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Date : 20190822


Dossier : IMM-6300-18

Référence : 2019 CF 1093

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

MOKHIGUL NURRIDINOVA

ERKIN NURRIDINOV

MALIKA SIROJIDDINOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Mokhigul Nurridinova, Erkin Nurridinov et Malika Sirojiddinova, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Les faits

[3]  Les demandeurs sont des citoyens de l’Ouzbékistan. Mokhigul Nurridinova et Erkin Nurridinov sont mariés, et Malika Sirojiddinova est leur fille. Je constate que la graphie des noms de famille des demandeurs adultes dans l’ensemble du dossier de la Cour  est la suivante : « Nurridinova/Nuriddinova » et « Nurridinov/Nuriddinov ». J’ai repris la graphie utilisée dans l’avis de demande pour les besoins du présent jugement.

[4]  Les demandeurs sont arrivés au Canada en mars 2017 et ont présenté des demandes d’asile.

[5]  En 2007, M. Nurridinov s’est rendu en Suède et a présenté une demande d’asile sous une fausse identité. Il affirmait avoir été arrêté, interrogé et maltraité par le gouvernement ouzbek en raison de son association avec des musulmans de la région. La demande d’asile a été rejetée en 2009.

[6]  À son retour en Ouzbékistan, en 2012, M. Nurridinov a été interrogé et détenu brièvement à l’aéroport.

[7]  Les demandeurs adultes se sont mariés le 28 août 2012, et Malika est née le 19 novembre 2013.

[8]  Le 28 février 2014, M. Nurridinov est retourné en Suède pour travailler. Madame Nurridinova est restée en Ouzbékistan et, en janvier 2016, a ouvert une épicerie. Elle affirme avoir été approchée par un inspecteur du fisc, M. Ravshan, en juin 2016, qui lui a extorqué de l’argent chaque mois, de juin 2016 à janvier 2017. Madame Nurridinova affirme que M. Ravshan l’a menacée de l’envoyer en prison si elle ne le payait pas parce qu’il avait des amis influents au sein du Service de sécurité nationale de l’Ouzbékistan (le SNB). Ravshan lui a dit qu’il était au courant de la situation des demandeurs et des problèmes de M. Nurridinov avec les autorités ouzbèkes. Il a menacé de les faire emprisonner pour avoir envoyé de l’argent aux opposants islamiques du gouvernement.

[9]  Monsieur Nurridinov a quitté la Suède et est retourné en Ouzbékistan en juillet 2016. Il affirme qu’après avoir été interrogé à son retour, il a été autorisé à quitter l’aéroport. Il aurait toutefois été détenu deux jours plus tard durant environ 10 heures et interrogé par les autorités. Il a été libéré après que son père a payé un pot-de-vin.

[10]  Monsieur Nurridinov affirme avoir demandé des comptes à M. Ravshan peu de temps après son retour de Suède. Monsieur Ravshan lui a dit qu’il ferait arrêter M. Nurridinov par ses amis influents parce qu’il avait trahi sa patrie.

[11]  Les demandeurs ont fait appel à un agent pour qu’il les aide à fuir l’Ouzbékistan. Le 10 novembre 2016, ils se sont rendus en avion à Almaty, au Kazakhstan, et ont demandé des visas grecs. Les demandes ont été rejetées, et les demandeurs sont retournés en Ouzbékistan le 2 décembre 2016.

[12]  Avec l’aide de l’agent, les demandeurs ont présenté des demandes de visa de résident temporaire au Canada contenant de faux renseignements. Les visas canadiens ont été accordés et, le 26 janvier 2017, les demandeurs se sont rendus à Kiev, en Ukraine, où ils ont reçu les visas. Le 6 mars 2017, ils sont venus au Canada et ont présenté des demandes d’asile en avril ou mai 2017.

[13]  Les demandeurs affirment que M. Ravshan et les agents du SNB sont à leur recherche depuis qu’ils ont quitté l’Ouzbékistan.

[14]  La décision de la SPR est datée du 2 novembre 2017. La SPR a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger visés par les articles 96 et 97 de la LIPR. La question déterminante à laquelle la SPR devait répondre concernait la crédibilité des demandeurs. La SPR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

1.  Monsieur Nurridinov a affirmé, au soutien de la demande d’asile qu’il a présentée en Suède, qu’il avait été arrêté, maltraité et interrogé en août 2016 par les autorités ouzbèkes en raison de son lien avec des musulmans du pays. Toutefois, à son retour en Ouzbékistan en mai 2012, alors qu’il revenait de la Suède au terme d’un séjour de quatre ans à l’étranger, il a été libéré à l’aéroport au bout d’une heure pendant laquelle seulement trois questions lui ont été posées, contrairement à ce qu’énonçait Mme Nurridinova dans son exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) concernant le paiement d’un pot-de-vin pour assurer sa libération. Fait encore plus important, la SPR a examiné la preuve documentaire concernant l’Ouzbékistan et a conclu que, si M. Nurridinov a fui vers la Suède en 2017 parce qu’il avait été interrogé et arrêté, les autorités de l’aéroport ne lui auraient pas simplement posé des questions de routine à son retour. Au contraire, il est probable qu’il aurait été considéré comme une menace potentielle à la sécurité de l’État et qu’il aurait longuement été interrogé puis arrêté. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Nurridinov n’a pas été arrêté et torturé en 2006 et qu’il ne présentait aucun intérêt pour les autorités ouzbèkes.

