Date : 20031231
Dossier : T-1264-02
Référence : 2003 CF 1532
Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
CARL S. GANNON
demandeur
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LE CONSEIL DU TRÉSOR
(LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Introduction
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. La demande est relative à une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique rendue le 18 mars 2002 par Anne E. Bertrand, siégeant en sa qualité d'arbitre de grief nommée en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35(LRTFP).
[2] Le demandeur, Carl Gannon, auparavant employé comme conseiller en ressources humaines à la Direction des ressources humaines du ministère de la Défense nationale (MDN) à la base navale de Halifax (Nouvelle-Écosse), a été investi par le sous-ministre du pouvoir délégué de dotation et a reçu la formation nécessaire. La Direction des ressources humaines s'occupe de toute la dotation en personnel civil à la base navale.
Le contexte
[3] Le demandeur a été employé au MDN du 15 novembre 1977 jusqu'à son congédiement le 14 juillet 2000.
[4] Le 13 juillet 2000, le demandeur a été suspendu sans rémunération en attendant le résultat de l'enquête sur l'abus de pouvoir se rapportant à son recrutement de Paula Robinson ainsi qu'aux allégations de harcèlement et d'intimidation de celle-ci. Le 26 octobre 2000, le demandeur a été congédié rétroactivement au 14 juillet 2000. Son congédiement a été fondé sur les motifs suivants : (1) fausses déclarations sur ses qualifications universitaires dans les curriculum vitae présentés à quatre ministères fédéraux; (2) favoritisme dans l'embauche et intimidation subséquente de Mme Paula Robinson; et (3) utilisation des ordinateurs du ministère et des systèmes de courrier électronique à des fins non autorisées et inappropriées.
[5] Le 26 novembre 1999, le demandeur a été suspendu pendant cinq jours pour avoir contrefait une signature sur une lettre écrite sur du papier à en-tête du MDN qui présentait de manière inexacte sa rémunération à des fins d'audience relative à une pension alimentaire. Au cours d'une réunion qui a eu lieu le même jour, James Stewart, directeur du Centre de service des ressources humaines civiles, a adressé un avertissement au demandeur, aussi bien oralement que par écrit dans les termes suivants : [TRADUCTION] _ [...] cette inconduite est une atteinte grave à la confiance entre employeur et employés et que je ne peux en aucun cas tolérer [...] Une autre inconduite de quelque nature que ce soit entraînera une mesure disciplinaire plus sévère pouvant aller jusqu'au congédiement. _
[6] On a su plus tard que, moins de 14 jours après cette suspension initiale, le demandeur avait présenté un des quatre curriculum vitae falsifiés au ministère des Pêches et des Océans. Les curriculum vitae falsifiés en question précisaient que le demandeur était titulaire d'un baccalauréat ès arts de Dalhousie University avec une spécialisation en gestion des ressources humaines.
[7] En février 2000, le demandeur a donné le nom et le curriculum vitae de Paula Robinson en réponse à une demande de Barry Boehmer, officier d'information aux services de la logistique et de la Formation, pour une assistance au recrutement pour un emploi occasionnel. Le demandeur n'a pas signalé qu'il avait eu une liaison avec Mme Robinson et qu'un enfant était né de cette liaison ou qu'il y avait un différend entre eux quant à la garde de l'enfant. Mme Robinson a par la suite allégué qu'il lui avait fait croire que son emploi dépendait de lui et que si elle révélait leur liaison antérieure, elle perdrait son emploi.
[8] M. Stewart a suspendu le demandeur sans rémunération en attendant le résultat de l'enquête sur les allégations d'abus de pouvoir et d'intimidation de Mme Robinson.
[9] L'enquête a révélé l'existence des faux curriculum vitae du plaignant et la portée de l'enquête a été en conséquence élargie. Ginette Laflamme, directrice générale du Centre de service des ressources humaines civiles, a témoigné qu'elle a découvert que le demandeur avait posé sa candidature pour un poste à la fonction publique fédérale avec le même curriculum vitae falsifié au cours de sa deuxième suspension et qu'il avait même été reçu en entrevue pour le poste en question. L'enquête a également révélé que le demandeur avait fait un usage abusif du système de courrier électronique du bureau à des fins personnelles, incluant au moins un contenu sexuel inapproprié.
