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Date : 20011214

Dossier : IMM-4948-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1381

ENTRE :

                                                              MBOKOLO BOSIAKALI

                                                         D'ALMEIDA BOSIAKALI ITSELI

                                                                MERVEILLE BASHALA

                                                                 ISRAEL BOSIAKALI

                                                             SIFA GLORIA BOSIAKALI

                                                             JOSUE ANDY BOSIAKALI

                                                                                                                              Partie demanderesse

                                                                              - et -

                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 Partie défenderesse

                                                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Les demandeurs attaquent une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Section du statut » ), datée le 21 août 2000, selon laquelle ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur principal, Mbokolo Bosiakali, est citoyen de la République démocratique du Congo. Il revendique le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques. Quant aux autres demandeurs, ils sont membres de la famille du demandeur principal, soit son épouse, D'Almeida Bosiakali Itseli, et leurs enfants, Merveille, Israel, Sifa Gloria et Josue Andy. Leur revendication est basée sur les opinions politiques du demandeur principal et leur appartenance à un groupe social, la famille.

[3]                 La Section du statut a conclu que ni le demandeur principal ni son épouse n'étaient crédibles. Par conséquent, elle a rejeté leurs demandes de statut de réfugié, ainsi que celles de leurs enfants.

[4]                 Monsieur et Madame Bosiakali, ainsi que leur fille Merveille, ont témoigné devant la Section du statut. Concernant le demandeur principal, la Section du statut a conclu que son témoignage comportait des contradictions, de la confusion et des invraisemblances. De plus, selon la Section du statut, les explications fournies par le demandeur principal n'étaient pas satisfaisantes. Quant à Madame Bosiakali, la Section du statut a conclu que son témoignage était peu crédible. Finalement, quant au témoignage de Merveille, la Section du statut a conclu ce qui suit, à la page 10 de sa décision:

Le témoignage de la revendicatrice a été simple et spontané. Elle a expliqué les événements qu'elle dit avoir vécus en juin et juillet 1998. Elle a également parlé de son départ pour Brazzaville le 1er août 1998, ainsi que de son voyage vers le Canada le 26 mars 1999. Le tribunal n'a pas de raison de douter de la véracité du témoignage de la revendicatrice. Les trois autres enfants n'ont pas été appelé [sic] à témoigner.

[5]                 Les faits pertinents sont résumés comme suit aux pages 1 et 2 de la décision de la Section du statut. Je les reproduis:


Monsieur Mbokolo BOSIAKALI

Le revendicateur aurait été membre des Forces armées aériennes du Zaïre d'août 1955 à juin 1998. Il aurait occupé différentes fonctions de sous-lieutenant et de commandant de télécommunications de la force aérienne. Il aurait également occupé le poste de directeur de l'aéroport de Kisangani de 1986 à 1991. Il aurait été suspendu de ses fonction en 1996.

Le revendicateur aurait connu tout au long de sa carrière différents problèmes, allant du retard à être promu jusqu'à la détention en passant par des périodes de suspension. La dernière suspension, en 1996, aurait été liée à ses liens avec un dénommé Mallants, qui aurait voulu appuyer Kabila afin de renverser Mobutu.

Le revendicateur aurait eu des contacts avec le colonel Mallants en 1997 suite à l'arrivée au pouvoir de Kabila. Il aurait préparé un rapport pour la réhabilitation de la Régie des voies aériennes (RVA) et soumit le tout au colonel Mallants, à la fin de juillet 1997.

En mai 1998, le colonel Mallants, au cours d'une conférence de presse aurait déclaré vouloir renverser le régime Kabila parce qu'il ressemblait au régime Mobutu.

Le 30 mai 1998, le revendicateur aurait reçu une convocation à comparaître devant la cour d'ordre militaire. Il aurait été accusé d'être en communication avec le colonel Mallants et certains ex-généraux des Forces armées zaîroises (FAZ).

Le 24 juin 1998, il aurait reçu un mandat de comparaître le lendemain devant la dite cour.

