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Date : 20000823


Dossier : IMM-3798-99


ENTRE



VELAUTHAM KANAGARATNAM

THANPAKIYAM KANAGARATNAM


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE NADON

[1]      Les demandeurs, des époux du Sri Lanka, cherchent à faire annuler la décision, datée du 19 juillet 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sont arrivés au Canada le 20 juillet 1996 et y ont revendiqué le statut de réfugiés sur la base de leurs opinions politiques, leur race, leur nationalité et leur appartenance à un groupe social particulier; ils sont des Tamouls de la région nord du Sri Lanka.

[3]      Le 29 mai 1997, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés. Par la suite, ils se sont rendu aux États-Unis, où ils sont demeurés jusqu'au 24 avril 1998, date de leur retour au Canada, où ils ont de nouveau revendiqué le statut de réfugiés. Le 19 juillet 1999, la Commission a rejeté leur demande. La décision, très brève, est rédigée de la façon suivante :

[TRADUCTION]
     M. Velautham KANAGARATNAM, qui est âgé de 65 ans, et son épouse, Thanapakiyam KANAGARATNAM, qui est âgée de 62 ans, sont tous les deux des citoyens du Sri Lanka. Ils soutiennent qu'ils ont une crainte fondée d'être persécutés en raison de leurs opinions politiques, leur race, leur nationalité et leur appartenance à un groupe social particulier, soit les Tamouls de la région nord du Sri Lanka. Les revendicateurs sont arrivés au Canada le 20 juillet 1996 et y ont revendiqué le statut de réfugiés. Le 29 mai 1997, la Section du statut de réfugié (la SSR) a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les revendicateurs n'avaient pas de motifs valables de craindre d'être persécutés.
     Le 14 mai 1998, les revendicateurs se sont rendu aux États-Unis. Ils y sont demeurés jusqu'au 24 avril 1998, date à laquelle ils sont retournés au Canada pour y revendiquer de nouveau le statut de réfugiés.
L'ANALYSE
     La formation a examiné le document intitulé Civils non combattants qui craignent d'être persécutés dans des situations de guerre civile : directives données par la Présidente.
     Pour qu'elle soit accueillie, cette nouvelle revendication devait être accompagnée de nouveaux éléments de preuve soumis à la formation faisant état d'un changement de circonstances.
     L'avocat a soumis deux pièces, soit deux communiqués de presse. Ces pièces indiquent que des personnes âgées sont parfois arrêtées par les autorités sri lankaises. Cependant, cette preuve n'est pas nouvelle en soi; la formation sait, en vertu de ses connaissances spécialisées, que de tels événements se sont déjà produits. L'avocat a également soumis trois décisions de la Cour fédérale et il a soutenu que si la formation précédente avait disposé de ces décisions, elle aurait favorablement trancher l'affaire. Cependant, la formation a estimé que ces trois décisions de la Cour fédérale se rapportaient à des situations différentes qui n'avaient pas directement d'incidence sur la présente affaire. Peu importe que la théorie de la res judicata s'applique ou non à la présente revendication, nous sommes d'avis que les observations, faits et éléments de preuve supplémentaires, de même que le FRP, que l'avocat a présentés ne permettent pas de raisonnablement conclure que les revendicateurs risqueraient d'être persécutés pour un motif prévu dans la Convention s'ils retournaient au Sri Lanka.
LA CONCLUSION
     Pour conclure, la formation juge que M. Velautham KANAGARATNAM et son épouse, Thanapakiyam KANAGARATNAM, ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

[4]      À mon avis, la décision ne saurait être maintenue. Premièrement, la décision ne fournit pas de motifs clairs et convaincants expliquant pourquoi la revendication a été rejetée. À la lecture de la décision de la Commission, je ne suis pas certain qu'elle a tranché la question de la res judicata. La Commission a peut-être estimé qu'elle avait tranché cette question, mais j'en doute, à la lecture de ses motifs.

[5]      Deuxièmement, en ce qui concerne le bien-fondé de la revendication, la Commission n'a exposé aucun motif, hormis une déclaration non étayée qu'il n'était pas raisonnable de conclure que les demandeurs risqueraient d'être persécutés s'ils retournaient au Sri Lanka.

[6]      Dans sa décision datée du 29 mai 1997, la Commission a rejeté la revendication du statut de réfugié des demandeurs au motif qu'une possibilité de refuge intérieur s'offre à eux à Colombo ou dans d'autres régions contrôlées par le gouvernement du Sri Lanka. En conséquence, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas [TRADUCTION] « de bons motifs de craindre d'être persécutés s'ils retournaient au Sri Lanka,... » .

