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Date : 20050824

Dossier : IMM-8798-04

Référence : 2005 CF 1155

Toronto (Ontario), le 24 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN      

ENTRE :

SILVIAH (IGOKI) MUGAMBI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demanderesse est une citoyenne kenyane de 53 ans qui affirme être persécutée en raison des menaces dont elle fait l'objet de la part de son ex-mari. Elle affirme que, pendant son mariage, elle a été maltraitée physiquement, psychologiquement et sexuellement. Elle a demandé à sa famille de rendre la dot, celle-ci a refusé et elle a malgré tout demandé un divorce qu'elle a obtenu. Son mari a commencé à la suivre. Son mari travaillait pour Kenya Airways et le couple avait ainsi obtenu un second appartement que la demanderesse a commencé à utiliser comme domicile. Il a essayé de la faire expulser. Elle a retenu les services d'un avocat et a réussi à demeurer dans l'appartement.

[2]                En 1999, on a pénétré deux fois par effraction dans la résidence de la demanderesse mais aucun objet n'a été volé, de sorte qu'elle pense que c'est son ex-mari le coupable. Elle a signalé ces incidents à la police mais celle-ci n'a pas suivi l'affaire. En août 2001, des voleurs se sont introduits par effraction dans sa résidence et ont pris des objets de valeur. Elle affirme que l'un de ces voleurs a été arrêté mais que les biens volés n'ont pas été retrouvés. Son ex-mari l'a appelée peu de temps après et lui a dit qu'il pouvait entrer comme il le voulait dans son appartement.

[3]                Peu de temps après, elle a remarqué qu'un groupe d'hommes se tenait à l'extérieur des grilles de sa résidence. Elle a encore signalé le fait à la police mais la police n'a rien fait, étant donné que certains de ces hommes avaient des liens familiaux avec des cadres supérieurs de la police. Son mari a continué à la menacer. Elle a craint pour sa sécurité et s'est rendue une nouvelle fois au poste de police pour parler au commandant du poste. Aucune mesure n'ayant été prise, elle s'est adressée au commandant de la division et à l'agent de police provincial, mais là encore, rien n'a été fait.


[4]                En avril 2002, six hommes se sont rendus dans le magasin de la demanderesse, l'ont volée et ont agressé son assistant. Elle affirme que des policiers lui ont déclaré que tout cela était arrivé parce qu'elle avait quitté son mari. La demanderesse affirme avoir perdu son emploi et découvert par la suite que son ex-mari et son supérieur étaient devenus amis.

[5]                Elle a décidé de quitter le pays et s'est rendue en Tanzanie. Lorsqu'elle a constaté que son ex-mari connaissait beaucoup de gens en Tanzanie, elle est revenue au Kenya. Elle affirme que lorsqu'elle est revenue, son ex-mari a envoyé quelqu'un lui dire qu'une femme avait été tuée par son mari et qu'il y en avait une autre dont le mari avait demandé à deux hommes séropositifs de la violer. Elle a demandé un visa et est arrivée au Canada le 17 novembre 2002.

[6]                La Commission a estimé que la demanderesse n'était pas crédible, principalement pour les raisons suivantes :

a)          l'affirmation de la demanderesse selon laquelle son mari ne voulait pas qu'elle divorce est contradictoire avec la facilité avec laquelle le couple a obtenu un jugement de divorce;

b)          la demanderesse a fait des déclarations contradictoires au sujet de la date à laquelle son ancien mari était venu dans son magasin et avait agressé un autre vendeur;

c)          la demanderesse a fait des déclarations contradictoires au sujet du nombre d'hommes qui ont été arrêtés pour s'être introduits par effraction dans sa résidence;


d)          étant donné que les trois hommes ont pris tous les objets de valeur qui se trouvaient dans sa maison, il est possible de se demander si le but de l'introduction par effraction était vraiment de lui faire peur et non de la cambrioler;

e)          la demanderesse a fait des déclarations contradictoires au sujet du moment où elle s'est rendue en Tanzanie après s'être apparemment enfuie du Kenya;

f)           l'explication qu'a fournie la demanderesse pour s'être enfuie en Tanzanie - à savoir qu'elle ne voulait pas trop s'éloigner du Kenya - était incompatible avec le fait qu'elle a demandé un visa pour se rendre au Canada avant d'aller en Tanzanie.

[7]                La demanderesse soutient que la Commission a tiré des conclusions manifestement déraisonnables quant à la vraisemblance de ses déclarations et a écarté des éléments de preuve essentiels.

[8]                Il n'est pas contesté que la norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).


La conclusion quant à la vraisemblance des déclarations

[9]                Lorsque la Commission a analysé l'allégation relative à l'introduction par effraction de trois hommes dans la maison de la demanderesse, elle a fait le commentaire suivant :

Le tribunal estime que si cet incident avait eu pour but de faire peur à la demandeure et n'avait pas été un cambriolage commis au hasard, il n'y aurait pas eu de raison pour les agresseurs s'enfuient avec les biens de valeur de la demandeure. Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que cet incident était un vol commis au hasard et que la demandeure n'était pas visée comme elle le soutient.

