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     Date: 20000112

     Dossier: IMM-6328-99

ENTRE :


HECTOR OVANDO AQUILA, LIVIDA ESPERANZA PERALES,

JULIA GRISELDA OVANDO PERALES

et SONIA ESPERANZA OVANDO PERALES


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

Le juge Muldoon

[1]      Il s'agit d'une requête visant au sursis à l'exécution, conformément à la règle 373 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, d'une mesure d'expulsion prise contre les demandeurs le 21 décembre 1999, en attendant qu'il soit statué en premier lieu sur leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et en second lieu sur leur demande d'établissement conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (ci-après la Loi).

Les faits

[2]      Les demandeurs, qui sont tous des citoyens vénézuéliens, sont membres de la même famille. Ils sont arrivés au Canada le 1er novembre 1995. Ils ont présenté une revendication en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur le harcèlement et les menaces dont ils étaient victimes, sur un différend qui opposait le père et un employeur avec qui celui-ci s'était brouillé et sur leur origine ethnique péruvienne. Dans une décision datée du 22 décembre 1998, une formation de la section du statut de réfugié (ci-après la SSR) a rejeté leur revendication. Dans sa décision, la formation a fait remarquer que les demandeurs se fondaient sur des appels téléphoniques anonymes inquiétants, sur le fait que des inconnus avaient suivi l'une de leurs filles et l'avaient ensuite menacée, sur le fait qu'une action en justice intentée contre l'employeur avait été rejetée et sur les pressions qui étaient exercées sur des tiers pour que leur père ne soit pas embauché.

[3]      Les demandeurs ont ensuite présenté une demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (ci-après les DNRSRC), mais cette demande a également été rejetée. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée. Les demandeurs ont ensuite présenté une demande, au mois de septembre 1999, conformément au paragraphe 114(2) de la Loi. Toutefois, cette demande leur a été retournée parce qu'elle renfermait des erreurs; les demandeurs ont de nouveau soumis la demande le 17 novembre 1999 seulement. La demande qui a été présentée en vertu du paragraphe 114(2) est fondée sur le fait que les demandeurs craignent d'être persécutés s'ils retournent au Venezuela. Lorsque la présente requête a été entendue, les demandeurs n'avaient reçu aucune communication du défendeur au sujet de la demande corrigée. Autant que je sache, personne ne se propose maintenant d'expulser les demandeurs au Venezuela.

[4]      Étant donné que les demandeurs n'ont pas quitté le pays dans les 30 jours où leur revendication a été rejetée à l'audience relative aux DNRSRC, les mesures d'interdiction de séjour conditionnelles en vigueur dont ils avaient été frappés sont devenues des mesures d'expulsion. Le 20 décembre 1999, les demandeurs se sont présentés à une entrevue avec le défendeur en vue de discuter de leur renvoi du Canada. Ils ont été informés que le défendeur avait l'intention de les renvoyer le 13 janvier 2000 en voiture aux États-Unis, d'où ils étaient entrés au Canada en 1995. Il n'a pas été question de la possibilité de permettre aux demandeurs de quitter le Canada à des conditions qui leur conviendraient pour se rendre dans un pays de leur choix. L'entrevue a été suivie d'une lettre datée du 21 décembre 1999 dans laquelle la conclusion à laquelle le défendeur était arrivé la veille était réitérée. Dans la lettre, il n'est pas fait mention du fait que le défendeur aurait décidé de ne pas permettre aux demandeurs de choisir leur pays de destination. Les demandeurs ont des visas de visiteur pour les États-Unis, mais ils n'ont pas d'argent, et ils craignent que, cela étant, les agents américains les expulsent au Venezuela.

[5]      Le 30 décembre 1999, les demandeurs ont présenté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision de les expulser aux États-Unis.

Les questions de droit

[6]      La présente requête soulève trois questions : à savoir, premièrement s'il existe une question sérieuse à trancher, deuxièmement si les demandeurs subiront un préjudice irréparable advenant le cas où ils seraient renvoyés aux États-Unis et troisièmement si la prépondérance des probabilités joue en leur faveur.

[7]      Les demandeurs soulèvent deux questions qui pourraient être sérieuses. En premier lieu, il s'agit de savoir si le défendeur a commis une erreur de droit en omettant de se demander si les demandeurs voulaient se rendre volontairement dans un pays de leur choix.