2.  Selon la SPR, M. Nurridinov aurait eu besoin d’un visa de sortie pour se rendre en Suède (pays qui ne fait pas partie de l’ex-URSS), le 28 février 2014. Ce visa, communément appelé « OVIR », est délivré par le service de sécurité. Le tribunal a constaté que les personnes liées à des groupes religieux non inscrits et les dissidents se sont vus refuser des visas de sortie. Selon la SPR, la capacité de M. Nurridinov à obtenir un OVIR renforce sa conclusion selon laquelle les autorités ouzbèkes ne s’intéressaient pas à lui et mine davantage sa crédibilité lorsqu’il affirme qu’il aurait été arrêté, interrogé et maltraité par le gouvernement.

3.  La SPR estime que l’exposé circonstancié de Mme Nurridinova, en ce qui concerne l’argent extorqué et les menaces proférées par M. Ravshan, n’est pas crédible. Les menaces étaient liées aux problèmes antérieurs qu’avait eus M. Nurridinov avec le gouvernement ainsi qu’à sa mauvaise réputation. Le tribunal a fait un rapprochement entre sa conclusion selon laquelle M. Nurridinov n’avait pas été arrêté en 2006, et l’extorsion qu’aurait commise M. Ravshan :

[50] Étant donné que le demandeur n’a pas vécu les situations alléguées, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile principale n’avait aucun problème avec le percepteur des impôts connu sous le nom de M. Ravshan, qui lui extorquait de l’argent et qui aurait menacé d’utiliser contre eux les problèmes qu’avait son époux avec le gouvernement. De plus, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que la rencontre qui aurait eu lieu entre le demandeur d’asile avec M. Ravshan en 2016, durant laquelle le demandeur aurait été menacé, arrêté et traité de traître, ne s’est pas produite.

4.  Par conséquent, la SPR a conclu que l’affirmation des demandeurs selon laquelle Ravshan et les agents du SNB se sont renseignés à leur sujet après leur départ de l’Ouzbékistan n’était pas crédible.

5.  Enfin, le retour des demandeurs en Ouzbékistan en décembre 2016, après leur bref séjour infructueux au Kazakhstan pour demander des visas grecs, a mené la SPR à tirer une conclusion défavorable aux demandeurs parce qu’elle a estimé qu’ils n’avaient pas été victimes d’extorsion ni menacés d’être emprisonnés en Ouzbékistan. Selon la SPR, l’explication fournie par Mme Nurridinova, selon laquelle ils devaient retourner en Ouzbékistan car ils ne voulaient pas que M. Ravshan découvre qu’ils étaient partis, était illogique. Si elle ne se trouvait plus en Ouzbékistan, elle n’avait aucune raison de se préoccuper de M. Ravshan. Rien ne justifiait qu’elle continue à lui verser de l’argent. De plus, Mme Nurridinova a justifié leur retour en affirmant que, s’ils étaient restés plus longtemps, ils auraient été expulsés vers l’Ouzbékistan étant donné qu’ils n’avaient qu’un permis temporaire de deux semaines leur permettant de rester dans ce pays. La SPR a estimé que cette explication n’était pas crédible.

[15]  La SPR a évalué le risque prospectif que couraient les demandeurs à leur retour en Ouzbékistan. Selon le tribunal, aucun élément de preuve convaincant ne démontrait que le fait d’avoir demandé l’asile à l’étranger leur causerait des problèmes s’ils retournaient. La SPR a conclu que, comme les demandeurs n’étaient pas recherchés par les autorités ouzbèkes, qu’ils n’étaient pas membres d’un groupe religieux interdit ni considérés comme ayant eu des contacts avec de tels groupes, rien ne justifiait qu’ils craignent de retourner en Ouzbékistan.

[16]  Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR. En l’espèce, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle – décision de la SAR

[17]  La décision est datée du 1er novembre 2018. La SAR a examiné l’appréciation de la crédibilité faite par la SPR et ses conclusions en ce qui concerne le risque pour les demandeurs d’un retour en Ouzbékistan. Après avoir examiné les éléments de preuve au dossier, la SAR a conclu « que les allégations des appelants ne sont pas crédibles et que ceux-ci n’ont pas établi qu’ils seraient exposés à un risque objectif s’ils retournaient en Ouzbékistan ».

