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Date : 20000221


Dossier : T-452-97


OTTAWA (ONTARIO), LE 21 FÉVRIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ


ENTRE :

     British Columbia Ferry Corporation, Chevron Canada Limited,

     Imperial Oil Limited et Shell Canada Products Limited

     demanderesses

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre des Finances

     défenderesse



     Dossier : T-1361-97

     Imperial Oil Limited

     demanderesse

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre du Revenu national

     défenderesse







     Dossier : T-1359-97

     Shell Canada Products Limited


     demanderesse

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre du Revenu national


     défenderesse







     Dossier : T-2051-96

     British Columbia Ferry Corporation et

     Chevron Canada Limited

     demanderesses

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre des Finances

     défenderesse



    


J U G E M E N T




     Les actions T-452-97, T-1361-97, T-1359-97 et T-2051-96 sont rejetées, avec dépens.







Juge







Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier






Date : 20000221


Dossier : T-452-97




ENTRE :

     British Columbia Ferry Corporation, Chevron Canada Limited,

     Imperial Oil Limited et Shell Canada Products Limited

     demanderesses

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre des Finances

     défenderesse



     Dossier : T-1361-97

     Imperial Oil Limited

     demanderesse

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre du Revenu national

     défenderesse







     Dossier : T-1359-97

     Shell Canada Products Limited

     demanderesse

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre du Revenu national


     défenderesse


     Dossier : T-2051-96

     British Columbia Ferry Corporation et

     Chevron Canada Limited

     demanderesses

     et

     Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par

     le ministre du Revenu national, et

     le ministre des Finances

     défenderesse


     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DUBÉ

[1]      Ces quatre actions connexes ont été réunies et entendues ensemble. Elles portent toutes sur le remboursement de taxes payées par les demanderesses sur du combustible diesel pour les provisions de bord, en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d"accise1, de la Loi sur les douanes2 et du Règlement sur les provisions de bord3 (le Règlement). La demanderesse principale, B.C. Ferry Corporation (B.C. Ferry), est une société de la Couronne de la Colombie-Britannique qui exploite des traversiers en Colombie-Britannique. Les demanderesses Shell Canada Products Limited et Imperial Oil Limited (les fournisseurs) ont aussi payé des taxes à la Couronne pour du mazout fourni à B.C. Ferry. Dans les actions T-1359-97, T-1361-97 et T-2051-96, les demanderesses réclament des remboursements et des drawbacks de taxes payées pour les années 1990 à 1996 en vertu des procédures prévues à la Loi sur la taxe d"accise et au Règlement. Dans l"action T-452-97, les demanderesses réclament le remboursement de toutes les taxes payées sur le combustible diesel de 1986 au 1er septembre 1990, se fondant sur la notion d"enrichissement sans cause. (Les remboursements n"ont pas été demandés dans les délais prévus par la loi.)

[2]      B.C. Ferry se consacre au transport des personnes et des marchandises par traversier entre les ports de la côte continentale de la Colombie-Britannique et plusieurs îles. Il est reconnu que tous les itinéraires suivis en l"instance étaient en eaux salées , et qu"aucune des destinations n"est située aux États-Unis.

1. Le contexte législatif

[3]      Le paragraphe 23(1) de la Loi sur la taxe d"accise autorise le prélèvement d"une taxe sur les marchandises mentionnées aux annexes de la Loi. Le combustible diesel est mentionné au paragraphe 9.1 de l"annexe I de la Loi. L"article 17 de la Loi sur les douanes impose des droits sur les marchandises importées. Le combustible diesel peut être une marchandise importée.

[4]      En vertu du paragraphe 164(3) de la Loi sur les douanes et du paragraphe 35(2.3) de la Loi sur la taxe d"accise, le gouverneur en conseil a adopté le décret C.P. 1986-1856, texte qui prévoit que les provisions de bord comprennent le combustible utilisé à bord d"un " navire d"eaux internes ". L"expression " navire d"eaux internes " est définie de la façon suivante dans le décret : " un navire faisant le commerce entre les ports en eaux internes du Canada ". L"expression " eaux internes du Canada " n"était pas définie dans le décret, ni dans les lois habilitantes. Dans la Loi sur les douanes , l"expression " eaux internes " est définie de la façon suivante :

" L"ensemble des fleuves, rivières, lacs et autres plans d"eau douce du Canada, y compris la partie du Saint-Laurent délimitée, vers la mer, par les lignes droites joignant :
a) Cap-des-Rosiers à la pointe extrême ouest de l"île d"Anticosti;
b) l"île d"Anticosti à la rive nord du Saint-Laurent suivant le méridien de soixante-trois degrés de longitude ouest. "

[5]      Le décret C.P. 1986-1856 a fait l"objet d"une publication par anticipation.

[6]      Le décret C.P. 1988-1610 a modifié la définition de " navire d"eaux internes ", pour la remplacer par celle d"un navire faisant des voyages internes que l"on trouve dans la Loi sur la marine marchande du Canada4, définition qui est analogue à celle que l"on trouve dans la Loi sur les douanes . Toutefois, le décret C.P. 1988-1610 n"a pas fait l"objet d"une publication par anticipation.