[8]      Le critère relatif à la question sérieuse est fondé sur les lignes directrices qui ont été établies dans l'arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396, que la Cour d'appel fédérale a adoptées dans les arrêts Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (88-A-324, 21 juin 1988) et Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451. La principale ligne directrice énoncée dans l'arrêt American Cyanamid est que le tribunal ne doit pas effectuer un examen prolongé du fond de l'affaire mais qu'il doit simplement effectuer une appréciation préliminaire. Pareille appréciation ne comprend pas la détermination de questions de droit difficiles qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et des considérations réfléchies. L'appréciation exige que les plaidoiries qui ont été présentées dans l'action principale soient examinées à la lumière de la preuve soumise à leur appui. Toutefois, la Cour ne doit pas tenter de résoudre des conflits se rapportant à la preuve de faits dont les allégations de l'une ou l'autre partie peuvent en fin de compte dépendre. En se fondant sur l'examen qu'elle effectue, la Cour doit conclure que la requête n'est ni vexatoire ni futile. Il importe peu de savoir si elle a des chances de succès : RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 312.

[9]      Les demandeurs se fondent sur le paragraphe 52(1) de la Loi sur l'immigration à l'appui de l'allégation selon laquelle il existe une question sérieuse. Le paragraphe 52(1) prévoit ce qui suit :

52. (1) Unless otherwise directed by the Minister, a person against whom an exclusion order or a deportation order is made may be allowed to leave Canada voluntarily and to select the country for which that person wishes to depart.

52. (1) Sauf instruction contraire du ministre, quiconque est frappé d"une mesure d"exclusion ou d"une mesure d"expulsion peut être autorisé à quitter le Canada avant l"exécution forcée de celle-ci et à choisir son pays de destination.

Un demandeur qui doit être renvoyé est autorisé à choisir son pays de destination. Cette cour a souvent interprété le mot " peut " comme exigeant qu'un représentant, dans un ministère, prenne une décision ou exerce un pouvoir discrétionnaire particulier qui lui est conféré. En ce qui concerne le paragraphe 52(1) de la Loi, Monsieur le juge Rouleau a fait la remarque suivante dans la décision Mensinger c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1987] 1 C.F. 59 (C.F. 1re inst.) :

     Je suis convaincu que la seule obligation imposée au Ministre en vertu de ces dispositions législatives [par. 51(1) et (2)] est de décider s'il y a lieu d'autoriser le requérant à quitter le Canada de son propre gré et à se rendre en Grande-Bretagne, le pays de son choix.

[10]      M. Aguila a soumis une preuve par affidavit selon laquelle aucune décision ne lui a été communiquée, avant ou après la réception de la lettre de renvoi, au sujet de la question de savoir si le défendeur allait permettre aux demandeurs de choisir leurs pays de destination. La lettre ne mentionne pas non plus pareille décision. Cela étant et compte tenu des motifs énoncés par le juge Rouleau, les demandeurs soulèvent une question qui n'est ni futile ni vexatoire. Étant donné que les demandeurs satisfont à la première partie du critère qui s'applique au sursis, la Cour n'a pas à examiner la deuxième question.
[11]      Les demandeurs soutiennent qu'ils subiront un préjudice irréparable s'ils sont renvoyés aux États-Unis. Ils allèguent qu'étant donné qu'ils n'ont pas d'argent, les agents de ce pays s'empresseraient de les expulser au Venezuela. Ils affirment qu'une fois rendus au Venezuela, ils subiront un préjudice irréparable.
[12]      Dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc., la Cour suprême du Canada a conclu que la question de savoir s'il existe un préjudice irréparable dépend de la nature du préjudice. Dans la décision Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-346-95, 14 mars 1995) (C.F. 1re inst.), Madame le juge Simpson a examiné la question du préjudice irréparable que subirait l"intéressé frappé d'une mesure de renvoi. Le juge souscrivait aux remarques ci-après énoncées que Monsieur le juge MacKay avait faites dans la décision Kerrutt c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 53 F.T.R. (C.F. 1re inst.) :
     [...] dans le cadre d"une demande de sursis à l"exécution, la notion de préjudice irréparable sous-entend un risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d"un requérant. Il s"agit d"un critère fort strict et je retiens la prémisse selon laquelle le préjudice irréparable doit être fort grave et constituer plus qu"une épreuve difficile associée à la fragmentation ou au déplacement de la famille.

[13]      Cette définition a été suivie par le juge McKeown dans la décision Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-3416-95, 26 mars 1996) (C.F. 1re inst.).


[14]      Dans une autre série de décisions, l'exigence minimale énoncée est moins rigoureuse que celle qui est énoncée dans le jugement Calderon. Dans la décision Ponnampalan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 30 Imm L.R. 178 (C.F. 1re inst.), cette cour a conclu qu'il y aurait un préjudice irréparable puisque le renvoi de la jeune demanderesse l'exposerait peut-être à des hostilités à Sri Lanka, aurait pour effet de la retirer de l'école, l'empêcherait d'être parrainée par sa mère et l'empêcherait de présenter une demande en vertu du paragraphe 114(2).