[7]      En l'espèce, lorsqu'elle a conclu que les revendicateurs ne risqueraient pas d'être persécutés s'ils retournaient au Sri Lanka, la Commission avait-elle à l'esprit la conclusion que la formation précédente avait tirée au sujet de la PRI, ou est-elle parvenue à une conclusion générale en ce qui concerne le bien-fondé, dans l'ensemble, de la revendication des demandeurs? Encore une fois, j'ai des doutes sur cette question. À mon avis, les motifs que la Commission a exposés ne sont pas convaincants.

[8]      Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur a répété l'histoire qu'il avait racontée dans le FRP qu'il avait rempli en vue de l'audition du 25 février 1997. Cependant, il a ajouté deux paragraphes qui, a-t-il soutenu, constituaient de nouveaux faits qui étaient importants en ce qui concerne leur deuxième revendication du statut de réfugiés. Voici les paragraphes 17 et 18 de la réponse qu'il a fournie à la question 37 de son FRP :

[TRADUCTION]
(17)      J'ai des problèmes cardiaques. Les médecins m'ont dit que je devrais très bientôt subir une intervention chirurgicale. Mon état de santé physique et mentale se détériore depuis que mon épouse et moi-même avons été arrêtés par la direction CID des autorités policières du Sri Lanka en juillet 1996. Nous sommes tous les deux extrêmement déprimés depuis notre arrivée au Canada. Mon épouse pleure presque chaque jour. En outre, elle fait souvent le même cauchemar, dans lequel elle est harcelée par la direction CID à Colombo. Ses trois frères vivent au Sri Lanka. Son dernier contact avec eux remonte à octobre 1995. Elle ne sait pas où se trouve sa fille. Elle s'inquiète beaucoup du sort de ses frères et craint qu'ils soient morts. Elle a beaucoup de mal à se concentrer et pense parfois à se suicider.
(18)      J'ai soixante-quatre ans. Ma mémoire est défaillante. Je n'ai pas de parents ni d'amis proches au Sri Lanka qui pourraient nous aider ou nous loger, mon épouse et moi. Je ne peux, en raison de mon état de santé mentale et physique, explorer la possibilité d'un refuge intérieur à Colombo ou dans une autre ville ailleurs que dans la partie nord du Sri Lanka. Mon épouse et moi-même avons été harcelés par les autorités policières de Colombo alors que nous y étions, tout juste avant notre départ.

[9]      L'avocat des demandeurs a soutenu que l'état de santé de ses clients constituait un facteur pertinent en ce qui concerne la question de savoir si une PRI s'offrait à eux. La Commission ne paraît pas avoir examiné cette preuve. Il n'est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si ces faits sont « nouveaux » et, partant, suffisants pour permettre à la Commission d'examiner le bien-fondé de la question. Il s'agit d'une question que la nouvelle formation devrai examiner. Je suis convaincu, cependant, que la Commission aurait dû examiner cette preuve et statuer sur celle-ci. Je fais remarquer qu'à l'audition, personne n'a posé de questions aux demandeurs au sujet des nouveaux éléments de preuve qu'ils avaient produits et, en particulier, concernant l'état de santé du demandeur. En effet, ni l'avocat des demandeurs, ni les membres de la formation n'ont posé de telles questions. En conséquence, je ne peux trancher la question de savoir si le demandeur avait des problèmes cardiaques à l'époque où la première audition a eu lieu en février 1997 avant cette audition. Il s'agit d'une autre affaire où personne n'a paru intéressé à poser des questions pertinentes au sujet des questions litigieuses que soulève la revendication du statu de réfugié. Pour terminer, je souligne que l'avocat des demandeurs a fait état de l'omission de l'ancien avocat de ses clients [TRADUCTION] « de fournir des évaluations psychologiques des deux demandeurs à la deuxième audition » . L'avocat renvoyait à deux rapports de la psychologue Maria Haladyn-Dudek datés du 12 juillet 1999. Ces rapports paraissent avoir été envoyés par une lettre datée du 16 juillet 1999 à M. Joseph W. Allen, qui serait un associé de M. Martin Forget qui représentait les demandeurs à l'audition du 19 juillet 1999. J'ai dit à M. Berger, l'avocat des demandeurs, que je ne disposais d'aucune preuve établissant que M. Forget avait reçu et, par conséquent, avait en sa possession les deux rapports lorsqu'il s'est présenté à l'audition du 19 juillet 1999.

