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                                                                                                                     Date : 20040625

                                                                                                                   Dossier : T-84-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 918

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                      VICTOR JOHNSTON

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D'HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

                                                                                                                            défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                M. Victor Johnston, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 19 décembre 2002 dans laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a décidé, conformément à l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), de ne pas statuer sur sa plainte au motif que celle-ci avait été [traduction] « déposée plus d'un an après les faits sur lesquels elle était fondée » . Dans sa plainte, M. Johnston alléguait avoir été traité de façon discriminatoire de la part de son employeur, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (la SCHL).

[2]                Il convient de noter que la Commission, de son propre chef, après l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, a décidé de réexaminer sa décision du 19 décembre 2002. Cette décision repose sur le fait que certains renseignements dont elle était saisie lorsqu'elle avait rendu sa décision n'avaient pas été préalablement communiqués aux parties. Les deux parties, après avoir pris connaissance de ces renseignements, ont présenté d'autres observations et, le 16 septembre 2003, la Commission a rendu une décision confirmant sa décision antérieure. Pour les besoins de la présente demande, je n'ai pas examiné cette deuxième décision ni les observations soumises par les parties aux fins du réexamen. La présente demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur la décision rendue par la Commission en date du 19 décembre 2002. Puisque, pour les motifs qui suivent, j'ai décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire, je n'examinerai pas plus à fond la deuxième décision rendue par la Commission.

Questions en litige


[3]                Dans la présente demande, la Cour est appelée à déterminer si, pour l'un ou l'autre des motifs suivants, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en décidant de ne pas statuer sur la plainte de M. Johnston conformément à l'alinéa 41(1)e) de la Loi :

1.          la plainte a de fait été déposée dans le délai prescrit d'un an;

2.          la Commission a commis une erreur en décidant, dans les circonstances de l'espèce, de ne pas proroger le délai prescrit d'un an;

3.          le traitement de la plainte de M. Johnston n'était pas équitable sur le plan procédural.

Disposition législative pertinente

[4]                Le paragraphe 41(1) de la Loi prévoit :


Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a)              la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a)            the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;


b)              la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b)            the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;c)              la plainte n'est pas de sa compétence;

(c)             the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d)             la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d)            the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e)             la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e)             the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


Analyse

Question #1 : La plainte a-t-elle de fait été déposée dans le délai prescrit d'un an?

[5]                M. Johnston a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe en milieu de travail en raison de son licenciement. Dans un premier temps, M. Johnston prétend que sa plainte a été déposée dans le délai prescrit d'un an ou qu'elle l'a été à tout le moins dans une période d'un mois ou deux suivant l'expiration de ce délai. Dans sa plainte datée du 12 décembre 2001, M. Johnston allègue que la [traduction] « date de la conduite reprochée » est février 1999. Toutefois, dans ses observations relatives à la question du respect du délai prescrit, il soutient qu'il faut considérer que cette date est décembre 1999, date à laquelle la SCHL a licencié certaines employées qui se trouvaient dans une situation semblable à la sienne. Autrement dit, il prétend que, pour l'application de l'alinéa 41(1)e) de la Loi, le licenciement de ses collègues de sexe féminin constitue l'acte sur lequel repose la plainte de discrimination.


[6]                L'observation de M. Johnston sur ce point est illogique et incompatible avec l'objet de la plainte qu'il a déposée. Dans cette plainte, il affirme :

[traduction] Je crois avoir été traité différemment de mes collègues de sexe féminin lorsque j'ai reçu mon avis d'employé excédentaire et que mon emploi a pris fin, avant que le sous-traitant ne soit choisi. Comme mon emploi a pris fin sept mois avant celui de mes collègues de sexe féminin, je n'ai pas eu des chances égales d'accès à un emploi auprès de l'entreprise de sous-traitance. [Non souligné dans l'original.]

