel un agent ne peut faire fi d’un élément de preuve qui contredit sa conclusion. Toutefois, les motifs de l’agent démontrent qu’il n’a pas fait fi de la preuve produite par M. Gill à cet égard. La preuve selon laquelle M. Gill souhaite prendre soin de ses parents figure dans sa déclaration solennelle. Les motifs de l’agent contiennent de nombreux passages tirés de cette même déclaration. Cela démontre que l’agent a lu la déclaration et qu’il en a tenu compte. Par conséquent, je ne peux pas conclure que l’agent a « fait fi » de la preuve produite par M. Gill selon laquelle celui-ci souhaite prendre soin de ses parents.

[24]  Je suis également convaincu qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que les sœurs de M. Gill qui habitent en Inde pourraient lui apporter du soutien. L’agent a fourni une évaluation complète des renseignements qui lui ont été présentés et il a tiré une conclusion qui commande la retenue. Le fait que M. Gill soit en désaccord avec le traitement de ces renseignements ne rend pas ce traitement déraisonnable.

[25]  La décision faisant l’objet du contrôle est fondée sur une lecture complète et un examen exhaustif de tous les éléments de preuve, et traduit ce fait de façon raisonnable. La présente demande doit être rejetée.

[26]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-79-19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour d’octobre 2019.

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-79-19

 

INTITULÉ :

VIJAY KUMAR GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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