[18]  La SAR a abordé la question de la crédibilité de M. Nurridinov. Les demandeurs ont soutenu que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable, quant à son arrestation et à la torture qu’il aurait subie en 2006, du fait qu’il a pu revenir sans problème de la Suède pour rentrer en Ouzbékistan en 2012. De plus, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait tiré de façon abusive sa conclusion selon laquelle M. Nurridinov n’aurait pas réussi à obtenir un visa de sortie s’il avait déjà eu des problèmes avec le gouvernement ouzbek, et souligné que la SPR n’avait pas cherché à savoir comment M. Nurridinov avait obtenu son visa de sortie.

[19]  La SAR a jugé que les inférences défavorables de la SPR n’étaient pas fondées sur des hypothèses. Compte tenu des éléments de preuve documentaire objectifs tirés du cartable national de documentation (le CND) portant sur la façon dont les autorités ouzbèkes traitent les personnes soupçonnées d’association avec des groupes religieux, le fait que M. Nurridinov a pu retourner en Ouzbékistan sans problème a nui à sa crédibilité sur la question de son arrestation et de la torture qu’il aurait subie en 2006. Les éléments de preuve documentaire mettent en lumière le caractère improbable de la version des événements présentée par le demandeur. La SAR a estimé que la SPR n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que la capacité de M. Nurridinov à quitter l’aéroport en 2012 nuisait également à sa crédibilité quant à son allégation selon laquelle les autorités s’intéressaient à lui.

[20]  Après avoir convenu que la SPR n’avait pas interrogé les demandeurs pour qu’ils expliquent comment M. Nurridinov avait obtenu un visa de sortie de l’OVIR, la SAR a précisé qu’ils avaient été prévenus, par les motifs de décision de la SPR, de l’importance de ce point. Malgré qu’ils avaient été prévenus, ils n’ont fourni aucune explication devant la SAR. La SAR a estimé que la SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la capacité de M. Nurridinov à obtenir un visa de sortie nuisait à sa crédibilité quant à son allégation selon laquelle il a été arrêté et torturé par le SNB en raison de son association avec des musulmans locaux.

[21]  La SAR a ensuite examiné la conclusion défavorable de la SPR concernant la crédibilité de Mme Nurridinova. Les demandeurs ont soutenu que la SPR avait tiré des conclusions défavorables uniquement parce qu’elle n’avait pas cru que M. Nurridinov avait été arrêté en 2006 en Ouzbékistan. Ils ont affirmé que la SPR aurait dû tenir compte, dans son appréciation de la crédibilité de Mme Nurridinova, du fait que son témoignage ne comportait pas d’éléments discordants et qu’il était étayé. À leur avis, même si la SPR avait eu raison de conclure que son époux n’avait pas été persécuté en 2006, il ne fallait pas en déduire que Mme Nurridinova n’a pas été persécutée en 2016. La SAR n’a pas retenu cet argument et a souligné que le témoignage d’un demandeur d’asile peut avoir une incidence sur la crédibilité des autres demandeurs d’asile ayant un lien avec lui et sur leurs allégations. Selon la SAR, la conclusion de la SPR portant que M. Nurridinov n’a pas été arrêté et torturé comme il l’avait affirmé a pour corollaire « que la déclaration qu’a faite l’appelante dans son témoignage et son formulaire FDA selon laquelle le percepteur d’impôts lui avait dit que son époux était sous surveillance et connu pour avoir été arrêté est également peu probable ». Cette conclusion a nui à la crédibilité de Mme Nurridinova. Le tribunal a conclu que la SPR s’était fondée à raison sur ses conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Nurridinov pour mettre en doute les allégations de Mme Nurridinova. La SAR a également relevé des différences entre le formulaire FDA de Mme Nurridinova et des éléments du témoignage qu’ont présentés les demandeurs adultes devant la SPR.

[22]  La SAR a répondu à l’argument des demandeurs selon lequel la SPR (1) a conclu à tort qu’il était illogique pour eux de continuer à faire des versements à M. Ravshan après leur départ de l’Ouzbékistan vers le Kazakhstan en novembre 2016, et (2) s’est fondée sur une hypothèse lorsqu’elle a conclu que les citoyens ouzbeks pouvaient séjourner au Kazakhstan plus de deux semaines. La SAR a rejeté cet argument et a affirmé que la crainte des demandeurs d’être expulsés du Kazakhstan ne pouvait pas expliquer leur retour volontaire en Ouzbékistan, où les agents de persécution présumés avaient davantage de pouvoirs. La SAR a jugé que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs auraient pu rester au Kazakhstan plus de deux semaines n’était pas fondée sur une hypothèse, et que les demandeurs n’avaient fourni aucun élément de preuve pour étayer leur affirmation selon laquelle les citoyens ouzbeks se voient accorder un permis de séjour de deux semaines seulement à leur arrivée au Kazakhstan. La SAR a conclu que leur retour volontaire ne concordait pas avec leur crainte d’être victimes d'extorsion et emprisonnés par les autorités ouzbèkes.

