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Date : 20041208

Dossier : IMM-7765-03

Référence : 2004 CF 1715

Toronto (Ontario), le 8 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                              KATHLEEN RAMPRASHAD-JOSEPH

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un agent d'immigration qui a rejeté la demande du statut de résident permanent invoquant des motifs d'ordre humanitaire présentée par une citoyenne du Guyana, âgée de 72 ans qui, par suite de la décision, serait séparée de son mari canadien âgé de 81 ans. Selon la décision, la demanderesse doit retourner au Guyana pour y présenter sa demande de statut de résident permanent. Je conclus, pour les motifs suivants, que la décision rendue est déraisonnable.

[2]                La déclaration suivante de la demanderesse, succincte mais catégorique, contient l'élément le plus important de sa demande pour des motifs d'ordre humanitaire :

[traduction] « Si je devais faire ma demande à l'extérieur du Canada, mais mon mari a besoin de moi. Nous ne sommes pas un jeune couple et tout ce que nous voulons, c'est être ensemble. Je dépends de mon mari et il dépend de moi. »

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[Dossier du tribunal, page 26]

[3]                La question qui se posait à l'agent d'immigration était de savoir si la demanderesse allait subir des difficultés excessives si elle était obligée de faire sa demande à l'étranger. Il est évident que, dans une demande pour des motifs d'ordre humanitaire, l'agent d'immigration doit faire preuve de sensibilité et de compréhension lorsqu'il examine les difficultés inhérentes à une situation personnelle particulière. Dans certaines affaires, l'agent d'immigration n'a pas besoin d'une description complète pour évaluer le niveau potentiel de difficultés; par exemple, en cas de séparation de personnes âgées, je suis porté à croire que la compréhension et la sensibilité lui permettent d'adopter une approche très prudente dans sa prise de décision. À mon avis, l'agent qui a pris la décision en l'espèce n'a pas fait preuve d'un niveau raisonnable de sensibilité, de compréhension et de prudence.

[4]                Dans le présent dossier, l'avocat de la demanderesse allègue ce qui suit :


[traduction]

LE DROIT

INTÉRÊT DES PERSONNES ÂGÉES

3.      En l'espèce, le tribunal examinait une demande pour des motifs d'ordre humanitaire dans laquelle l'épouse d'un citoyen canadien demandait d'être dispensée de faire sa demande de visa à l'étranger. La demanderesse et son mari sont très âgés. La demanderesse a actuellement 73 ans et son mari, 82 ans. Ils ont dit dans leurs demandes qu'ils subiraient des difficultés très graves d'ordre émotionnel et financier si l'on exigeait qu'ils se séparent. Ils ont également affirmé qu'ils n'étaient pas un jeune couple et qu'ils dépendaient l'un de l'autre. Par exemple, la demanderesse a dit dans les formulaires de demande :

[traduction] « Je ne saurais imaginer nos vies, l'un sans l'autre, nous dépendons l'un de l'autre et nous comptons l'un sur l'autre. »

                                                                      [Non souligné dans l'original.]

Dossier de la demande, page 26

Dossier du tribunal, page 29

[traduction] « Si je devais faire ma demande à l'extérieur du Canada, mais mon mari a besoin de moi. Nous ne sommes pas un jeune couple et tout ce que nous voulons, c'est être ensemble. Je dépends de mon mari et il dépend de moi. »

                                                                      [Non souligné dans l'original.]

Dossier de la demande, page 53

Dossier du tribunal, page 26

4.      Compte tenu de ces déclarations, il est clair que la demanderesse et son mari comptent l'un sur l'autre pour exécuter les tâches quotidiennes qui, pour les personnes âgées, deviennent très difficiles à accomplir seules. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si la demanderesse ou son mari seraient capables de prendre soin d'eux-mêmes seuls, s'ils étaient séparés. Au sujet de cette preuve additionnelle de difficultés, l'agent a mentionné dans ses motifs :

[traduction] « La cliente dit que s'ils sont séparés, ils subiront des difficultés d'ordre émotionnel et financier. Je reconnais que des difficultés d'ordre émotionnel pourraient survenir mais le mariage est un facteur dont il faut tenir compte et la preuve que c'est le seul facteur est insuffisante. La preuve au dossier ne permet pas de dire qu'une séparation temporaire serait préjudiciable et que, si l'on tient compte de leur âge, il ne leur resterait pas de bonnes années à vivre. »

Dossier de la demande, pages 12 et 13

Dossier du tribunal, pages 10 et 11


5.      Avec égards, cette déclaration est absurde. Le couple est très âgé et pour cette raison, il est clair qu'il ne leur reste pas beaucoup d'années à vivre ensemble. L'agent n'a aucun motif de conclure qu'il leur resterait encore des « bonnes années » même si la demanderesse devait quitter le Canada et se faire parrainer dans son pays d'origine. Pour cette raison, nous alléguons que l'agent n'a pas tenu compte de l'autre difficulté importante à laquelle devraient faire face la demanderesse et son mari, savoir que s'ils devaient se séparer; ils seraient privés de l'aide qu'ils se procurent, puisqu'ils dépendent l'un de l'autre à cause de leur âge avancé ou qu'il n'a pas évalué cette difficulté. Nous alléguons, qu'en omettant d'évaluer cet aspect important de l'affaire, l'agent a pris une décision déraisonnable puisqu'il est clair que si l'on sépare deux personnes âgées qui comptent l'une sur l'autre, elles font face à des difficultés importantes.

