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Date : 20001011

Dossier : IMM-5668-99

Ottawa (Ontario), le mercredi 11 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

                                    KATHLEEN OWENS

                                                                                        défenderesse

                                           JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

Que la demande soit rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                      juge                         

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier. B.A., LL.B.


Date : 20001011

Dossier : IMM-5668-99

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

                                    KATHLEEN OWENS

                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]                Il s'agit d'une demande dans laquelle le ministre conteste la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel), qui a accueilli l'appel que Mme Owens a formé contre la décision d'un agent des visas. L'agent des visas avait refusé la demande de résidence permanente qu'avait présentée l'époux de Mme Owens, Samir Fawaz. Son refus était fondé sur sa conclusion selon laquelle M. Fawaz appartenait à la catégorie des personnes non admissibles prévue à la division 19(1)(f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifié (la Loi), dont voici le libellé :



19. (1)Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

...

f) celles don't il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles_:

...

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée_:

...

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

...

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

...

(B) terrorism,

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest.


LES FAITS

[2]                Bien qu'il n'ait pas laissé entendre que M. Fawaz avait personnellement pris part à des actes de violence, l'agent des visas a conclu que M. Fawaz n'était pas admissible vu qu'il [TRADUCTION] « a mentionné qu'il avait appartenu à un groupe dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'il se livre ou s'est livré à des actes de terrorisme » . Le groupe auquel on renvoyait était la Muslim Brotherhood.


[3]                Madame Owens avait formé un appel devant la Section d'appel au motif que la décision de l'agent des visas était erronée et qu'il y avait des considérations humanitaires justifiant l'octroi d'une réparation extraordinaire.                                                                  

[4]                À l'audition de l'appel, Mme Owens et M. Fawaz ont tous les deux témoigné. Monsieur Fawaz a pu témoigner en personne vu qu'il vit au Canada depuis 1989. Il a exploité sa propre entreprise pendant la plus grande partie de cette période. Madame Owens a également fait témoigné un expert, qui a été jugé compétent par la Section d'appel, au sujet de la Muslim Brotherhood et de son rôle au Moyen-Orient et en Syrie. En plus de se fonder sur un texte intitulé Revolutionary and Dissident Movements of the World, 3d ed. (London: Longman Group, 1991), le ministre a fait témoigné un enquêteur de l'Immigration. Ce témoin avait mené une enquête au sujet des activités professionnelles de M. Fawaz après le témoignage de M. Fawaz du 21 juin 1999. L'avocat du ministre a décrit l'enquête comme étant [TRADUCTION] « préliminaire » . L'avocat de l'appelante a dit que l'enquête était [TRADUCTION] « mal informée et incomplète » . La Section d'appel a conclu que cette dernière caractérisation [TRADUCTION] « est juste » .


[5]                Après avoir entendu la preuve, la Section d'appel a conclu, dans une longue décision qu'elle a soigneusement écrite, que le refus de l'agent des visas était juridiquement erroné. En concluant que le refus était juridiquement erroné, la Section d'appel a estimé que la preuve ne contenait aucun fondement raisonnable permettant de croire que l'appelante appartenait à la Muslim Brotherhood au sens de la division 19(1)(f)(iii)(B) de la Loi et qu'elle n'établissait aucun motif raisonnable permettant de conclure que la Muslim Brotherhood se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. La Section d'appel a également conclu qu'il y avait en l'espèce des considérations humanitaires justifiant l'octroi d'une réparation extraordinaire.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[6]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le ministre a fait valoir que :

           1.         La Section d'appel a négligé de tenir compte d'éléments de preuve au sujet de l'appartenance de M. Fawaz à la Muslim Brotherhood;

           2.         La Section d'appel a appliqué le mauvais critère pour déterminer le sens de la définition d'une telle « appartenance » ;

           3.         La Section d'appel a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour déterminer s'il y avait « des motifs raisonnables de croire » que M. Fawaz appartenait à un organisme terroriste; et

           4.         La Section d'appel a commis une erreur en soupesant l'entrave d'ordre juridique et les circonstances humanitaires de la présente affaire.


LA NORME DE CONTRÔLE

[7]                Le ministre, citant l'expertise de la Section d'appel, a agi sur le fondement que les conclusions de la Section d'appel ne pouvaient être annulées que si elles étaient jugées manifestement déraisonnables.

L'ANALYSE

(i) La Section d'appel a-t-elle négligé de tenir compte d'éléments de preuve au sujet de l'appartenance de M. Fawaz à la Muslim Brotherhood?