[23]  Enfin, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à un risque objectif s’ils retournaient en Ouzbékistan à titre de demandeurs d’asile déboutés. Se fondant sur son propre examen de la preuve documentaire fournie dans le CND et sur le fait que M. Nurridinov avait pu retourner en Ouzbékistan après de longs séjours à l’étranger, la SAR a estimé qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse de persécution ni, selon la prépondérance des probabilités, aucun risque de traitements ou peines cruels et inusités ou de torture. Selon la SAR, les demandeurs d’asile qui risquent d’être harcelés et persécutés lorsqu’ils retournent dans leur pays sont ceux que les autorités considèrent comme des opposants ou une menace à la sécurité nationale. Le tribunal a conclu que les profils des demandeurs ne les exposaient pas à ces risques, et que le fait d’affirmer que les demandeurs attireraient davantage l’attention à leur retour au pays parce qu’ils avaient demandé l’asile au Canada était purement conjectural. Le fait que la demande d’asile présentée en Suède par M. Nurridinov a été rejetée, qu’il y a habité pendant sept ans au total et qu’il est retourné deux fois en Ouzbékistan signifiait clairement aux yeux de la SAR que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque prospectif s’ils retournaient dans leur pays. Cette conclusion était appuyée par le fait que rien ne montrait que les autorités ouzbèkes étaient toujours à la recherche des demandeurs.

III.  Questions en litige

[24]  Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes en l’espèce :

  1. La SAR a-t-elle enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale (1) lorsqu’elle a tranché l’appel après avoir abordé deux erreurs que la SPR a commises dans sa décision sur le plan de l’équité procédurale, plutôt que de renvoyer l’affaire à la SPR afin qu’elle statue à nouveau; et (2) lorsqu’elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de Mme Nurridinova sans lui donner l’occasion de se faire entendre à ce sujet?

  2. La décision était-elle déraisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[25]  Les questions d’équité procédurale que les demandeurs ont soulevées feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54). À cet égard, je me contenterai d’examiner la procédure suivie par la SAR pour en arriver à sa décision, et non l’affaire au fond.

[26]  S’agissant de la décision au fond, j’en examinerai le caractère raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica), 2016 CAF 93, au paragraphe 35 (Huruglica); Gebremichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 646, au paragraphe 8). Concrètement, cela veut dire que je dois m’assurer que les conclusions de la SAR sur la crédibilité et son évaluation des éléments de preuve relatifs à la situation en Ouzbékistan, ainsi qu’aux profils des demandeurs étaient raisonnables (Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au paragraphe 23).

[27]  La norme de la décision raisonnable tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables en l’espèce (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)). En d’autres termes, la cour de révision doit examiner à la fois le résultat et les motifs le justifiant (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27). Les motifs fournis par le tribunal répondent aux critères établis dans Dunsmuir « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

V.  Analyse

1.  La SAR a-t-elle enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale (1) lorsqu’elle a tranché l’appel après avoir abordé deux erreurs que la SPR a commises dans sa décision sur le plan de l’équité procédurale, plutôt que de renvoyer l’affaire à la SPR afin qu’elle statue à nouveau; et (2) lorsqu’elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de Mme Nurridinova sans lui donner l’occasion de se faire entendre à ce sujet??

Erreurs commises par la SPR sur le plan de l’équité procédurale

[28]  Dans le cadre de l’appel qu’ils ont interjeté devant la SAR, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en ce qui concerne les deux questions suivantes, sur lesquelles ils n’ont pas eu l’occasion d’être entendus lors de l’audience :

(1)  La SPR a conclu que les citoyens ouzbeks devaient avoir en leur possession un visa de sortie de l’OVIR pour se rendre dans des pays à l’extérieur de l’ex-URSS. Les visas de sortie sont rigoureusement examinés par le service de sécurité. Les personnes qui participent à des activités religieuses présentaient un intérêt particulier pour les autorités et leurs déplacements faisaient l’objet de restrictions. La capacité de M. Nurridinov à obtenir un visa de sortie pour se rendre en Suède en 2014 a nui la crédibilité de son allégation selon laquelle il avait été auparavant arrêté et maltraité par le gouvernement en raison de son association avec des musulmans locaux.

(2)  La SPR a remis en question la raison pour laquelle les demandeurs auraient voulu retourner en Ouzbékistan après un bref séjour au Kazakhstan en novembre 2016. Les demandeurs ont affirmé que leur agent leur avait permis d’obtenir un permis de séjour temporaire de deux semaines. Le tribunal de la SPR a constaté que M. Nurridinov avait reconnu qu’un visa d’entrée n’était pas obligatoire pour se rendre au Kazakhstan. La SPR a conclu qu’il n’était pas crédible que l’agent ait obtenu un permis temporaire pour les demandeurs.

[29]  Les demandeurs ont soutenu que (1) la SPR n’avait pas demandé à M. Nurridinov comment il avait obtenu un visa de sortie pour quitter l’Ouzbékistan en 2014, et (2) la SPR n’avait confronté M. Nurridinov relativement à son affirmation voulant que tous les citoyens ouzbeks ne pouvaient demeurer au Kazakhstan que durant deux semaines sans permis.