[10] Malgré certaines circonstances atténuantes, Mme Laflamme a conclu que les mesures disciplinaires antérieures prises contre le demandeur, qui portaient sur la lettre falsifiée, la continuation du même type d'inconduite que révèlent les curriculum vitae falsifiés, l'utilisation à des fins non autorisées du système de courrier électronique du service, l'abus de pouvoir et le fait de ne pas respecter la procédure de recrutement ainsi que l'absence de remords ou d'acceptation de sa responsabilité par le demandeur, ont porté atteinte de façon irréparable à l'intégrité, à la confiance et à la fiabilité des relations employeur-employé. Par conséquent, le demandeur a été congédié, le congédiement prenant effet à partir de la date à laquelle il avait été suspendu sans rémunération.
[11] Le demandeur a déposé deux griefs. Les deux ont été rejetés et renvoyés à l'arbitrage le 21 décembre 2000. Une audience a eu lieu à Halifax (N.-É.), pendant sept jours, du 11 au 13 juin et du 25 septembre au 28 septembre 2001.
La décision de l'arbitre de grief
[12] L'arbitre de grief a confirmé la décision de l'employeur de suspendre le plaignant, mais elle a accueilli le grief relatif au congédiement et a accordé six mois de rémunération au demandeur plutôt que la réintégration.
[13] L'arbitre de grief a décidé que le demandeur ne pouvait pas faire l'objet de mesures disciplinaires pour ses pratiques générales de recrutement d'employés occasionnels vu qu'il a été prouvé que les pratiques de recrutement de plusieurs agents de dotation n'étaient pas conformes aux politiques officielles. L'arbitre a cependant décidé que le recrutement d'une personne avec laquelle le demandeur avait eu une liaison démontrait qu'il y avait eu favoritisme et que c'était manifestement à l'encontre de la politique que le demandeur était censé suivre en tant qu'agent de dotation. De plus, elle a tenu compte du fait que le demandeur n'avait admis aucune faute se rapportant au recrutement de Mme Robinson et qu'il avait tenté de cacher leur relation. En conséquence, l'arbitre de grief a décidé que l'employeur avait le droit de prendre des mesures disciplinaires contre le demandeur pour le recrutement de Mme Robinson.
[14] L'arbitre de grief a également conclu que l'employeur avait le droit de prendre des mesures disciplinaires contre le demandeur pour l'utilisation du système de courrier électronique du service à des fins non autorisées. Vu que le demandeur avait échangé un courriel à contenu sexuel, l'arbitre a décidé qu'une personne raisonnable, dans ces circonstances, ne trouverait pas approprié un contenu sexuel dans des courriels de travail.
[15] L'arbitre de grief a également décidé que bien que la présentation de curriculum vitae falsifiés à des sources externes n'ait aucun rapport avec l'employeur actuel et qu'en conséquence l'employeur ne puisse pas prétendre à une inconduite de la part d'un employé, une telle tromperie était pertinente pour une évaluation du manque de jugement de l'employé. D'après l'arbitre de grief, le curriculum vitae falsifié a été préparé avec l'intention manifeste de s'assurer un emploi de niveau supérieur à la fonction publique fédérale. Un agent du personnel ayant douze ans d'expérience aurait dû réfléchir avant de tenter d'obtenir frauduleusement un emploi.
[16] Finalement, l'arbitre a rejeté l'explication du demandeur à propos de la présentation d'un curriculum vitae falsifié et elle a trouvé son absence de remords inquiétante et symptomatique d'un problème plus sérieux quant à son jugement et à sa conduite en tant qu'agent de dotation.
[17] L'arbitre de grief a conclu, sur la prépondérance des probabilités, que l'employeur pouvait à bon droit imposer une mesure disciplinaire. En outre, l'arbitre de grief a affirmé que l'incapacité du demandeur de tirer des leçons de ses erreurs l'a amenée à accepter l'évaluation de l'employeur que le lien de confiance avec l'employé était irrémédiablement rompu et que le risque de récidive était très élevé. L'arbitre de grief a conclu que les relations employeur-employé avec le demandeur avaient été brisées par sa propre inconduite et que la perception qu'avait l'employeur de la rupture du lien de confiance avec le demandeur n'était pas déraisonnable dans les circonstances. Vu certaines circonstances atténuantes telles que la durée du service, un bon dossier d'emploi et les difficultés potentielles d'obtenir un autre emploi, l'arbitre a décidé que la mesure de congédiement était trop sévère et elle a accordé six mois de rémunération plutôt que la réintégration.