[7]      En 1993, le décret C.P. 1993-605 a été adopté et il a fait l"objet d"une publication par anticipation. Sa rédaction est analogue à celle du décret C.P. 1988-1610.

2. Questions en litige

[8]      Dans les demandes de redressement inscrites dans leurs déclarations, les demanderesses expriment ainsi les questions soulevées par ces actions :

         [traduction]

         a)      une déclaration que la phrase " eaux internes du Canada ", utilisée dans le décret C.P. 1986-1856, comprend les eaux sur lesquelles les navires de la compagnie naviguent;
         b)      une déclaration que la Loi sur la taxe d"accise et la Loi sur les douanes n"autorisent pas le gouverneur en conseil à créer une discrimination entre les contribuables canadiens qui sont exemptés des droits payés sur le combustible diesel ou qui ont droit à leur remboursement, sur la base du lieu géographique de leurs opérations;
         c)      une déclaration que le décret C.P. 1988-1610 est nul et non avenu et qu"il n"a pas modifié le décret C.P. 1986-1856;
         d)      une déclaration que le décret C.P. 1993-605 est nul et non avenu et qu"il n"a pas modifié le décret C.P. 1986-1856;
         e)      subsidiairement, si le décret C.P. 1986-1856 contient une disposition qui crée une discrimination envers les contribuables sur la base du lieu géographique de leurs opérations, une ordonnance la dissociant du reste du texte;
         f)      une déclaration en vertu du paragraphe 81.22(1) de la Loi sur la taxe d"accise portant que l"appel est accueilli et annulant la décision dont il est fait état au paragraphe 12, en plus d"exiger que le ministre du Revenu national verse 77 780,00 $ à la demanderesse...

[9]      Dans sa défense, la défenderesse répond ceci aux demanderesses :

         a.      le décret C.P. 1988-1610 est autorisé à la fois par la Loi sur la taxe d"accise et la Loi sur les douanes, et il a été valablement adopté et est en vigueur en vertu de chacune de ces deux lois;
         b.      subsidiairement, comme la Loi sur la taxe d"accise n"exige pas la publication par anticipation, le décret C.P. 1988-1610 a été valablement autorisé et adopté, et il est en vigueur aux fins prévues par cette loi;
         c.      aucun des règlements mentionnés dans la déclaration en l"instance ne crée une discrimination entre les contribuables canadiens;
         d.      subsidiairement, si les règlements mentionnés ou l"un d"entre eux créent une discrimination entre les contribuables canadiens, cette discrimination est autorisée par les dispositions habilitantes de la Loi sur les douanes et de la Loi sur la taxe d"accise, et elles sont raisonnables et justifiées dans le contexte de ces lois; et
         e.      interprétés correctement, aucun des règlements mentionnés dans la déclaration en l"instance n"autorise un remboursement pour la fourniture alléguée par la demanderesse de combustible diesel à la compagnie, ainsi que l"utilisation alléguée du combustible diesel par la compagnie, puisque les circonstances et le lieu de cette utilisation ne sont pas couverts par les règlements précités. En conséquence, rien ne permet d"accorder à la demanderesse la réparation qu"elle vise dans la déclaration en l"instance.

[10]      Dans l"action T-452-97, B.C. Ferry soulève la question de l"enrichissement sans cause. La défenderesse soutient que lorsque le Parlement a prévu un code complet réglementant une question, cette législation vient remplacer la common law ou toute autre réparation qui aurait été disponible en équité. La demanderesse n"ayant pas demandé les remboursements dans les délais prévus par la loi, elle ne peut maintenant réclamer une réparation en équité.

3. Analyse

[11]      Selon moi, B.C. Ferry ne se qualifie en vertu d"aucun des règlements, puisqu"il est convenu qu"elle ne navigue qu"en eaux salées. Elle n"a jamais eu droit à l"exemption et aucune des modifications en cause ne peut changer ce fait.

[12]      Premièrement, le Règlement de 1986 a créé l"exemption pour tous les navires qui opèrent en eaux douces au Canada. B.C. Ferry n"opère qu"en eaux salées au Canada.

[13]      Deuxièmement, le Règlement de 1988 a restreint la définition pour n"y inclure que les eaux douces des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent. Il est de commune renommée que B.C. Ferry opère exclusivement en eaux salées au Canada. Même si la Loi sur les douanes exige que ces règlements fassent l"objet d"une publication par anticipation, ce n"est pas le cas de la Loi sur la taxe d"accise. Par conséquent, ces règlements sont valables au moins en ce qui concerne la Loi sur la taxe d"accise.

[14]      Troisièmement, le Règlement de 1993 a fait l"objet d"une publication par anticipation. Comme je l"ai mentionné plus tôt, il est rédigé comme le Règlement de 1988. Encore une fois, B.C. Ferry ne se qualifie pas parce qu"elle opère exclusivement en eaux salées au Canada.

[15]      L"alinéa 15(2)b ) de la Loi d"interprétation prévoit que " les dispositions définitoires ou interprétatives d"un texte ...s"appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique ".