[8]                Dans le mémoire supplémentaire qui a été déposé pour son compte, le ministre a mentionné les éléments de preuve dont disposait la Section d'appel qui, à son avis, établissait que M. Fawaz appartenait à la Muslim Brotherhood. Hormis une lettre que l'avocat de ce dernier a fait parvenir aux autorités de l'Immigration, les éléments de preuve sur lesquels le ministre s'est fondé consistaient en diverses déclarations que M. Fawaz avait antérieurement faites, outre le fait qu'il avait revendiquer le statut de réfugié en raison de son appartenance à la Muslim Brotherhood.

[9]                Je suis convaincue, sur la base de son contenu, que la lettre de l'avocat aux autorités de l'Immigration n'avait aucune valeur probante en ce qui concerne la question de savoir si M. Fawaz appartenait à la Muslim Brotherhood.

[10]            Pour ce qui est des autres éléments de preuve que le ministre a mentionnés, l'analyse de cette question par la Section d'appel se terminait de la façon suivante :

[TRADUCTION] Dans un affidavit qu'il a produit dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire du refus, M. Fawaz fournit ses propres notes d'entrevue, qu'il aurait, selon lui, prises immédiatement après l'entrevue, comme M. Belanger paraît l'avoir fait. Il reconnaît qu'il a dit qu'il « appartenait » à la Muslim Brotherhood « sans mener d'activités » . Il explique dans l'affidavit, à peu près de la même façon dont il a témoigné, qu'il avait voulu dire qu'il « appartenait » au mouvement dans la mesure où il y était associé, et non parce qu'il était un membre en bonne et due forme ou reconnu d'un organisme.

En l'espèce, j'ai conclu que M. Fawaz était crédible. Aucun élément de preuve dont je dispose ne contredit son témoignage. J'accepte son témoignage concernant sa participation au sein de la Muslim Brotherhood. Il a reconnu mener certaines activités et il paraît avoir su que ces dernières étaient probablement liées à la Muslim Brotherhood : il collaborait avec l'imam, sur l'ordre de qui il recueillait des sommes d'argent. J'estime que la participation de M. Fawaz dépassait celle d'un simple sympathisant, mais qu'elle n'était pas celle d'un « membre » .                   

[11]                        Je ne saurais conclure que la Section d'appel a négligé de tenir compte de la preuve à laquelle le ministre a renvoyé. La Section d'appel a soigneusement examiné la preuve au sujet des déclarations antérieures de M. Fawaz. Il lui était loisible, à mon avis, de conclure, sur le fondement de la preuve dont elle disposait, que M. Fawaz était un témoin crédible et que le témoignage qu'il a donné était crédible en ce qui concerne sa participation au sein de la Muslim Brotherhood. Il ne revient pas à la Cour, comme l'a reconnu le ministre, d'apprécier de nouveau la preuve. La Cour n'a qu'à répondre à la question de savoir si la Section d'appel n'a pas négligé de tenir compte de la preuve pertinente.

[12]                        De plus, la Section d'appel a soigneusement examiné l'incidence de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de M. Fawaz. Elle a souligné que la SSR a conclu que M. Fawaz n'appartenait pas à la Muslim Brotherhood.


[13]            J'estime que la conclusion de la Section d'appel selon laquelle la preuve n'a pas établi l'existence d'un motif raisonnable de croire que M. Fawaz appartient ou appartenait à la Muslim Brotherhood n'est pas erronée.

(ii) La Section d'appel a-t-elle appliqué le mauvais critère pour déterminer l'appartenance?

[14]            En invoquant ce moyen, le ministre a souligné que la Section d'appel a cité le passage suivant de la décision Re Suresh (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247 (1re inst.) du juge Teitelbaum, à la page 259 :

Je suis convaincu qu'on peut raisonnablement conclure qu'une personne est un "membre" d'une organisation si elle consacre tout son temps, ou presque, à l'organisation, si elle entretient des liens avec des membres de l'organisation et si elle recueille des fonds pour l'organisation. C'est le cas de M. Suresh. Il est connu des dirigeants des LTTE et a des contacts continuels avec eux.

Le ministre a ensuite fait remarquer que la Section d'appel avait poursuivi en disant :

[TRADUCTION] Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante que la preuve en l'espèce n'est pas de même nature que celle de l'affaire Suresh.

[15]            La Section d'appel a conclu que M. Fawaz était davantage qu'un simple sympathisant, mais qu'il n'était tout de même pas un membre de la Muslim Brotherhood.


[16]            Comme l'a fait remarquer le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 309 (1re inst.), à la page 321, il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre au sens de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi. Il convient d'interpréter ce terme « d'une façon libérale, sans restriction aucune » .

