Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19881130

     Dossier : T-145-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel de la

     décision du juge de la citoyenneté

     ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     et

     KIT YU HO,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté pour le compte du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale contre une décision du juge de la citoyenneté, qui avait approuvé la demande que l'intimée avait présentée en vue de se voir attribuer la citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]      Dans une décision datée du 17 décembre 1997, le juge de la citoyenneté a conclu que l'intimée remplissait les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, même si elle n'avait été physiquement présente au Canada que pendant 253 jours et qu'il lui manquait donc 842 jours.

[3]      L'intimée, qui vient de Hong Kong, est devenue résidente permanente le 14 août 1993. Elle est arrivée au Canada avec ses parents et cinq soeurs. Le 23 août 1993, soit neuf jours après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada à titre de résidente permanente, l'intimée a quitté le Canada pour se rendre en Australie afin de poursuivre ses études en architecture au Royal Melbourne Institute of Technology, où elle était inscrite depuis 1991. La période pertinente, en ce qui concerne l'alinéa 5(1)c) de la Loi, va du 28 février 1993 au 28 février 1997. L'intimée est revenue au Canada cinq fois après son départ, en août 1993. La première fois, elle est restée 25 jours, la deuxième fois, 39 jours, la troisième fois, 66 jours et la quatrième fois, 54 jours. Le 10 février 1997, l'intimée était au Canada depuis cinq jours lorsqu'elle a présenté sa demande. Il manque essentiellement à l'intimée 842 jours sur les 1 095 jours de résidence nécessaires sur la période de trois ans.

[4]      M. Martin a soutenu que l'intimée avait produit des déclarations de revenu canadiennes, qu'elle avait un compte bancaire conjoint au Canada, et qu'elle avait un numéro d'assurance sociale depuis 1995. Elle travaille maintenant comme architecte au Canada. Elle étudiait sans doute déjà en Australie lorsqu'elle a sollicité le droit d'établissement au Canada. Mme Ho a fait des démarches pour savoir si elle pouvait étudier à l'université de la Colombie-Britannique, mais le système semblait différent de sorte qu'il lui aurait peut-être fallu effectuer une année supplémentaire d'études qu'elle n'était pas prête à entreprendre. Elle avait quitté le Canada pour subir une opération à Hong Kong, mais cela était surtout attribuable au fait que ses parents connaissaient mieux le système de santé en vigueur à Hong Kong que celui qui existe au Canada. À ce moment-là, Mme Ho n'avait pas l'intention de rester à Hong Kong et elle a témoigné qu'elle a toujours eu l'intention de revenir au Canada, où sa famille réside et où elle entend vivre. Elle a toujours été une étudiante à la charge de ses parents.

[5]      Selon l'appelant, la preuve montre que l'intimée a établi son mode de vie au Canada au plus tôt en 1996. Il a été soutenu que la demande était prématurée. Il a également été soutenu que l'intimée ne s'était jamais réellement intégrée à la société canadienne, malgré les cinq séjours qu'elle avait faits au Canada, et qu'elle n'a jamais centralisé son mode de vie au Canada. L'amicus curiae a cité la décision Koo (Re) [1993] 1 C.F. 294, (1992) 19 Imm. L.R. (2d) 1, 59 F.T.R. 27 (1re inst.), pour dire que même si l'intimée ne satisfaisait clairement pas à la première considération, sa famille était au Canada et elle était physiquement présente au Canada à peu près régulièrement en ce sens qu'elle y a séjourné cinq fois. Il a soutenu que les absences, qui étaient attribuables aux études, n'étaient que temporaires. Enfin, le lien qui existe entre l'intimée et le Canada semble plus fort que celui qui existe avec l'Australie, où l'intimée étudiait, ainsi qu'avec Hong Kong.

[6]      Il importe de noter que selon l'appelant, le principal problème est lié au fait qu'objectivement, l'initmée ne remplissait pas les conditions de résidence pendant la période pertinente. L'intimée a fourni fort peu d'éléments de preuve, pour ne pas dire aucun, au sujet des activités auxquelles elle s'était livrée au Canada pendant la période pertinente. L'intimée n'a pas démontré qu'il y avait des circonstances exceptionnelles montrant qu'elle avait des liens étroits et permanents avec la collectivité canadienne. En d'autres termes, elle était davantage attachée à sa famille qu'au Canada. L'appelant fait en outre remarquer qu'il est tout à fait évident que l'intimée n'a pas établi son mode de vie au Canada, étant donné qu'elle est partie neuf jours après être entrée au Canada à titre d'immigrante ayant obtenu le droit d'établissement afin de poursuivre ses études universitaires en Australie.

