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Date : 20040518

Dossier : IMM-3154-03

Référence : 2004 CF 731

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                               LEONARDO GONZALEZ SANCHEZ

                                               CARMEN NAYIBE PENA MORALES

                                                      (alias Carmen Nayibe M. Pena)

                                                  LUIS DAVID ZAMBRANO PENA

                                                             (alias Zambrano Pena)

                                          LEONARDO ENRIQUE GONZALEZ PENA

                                                 (alias Leonardo Enriqu Gonzalez Pena)

                                                 JOSE MANUEL GONZALEZ PENA

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les demandeurs sont membres d'une famille originaire du Venezuela, dont la demande d'asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La Commission a admis que les demandeurs avaient été victimes d'actes répétés de violence physique et sexuelle grave aux mains de l'ex-mari de Mme Pena et de ses associés, membres de la police. Toutefois, la Commission a conclu que les demandeurs avaient omis de fournir suffisamment d'éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption selon laquelle ils pourraient obtenir la protection de l'État au Venezuela.

[2]                Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en concluant qu'ils pouvaient obtenir une protection adéquate de l'État au Venezuela, et que, par conséquent, la décision de la Commission devrait être annulée.

Historique

[3]                Mme Pena était mariée à Luis Roman Zambrano. M. Zambrano travaillait comme agent des services secrets, affecté à l'équipe du gouverneur dans l'État de Tachira, et il entretenait des relations étroites avec plusieurs personnages officiels de la police et de l'arène politique.

[4]                Selon Mme Pena, le mariage a été marqué par des agressions verbales, physiques et sexuelles sur une base régulière. Le premier incident violent important s'est produit en 1989, lorsque Mme Pena a été violée par M. Zambrano. Selon son témoignage, elle s'est rendue à la police pour obtenir de l'aide, mais les policiers ont simplement ri d'elle, et lui ont dit de s'en aller.

[5]                Après plusieurs années de mariage, et la naissance d'un enfant, Mme Pena et M. Zambrano se sont séparés. Même si le couple ne faisait plus vie commune, M. Zambrano n'a pas laissé Mme Pena et son enfant tranquilles. M. Zambrano s'est servi de ses relations pour faire congédier Mme Pena de son poste, et a continué à se rendre chez elle et à la battre. M. Zambrano a également menacé de noyer l'enfant du couple, et de faire du mal aux membres de la famille de Mme Pena. Mme Pena dit qu'elle a rapporté ces événements à la police à Tachira, mais on lui a dit qu'elle devrait retourner vivre avec son mari.

[6]                Mme Pena a rencontré le demandeur, Leonardo Gonzalez Sanchez, en avril 1996 et ils ont entrepris de faire vie commune trois mois plus tard. M. Sanchez est né en Colombie, mais il avait renoncé à sa citoyenneté colombienne.

[7]                Mme Pena et M. Sanchez ont tous deux dit que M. Zambrano avait continué de leur créer des problèmes, y compris de leur proférer des menaces et d'exiger que M. Sanchez et Mme Pena mettent fin à leur relation. M. Sanchez soutient qu'en 1996 et en 1997 il a été, à plusieurs reprises, arrêté, détenu et battu par des hommes qui disaient faire partie de la police d'État, qui lui ont dit de s'éloigner de l'épouse de M. Zambrano. À une occasion, M. Sanchez a été arrêté par la police d'État et conduit jusqu'à la frontière colombienne, où on a saisi ses documents. M. Sanchez dit qu'il a rapporté cet incident à la police, mais on lui a dit qu'il devrait quitter le Venezuela.

[8]                À une autre occasion, M. Sanchez a prétendument été détenu par la police d'État pendant trois jours, au cours desquels il a été battu et tenu au secret. On a dit à la mère de M. Sanchez qu'il était détenu parce qu'il avait battu un policier, toutefois, M. Sanchez a appris plus tard que M. Zambrano avait porté plainte contre lui.