[17]            Voici ce que la Section d'appel a dit au début de son analyse de la preuve concernant l'appartenance :                                                                                                     

[TRADUCTION] Il serait inconvenant d'interpréter strictement le mot « membre » de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi27. En d'autres termes, étant donné que la disposition vise des activités de nature certainement clandestine, le mot « membre » ne doit pas être interprété comme laissant entendre des attributs de l' « appartenance » à une organisation reconnue ou légitimement constituée, comme le fait de verser des cotisations ou d'être inscrit sur une liste de membres. En outre, le mot doit avoir un contenu qui dépasse le simple fait d'être un partisan ou un sympathisant. [Note en bas de page omise]

[18]            Sur la base d'une interprétation équitable des motifs de la Section d'appel, je ne peux conclure qu'elle a appliqué un critère erroné. C'est à bon droit que la Section d'appel a estimé qu'elle devait interpréter le mot « membre » de façon restrictive. Elle n'a pas appliquer en tant que critère le passage précité de la décision Suresh.

(iii) La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour déterminer s'il y avait « des motifs raisonnables de croire » que M. Fawaz appartenait à un organisme terroriste?

[19]            Le ministre a dit que la Section d'appel s'était principalement penchée sur la question de savoir s'il y avait une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi, et que cela constituait un critère trop exigeant.


[20]            La Section d'appel a dit :

[TRADUCTION] Comme il a déjà été mentionné, la question en l'espèce n'est pas de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, la Muslim Brotherhood est une organisation qui se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. La question est plutôt de savoir s'il existe des motifs raisonnables de le croire.

[21]            Le critère qu'il convient d'appliquer à cet égard a été énoncé de la façon suivante par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.F.), au paragraphe 18 :

Toutefois, lorsque la preuve a pour but d'établir s'il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d'établir l'existence du fait lui-même, il me semble qu'exiger la preuve du fait lui-même et en arriver à déterminer s'il a été établi, revient à demander la preuve d'un fait différent de celui qu'il faut établir. Il me semble aussi que l'emploi dans la loi de l'expression « il y a raisonnablement lieu de croire » implique que le fait lui-même n'a pas besoin d'être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l'organisation sera suffisante si elle démontre qu'il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc. Dans une affaire dont la solution est incertaine, l'omission de faire cette distinction et de trancher la question précise dictée par le libellé de la loi peut expliquer la différence dans les résultats d'une enquête ou d'un appel. [Non souligné dans l'original]

[22]            Dans la décision Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), le juge Dubé a dit, au paragraphe 27 :

[27]          La norme de la preuve par croyance fondée sur des « motifs raisonnables » exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile [Voir la note 9, ci-après]. Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.

________________________

Note 9 : Voir Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); et Al Yamani, supra, note 7, aux pages 215 à 217.


[23]            Compte tenu de la jurisprudence, je ne saurais conclure que la Section d'appel a commis une erreur susceptible de contrôle, comme le soutient le ministre. La Section d'appel a reconnu qu'elle ne devait pas chercher des éléments de preuve établissant que la Muslim Brotherhood était une organisation qui se livrait à des actes de terrorisme. Elle a en outre reconnu qu'il devait y avoir des preuves dignes de foi suscitant une possibilité sérieuse. Or, cela est compatible avec ce qui constitue l'exigence applicable selon ce que le juge Dubé a conclu dans la décision Chiau, précitée.

(iv) La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en soupesant l'entrave d'ordre juridique et les circonstances humanitaires de la présente affaire?

[24]            Pour apprécier le bien-fondé de cet argument, j'estime qu'il est nécessaire d'examiner en entier l'analyse que la Section d'appel a faite de cette question et que voici :

[TRADUCTION] Même si je me trompais au sujet de la validité juridique du refus, j'accueillerais néanmoins l'appel sur le fondement qu'il existe suffisamment de considérations humanitaires pour justifier l'octroi d'une réparation extraordinaire.

Je suis parvenu à cette conclusion, car j'ai l'impression que le refus équivaut essentiellement à quelque chose de moins que ses éléments constituants. Je veux dire par là que le refus repose sur des déclarations concordantes ambigus du demandeur lui-même, et que le texte ne renvoie qu'une seule fois au « terrorisme » ; tout cela s'inscrit dans un contexte où il n'y a aucune suggestion crédible que le rôle que le demandeur a lui-même joué à l'égard de toute activité politique dans son pays d'origine est de nature autre que tangentielle et qu'il remonte en grande partie à l'époque où il était un étudiant. Il a maintenant 40 ans, et il vit et fait des affaires au Canada depuis dix ans.


