Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



     Date: 20000531

     Dossiers: IMM-2594-00

     IMM-2593-00



ENTRE :


MOHAMMAD BANDZAR

     demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Le demandeur ici en cause a été informé, le vendredi 19 mai 2000, qu'il allait être expulsé en Iran le mercredi 24 mai 2000. Le 23 mai 2000, il a présenté devant la Cour, par l'entremise de son avocat, deux demandes distinctes d'autorisation et de contrôle judiciaire. Dans la présente instance, il sollicite le sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur les demandes de contrôle judiciaire.

[2]      Les avocats du demandeur et du ministre défendeur ont été entendus par conférence téléphonique le 23 mai et, encore une fois, le 24 mai. À la fin de la dernière audience, j'ai rejeté oralement la demande de sursis et j'ai fourni oralement des motifs, en faisant savoir que ces motifs seraient confirmés par écrit. D'où les présents motifs.

Les faits

[3]      Le demandeur est venu au Canada depuis l'Iran au mois de novembre 1993; il a revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication était fondée sur le fait qu'il craignait d'être persécuté en Iran à cause de ses convictions politiques. Le demandeur a allégué s'être occupé de la distribution de feuillets pour une organisation qui s'opposait au gouvernement. En outre, il a déclaré qu'il avait obtenu de faux documents de façon à pouvoir quitter l'armée avant la fin de son service militaire. Il a également obtenu de faux documents afin de quitter l'Iran et de venir finalement au Canada. La revendication a été rejetée par la section du statut de réfugié le 20 juillet 1994. Le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, qui a été rejetée le 12 octobre 1994.

[4]      Le demandeur a alors sollicité un examen à titre de membre de la catégorie des DNRSRC; sa demande a été rejetée le 12 février 1999. Au mois de juin 1999, le demandeur a sollicité un examen en vertu du paragraphe 114(2) en vue de solliciter le droit d'établissement au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire et il a demandé une nouvelle évaluation des risques. Cette demande est encore en instance, et le demandeur n'a pas encore reçu de réponse, même si on lui a ordonné de se présenter aux fins du renvoi.

[5]      Depuis son arrivée, le demandeur s'est quelque peu établi au Canada. Il a touché des prestations d'aide sociale pendant un certain temps, mais il a récemment commencé à travailler pour son frère dans un restaurant franchisé Mr. Sub. Dans une lettre qui est jointe à l'affidavit du demandeur, le frère déclare qu'il négocie actuellement l'achat d'un autre restaurant Mr. Sub et qu'il veut que le demandeur gère ce restaurant. Le demandeur s'est également fiancé à une citoyenne canadienne qui vient de l'Iran.

[6]      La jurisprudence de cette cour établit qu'un sursis à l'exécution de pareille mesure n'est accordé que si le demandeur peut établir devant la Cour qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'il subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé et si la question sérieuse était par la suite tranchée en sa faveur et, enfin, si la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur. L'avocat a présenté des observations sur chacune de ces trois questions cruciales.

La question défendable

[7]      La question de savoir s'il existe une question sérieuse ou une cause défendable que la Cour doit régler dépend des questions soulevées dans les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire qui ont été présentées le 23 mai. La première demande vise à l'obtention d'un bref de mandamus, enjoignant au ministre de prendre une décision au sujet de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Le demandeur affirme que la décision a été indûment retardée et que ce retard en soi soulève une question défendable. En outre, il est soutenu au nom du demandeur que l'omission du ministre d'effectuer une évaluation des risques avant l'expulsion soulève une question défendable. Je ne suis pas d'accord. Quant au premier volet de cet argument, le demandeur n'a pas présenté de preuve permettant à la Cour de conclure que la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été indûment retardée ou que le ministre était de mauvaise foi. La jurisprudence de cette cour étaye l'idée selon laquelle le simple fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire soit en instance ne suffit pas en soi pour surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion1. Quant au second argument invoqué par le demandeur, il n'existe pas ici non plus suffisamment d'éléments de preuve dans le dossier mis à ma disposition pour me permettre de conclure qu'il est essentiel de procéder à une évaluation des risques avant l'expulsion. Pareilles évaluations ont déjà été effectuées à l'égard de la revendication du statut de réfugié et à la suite de la demande que le demandeur a par la suite présentée en vue d'être reconnu à titre de membre de la catégorie des DNRSRC. Le demandeur n'a pas présenté de preuve, que ce soit aux autorités de l'immigration à l'égard de la demande qu'il avait faite au mois de juillet 1999 en vue d'obtenir une évaluation des risques ou par la suite, à la Cour, tendant à montrer que la situation a changé dans l'intervalle. À mon avis, la Cour ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire soulèvent des questions défendables.