[30]  En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SAR a enfreint leur droit à l’équité procédurale parce qu’elle a d’abord reconnu que la SPR n’avait pas soulevé ce point durant l’audience, mais a tout de même tiré ses propres conclusions défavorables concernant la crédibilité, là encore sans leur offrir la possibilité de présenter des observations. Le défendeur soutient que la SAR n’a commis aucune erreur lorsqu’elle tranché l’appel après avoir abordé les erreurs d’iniquité procédurale commises par la SPR, étant donné que ces erreurs ont été expressément soulevées par les demandeurs lors de l’appel. La décision des demandeurs de ne pas fournir d’éléments de preuve pour contester les conclusions de la SPR relevait de leur responsabilité.

[31]  Les conclusions de la SAR étaient les suivantes :

[17] […] En ce qui concerne l’argument des appelants selon lequel la SPR ne leur a pas demandé comment ils avaient obtenu ce visa, je conviens que la SPR ne les a pas questionnés à ce sujet à l’audience. Toutefois, par ses motifs de décision, la SPR a informé les appelants de cette question. Or, malgré le fait qu’ils ont reçu cette information dans la décision de la SPR, ils n’ont fourni dans le présent appel aucune explication de la façon dont l’appelant avait été en mesure d’obtenir un visa de sortie. Compte tenu de l’absence d’explication, je juge que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que le fait que l’appelant a réussi à obtenir un visa de sortie mine la crédibilité de son allégation selon laquelle il avait été arrêté, interrogé et torturé par le SNB en raison de son association avec des musulmans locaux.

[24] […] En ce qui a trait à la conclusion de la SPR au sujet du permis de séjour de deux semaines que les appelants étaient censés posséder au Kazakhstan, je juge que la SPR ne s’est pas fondée sur une hypothèse. Les appelants, qui avaient été informés de cette question au moyen de la décision de la SPR, n’ont fourni aucune preuve pour montrer que les citoyens ouzbeks se voient accorder un permis de deux semaines seulement, même s’ils ne sont pas tenus d’obtenir un visa pour se rendre en Kazakhstan. Je tire une inférence défavorable de la simple affirmation des appelants selon laquelle les citoyens de l’Ouzbékistan ne se voient accorder qu’un permis de deux semaines à leur arrivée au Kazakhstan. J’ai également examiné les estampilles dans les passeports de l’appelant versés au dossier de la SPR et je n’y trouve aucune preuve attestant que les appelants avaient la permission de séjourner au Kazakhstan pendant seulement deux semaines.

[32]  Selon les demandeurs, le fait pour la SAR d’avoir indiqué qu’ils avaient été « informés » de ces points au moyen des conclusions erronées de la SPR revient, dans les faits ‑ et à tort ‑, à excuser les erreurs commises par la SPR. Ils soutiennent que la décision de la SPR est un jugement final et qu’il ne doit pas servir à informer les parties visées des points qui seront examinés dans le cadre d’une instance subséquente. Les demandeurs soutiennent également que la SAR aurait dû intervenir soit en renvoyant l’affaire à la SPR afin que celle-ci statue à nouveau, soit en tenant une audience afin qu’elle statue elle-même. Les demandeurs affirment que la SAR s’est fondée à tort sur leur capacité (et leur défaut) à présenter de nouveaux éléments de preuve, étant donné les exigences strictes quant à l’admissibilité des éléments de preuve devant la SAR.

[33]  Pour répondre à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a enfreint leur droit à l’équité procédurale lorsqu’elle a tiré ses propres conclusions défavorables quant à la crédibilité malgré les erreurs commises par la SPR, j’examinerai d’abord le rôle de la SAR lorsqu’elle siège comme une cour d’appel, conformément aux dispositions de la LIPR et aux directives énoncées par la juge Gauthier de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica.

[34]  Le paragraphe 110(1) de la LIPR porte sur les appels interjetés auprès de la SAR à l’encontre de décisions de la SPR relativement à une question de droit, de fait ou mixte. La SAR doit procéder sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la SPR (paragraphe 110(3)), sous réserve des droits limités que le paragraphe 110(4) confère aux parties pour la présentation de nouveaux éléments de preuve, et de la tenue d’une audience, conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR. Après avoir examiné l’appel, la SAR doit rendre l’une des trois décisions suivantes (article 111 de la LIPR) :

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

[...]

...