[9]                Selon le témoignage de M. Sanchez, la famille a vécu des rencontres menaçantes avec M. Zambrano en 1998 et 1999. La famille s'est tour à tour installée à Caracas, à San Cristobal, à Tariba et à Maturin pour tenter d'échapper à M. Zambrano, mais sans succès. En 1998, la famille habitait Maturin, dans l'État de Monagas. Au mois de septembre de cette année-là, cinq hommes qui se disaient policiers se sont rendus chez eux. M. Sanchez a été battu et Mme Pena a été violée par un des hommes. M. Sanchez dit qu'il a amené Mme Pena recevoir des soins médicaux et qu'il a tenté de porter plainte au poste de police de Monagas. M. Sanchez dit que les policiers n'ont pas voulu dresser de rapport concernant sa plainte parce qu'ils n'ont pas prêté foi à ses propos, et ils ont dit que la police d'État n'agirait pas ainsi.

[10]            En octobre 1999, juste après la naissance de leur deuxième fils, les demandeurs allèguent que M. Zambrano a encore menacé leurs enfants. Les demandeurs ont décidé de quitter le Venezuela et de venir au Canada, où ils ont déposé leurs demandes d'asile. Depuis l'arrivée des demandeurs au Canada, des membres de leur famille au Venezuela leur ont dit que M. Zambrano cherche toujours à savoir où ils se trouvent.

[11]            M. Sanchez et Mme Pena allèguent tous deux que l'influence qu'exerce M. Zambrano auprès de la police et de personnages officiels du gouvernement fait en sorte qu'ils ne peuvent obtenir la protection de l'État au Venezuela.

La décision de la Commission

[12]            La Commission n'a pas tiré de conclusions défavorables sur la crédibilité de Mme Pena ou de M. Sanchez, et paraît avoir accepté que les événements qu'ils prétendent avoir vécus au Venezuela se sont véritablement produits. La Commission s'est plutôt concentrée sur la question de la protection de l'État.

[13]            Lorsqu'elle a tiré la conclusion que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption que l'État était capable de protéger ses citoyens, la Commission a tenu compte du fait que le Venezuela est une république démocratique. Même si la corruption prévaut dans son corps judiciaire et même si les forces de sécurité commettent des assassinats extrajudiciaires, la Commission a conclu que le Venezuela avait néanmoins fait des efforts pour combattre le problème de la violence familiale.


[14]            En 1998, le pays a adopté la [traduction] « Loi sur la violence faite aux femmes et à la famille » , qui érige en crime la violence en milieu familial et le harcèlement sexuel. Cette loi vise à prévenir, endiguer, punir et éradiquer la violence faite aux femmes et aux enfants, et à protéger la dignité ainsi que l'intégrité physique, psychologique et sexuelle de la famille et de chacun de ses membres.

[15]            La police judiciaire technique a reçu le mandat d'ouvrir un bureau spécialisé pour traiter les plaintes de violence familiale, et la loi garantit que les procès pour violence familiale seront [traduction] « gratuits, menés rondement et sans délai [...] » .

[16]            La Commission a également conclu que le Venezuela faisait des efforts sérieux pour régler le problème de la violence familiale par l'intermédiaire de centres pour femmes, de l'aide juridique et de programmes de formation. La [traduction] « Fondation pour la prévention de la violence faite aux femmes » offre aussi des services d'aide psychologique aux femmes qui sont victimes de violence familiale.

[17]            La Commission a conclu que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que l'État était incapable de les protéger. Selon la Commission, il n'y avait pas d'éléments de preuve crédibles démontrant que l'État n'aurait pas été capable de protéger les demandeurs de ce que la Commission a appelé le « harcèlement » de M. Zambrano, si les demandeurs avaient porté plainte aux « autorités compétentes » .

[18]            Citant la décision de la Section de première instance Kadenko (N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 275, la Commission a dit que « le demandeur doit faire plus que simplement montrer qu'il a porté plainte et que ses efforts n'ont rien donné » .

