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Date : 19980421


Dossier : IMM-1376-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE :


SOFIKA BOJAXHI,

SUADA BOJAXHI,

SANPAULO BOJAXHI,


demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


O R D O N N A N C E

     VU la demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, en date du 13 mars 1997,

     LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie.

                     B. Cullen

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.



Date : 19980421


Dossier : IMM-1376-97

ENTRE :


SOFIKA BOJAXHI,

SUADA BOJAXHI,

SANPAULO BOJAXHI,


demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 13 mars 1997, dans le cadre de laquelle la Commission a estimé que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Il s"agit en l"espèce de décider si la Commission a conclu, en des termes clairs et non équivoques, que le témoignage de la demanderesse adulte était crédible.

[3]      Sofika Bojaxhi (la demanderesse adulte), citoyenne d"Albanie, est membre du Parti communiste albanien, maintenant appelé Parti socialiste, depuis au moins 1939, même si, depuis de nombreuses années, elle ne participe pas aux activités du parti. Avant de quitter l"Albanie, elle occupait le poste de vice-présidente de section de l"Association nationale des anciens combattants. Elle prétend craindre d"être persécutée en Albanie en raison de son appartenance au Parti socialiste. Ses inquiétudes résulteraient du fait qu"elle a été à maintes reprises interrogée par la police locale à la suite de l"arrestation du président de sa section locale, lui aussi membre du Parti socialiste, à qui l"on aurait reproché des détournements de fonds.

[4]      Suada Bojaxhi et Sanpaulo Bojaxhi (les demandeurs mineurs) affirment craindre d"être persécutés en Albanie en raison de l"appartenance de leur grand-mère, la demanderesse adulte, au Parti socialiste. Ils prétendent avoir été l"objet de harcèlement dans la cour de leur école en raison de l"affiliation politique de leur grand-mère, et Sanpaulo Bojaxhi prétend avoir été l"objet d"une tentative d"enlèvement, là aussi en raison de l"appartenance de sa grand-mère au Parti socialiste.

[5]      Selon un principe bien établi, la Commission doit exprimer en termes nets et non équivoques toute conclusion touchant la crédibilité : Rajaratnam c. Canada (ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.); Armson c. Canada (ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.). En l"espèce, la Commission semble avoir, en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse adulte, adopté une démarche contradictoire.

[6]      À la page 5 de ses motifs, la Commission déclare ainsi :

     [Traduction]
     La demanderesse adulte prétend qu"on la persécute afin de discréditer le Parti socialiste. Sur ce point, le tribunal estime que son témoignage est crédible. Il ressort de la preuve que bien qu"elle soit restée membre du Parti communiste, qui arbore maintenant les couleurs du Parti socialiste, elle n"avait occupé au sein du Parti aucun poste, et n"avait pas, depuis à peu près la Seconde Guerre mondiale, participé aux activités du Parti ou aux élections organisées en son sein. Sa seule activité était la vice-présidence d"une des 20 ou 30 sections locales de l"organisation des anciens combattants.         

[7]      Aux pages 4 et 5, la Commission reconnaît que si, selon la preuve documentaire, le Parti démocratique actuellement au pouvoir en Albanie s"en prend effectivement aux anciens responsables communistes, elle n"estime pas que la demanderesse adulte puisse vraisemblablement faire partie de cette catégorie. Ensuite, elle conclut du dossier que le Parti démocratique a, à de nombreuses occasions, utilisé les pouvoirs de l"État pour harceler et emprisonner d"autres membres du Parti socialiste.

[8]      Plus loin, dans ses motifs, la Commission explique pourquoi elle refuse d"accepter une très grande partie du témoignage de la demanderesse adulte, relevant des contradictions entre les informations consignées dans son FRP et sa déposition orale, le fait qu"elle ait pu quitter l"Albanie munie de son propre passeport alors qu"elle était recherchée par la police, et expliquant de manière plus détaillée pourquoi sa longue période d"inactivité au sein du Parti communiste, devenu depuis le Parti socialiste, n"a pas pour effet de ranger la demanderesse dans la catégorie des personnes les plus susceptibles d"être visées par l"actuel régime albanien.

[9]      Les conclusions de la Commission touchant la crédibilité de la demanderesse adulte sont manifestement contradictoires et ne satisfont donc pas à l"exigence voulant que les conclusions touchant la crédibilité soient exprimées en des termes clairs et non équivoques. La Commission a par conséquent commis une erreur de droit car ses conclusions concernant la crédibilité de la demanderesse adulte sont abusives.