Les questions en litige
[18] Le demandeur a soulevé les trois questions suivantes dans sa demande de contrôle judiciaire :
A. L'arbitre a-t-elle commis une erreur de droit ou un déni de justice en accueillant le grief relatif au congédiement mais en ne réintégrant pas le demandeur à son ancien poste ou à un poste équivalent?
B. L'arbitre a-t-elle violé les principes de justice naturelle en ne donnant pas aux parties l'occasion de se faire entendre sur la question de la réparation?
C. L'arbitre a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?
LA NORME DE CONTRÔLE
[19] Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de grief prise en vertu de la LRTFP, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. La décision d'un arbitre de grief ne peut être annulée à moins qu'elle ne soit _ clairement irrationnelle, c'est-à-dire de toute évidence non conforme à la raison _ (Green c. Canada (Conseil du Trésor) (2000), 254 N.R. 48, page 53 (C.A.F.).
Analyse
A. L'arbitre a-t-elle commis une erreur de droit ou un déni de justice en accueillant le grief relatif au congédiement mais en ne réintégrant pas le demandeur à son ancien poste ou à un poste équivalent?
[20] Le demandeur prétend que ses supérieurs qui ont émis l'opinion que le lien de confiance avait été irrémédiablement rompu étaient [TRADUCTION] _ aux échelons supérieurs de la hiérarchie de commandement _ et n'entretenaient pas de relations directes avec lui. Le demandeur prétend qu'il n'existe aucun élément de preuve que son gestionnaire immédiat et d'autres avec qui il entretenait des relations directes dans le cadre du travail ont perdu confiance en lui et, par conséquent, la conclusion de l'arbitre était manifestement déraisonnable et susceptible de contrôle. Cet argument est tout simplement sans fondement. Dans toute organisation, la gestion au niveau supérieur est responsable de toute la gestion des opérations et doit pouvoir s'assurer que les employés s'acquitteront adéquatement des responsabilités qui leur sont confiées. Le maintien de ce lien de confiance est essentiel au bon fonctionnement de toute organisation et il en est particulièrement ainsi lorsque les gestionnaires au niveau supérieur n'entretiennent pas de relations directes avec un employé sur une base quotidienne comme c'est le cas en l'espèce. Lorsque la gestion au niveau supérieur ne fait plus confiance à l'employé, il importe peu que les collègues soient d'un avis différent. Un employé doit en fin de compte répondre devant son employeur et non seulement devant les personnes à qui il doit directement rendre compte.
[21] Le demandeur prétend que l'employeur n'avait pas donné des directives claires se rapportant à une conduite acceptable et que ses erreurs de jugement auraient pu être cernées et corrigées s'il y avait eu des consignes appropriées. Le demandeur soutient en outre que sa capacité de faire son travail n'était pas contestée et qu'il n'existait pas de motif valable pour un congédiement. Dans ces circonstances, il soutient que l'arbitre avait l'obligation de le réintégrer surtout qu'elle avait conclu que son congédiement était abusif.
[22] Le défendeur prétend que l'arbitre n'a pas agi de manière manifestement déraisonnable en refusant de réintégrer le demandeur à son ancien poste. La décision de ne pas réintégrer le plaignant était en fait fondée : Belval c. Conseil du Trésor (Expansion industrielle régionale), [1985] C.R.T.F.P.C. no 19, les motifs de J.M. Cantin, c.r. Le défendeur soutient en outre que les questions portant sur les pouvoirs des arbitres de grief en matière de réparation sont soumises à un contrôle appliquant la norme de la décision manifestement déraisonnable : Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369. Enfin, le défendeur soutient que la Cour fédérale a confirmé le pouvoir d'un juge-arbitre d'accorder des dommages-intérêts plutôt que la réintégration : Deigan c. Canada (Industrie), [2002] A.C.F. no 963 (C.A.).