Il s'agit là d'une affirmation claire de M. Johnston selon laquelle l'acte discriminatoire reproché remonte au moment de l'avis et du licenciement. S'il y a eu discrimination, celle-ci remonte à la date à laquelle M. Johnston a été licencié et non pas à une date ultérieure. Le traitement de ses collègues de sexe féminin lorsqu'elles ont elles-mêmes été licenciées peut constituer une preuve de l'acte discriminatoire reproché, mais il n'établit pas sa date. En conséquence, il était loisible à la Commission de conclure que l'acte sur lequel reposait la plainte remontait à février 1999 et que la plainte avait donc été déposée après l'expiration du délai prescrit d'un an.


[7]                M. Johnston prétend également que la plainte devrait être évaluée à partir de la date à laquelle il a pour la première fois communiqué avec la Commission relativement au dépôt d'une plainte, soit janvier 2001. Cet argument est sans fondement. La Commission doit recevoir des milliers de demande de renseignements quant à des plaintes possibles. Il serait difficile et peut-être impossible pour la Commission de garder la trace de chacun de ces appels. La Commission a sagement et équitablement, à mon avis, interprété sa loi en considérant que le délai d'un an commençait à courir à partir de la date du dépôt d'une plainte écrite. Il peut y avoir des circonstances où la Commission peut déterminer que la date à partir de laquelle le délai commence à courir devrait être différente, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.

Question #2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant, dans les circonstances de l'espèce, de ne pas proroger le délai prescrit d'un an?         

[8]                Vu que la plainte a été déposée près de trois ans après les incidents qui auraient donné lieu à l'allégation de discrimination, la Commission ne peut entendre la plainte de M. Johnston que si elle détermine, dans les circonstances de l'espèce, que le délai prescrit devrait être prorogé. Cette décision relève directement du pouvoir discrétionnaire de la Commission et ne devrait être modifiée que si elle manifestement déraisonnable (Price c. Concord Transportation Inc., (2003), 238 F.T.R. 113, au paragraphe 42) ou si la Commission a agi mauvaise foi, sans tenir compte de l'équité procédurale, ou s'est fondée sur des considérations inappropriées ou non pertinentes (Société de développement du Cap-Breton) c. Hynes (1999), 164 F.T.R. 32, à la page 37).

[9]                La SCHL a exprimé un certain nombre de réserves quant à la question de savoir s'il y avait lieu de proroger le délai prescrit d'un an. La SCHL a soumis les observations suivantes relativement à la question du respect du délai prescrit :


·            M. Johnston a attendu plus de trois ans après son départ de la SCHL pour déposer sa plainte;

·            durant les trois ans qui ont précédé le dépôt de sa plainte, M. Johnston était représenté par un avocat qui aurait pu l'informer de ses droits en vertu de la Loi;

·            dans la poursuite de sa plainte pour renvoi injustifié et durant ses négociations avec la SCHL aux fins de la conclusion d'un règlement, M. Johnston n'a soumis aucune allégation de discrimination fondée sur le sexe;

·            une prorogation de délai en l'espèce nuirait injustement à la capacité de la SCHL de se défendre pleinement; et

·            plusieurs des témoins qui ont une connaissance directe des faits pertinents quant à la plainte ne travaillent plus pour la société.


[10]            Les seuls arguments avancés par M. Johnston quant aux raisons pour lesquelles il estimait que la Commission devait exercer son pouvoir discrétionnaire et proroger le délai prescrit d'un an étaient qu'il avait communiqué avec la Commission en janvier 2001 pour discuter de la possibilité de déposer une plainte et qu'il avait poursuivi une plainte connexe fondée sur le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2.

[11]            Lorsqu'elle décide s'il y a lieu de proroger le délai prescrit d'un an, la Commission doit apprécier la preuve dont elle est saisie. La façon dont la Commission décide de s'acquitter de cette tâche relève entièrement de son pouvoir discrétionnaire et ce n'est pas à la Cour d'apprécier à nouveau la preuve. En l'espèce, il y avait suffisamment d'éléments de preuve devant la Commission pour que celle-ci conclue qu'il n'y avait pas lieu de proroger le délai prescrit. Sa décision n'est pas manifestement déraisonnable.