Le 25 juin 1998, il aurait été emprisonné immédiatement. Il aurait été condamné à cinq ans de prison pour propagande anti-idéaux de l'Alliance des Forces Démocratique [sic] pour la Libération du Congo (AFDL).

Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, il aurait été libéré et transporté en pirogue à Brazzaville après que sa famille eut corrompu deux militaires.

Trois semaines plus tard, son épouse l'aurait rejoint avec des documents de voyage. Ils auraient quitté Brazzaville le 25 juin 1998 vers New York. Ils seraient arrivés au Canada le 4 août 1998 et auraient revendiqué le statut de réfugié le même jour.

[6]                 Quant au récit particulier de Madame Bosiakali, la Section du statut le résume comme suit, aux pages 2 et 3 de sa décision:

Madame D'Almeida Bosiakali Itseli


La revendicatrice aurait appris l'emprisonnement de son mari le 25 juin 1998. Elle aurait visité son mari chaque jour du 26 au 30 juin 1998. Elle aurait demandé à la famille de son mari de faire des démarches afin de le libérer.

Vers 7h00 a.m., le 1er juillet 1998, des militaires se seraient rendus au domicile de la revendicatrice à la recherche de son mari. Ne l'ayant pas trouvé, ils auraient emmené celle-ci avec eux et l'auraient emprisonnée dans le sous-sol de la cour d'Ordre militaire.

Le 2 juillet, victime d'une forte fièvre, elle aurait été conduite à l'hôpital kinoise. Prévenus par l'hôpital, les parents de la revendicatrice l'auraient emmenée dans un autre hôpital où elle y serait demeurée cinq jours.

Vers le 9 juillet 1998, le beau-frère de la demanderesse l'aurait conduite à l'ambassade des États-Unis afin d'obtenir un visa.

Le 21 juillet, la revendicatrice aurait rejoint son mari à Brazzaville. Ensemble, il auraient quitté Congo-Brazzaville le 25 juillet 1998 pour New York. Ils auraient atteint le Canada le 4 août 1998 et auraient revendiqué le statut de réfugié immédiatement.

[7]                 Dans son analyse de la revendication du demandeur principal, la Section du statut note que ce dernier attribue principalement ses problèmes à sa relation avec le colonel Willy Mallants, un officier supérieur en retraite de l'armée belge. Après avoir lu et relu le témoignage du demandeur principal, je n'ai aucun doute que cette constatation de la Section du statut est bien fondée. La Section du statut a conclu à la non-crédibilité du demandeur principal pour les motifs suivants:

1.         La Section du statut n'a pas été convaincue de l'existence d'une relation étroite entre le demandeur principal et le colonel Mallants et, par conséquent, que cette relation aurait été la cause de son emprisonnement du 25 juin 1998.


2.         Malgré le fait que le demandeur principal prétend avoir préparé, à la demande du colonel Mallants, un rapport sur la réhabilitation de la Régie des voies aériennes, il a été incapable de produire une copie du rapport.

3.         La Section du statut n'a pas cru le témoignage du demandeur principal, selon lequel il aurait été condamné à cinq ans de prison en juin 1998 pour avoir été en communication avec le colonel Mallants.

4.         Lors de son arrivée au Canada, le demandeur principal a rempli le document déposé comme pièce A-16, et y a indiqué, contrairement à son témoignage, qu'il n'avait pas été incarcéré dans son pays.

5.         La Section du statut a trouvé invraisemblable le fait que le demandeur principal, après 43 ans dans les forces aériennes du Zaïre et après avoir été directeur de l'aéroport de Kisangani durant la période 1986 à 1991, ait témoigné qu'il n'avait jamais vu d'avions ou d'hélicoptères armés.

[8]                 Quant à sa conclusion de non-crédibilité concernant Madame Bosiakali, la Section du statut a invoqué les motifs suivants:

1.         Comme son mari, la revendicatrice a indiqué, lors de son arrivée au Canada, ne pas avoir été incarcérée dans son pays. Par ailleurs, lors de son témoignage devant la Section du statut, elle a affirmé avoir été incarcérée pendant deux jours, soit les 1er et 2 juillet 1998.