[19]            Puisque les demandes des enfants étaient fondées sur les demandes de leur mère et de leur beau-père, rien ne justifiait une conclusion différente dans leur cas, et leurs demandes ont également été rejetées.

Question en litige

[20]            La seule question qui se pose dans la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État.

Analyse

[21]            La Commission a admis que les demandeurs étaient victimes d'actes de violence à répétition perpétrés par l'ancien mari de Mme Pena et ses associés, membres de la police, et que les demandeurs avaient cherché à obtenir la protection de l'État. En effet, la Commission a conclu que les demandeurs avaient cherché à obtenir l'aide de la police à au moins quatre occasions distinctes, dans au moins deux États différents. À chaque occasion, on a refusé de les aider.

[22]            Je suis convaincue que les demandeurs ont réussi à démontrer que la Commission a appliqué le mauvais critère lorsqu'elle a tranché la question de savoir s'ils pouvaient obtenir la protection de l'État au Venezuela. Un examen des motifs de la Commission, de son choix de langage et de ses renvois aux éléments de preuve laissent croire que la Commission a peut-être exigé que les demandeurs épuisent tous les moyens de protection plutôt que d'exiger qu'ils prennent toutes les mesures raisonnables dans les circonstances. Cela constitue une erreur susceptible de contrôle : Madame Untel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1579, et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 989.

[23]            Je suis également convaincue que la Commission a été indûment sélective dans sa façon de traiter la preuve relative à l'efficacité des mesures qui ont été prises par les autorités vénézuéliennes pour combattre la violence familiale. Même si certains organismes ont été mis en place pour venir en aide aux victimes de violence familiale, la Commission disposait d'éléments de preuve démontrant que ces efforts ont largement échoué. Par exemple, le rapport du Département d'État pour 2002 préparé par le gouvernement américain renvoie à l'adoption de la [traduction] « Loi sur la violence faite aux femmes et à la famille » , mais fait également remarquer que plusieurs années après l'adoption de la loi, la police [traduction] « refuse [encore] généralement d'intervenir pour prévenir la violence familiale, et les tribunaux poursuivent rarement les individus accusés de telles agressions [...] » .

[24]            Un tribunal n'a aucune obligation de mentionner tous les éléments de preuve dont il dispose : Woolaston c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102. Dans la présente affaire, la Commission a effectivement cité le rapport à titre d'autorité pour soutenir la proposition selon laquelle le Venezuela est un État démocratique. Cependant, on ne mentionne aucunement les parties du rapport qui documentent le manque de volonté de la police et des institutions judiciaires de protéger les victimes de violence familiale. Il était loisible à la Commission d'évaluer cet élément de preuve et de le rejeter, mais puisque cet élément de preuve confirmait l'expérience des demandeurs eux-mêmes et se trouvait au coeur de leur demande, il n'était pas loisible à la Commission de l'ignorer sans donner de motifs pour ce faire : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.

[25]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification

Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé de question pour certification, et aucune question ne ressort de la présente affaire.


                                                                ORDONNANCE

1.          Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie et les demandes d'asile des demandeurs sont renvoyées à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur la question de la disponibilité de la protection de l'État.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »          

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

                                                                                                                                                           


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-3154-03

INTITULÉ :                                              LEONARDO GONZALEZ SANCHEZ, CARMEN

NAYIBE PENA MORALES (alias Carmen Nayibe M. Pena), LUIS DAVID ZAMBRANO PENA (alias Zambrano Pena), LEONARDO ENRIQUE GONZALEZ PENA (alias Leonardo Enriqu Gonzalez Pena) et JOSE MANUEL GONZALEZ PENA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 11 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                              LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                             LE 18 MAI 2004

COMPARUTIONS:

J.Byron M. Thomas M.A., LL.B                  POUR LES DEMANDEURS        

Sally Thomas                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

J. Byron M. Thomas                                    POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada             

Ministère de la Justice                                                               

Toronto (Ontario)                                                                     

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