Question #3 : La Commission a-t-elle tenu compte de l'équité procédurale?

[12]            M. Johnston allègue avoir présenté des observations à l'enquêteur dans une lettre datée du 21 juillet 2002 et que la Commission n'était pas saisie de cette lettre lorsqu'elle a rendu sa décision. M. Johnston soulève la question suivante : [traduction] « En l'absence de cet important document au dossier, comment la décision de la Commission pouvait-elle être équitable sur le plan procédural ou raisonnable? » Toutefois, ayant examiné la preuve, je suis convaincue que l'omission de la Commission de verser cette lettre au dossier n'entraîne aucun manquement à l'équité procédurale.


[13]            La procédure de la Commission à cette étape d'examen préliminaire vise à permettre aux parties de présenter des observations écrites à un enquêteur chargé de préparer un rapport. Ce rapport est fourni aux parties, qui sont alors autorisées à soumettre d'autres observations. À cette étape du processus, il est loisible aux deux parties d'ajouter certains éléments au rapport ou d'y apporter des corrections. En conséquence, s'il y avait quelque chose dans la lettre du 21 juillet 2002 que M. Johnston voulait porter à l'attention de la Commission et qui ne figurait pas dans le rapport de l'enquêteur, il aurait pu le faire ajouter à ce rapport.

[14]            Même si la Commission avait l'obligation (ce que je ne crois pas) d'examiner cette lettre, l'omission de verser celle-ci au dossier n'aurait pas constitué une erreur importante. Il en est ainsi parce que le rapport de l'enquêteur faisait état avec exactitude des arguments contenus dans cette lettre. L'argument principal soulevé dans la lettre du 21 juillet 2002 relativement au respect du délai prescrit pour le dépôt de la plainte de M. Johnston était le suivant :

[traduction] La SCHL ne veut pas vous traitiez ma plainte parce qu'elle l'a reçue plus d'un an après les faits sur lesquels elle se fonde. Mais, pendant ce temps, je poursuivais une plainte connexe en vertu du [Code canadien du travail] [...], et j'ai déposé ma plainte immédiatement après que cette autre plainte eut été réglée. Cela devrait être analysé dans la perspective selon laquelle l'acte discriminatoire reproché s'est plutôt produit après le règlement de la plainte fondée sur le [Code canadien du travail].


[15]            Le rapport de l'enquêteur daté du 12 décembre 2001 reprend les mêmes termes. En conséquence, même si la Commission n'était pas saisie de cette lettre, elle était saisie de l'argument de M. Johnston parce que celui-ci figurait dans le rapport de l'enquêteur. M. Johnston n'a subi aucun préjudice du fait que la lettre n'avait pas été versée au dossier du tribunal. Il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle.

[16]            Enfin, après avoir examiné la preuve attentivement, je suis convaincue que la Commission a agi de bonne foi et qu'elle a respecté les règles d'équité procédurale. M. Johnston savait que la question du non-respect du délai prescrit était en litige dans la décision et il a eu toute la possibilité de réagir aux observations de la SCHL et au contenu du rapport de l'enquêteur.

[17]            En conclusion, M. Johnston ne m'a pas convaincue que la décision de la Commission devrait être annulée. Sa demande sera rejetée et les dépens seront accordés à la SCHL.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont accordés à la défenderesse.

_ Judith A. Snider _

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-84-03

INTITULÉ :                                                    VICTOR JOHNSTON

c.

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D'HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Victor Johnston                                                 POUR LE DEMANDEUR

Dougald Brown                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victor Johnston                                                 POUR LE DEMANDEUR

1103, boul. Jalna, app. 1010

London (Ontario)

Nelligan O'Brien Payne                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)

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