2.         La Section du statut n'a pas cru la revendicatrice lorsqu'elle a témoigné avoir été conduite à l'hôpital le 2 juillet 1998.


3.         La Section du statut a noté que le passeport de la revendicatrice avait été émis le 11 juin 1998, alors que son témoignage était à l'effet que le passeport avait été préparé après son arrestation en juillet 1998.

[9]                 Comme je l'ai indiqué plus tôt, la Section du statut a conclu que le témoignage de la revendicatrice Merveille avait été simple et spontané, et qu'elle n'avait aucune raison de douter de la véracité de ce témoignage. Par conséquent, examinons ce témoignage que l'on retrouve aux pages 162 à 186 (pages 226 à 250 du dossier du tribunal) de la transcription du 8 juin 1999.

[10]            Lors de son témoignage devant la Section du statut, Merveille, née le 25 mai 1984, avait 15 ans. Elle a témoigné concernant la pièce P-5, à savoir un mandat de comparution daté le 24 juin 1998, émis par la Cour d'ordre militaire. La revendicatrice Merveille a témoigné qu'elle avait accusé réception de ce document le jour où il a été signifié par un militaire. Selon Merveille, le jour de la signification du document, sa mère ainsi que ses frères et soeurs étaient présents à la maison. Son père n'y était pas.


[11]            La revendicatrice Merveille a aussi témoigné concernant ce qui s'est passé le 1er juillet 1998. Elle a déclaré que vers 7h00 du matin, alors qu'elle et sa soeur se préparaient à aller chercher leurs bulletins scolaires, des dizaines de militaires sont entrés dans la maison. Après avoir fouillé toute la maison, les militaires ont demandé où était le demandeur principal. Les militaires auraient dès lors réveillé Madame Bosiakali pour la questionner concernant son mari. Spécifiquement, les militaires voulaient savoir où était le demandeur principal. Après cet interrogatoire, lors duquel Madame Bosiakali a répondu qu'elle ne savait pas où était son mari, les militaires ont arrêté Madame Bosiakali et l'ont emmenée avec eux.

[12]            Voilà les grandes lignes du témoignage de la revendicatrice Merveille. Ce témoignage, que la Section du statut a jugé crédible, appuie à tout le moins le témoignage de Madame Bosiakali, qui prétend avoir été arrêtée le 1er juillet 1998. Le témoignage de Merveille corrobore aussi, de façon indirecte, le fait que le demandeur principal aurait été arrêté.

[13]            Dans sa décision, la Section du statut, après avoir conclu que le témoignage de la revendicatrice Merveille était crédible, a omis de réconcilier ce témoignage avec les témoignages du demandeur principal et de son épouse. À mon avis, la Section du statut ne pouvait conclure à la crédibilité totale de la revendicatrice Merveille et, du même coup, rejeter comme non crédibles les témoignages du demandeur principal et de son épouse concernant les événements du 24 juin et du 1er juillet 1998.


[14]            Si le récit relaté par Madame Bosiakali concernant son arrestation du 1er juillet et son hospitalisation le lendemain n'était pas crédible, je ne puis voir comment la Section du statut pouvait conclure que le témoignage de Merveille concernant l'arrestation du 1er juillet était crédible. Il y a, sans aucun doute, une contradiction sérieuse. Si Madame Bosiakali n'a pas été arrêtée le 1er juillet 1998 comme elle le prétend, le récit de Merveille ne peut être véridique et, par conséquent, ne peut être crédible. Comme je l'ai indiqué plus haut, la Section du statut, après avoir conclu à la crédibilité du témoignage de Merveille, a omis d'envisager les conséquences de son acceptation de ce témoignage.

[15]            J'en viens donc à la conclusion que la Section du statut a commis une erreur qui justifie mon intervention. La décision de la Section du statut, rendue le 21 août 2000, sera annulée et le dossier sera retourné à un panel différent pour être considéré à nouveau.

                                                                                               Marc Nadon

                                                                                                             Juge

OTTAWA (Ontario)

le 14 décembre 2001.

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