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

 

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

 

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

 

[35]  Dans Huruglica, la juge Gauthier s’est penchée sur l’étendue du rôle de la SAR lorsque celle-ci est appelée à réviser la décision de la SPR. Elle a précisé qu’il était important d’analyser les mots de la LIPR, qui doivent être lus au regard de leur contexte global, conformément à l’approche téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes (au paragraphe 46). Selon la juge Gauthier, les articles 110 et 111 de la LIPR, sous réserve de l’alinéa 111(2)b), « témoignent de l’intention du législateur d’habiliter la SAR à assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés » (au paragraphe 58). De plus, la juge Gauthier a tenu compte des circonstances dans lesquelles la SAR peut renvoyer un appel à la SPR pour réexamen (Huruglica, au paragraphe 69):

[69] J’examinerai maintenant l’alinéa 111(2)b), disposant que si une erreur a été relevée (alinéa 111(2)a)), la SAR peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement si elle « estime » qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci. Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne.

[36]  Dans le cas qui nous occupe, la SAR a examiné les arguments des demandeurs concernant le visa de sortie de l’OVIR et le permis de séjour de deux semaines au Kazakhstan et a tiré ses propres conclusions. Le tribunal n’a ni renvoyé l’affaire à la SPR pour réexamen ni tenu d’audience. Je conviens qu’une décision de la SPR est une décision finale et qu’elle n’est pas censée être utilisée comme un avis, mais si la manière dont la SAR s’est exprimée est certes malheureuse, elle n’est pas déterminante. J’estime que la SAR n’a pas enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale pour les raisons qui suivent.

[37]  Les circonstances dans lesquelles la SAR peut renvoyer une affaire à la SPR pour que celle-ci statue à nouveau sont limitées. Le paragraphe 111(2) de la LIPR n’autorise la SAR à procéder à un renvoi que si elle estime, à la fois :

a)  que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b)  qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

[38]  Les demandeurs soutiennent que leur affaire aurait dû être renvoyée à la SPR afin qu’ils puissent librement présenter de nouveaux éléments de preuve. À mon avis, cet argument ne tient pas compte de la restriction prévue à l’alinéa 111(2)b). Le rôle de la SAR consiste à rendre une décision définitive à l’égard d’une demande d’asile. Ce n’est que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision sans la tenue d’une audience lui permettant d’examiner « des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés » (et dans la version anglaise de la disposition, « evidence that was presented to the Refugee Protection Division ») que la LIPR saisit à nouveau la SPR. Dans le cas présent, les demandeurs n’affirment pas que des éléments de preuve présentés à la SPR ont été laissés de côté ou mal interprétés par le tribunal de la SPR ou par la SAR. Au contraire, ils fondent leur argument relatif à l’équité procédurale sur le fait qu’il n’existait aucun élément de preuve sur lequel la SPR aurait pu appuyer sa décision. Par conséquent, la SAR ne pouvait renvoyer l’affaire des demandeurs à la SPR pour que celle-ci statue à nouveau conformément à l’alinéa 111(2)b) de la LIPR.

[39]  Je souligne que cette issue n’est pas inéquitable. Les demandeurs ont soulevé les questions en litige dans le cadre de l’appel devant la SAR. Ils avaient pleine connaissance de la nature des préoccupations de la SPR en ce qui concerne le visa de sortie (l’OVIR) de M. Nurridinov et de son scepticisme face à leurs explications sur leur nouvelle demande de protection en Ouzbékistan depuis le Kazakhstan. Néanmoins, les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour contredire les conclusions de la SPR. Ils soutiennent que cela reviendrait à excuser les erreurs de la SPR et que leur capacité à présenter des éléments de preuve à la SAR était limitée par le paragraphe 110(4) de la LIPR. Ils ne pouvaient être assurés que les éléments de preuve qu’ils présenteraient serait admis.

[40]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR dispose :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[41]  La capacité d’un appelant à présenter de nouveaux éléments de preuve à la SAR est restreinte par le paragraphe 110(4), suivant la prémisse selon laquelle, dans le cadre d’un appel, la SAR procède en se fondant sur le dossier de la SPR (paragraphe 110(3)). Cependant, si la SAR juge que la SPR, à propos d’une question qui ne pouvait être prévue, est arrivée à une conclusion sans avoir obtenu des éléments de preuve de la part de l’appelant, le paragraphe 110(4) lui permettrait d’admettre de nouveaux éléments de preuve. Il aurait été déraisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que l’appelant présente ces éléments de preuve à la SPR. L’équité du système est sauvegardée, et la SAR pouvait régulièrement se prononcer sur la demande d’asile de l’appelant. L’argument des demandeurs, selon lequel la portée restrictive énoncée au paragraphe 110(4) exigeait que la SAR renvoie leur dossier à la SPR, n’est pas convaincant.

[42]  Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû tenir une audience conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR afin de leur permettre de contester les conclusions défavorables de la SPR et de la SAR. Le paragraphe 110(6) prévoit la tenue d’une audience devant la SAR dans des circonstances limitées :

Audience

Hearing

110. (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110. (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[43]  Selon cette disposition, la SAR peut tenir une audience si elle croit que de nouveaux éléments de preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de l’appelant. Dans le cas présent, les demandeurs n’ont présenté aucun nouvel élément de preuve. Par conséquent, la SAR n’était pas obligée de tenir une audience.