[10]      Monsieur Berger soutient que si l'on suppose que M. Forget disposait des rapports mais ne les a pas produits en preuve, une telle négligence de la part de l'avocat constituait un motif suffisant pour annuler la décision contestée. Dans la décision Huynh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 1993 21 I.L.R. 2nd 18, M. le juge Rothstein (tel était alors son titre) a fait les remarques suivantes à la page 5, en traitant d'une question similaire :

20.      D'après l'avocat comparaissant devant moi, l'ancien avocat qui comparaissait à l'audience sur le minimum de fondement a mal formulé la position du requérant. Toutefois, je ne peux décider, compte tenu des documents dont je dispose, que le fondement de l'argument de l'ancien avocat ne découlait pas de l'information fournie à l'avocat par le requérant lui-même, ni que l'argument de l'ancien avocat n'était pas, bien qu'infructueux, une stratégie déterminée devant le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement.
21.      L'avocat était peut-être peu familier avec les procédures relatives aux réfugiés ou ne connaissait peut-être pas celles-ci. Toutefois, cela n'équivaut pas à de l'incompétence. Bien qu'il soit souhaitable que tous les plaideurs soient représentés par des avocats qui sont à la fois bien informés et expérimentés, je ne connais aucune jurisprudence selon laquelle si un tribunal ou une cour siège dans une affaire où une partie ou les deux parties sont représentées pour des avocats inexpérimentés, cela constitue une erreur de droit.
22.      En dernier lieu, il a été allégué que l'avocat n'avait pas informé le requérant de son droit de demander un contrôle judiciaire. Même si cela est vrai, je ne vois pas comment cela peut être utile au requérant. L'omission de l'avocat d'informer un client de toutes les possibilités d'appel n'influe nullement sur la décision dont appel.
23.      Le requérant peut avoir un autre recours contre l'avocat qui a occupé pour lui à l'audience sur le minimum de fondement. Mais au sujet de la représentation par avocat, je ne peux conclure que le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement a commis une erreur de droit en l'espèce. Il me semble que, dans beaucoup de cas, les plaideurs qui n'ont pas gain de cause peuvent désirer attribuer le résultat à l'incompétence des avocats en cause. Lorsqu'une telle prétention est fondée, un client peut agir contre un avocat en vue d'une réparation. J'estime toutefois que l'omission de la part d'un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l'exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l'annulation d'une décision à l'occasion d'un appel ou d'un contrôle judiciaire.
                                 [Non souligné dans l'original.]

[11]      Je suis entièrement d'accord avec les remarques que M. le juge Rothstein a faites dans Huyhn. De toute évidence, chaque affaire doit être tranchée au regard des faits qui lui sont propres. Cependant, je suis d'avis qu'un demandeur doit produire des éléments de preuve claire et convaincante établissant que son ancien avocat a effectivement été négligent et que cette négligence était importante. En l'espèce, les demandeurs n'ont pas informé M Forget de la position qu'ils entendaient adopter dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En conséquence, je ne dispose pas du témoignage de M. Forget pour trancher la question de savoir s'il a été négligent et si cette négligence était importante au point de justifier l'intervention de notre Cour.

[12]      Encore une fois, si l'on suppose que M. Forget disposait des rapports mais ne les a pas produits, il se peut fort bien qu'il avait une explication raisonnable de son comportement. À mon avis, on pourrait presque soutenir qu'il faut absolument que l'ancien avocat soit avisé par le demandeur qui entend faire état de sa négligence. Ainsi, l'ancien avocat pourrait signer un affidavit permettant à la Cour de connaître l'envers de la médaille, le cas échéant. Il n'est pas nécessaire que je tranche la question de savoir qui, du demandeur ou du ministre, doit alors communiquer avec l'avocat. Cependant, il est important de se rappeler que seul le demandeur, l'ancien client, peut renoncer au privilège des communication entre avocat et client.

[13]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission datée du 19 juillet 1999 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié pour qu'une formation différemment constituée statue à son tour sur celle-ci.

                                 « Marc Nadon »

                                     J.C.F.C.


Toronto (Ontario)

Le 23 août 2000






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier


NO DU GREFFE :              IMM-3798-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          VELAUTHAM KANAGARATNAM

                     THANAPAKIYAM KANAGARATNAM

                     - c. -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                      L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :          LE LUNDI 21 AOÛT 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR M. LE JUGE NADON

EN DATE DU :              MERCREDI 23 AOÛT 2000


ONT COMPARU :         

M. Max Berger

                     Pour le demandeur

M. Jamie Todd

                     Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Max Berger & Associates

Barristers & Solicitors

1033, rue Bayl, pièce 207

Toronto (Ontario)

M5S 3A5

                     Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                     Pour le défendeur

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