[10]            La demanderesse soutient que la Commission devrait être prudente lorsqu'elle tire des conclusions quant à la vraisemblance des déclarations parce que ce qui ne serait pas vraisemblable selon les normes canadiennes pourrait fort bien l'être selon celles d'une autre culture. La demanderesse soutient que la Commission ne précise pas les éléments de preuve sur lesquels elle a fondé sa conclusion selon laquelle, si les agresseurs voulaient lui faire peur, ils n'auraient rien dérobé. La Commission n'a pas tenu compte des conditions de vie difficiles qui règnent dans un pays comme le Kenya. La demanderesse soutient qu'il était manifestement déraisonnable que la Commission affirme que des agresseurs ne volent pas, même si cela n'est pas leur but principal.

[11]            Je reconnais avec la demanderesse que cette conclusion quant à la vraisemblance de ses déclarations n'est pas bien fondée et reflète un certain manque de sensibilité culturelle. Il ne s'agit toutefois pas là d'une conclusion essentielle de la Commission et elle n'est certainement pas improbable au point où elle constituerait une conclusion manifestement déraisonnable.


La mise à l'écart d'éléments de preuve essentiels

[12]            Premièrement, la demanderesse soutient que la Commission a mal compris son témoignage au sujet du moment auquel elle a présenté sa demande. Elle affirme que le 1er décembre 2002, soit deux semaines après son arrivée au Canada, elle s'est rendue dans un refuge pour demander de l'aide et que les responsables de ce refuge ont pris des dispositions pour qu'elle rencontre un agent d'immigration. Elle avait un visa de visiteur de six mois et ne risquait pas d'être renvoyée au Kenya; par conséquent, sa conduite est compatible avec une crainte subjective de persécution.

[13]            Deuxièmement, la demanderesse soutient qu'elle a également fourni une explication raisonnable du fait qu'elle a dit qu'un homme avait été arrêté après une des introductions par effraction et qu'elle a également déclaré que les trois hommes avaient été arrêtés. Elle a confondu les termes [traduction] « arrêtés » et [traduction] « inculpés » , ce qui n'est pas inhabituel pour une personne qui ne connaît pas bien les termes juridiques.

[14]            Troisièmement, la Commission a jugé que son affirmation selon laquelle son ex-mari s'en prenait à elle parce que sa famille n'avait pas retourné la dot n'est pas crédible. La demanderesse soutient qu'elle n'a jamais affirmé que tel était le cas. En fait, elle a déclaré que son mari voulait simplement qu'elle revienne avec lui.


[15]            L'appréciation de la crédibilité des parties est la principale fonction de la Commission. Comme l'a déclaré le juge Martineau dans la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162, au paragr. 7 :

L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des quesions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

[16]            Cela englobe l'appréciation de la véracité des déclarations ainsi que de leur force probante. En l'espèce, la Commission n'a manifestement pas accepté son argument selon lequel elle a confondu [traduction] « arrêtés » et [traduction] « inculpés » . Il n'était certainement pas manifestement déraisonnable qu'elle le fasse.

[17]            Pour ce qui est du moment où a été présentée la demande d'asile, la Commission a conclu que le fait que la demanderesse a attendu un mois pour présenter une demande d'asile était « un signe de plus qui indique une absence de crainte subjective » . Bien évidemment, ce n'est pas le seul facteur et la Commission était libre de lui attribuer une certaine force probante. Manifestement, la Commission n'a pas trouvé très digne de foi l'explication fournie par la demanderesse au sujet de la tardiveté du dépôt de sa demande. Il serait sans doute possible d'en arriver à une autre conclusion mais la conclusion de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable.


[18]            Au sujet de la dot, le FRP de la demanderesse énonce ce qui suit :

[TRADUCTION] Après plusieurs années d'agression physique, psychologique et sexuelle, j'ai imploré ma famille de remettre la dot. Ils ont refusé de le faire; je n'ai donc pas tenu compte de leur attitude et présenté ma demande au droit législatif et obtenu un divorce en 1999. Mon ex-mari a continué à me suivre, même après que j'eus obtenu le divorce.

[19]            La demanderesse a soulevé elle-même la question de la dot et établi un lien entre l'attitude de son mari et l'omission de rendre la dot. À l'audience, la demanderesse a déclaré que le fait de rendre la dot constituait un genre de divorce mais que sa famille avait refusé de le faire. Elle a également déclaré que son mari voulait récupérer sa femme plutôt que la dot.

[20]            La question de la dot est donc quelque peu confuse et la conclusion de la Commission sur ce point n'est pas tout à fait exacte. C'est toutefois un aspect marginal de la conclusion générale quant à la crédibilité de la demanderesse.

[21]            L'élément central de la conclusion de la Commission, à savoir les points a), b), c), e) et f) tels que formulés au paragraphe 6 ci-dessus, sont tous conformes au critère de la décision manifestement déraisonnable. Les conclusions douteuses quant à la vraisemblance concernant le vol qui aurait été commis par les agresseurs et les références ambiguës à la question de la dot ne sont pas suffisantes pour permettre à la Cour d'annuler la décision de la Commission selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[22]            La présente demande ne peut donc être accueillie.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

                                                                        « K. von Finckenstein »          

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-8798-04

INTITULÉ :                                                             SILVIAH (IGOKI) MUGAMBI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 23 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                            LE 24 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Rita M. Hisar                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rita M. Hisar                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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