Les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité de Mme Nurridinova

[44]  Les demandeurs affirment que la SAR a enfreint leur droit à l’équité procédurale lorsqu’elle a tiré ses propres conclusions défavorables concernant la crédibilité, en se fondant sur les incohérences du témoignage fourni sous serment par Mme Nurridinova. Ils soutiennent que la SPR n’a pas relevé ces incohérences et que la SAR aurait dû les porter à l’attention de Mme Nurridinova (Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 (Kwakwa)). Le défendeur soutient que la SAR a le droit d’examiner le dossier des demandeurs et de tirer ses propres conclusions quant à la crédibilité (Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 (Adeoye); Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876 (Tan)).

[45]  Après avoir confirmé la principale conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité de Mme Nurridinova, la SAR a relevé d’autres incohérences entre l’exposé circonstancié figurant dans son formulaire FDA et son témoignage à l’audience tenue devant la SPR. Le tribunal de la SAR a exposé trois incohérences factuelles précises découlant des questions posées par la SPR aux demandeurs adultes.

[46]  J’estime que la SAR n’a pas enfreint le droit à l’équité procédurale des demandeurs lorsqu’elle a tiré d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité. Dans le mémoire qu’ils ont produit au soutien de leur appel devant la SAR, les demandeurs ont signalé le problème suivant :

[traduction]

Le tribunal de la SPR a jugé à tort que le témoignage de Mokhigul Nurridinova n’était pas crédible, étant donné que celui-ci était cohérent, irréfuté, plausible et corroboré.

[47]  Dans le cadre du présent appel, le rôle de la SAR consiste à examiner le dossier dont disposait la SPR et à réviser la décision rendue par la SPR compte tenu des points soulevés par l’appelant, et du principe fondamental de l’équité procédurale voulant que toute partie doit se voir offrir la possibilité de s’exprimer au sujet des nouvelles questions et préoccupations qui auront une incidence sur une décision la concernant (Tan, au paragraphe 32). La SAR ne peut soulever une nouvelle question sans en aviser les parties, mais elle peut formuler des conclusions défavorables indépendantes quant à la crédibilité d’un appelant lorsque la crédibilité était en cause devant la SPR, que les conclusions de la SPR sont contestées dans le cadre d’un appel et que les conclusions additionnelles de la SAR découlent du dossier de preuve (Adeoye, aux paragraphes 12 et 13, citant la décision Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, aux paragraphes 27 à 32). Ce principe a été reconnu dans Kwakwa, décision citée par les demandeurs, où le juge Gascon a déclaré qu’une nouvelle question est une question qui « constitue un nouveau motif, ou raisonnement, sur lequel s’appuie un décideur, autre que les moyens d’appel soulevés par le demandeur pour soutenir le caractère valide ou erroné de la décision portée en appel » (Kwakwa, au paragraphe 24).

[48]  Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la question de la crédibilité est très large et que la SAR n’a pas carte blanche pour cerner une nouvelle question quelconque relative à la crédibilité. Cependant, les demandeurs ont soulevé en termes généraux la question du témoignage de Mme Nurridinova, affirmant qu’il était [traduction] « cohérent, irréfuté, plausible et corroboré ». La SAR a répondu de manière précise à ce moyen d’appel, soulignant les incohérences entre son formulaire FDA, son témoignage et celui de M. Nurridinov, qui découlaient des questions posées par la SPR. Par conséquent, j’estime que la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question dans sa décision et qu’elle n’a pas enfreint le droit à l’équité procédurale des demandeurs.

2.  La décision était-elle déraisonnable?

[49]  Les demandeurs soutiennent que la décision était déraisonnable à trois égards. Ils affirment que la SAR a commis une erreur (1) lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité de M. Nurridinov parce qu’il avait pu retourner sans problème en Ouzbékistan depuis la Suède en 2012 et parce qu’il avait obtenu un visa de sortie en 2016, malgré l’intérêt que lui portaient les autorités ouzbèkes; ce faisant, la SAR se serait volontairement servie d’un critère qu’elle savait erroné; puis (2) lorsqu’elle a remis en cause la crainte subjective des demandeurs d’être persécutés en Ouzbékistan à leur retour du Kazakhstan en 2016; et enfin (3) lorsqu’elle a évaluant inadéquatement le risque auquel ils seraient exposés s’ils devaient retourner en Ouzbékistan en tant que demandeurs d’asile déboutés.