[16]      L"article 16 de cette Loi prévoit que " les termes figurant dans les règlements d"application d"un texte ont le même sens que dans celui-ci ". Par conséquent, on doit interpréter l"expression " eaux internes " selon la définition que l"on trouve dans la Loi sur les douanes . Comme je l"ai mentionné plus tôt, cette définition précise qu"il s"agit de tous les cours et plans d"eaux douces du Canada, y compris la partie du Saint-Laurent délimitée, vers la mer, par les lignes droites joignant Cap-des-Rosiers, l"île d"Anticosti et la rive nord du Saint-Laurent.

[17]      De toute façon, aucune définition pertinente des " eaux internes " ne peut comprendre des eaux salées. Or, il est admis que B.C. Ferry n"opère qu"en eaux salées. En résumé, entre 1986 et 1988, la définition de la Loi sur les douanes excluait les navires qui opéraient exclusivement en eaux salées. Entre 1988 et 1993, le Règlement de 1988, qui incorpore la définition de la Loi sur la marine marchande du Canada, excluait les navires qui opèrent exclusivement en eaux salées au Canada.

[18]      Il n"est pas nécessaire que je décide de la validité du Règlement de 1988 qui n"a pas fait l"objet d"une publication par anticipation, puisque de toute façon le Règlement de 1986 exclut les navires de B.C. Ferry qui ne naviguent que dans les eaux salées du Canada.

[19]      Selon moi, on ne peut dire que le Règlement crée une discrimination géographique entre la côte est et la côte ouest du Canada. Tous les navires qui opèrent exclusivement en eaux salées au Canada sont exclus, ce qui comprend aussi bien les traversiers allant de Halifax à Dartmouth en Nouvelle-Écosse, puisqu"ils ne naviguent qu"en eaux salées au Canada. Par contre, un navire allant de Colombie-Britannique à Seattle aurait droit à l"exemption, puisqu"il n"opère pas exclusivement au Canada.

[20]      Quant à l"enrichissement sans cause qu"invoquent les demanderesses pour la période où elles n"ont pas agi dans les délais prévus par la loi, la Loi sur la taxe d"accise constitue un code législatif complet. Un tel code exclut toute réparation en équité qui pourrait être disponible autrement5. Là où le Parlement a prévu un code complet pour réglementer un domaine donné, la loi habilitante déplace la common law6. C"est encore plus vrai des lois fiscales, qui sont des cadres législatifs prévoyant des dates et conditions de paiement ou de remboursement. Un code fiscal exclut toute possibilité qu"un contribuable qui n"a pas agi dans les délais prévus puisse avoir recours à la réparation en équité que constitue l"enrichissement sans cause pour se faire rembourser7. L"article 71 de la Loi sur la taxe d"accise précise encore ce principe comme suit :

71. Sauf cas prévus à la présente loi ou dans toute autre loi fédérale, nul n"a le droit d"intenter une action contre Sa Majesté pour le recouvrement de sommes payées à Sa Majesté, dont elle a tenu compte à titre de taxes, de pénalités, d"intérêts ou d"autres sommes en vertu de la présente loi.


[21]      L"enrichissement sans cause ne constitue pas un droit d"action en vertu de la Loi sur la taxe d"accise.

[22]      Il n"y a donc pas de possibilité d"invoquer l"enrichissement sans cause en vertu de la Loi sur la taxe d"accise. Même s"il y en avait une, les demanderesses ne pourraient s"en prévaloir en l"instance puisque B.C. Ferry n"a pas droit à un remboursement du fait que le combustible en cause faisait partie des provisions à bord de navires qui opèrent exclusivement en eaux salées au Canada.

4. Dispositif

[23]      En conséquence, les quatre actions sont rejetées avec dépens.





OTTAWA (Ontario)

Le 21 février 2000

    

     Juge



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :              T-452-97, T-1361-97, T-1359-97 et T-2051-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          British Columbia Ferry Corporation et autres c.

                     Sa Majesté la Reine du chef du Canada



LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L"AUDIENCE :          Les 11 et 12 janvier 2000

MOTIFS DE JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :              21 FÉVRIER 2000



ONT COMPARU

M. Edward Chaisson                          POUR LES DEMANDERESSES

M. Max Weder


M. Mike Ciavaglia                          POUR LA DÉFENDERESSE

Mme Catherine Moore


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Ladner Downs                          POUR LES DEMANDERESSES

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. 1985, ch. E-15.

2      L.R.C. 1985, ch. C-52.6.

3      C.P. 1986-1856.

4      L.R.C., ch. S-9, art. 2.

5      Consumers Glass Co. Ltd. c. Canada (1989), 107 N.R. 156 (C.A.F.) et Sunbeam Corp. (Canada) Ltd. c. M.R.N. (Douanes et Accise) (1993), 71 F.T.R. 199.

6      Glaxo Welcome PLC c. M.R.N., [1998] 4 C.F. 439 (C.A.F.).

7      Zaidan Group Ltd. c. London (Ville) (1990), 71 O.R. (2d) 65 et 69 (C.A.); confirmé par [1991] 3 R.C.S. 593, à la p. 594.

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