6.      Nous alléguons qu'en omettant de tenir compte de la preuve de la demanderesse selon laquelle elle et son mari comptent l'un sur l'autre parce qu'ils sont âgés, l'agent a commis une erreur en n'étant pas réceptif aux besoins particuliers et aux vulnérabilités des personnes âgées. À cet égard, nous alléguons que les personnes âgées constituent un groupe vulnérable de la société canadienne envers lequel il faut faire preuve d'une plus grande sensibilité. Les personnes âgées ne sont souvent pas capables de se débrouiller aussi bien que d'autres adultes et ils dépendent donc plus d'une aide externe.

[Observations supplémentaires écrites de la demanderesse, paragraphes 3 à 6]

[5]                Dans sa réponse, l'avocat du défendeur prétend que, selon les paragraphes suivants de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] CAF 38 (C.A.F.), les demandeurs ont le fardeau de présenter une preuve suffisante :

¶ 5 L'agent d'immigration qui examine une demande pour des raisons d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée.

[...]


¶ 8 Le demandeur qui invoque des raisons d'ordre humanitaire n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n'a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l'intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l'agente n'ait d'autre choix que d'en tenir compte.

[6]                En ce qui concerne le critère énoncé dans Owusu, chaque cas doit être tranché sur le fond en tenant compte des lignes directrices qui dictent la conduite des agents d'immigration. L'avocat de la demanderesse souligne que, selon les lignes directrices concernant le traitement des demandes pour des motifs d'ordre humanitaire, un agent d'immigration peut, pour des raisons d'équité procédurale, demander tout renseignement supplémentaire dont il a besoin. De plus, selon la section 12.4 des lignes directrices, le degré de soutien psychologique et émotif par rapport aux autres membres de la famille est un facteur dont il faut tenir compte pour évaluer une demande d'examen pour des motifs d'ordre humanitaire. En effet, le juge Phelan a tenu compte de ce dernier facteur, qui concerne les personnes âgées, dans Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1245, où il mentionne au paragraphe 15 :

La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Baker, exige que l'on prenne en compte l'incidence sur les personnes à charge et la famille des décisions mettant en cause des considérations d'ordre humanitaire. Cette exigence vaut tant pour les personnes âgées que pour les jeunes enfants.


[7]                Tel que susmentionné dans l'argumentation de l'avocat de la demanderesse au sujet des conséquences qu'aurait une séparation entre elle et son mari, il est évident que l'agent d'immigration devait hésiter et examiner attentivement la déclaration de la demanderesse. L'avocat du défendeur prétend que puisque la demanderesse n'a soumis aucun détail concernant le niveau de dépendance, il n'avait aucune obligation de chercher à mieux comprendre la déclaration de la demanderesse.

[8]                Même si je conviens que l'agent d'immigration n'a aucune obligation d'approfondir son analyse et de poser des questions qui lui auraient permis d'obtenir plus de détails contextuels, je conclus qu'il a fait des suppositions à partir des renseignements qui lui ont été fournis. Il n'y a aucune preuve sur laquelle l'agent d'immigration aurait pu se fonder pour tirer la conclusion que, même si la demanderesse devait faire sa demande de résidence permanente à l'étranger, il leur resterait, [traduction] « si l'on tient compte de leur âge, de bonnes années à vivre » . Il est convenu qu'il faudrait au moins un an pour traiter une demande de résidence permanente au Guyana. Puisque l'on sait très bien que le mari a dépassé l'âge moyen d'espérance de vie et que la demanderesse elle-même approche cet âge, je conclus que les suppositions de l'agent au sujet du temps qu'il leur reste à vivre ensemble sont déraisonnables.

[9]                Je suis complètement en accord avec les arguments de l'avocat de la demanderesse, tels que cités ci-haut. Je conclus donc que l'erreur commise par l'agent d'immigration en rendant sa décision justifie le contrôle judiciaire.


                                        ORDONNANCE

En conséquence, j'annule la décision de l'agent d'immigration et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

                                                                      « Douglas R. Campbell »             

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-7765-03

INTITULÉ :                                                                KATHLEEN RAMPRASHAD-JOSEPH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                               LE 8 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Marcel Larouche                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20041208

                    Dossier : IMM-7765-03

ENTRE :

KATHLEEN RAMPRASHAD-JOSEPH

                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                 


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