[15]      L'allégation des demandeurs selon laquelle ils subiront un préjudice irréparable est fondée sur le fait qu'ils croient qu'ils aboutiront finalement au Venezuela. Il s'agit d'une simple conjecture. Il pourrait arriver que la demande fondée sur le paragraphe 114(2) soit accueillie dans les prochains jours ou dans les prochains mois. À part cela, la question de savoir ce que les agents américains feront à un moment donné dans un avenir plus ou moins rapproché n'est qu'une pure conjecture. Il est possible que les demandeurs soient expulsés dans leur pays d'origine et il est possible qu'ils ne le soient pas " on ne peut le savoir avec certitude. Quoi qu'il en soit, il existe peu d'éléments de preuve ou il n'existe aucun élément de preuve tendant à démontrer que le fait que les demandeurs aboutiront au Venezuela leur causera un préjudice irréversible.


[16]      Les demandeurs ont tort de soutenir que la formation de la SSR a conclu qu'ils étaient persécutés au Venezuela. À la page 3 de sa décision, la formation a plutôt dit qu'à supposer que les faits allégués soient exacts, il serait possible de conclure que les demandeurs ont été victimes de crimes. Cette conclusion est fondée sur la preuve, telle que la formation l'a énoncée dans sa décision, laquelle était principalement composée des menaces qu'un employeur avec qui le demandeur s"était brouillé ou ses acolytes avaient proférées à l'endroit des demandeurs. De l'avis de la Cour, cela ne montre pas l'existence d'un préjudice irréparable. Les demandeurs n'ont soumis aucun autre élément de preuve donnant à entendre qu'un préjudice irréparable sera subi. De fait, après avoir quitté le Venezuela, des procédures judiciaires que le demandeur avait engagées contre son ancien employeur étaient encore en instance " or, le demandeur a eu gain de cause même s'il était absent! L'ancien employeur ne semble donc pas avoir une si grande influence!

[17]      Enfin, les demandeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients justifie l'octroi d'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Ils font remarquer que leur présence au Canada, en attendant qu'il soit statué sur la demande qu'ils ont présentée en vertu du paragraphe 114(2), ne constitue pas un danger public pour les Canadiens. Ils font également remarquer que le défendeur aura encore le droit de les renvoyer si leur demande est rejetée. Enfin, ils rappellent à la Cour le danger auquel ils feront face, selon eux, s'ils aboutissent au Venezuela.

[18]      Le critère relatif à la prépondérance des inconvénients a été énoncé dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc. : il vise à permettre de déterminer laquelle des parties subira le préjudice le plus grave par suite de l'octroi d'un sursis ou du refus d'accorder un sursis. Dans la décision Dugonitsch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (92-T-224, 10 avril 1992) (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a dit qu'un facteur important à cet égard se rapporte à l'intérêt public, lorsqu'il s'agit d'assurer le maintien des programmes législatifs et d'appuyer les efforts des personnes responsables de leur mise en oeuvre.

[19]      Les demandeurs subiront sans aucun doute de graves inconvénients s'ils sont contraints à se rendre aux États-Unis. Toutefois, cette cour tient à faire remarquer qu'ils ne subiront pas un préjudice irréparable s'ils sont obligés de le faire. De plus, leurs demandes d'établissement ou d'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion ne seront pas non plus touchées sur le plan du droit. En l'absence de quelque autre élément de preuve concernant les problèmes auxquels les demandeurs feront face si le sursis n'est pas accordé, cette cour doit se rappeler les remarques précitées du juge MacKay. Cela étant, elle conclut que c'est le défendeur qui subira le plus d'inconvénients si le sursis est accordé.


Conclusion

[20]      Étant donné que les demandeurs n'ont pas réussi à établir qu'ils subiront un préjudice irréparable s'ils sont renvoyés aux États-Unis et puisque les demandeurs subiront un moins grand nombre d'inconvénients que le défendeur s'ils sont renvoyés, cette cour rejette la requête visant au sursis à l'exécution de la mesure en question.

                         " F. C. Muldoon "

                     ___________________________

                         Juge


Winnipeg (Manitoba),

le 12 janvier 2000.


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-6328-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HECTOR OVANDO AQUILA, LIVIDA ESPERANZA PERALES, JULIA GRISELDA OVANDO PERALES
     et SONIA ESPERANZA OVANDO PERALES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 11 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 12 janvier 2000


ONT COMPARU :

Edward Rice          pour les demandeurs

Avocat

70, rue Arthur, 2e étage

Winnipeg (Manitoba)

R3B 1G7

Sharlene Telles-Langdon          pour le défendeur

Ministère de la Justice

301 - 310, rue Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edward Rice          pour les demandeurs

Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


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