[7]      Les demandes de citoyenneté présentées par des personnes qui ont étudié ou qui étudient en dehors du Canada posent certains problèmes selon le moment où la demande de citoyenneté est déposée. Dans l'affaire Koo (Re), supra, le juge Reed a fait remarquer que la loi doit s'appliquer d'une manière égale à tous et que les qualités de l'intéressé, en tant que citoyen éventuel, ne doivent pas influer sur l'interprétation de la loi. Il s'agit donc de savoir si le Canada est le pays où l'intéressé a centralisé son mode de vie ou encore le pays où il vit normalement. Dans la décision Koo (Re), supra, à la page 293, le juge Reed énumère six questions que l'on peut se poser pour rendre ces décisions :

     (1)      La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?
     (2)      Où résident la famille proche et les personnes à la charge (ainsi que la famille étendue) du demandeur?
     (3)      La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou alors qu'elle n'est qu'en visite?
     (4)      Quelle est l'étendue des absences physiques? (Lorsqu'il ne manque à un demandeur que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables.)
     (5)      L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exercer un emploi temporaire, ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?
     (6)      Quelle est la qualité des attaches du demandeur avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[8]      La présence physique est un facteur crucial dont la Cour doit tenir compte lorsqu'elle détermine si le demandeur remplit les conditions de résidence prévues par la Loi. L'absence de présence physique milite contre l'attribution de la citoyenneté. Pour que les absences soient considérées comme temporaires et, par conséquent, pour qu'elles soient incluses, il doit exister d'autres indices de résidence; tel est le but primordial des questions que le juge Reed se posait dans la décision Koo (Re), supra.

[9]      À mon avis, lorsque la présence physique est minime, il importe avant tout de prendre en considération la qualité du lien qui existe entre le demandeur et le Canada. Il doit exister des éléments de preuve tendant à montrer l'existence d'un véritable lien avec le Canada. Il ne s'agit pas simplement d'avoir des attaches avec la famille qui est établie au Canada, ou encore d'avoir un permis de conduire canadien ou un numéro d'assurance sociale.

[10]      Un certain nombre de considérations peuvent servir à mettre ce lien en évidence. L'intéressé a-t-il fait des efforts réels en vue de revenir au Canada pendant les vacances? Dans la négative, pourquoi pas? Ainsi, l'intéressé est-il revenu au Canada pendant les vacances d'été et a-t-il obtenu un emploi d'été ou a-t-il effectué des travaux communautaires au Canada? Pendant ces séjours, l'intéressé s'est-il livré à des activités qui faciliteraient son intégration à la société canadienne? Par exemple, a-t-il adhéré à une amicale ou à un club d'athlétisme, ou encore à un groupe confessionnel, ou a-t-il suivi des cours? A-t-il fait des efforts raisonnables pour déterminer s'il existait au Canada des programmes similaires qui pourraient répondre à ses objectifs en matière d'éducation et a-t-il fait des efforts raisonnables en vue de s'inscrire à pareils cours?

[11]      Bref, l'intéressé doit établir sa résidence au Canada en pensée et en fait. Il doit avoir centralisé son mode de vie au Canada.

[12]      L'intimée s'est établie au Canada avec sa famille en août 1993. Elle a ensuite quitté le pays en vue de reprendre ses études à Melbourne, mais elle s'est efforcée de revenir au Canada pendant les vacances scolaires. Elle a effectué cinq séjours en tout au Canada après être partie en août 1993. Quatre des cinq séjours étaient relativement longs, soit de 25 à 66 jours. Toutefois, l'intimée a présenté fort peu d'éléments de preuve tendant à démontrer qu'elle s'était livrée à des activités qui faciliteraient son intégration à la société canadienne pendant la période pertinente, à part le fait de rendre visite à sa famille. Par ailleurs, l'intimée a essayé de savoir s'il était possible d'étudier à l'université de la Colombie-Britannique mais elle a décidé de poursuivre ses études à Melbourne. Il faut faire une distinction entre son intention de revenir au Canada après ses études et de s'y établir et le fait qu'elle a réellement établi son mode de vie au Canada pendant la période pertinente. Je conclus que l'intimée n'a pas centralisé son mode de vie au Canada, compte tenu de la preuve dont je dispose. Elle sera sans doute une excellente citoyenne, mais elle doit d'abord remplir les conditions prévues par la Loi.

[13]      Par conséquent, l'appel est accueilli.

     "Howard I. Wetston"

     Juge

Toronto (Ontario)

Le 30 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              T"145-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29
                     ET un appel de la décision du juge de la citoyenneté
                     ET
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
                     et
                     KIT YU HO
DATE DE L'AUDIENCE :          LE MERCREDI 4 NOVEMBRE 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Wetston en date du 30 novembre 1998

ONT COMPARU :

                     Lori Jane Turner
                                 pour l'appelant
                     G.K. Martin
                                 pour l'intimée

                     W. MacEwen

                                 Amicus Curiae



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Morris Rosenberg

                     Sous"procureur général

                     du Canada

                                 pour l'appelant

                     Lim & Co.

                     Avocats

                     650, 41e avenue ouest

                     Bureau 308

                     Vancouver (Colombie-Britannique)

                     V5Z 2M9

                                 pour l'intimée

                     Watson, Goepel, Maledy

                     Avocats

                     1700 - 1075, rue Georgia ouest

                     Vancouver (Colombie-Britannique)

                     V6E 3C9

                                 Amicus Curiae


                                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                          Date : 1981130
                                                          Dossier : T"145-98
                                                     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29
                                                     ET un appel de la décision du juge de la citoyenneté
                                                     ET
                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                                     et
                                                     KIT YU HO
                                                    
                                                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                                                    

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.