Outre l'effet perturbateur d'un refus sur la vie des personnes concernées, un stigmate considérable est lié à un refus fondé sur une participation ou association à des actes de « terrorisme » . La division 19(1)f)(iii)(B) prévoit que le ministre défendeur doit satisfaire à une norme de preuve moins exigeante que la prépondérance des probabilités, sans aucun doute en raison de l'importance des intérêts de sécurité nationale en cause et de la difficulté d'obtenir des éléments de preuve concernant des activités clandestines. Néanmoins, ce motif de refus ne doit pas être utilisé à la légère. Ayant examiné la preuve dont je disposais en l'espèce, j'estime que c'est ce qui s'est produit dans la présente affaire. Il s'agit d'un facteur dont on doit tenir compte en examinant la question de savoir s'il convient d'accorder une réparation extraordinaire à l'appelante et à son époux.

Voici ce que j'ai conclu au sujet de leur situation personnelle. Tout d'abord, j'estime que Mme Owens est un témoin crédible. Elle a témoigné de façon directe et spontanée. Son comportement m'a porté à croire qu'elle est une personne fière, capable de faire valoir son point de vue. Il se peut qu'elle-même et M. Fawaz paraissent parfois arrogants aux yeux de certaines personnes, ce qui a pu donner lieu à certains des problèmes qu'ils ont eus avec des fonctionnaires au cours des dernières années, une situation déplorable. Cela ne me pousse pas à conclure que l'un ou l'autre n'est pas crédible.

J'estime que le témoignage de Mme Owens au sujet de sa relation avec M. Fawaz est digne de foi. Ils sont mariés depuis huit ans. Elle était sincère lorsqu'elle discutait de l'incidence négative du statut d'immigrant incertain de M. Fawaz sur leurs vies, notamment sur leur relation. Elle a dit qu'ils avaient espéré être en mesure de parrainer ses deux enfants afin qu'ils puissent venir vivre au Canada, mais que cela n'avait pas été possible. L'appelante a témoigné que le demandeur n'avait pu voyager avec elle, en particulier pour rendre visite à sa famille au Royaume-Uni, étant donné qu'il lui était difficile d'obtenir des documents de voyage. Monsieur Fawaz a ajouté qu'il hésitait à quitter le Canada avant que la présente affaire ne soit réglée, cat il craignait qu'il ne pourrait pas y revenir. Cette crainte était en partie fondée sur l'expérience que lui-même et Mme Owens avait vécue lorsqu'ils s'étaient rendus à México en avril 1995 pour son entrevue. En effet, après l'entrevue, M. Belanger a cherché à faire en sorte qu'on refuse à M. Fawaz de revenir au Canada. Ils ne sont rentrés au pays qu'après avoir obtenu eux-mêmes un avis juridique selon lequel ils avaient le droit de revenir au Canada sur la base du visa de M. Fawaz. Madame Owens a une fois rendu visite à la famille et aux enfants de M. Fawaz en Syrie, soit en 1994. Il n'a pas vu ses enfants depuis 1992.

J'ai examiné la question de savoir si certaines des actions de Mme Owens devaient être retenues contre eux en ce qui concerne la compétence discrétionnaire. En particulier, j'ai tenu compte des aveux de Mme Owens qu'à deux reprises, elle avait fait des déclarations trompeuses à des fonctionnaires canadiens : d'abord aux autorités policières, en portant une accusation d'agression contre M. Fawaz, puis aux fonctionnaires de l'Immigration, lorsqu'elle leur a demandé de retirer son parrainage de la demande de M.. Fawaz, laissant entendre que leur mariage était un mariage de convenance. Il s'agit de questions graves.

En bout de ligne, j'ai conclu que ses actions à ces occasions ne l'emportent pas sur les considérations humanitaires qu'il existe en l'espèce. J'estime que Mme Owens est crédible au sujet de la façon dont ces épisodes sont le fruit de sa colère et de sa frustration que suscitait le stress des problèmes d'immigration, mais plus particulièrement de l'infidélité de M. Fawaz32.. Les fausses déclarations de Mme Owens aux autorités étaient préjudiciables certes, mais elles n'ont pas eu d'incidence sur le déroulement du processus d'immigration concernant la présente demande.