[50]  J’estime que la décision n’était pas déraisonnable. La SAR a examiné chacun des moyens d’appel des demandeurs, dans leur ensemble, et a formulé son raisonnement de manière intelligible. Le tribunal n’a pas ignoré des éléments de preuve ou des explications fournis par les demandeurs. Les éléments de preuve étayent de façon raisonnable les conclusions de la SAR, et les motifs exposés par la SAR permettent à la Cour de conclure que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[51]  Les demandeurs soutiennent que la SAR et la SPR ont déduit de manière inappropriée à partir de la persécution dont M. Nurridinov aurait été victime en 2006 que ce dernier présenterait subséquemment un intérêt pour les autorités ouzbèkes. Il affirme qu’il n’est pas une personne recherchée ni un leader ou une personne connue, et que les événements de 2006 n’auraient pas donné lieu à des accusations ou à son emprisonnement des années plus tard, à son retour en 2012. Monsieur Nurridinov soutient que la SAR a exagéré l’intérêt que les autorités ouzbèkes lui portaient et que les principales conclusions défavorables qu’elle a tirées quant à la crédibilité découlent de cette erreur. Il affirme que si les demandeurs craignent de retourner en Ouzbékistan, c’est principalement en raison des menaces proférées par M. Ravshan, le contrôleur malhonnête du fisc.

[52]  À mon avis, l’argument des demandeurs ne concorde pas avec leur exposé circonstancié et leur témoignage. Essentiellement, ils affirment ne pas pouvoir retourner en Ouzbékistan car ils craignent d’être persécutés en raison de leur lien avec des musulmans locaux et des menaces d’emprisonnement formulées par M. Ravshan, lequel est au courant des démêlés antérieurs de M. Nurridinov avec les autorités ouzbèkes. Si les demandeurs ne craignent plus les autorités ouzbèkes, leurs demandes d’asile et leurs allégations de crainte raisonnable d’être persécutés en Ouzbékistan sont ébranlées. J’estime que l’évaluation par la SAR de l’exposé circonstancié de M. Nurridinov, où il affirme avoir été torturé en 2006, ne constitue pas un embellissement. De plus, je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation faite par la SAR de sa capacité à entrer au pays et à en sortir sans difficulté et, de ce fait, de la probabilité que les autorités ouzbèkes cessent de s’intéresser à lui.

[53]  Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SAR a ignoré leurs observations concernant leur séjour de deux semaines au Kazakhstan et leur retour en Ouzbékistan, étant donné que la SAR, dans sa décision, s’est tout particulièrement arrêtée sur les explications qu’ont fournies les demandeurs au sujet de leur retour. Le tribunal a accepté leur explication à propos de l’argent qu’ils ont continué à verser à M. Ravshan, a tiré une conclusion défavorable de leur affirmation non étayée selon laquelle ils se sont vus uniquement accorder un permis de séjour de deux semaines, et a constaté qu’ils n’avaient pris aucune mesure pour étudier les options qui s’offraient à eux durant leur séjour au Kazakhstan. Il était loisible à la SAR de conclure que la volonté des demandeurs de retourner en Ouzbékistan ne concordait pas avec leur crainte alléguée d’extorsion et d’emprisonnement par les autorités ouzbèkes.

[54]  Enfin, l’analyse de la SAR de la crainte des demandeurs d’être persécutés en Ouzbékistan, en raison de leur opinion politique présumée en tant que demandeurs d’asile de retour dans leur pays, était fondée sur les éléments de preuve documentaire relatifs à l’Ouzbékistan. La conclusion du tribunal, voulant que le profil des demandeurs ne correspondait pas à celui de ressortissants ouzbeks qui ont fait l’objet de harcèlement et de poursuites à leur retour au pays, était détaillée et concordait avec la description que les demandeurs ont faite de leur propre situation :

[29]  La preuve documentaire laisse entendre que la plupart des ressortissants ouzbeks qui ont demandé la protection à l’étranger puis qui sont retournés au pays et qui ont fait l’objet de harcèlement, d’accusations ou de poursuites sont ceux qui étaient considérés comme des opposants ou comme une menace à la sécurité nationale. En particulier, il s’agit de personnes soupçonnées d’avoir organisé de violentes attaques en Ouzbékistan ou d’avoir participé à de telles attaques; d’opposants politiques; de membres ou de membres soupçonnés de groupes et de mouvements islamistes interdits en Ouzbékistan; de détracteurs du gouvernement et de personnes riches qui sont tombées en défaveur auprès des autorités ou qui possèdent des biens que les autorités voudraient saisir. Les appelants ne correspondent à aucun des profils susmentionnés. Ils ne prétendent pas être riches; ils n’ont pas établi qu’ils font partie d’un groupe ou d’un mouvement islamiste interdit par le gouvernement; et ils ne sont pas des militants politiques ni des détracteurs du gouvernement.

[55]  Selon les demandeurs, le fait pour eux de ne pas avoir été exposés à des problèmes dans le passé ne rend pas moins vraisemblable le risque qu’ils y soient exposés plus tard. À mon avis, la SAR a conclu à raison qu’« il serait purement hypothétique d’affirmer que, en raison des demandes d’asile qu’ils ont présentées au Canada, les appelants attireraient grandement l’attention à leur retour au pays ».

VI.  Conclusion

[56]  La demande sera rejetée.

[57]  Les parties n’ont présenté aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-6300-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6300-18

 

INTITULÉ :

MOKHIGUL NURIDDINOVA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

David P. Yerzy

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David P. Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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