Le préjudice irréparable

[8]      Même si je concédais qu'il existe une question défendable que la Cour doit trancher, je ne suis pas convaincu que le demandeur subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé et si la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est réglée en sa faveur. Le demandeur affirme qu'il subira un préjudice irréparable s'il est expulsé en Iran parce qu'il risque de ne pas être autorisé à quitter l'Iran advenant le cas où la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire serait accueillie. À l'appui, le demandeur déclare ce qui suit dans son affidavit :

     [TRADUCTION]
     Tout Iranien qui retourne en Iran après avoir revendiqué le statut de réfugié ou après avoir eu des problèmes d'immigration à l'étranger risque de ne jamais être autorisé à quitter le pays.

De plus, le demandeur signale un passage d'un rapport sur les droits de la personne préparé par le Department of State américain, lequel est ainsi libellé :

     [TRADUCTION]
     Le gouvernement [iranien] exige des permis de sortie (un timbre de validation apposé sur le passeport du voyageur) dans le cas d'un homme ayant l'âge légal pour le service militaire et de citoyens qui sont suspects sur le plan politique.

[9]      Le demandeur n'est plus d'âge à être conscrit; de plus, il a servi dans l'armée. Il n'existe aucun élément de preuve, à part ceux qui ont été présentés dans le cadre de la revendication du statut de réfugié ou de la demande que le demandeur a présentée en tant que membre de la catégorie des DNRSRC, qui me permette de conclure que le demandeur serait suspect sur le plan politique. Les éléments de preuve qui ont été soumis n'ont pas été jugés convaincants lorsqu'il s'est agi d'établir que le demandeur risquait sérieusement d'être persécuté ou que sa vie était en danger. Le demandeur risque peut-être de ne pas être autorisé à quitter l'Iran pour revenir au Canada, mais les éléments de preuve dont dispose la Cour sont tout au plus de nature conjecturale. Il n'existe aucun élément de preuve, à part l'affidavit du demandeur, au sujet des personnes qui sont dans la même situation que celui-ci. Cela étant, il n'est pas possible de conclure que le demandeur ferait face à un préjudice irréparable entre le moment où la demande de sursis serait rejetée et celui où une décision serait rendue en sa faveur au sujet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'il a présentée, ou après qu'une décision favorable aura été rendue au sujet de ladite demande.

[10]      L'avocate du défendeur, qui a consulté son client, m'a assuré que la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire continuera à être traitée et que si le demandeur a gain de cause et s'il n'est pas par ailleurs inadmissible, il pourra revenir au Canada pendant que la demande qu'il a présentée au Canada est traitée. Le rejet de la demande de sursis n'empêche pas l'évaluation de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, et cela n'aurait pas pour effet de rendre la demande théorique.

La prépondérance des inconvénients

[11]      En l'espèce, j'estime que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre lorsqu'il s'agit d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vue d'organiser l'exécution de la mesure de renvoi comme elle le juge bon.

[12]      Ceci dit, je tiens à faire remarquer que la façon dont la mesure de renvoi a été prise me préoccupe. Le demandeur a été informé le 19 mai, soit le vendredi qui précédait une longue fin de semaine, qu'il devait se présenter à l'aéroport Pearson le mercredi suivant aux fins du renvoi. En l'espèce, le demandeur a indiqué qu'il avait l'intention de se conformer aux exigences de l'immigration. Rien ne laisse entendre qu'il était nécessaire de se hâter, en particulier s'il est tenu compte du fait que les agents du défendeur ont entre leurs mains la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire du demandeur depuis près de 12 mois.

Conclusion

[13]      Je ne suis pas convaincu que le demandeur ait démontré qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et si sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire était par la suite accueillie. La prépondérance des inconvénients favorise donc le ministre, qui est tenu en vertu de la Loi de prendre des dispositions pour renvoyer les personnes qui ne sont pas autorisées à demeurer au Canada en vertu de la loi ou par suite de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Pour ces motifs, des ordonnances sont rendues, par suite de l'audience du 24 mai, rejetant la demande de sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion et enjoignant au ministre de se prononcer sur la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire du demandeur, lesquelles confirment les ordonnances rendues oralement à la fin de l'audience.

                             « W. Andrew MacKay »

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario),

le 31 mai 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-2593-00 et IMM-2594-00

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mohammad Bandzar c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE le 24 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge MacKay en date du 31 mai 2000


ONT COMPARU :

Michael Crane              POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Neeta Logsetty          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


__________________

1      Voir : Appiagyei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1995] A.C.F. no 1211 (1re inst.); Appiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 163; Balasumbramaniam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1118 (1re inst.); Cuff c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1865 (1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.