Pour conclure, j'estime que Mme Owens et M. Fawaz ont une relation durable qui a survécu un certain nombre de mauvais moments. Il a contribué à la société canadienne grâce à ses activités commerciales profitables. Il a obtenu l'autorisation de vivre au Canada et de mener ces activités pendant plusieurs années. Le refus de lui permettre de rester au pays aurait sans aucun doute une incidence négative sur sa vie personnelle et professionnelle et sur celle de Mme Owens. J'estime qu'il convient de ne pas leur faire subir les conséquences du refus.                                                                                                [Note en bas de page omise]

[25]            Le ministre a contesté les deuxième et troisième paragraphes de cette analyse, notamment la dernière phrase du troisième paragraphe.

[26]            Le ministre a souligné le libellé de la disposition législative qui s'applique, soit l'alinéa 77(3)b) de la Loi, qui prévoit :


77(3) S 'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01) et (3.1), en appeler devant la section d'appel en invoquant les moyens suivants_:

...

b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

77(3) Subject to subsections (3.01) and (3.1), a Canadian citizen or permanent resident who has sponsored an application for landing that is refused pursuant to subsection (1) may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds:

...

(b) on the ground that there exist compassionate or humanitarian considerations that warrant the granting of special relief.


[27]            Le ministre a dit que la disposition législative ne permet pas l'examen de l'ensemble des faits de l'affaire et que la Section d'appel a commis une erreur en l'appliquant. Le ministre s'est fondé sur la décision que notre Cour a rendue dans l'affaire Kirpal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 1 C.F. 352 (1re inst.).


[28]            Dans l'affaire Kirpal, précitée, la Cour a annulé une décision de la Section d'appel dans laquelle celle-ci avait soupesé, en exerçant la compétence que lui confère le paragraphe 77(3) de la Loi, l'entrave d'ordre juridique et l'incidence des circonstances humanitaires de l'affaire.

[29]            J'estime que la décision Kirpal peut être distinguée de la présente affaire. En l'espèce, les facteurs humanitaires appropriés ont été entièrement considérés, à l'exception d'une seule considération qui aurait été non pertinente, soit le refus erroné antérieur.

[30]            Une décision manifestement déraisonnable est une décision de toute évidence déraisonnable. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, à la page 777, la différence entre une décision déraisonnable et une décision manifestement déraisonnable réside dans le « caractère flagrant ou évident du défaut » .


[31]            Je conclus que la décision de la Section d'appel au sujet de l'existence de facteurs humanitaires en l'espèce n'était pas manifestement déraisonnable. Je n'estime pas que les motifs de la Section d'appel à l'égard de la question de sa compétence humanitaire était manifestement erronée. Au pire, seulement un facteur non pertinent a été considéré. Même si la Section d'appel aurait dû omettre de tenir compte de la question traitée aux deuxième et troisième paragraphes de son analyse, il y avait suffisamment d'autres facteurs humanitaires non touchés par des considérations non pertinentes pour justifier sa décision. En outre, dans les circonstances de la présente espèce, l'incidence négative du refus sur la vie de M. Fawaz, qui est établi au Canada, pays où il a vécu au cours des dix dernières années, et le stigmate dont il fait l'objet constituaient, à mon avis, des facteurs que la Section d'appel pouvait à bon droit considérer et apprécier au regard d'autres facteurs.

[32]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33]            L'avocat du ministre a proposé à la Cour de certifier les question suivantes :

[TRADUCTION]

1.              La SAI commet-elle une erreur lorsqu'elle conclut qu'il n'y a pas de motifs raisonnables de croire qu'une personne est visée par la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration lorsque cette personne a reconnu devant l'agent des visas qu'elle appartient à une organisation, et qu'il existe de la preuve documentaire établissant que cette organisation s'est livrée à des actes de terrorisme?

2.              La SAI commet-elle une erreur si elle considère la validité juridique du refus d'accorder le droit d'établissement à la personne visée comme étant une « considération humanitaire » conformément à l'alinéa 77(3)b) de la Loi sur l'immigration?

[34]            L'avocat de Mme Owens s'est opposé à la certification des deux questions proposées, avançant qu'elles dépendent grandement des faits propres à la présente affaire.


[35]            Je suis d'accord. De plus, pour ce qui est de la deuxième question, j'estime, compte tenu de ma conclusion que la Section d'appel n'a pas commis d'erreur en annulant la décision de l'agent des visas, que toute conclusion à l'égard de considérations humanitaires ne saurait être déterminante en ce qui concerne la présente demande. Aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                        juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 11 octobre 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier. B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  IMM-5668-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :     MCI c. Katheleen Owens

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 1er août 2000

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                     11 octobre 2000

ONT COMPARU :                

M. Mark Sheardown                                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. Darryl W. Larson                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DEMANDEUR

M. Darryl W. Larson

Larson Boulton Sohn Stockholder

Vancouver (C.-B.)                                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

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