[10]      Le défendeur répond que la contradiction est due à une simple inadvertance ou à une légère faute de rédaction. C"est ainsi que dans l"extrait cité plus haut, dans la deuxième phrase, le mot " est " devait être précédé de " n" " et suivi du mot " pas ". Étant donné que, plus loin dans ses motifs, la Commission dit bien qu"elle n"admettait pas la crédibilité de la demanderesse adulte, la Cour devrait ainsi considérer que l"absence de " n" "et de " pas " dans l"extrait cité des motifs de la Commission ne constitue qu"un simple " lapsus " qui ne devrait pas avoir pour effet d"invalider la décision de la Commission : Leung c. M.E.I. (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 43 (C.A.F.).

[11]      Cet argument ne saurait être retenu par la Cour. L"affaire invoquée à l"appui de la thèse du défendeur se distingue de l"affaire dont est saisie la Cour en l"espèce. Dans l"affaire Leung , la Commission avait, dans un cas, énoncé incorrectement le critère permettant de décider qui était effectivement réfugié au sens de la Convention, utilisant le mot " conclurait " alors qu"elle entendait, semble-t-il, utiliser le mot " peut ", mais, tant avant qu"après ce passage, la Cour avait énoncé correctement le critère. La décision de la Commission a cependant fait l"objet d"un contrôle judiciaire, la Cour ayant estimé que la Commission avait mal appliqué le critère pourtant correctement énoncé. En l"espèce, la Commission n"a nullement énoncé incorrectement le critère qu"elle aurait, dans une autre partie de ses motifs, énoncé correctement. Dans d"autres affaires, la Cour a estimé que toute faute d"inattention relevée dans une décision de la Commission, au niveau de l"énoncé du critère permettant de dire qui est un réfugié au sens de la Convention, risque de faire tomber la décision si elle se situe au coeur même des conclusions du tribunal : Osei-Yeboah c. Canada (IMM-1020-93, 24 mars 1994, C.F. 1re inst.); Losolohoh c. Canada (IMM-2324-94, 4 janvier 1995, C.F. 1re inst.).

[12]      Il y a lieu de rappeler que la Commission a la faculté de modifier ses motifs, après même les avoir rendus, en cas de lapsus ou si l"on relève une erreur dans le texte de sa décision par rapport à ce qui était son intention manifeste : Chandler c. Alberta Association of Architects [1989] 2 R.C.S. 848 à la p. 861; citée : Camacho-Souza c. Canada (IMM-406-93, 28 février 1994, C.F. 1re inst.). Si ce qui semble être un lapsus ou une erreur de rédaction concerne le point essentiel d"une décision, et que la Commission n"a pris aucune mesure afin d"apporter les changements qui permettraient de corriger le problème, il n"appartient pas à la Cour de tenir pour acquis que de tels changements auraient dû être apportés. Les motifs de la Commission doivent être pris tels qu"ils se présentent, même s"ils contiennent une contradiction entraînant une erreur justiciable du contrôle judiciaire. Canada c. Singh (IMM-408-96, 18 octobre 1996, C.F. 1re inst.).

[13]      En ce qui concerne les conclusions auxquelles la Commission est parvenue à l"égard des demandeurs mineurs, c"est, semble-t-il, à tort que la Commission a conclu qu"il y avait effectivement eu un enlèvement mais que celui-ci n"avait rien à voir avec l"appartenance au Parti communiste/socialiste. Selon la Commission, aucune preuve ne portait à penser que l"enlèvement était en rapport avec l"appartenance au Parti communiste, mais elle n"a pas expliqué pourquoi elle avait rejeté la thèse de l"enlèvement politique. Le fait qu"un demandeur, témoignant sous serment, affirme certaines choses, crée une présomption quant à la vérité de ses affirmations, à moins qu"il n"y ait des raisons d"en douter : Okyere-Akosah c. Canada (ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).

[14]      Le seul élément de preuve cité par la Commission et susceptible de réfuter la thèse de l"enlèvement politique, un témoignage voulant qu"en Albanie les enlèvements soient souvent liés à des réseaux de prostitution ou de commerce illicite d"organes, est le fait d"un témoin que la Commission a estimé peu crédible. À cet égard, la Commission doit se montrer particulièrement prudente en matière de conclusions touchant la crédibilité du témoignage livré par des mineurs s"exprimant par l"intermédiaire d"un interprète, car les amplifications ou embellissements de l"interprète risquent de déconsidérer le témoignage de ceux qui s"expriment par son truchement.

[15]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l"affaire sera renvoyée pour nouvelle audition et nouvel examen devant une autre formation de la Commission.

[16]      Les parties n"ont soumis aucune question à certifier.

                     B. Cullen

                                 J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 avril 1998

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                  IMM-1376-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          SOFIKA BOJAXHI et al. c. MCI
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO
DATE DE L"AUDIENCE :              Le 15 AVRIL 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

DATE :                      LE 21 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

Me Arthur Weinreb                  POUR LA DEMANDERESSE
Me Andrea Horton                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Norris Ormston                  POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

George Thomson                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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