[23] Je suis d'accord avec le défendeur sur cette question. La LRTFP ne limite pas les mesures de réparation qu'un arbitre de grief peut prononcer dans le cadre d'un arbitrage de grief et il est fermement établi en droit que les questions portant sur le congédiement relèvent de la compétence de l'arbitre de grief : voir McCormick c. Canada (Procureur général), [1998] 161 F.T.R. 82, et plus récemment Trevena c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1282, (2001) CFPI 893. Après un examen attentif du dossier du tribunal et de la décision, il m'est évident que l'arbitre a apprécié la preuve dont elle disposait. Elle explique sa conclusion en ces termes :
140 L'employeur est d'avis que les actions du fonctionnaire s'estimant lésé ont détruit à jamais la confiance qu'il accordait à ce collaborateur qu'il a pourtant apprécié, et cet avis est fondé sur le refus de M. Gannon de changer ou de corriger ses actions. Je partage malheureusement les craintes de l'employeur. Je le dis compte tenu particulièrement de l'avertissement qu'il a servi à M. Gannon en novembre 1999 en lui disant que tout manquement ultérieur serait considéré comme une inconduite très grave passible de congédiement. En outre, les craintes que le fonctionnaire s'estimant lésé continue à faire preuve d'inconduite sont exacerbées par le fait que, quelques mois seulement après avoir été averti par l'employeur, en novembre 1999, il a cherché à embaucher la femme même avec qui il était aux prises dans une dure bataille judiciaire devant le tribunal de la famille, une femme à l'égard de laquelle il avait soumis au tribunal de faux renseignements sur son traitement.
141 Et l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé s'est poursuivie. Il a averti cette même femme, Paula Robinson, du danger de révéler leur relation à l'employeur, en prenant même des mesures pour cacher cette relation et en allant jusqu'à nier avoir fait quoi que ce soit de mal quand ses supérieurs le lui ont reproché.
142 Le fonctionnaire s'estimant lésé soutient mordicus que sa conduite est normale et acceptable, comme en témoigne son refus d'accepter qu'on lui reproche d'avoir participé à l'échange de courriels et de messages sur Internet inacceptables à des fins personnelles pendant les heures de travail, ainsi que d'avoir rédigé un curriculum vitae mensonger, alors que c'est une action clairement considérée comme répréhensible, puisque c'est de la fausse représentation. Je suis étonnée que quelqu'un puisse falsifier un curriculum vitae et plus étonnée encore que ce quelqu'un soit une personne qui travaille comme gestionnaire dans le domaine des ressources humaines.
143 Par conséquent, j'ai l'impression que, si le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas fait pincer, il aurait continué à agir comme d'habitude, puisque les faits révèlent qu'il n'a pas décidé de corriger sa conduite après avoir reçu l'avertissement écrit de novembre 1999.
[...]
147 Pour que je décide de me prévaloir de mon pouvoir discrétionnaire d'imposer une sanction moins lourde dans cette affaire, je devrais réintégrer le fonctionnaire s'estimant lésé dans ses fonctions après une suspension. Je ne suis pas disposée à le faire. La relation d'emploi a été fondamentalement rompue par l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé, et la conclusion de l'employeur que la relation de confiance est rompue n'est pas déraisonnable, compte tenu des faits.
Je suis d'avis que la conclusion de l'arbitre selon laquelle la relation d'emploi avec le demandeur avait été fondamentalement rompue par sa propre inconduite et la perception qu'avait l'employeur de la rupture de la relation de confiance avec l'employé était raisonnable dans les circonstances, s'appuyait sur la preuve et n'était pas manifestement déraisonnable. L'arbitre n'a pas commis d'erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne réintégrant pas le demandeur.
B. L'arbitre a-t-elle violé les principes de justice naturelle en ne donnant pas aux parties l'occasion de se faire entendre sur la question de la réparation?
[24] Le demandeur prétend qu'avoir l'occasion de se faire entendre sur la question de la réparation est un principe de justice naturelle et le fait que l'arbitre de grief n'ait pas respecté ce principe invalide sa décision sur la réparation. Le demandeur soutient que non seulement l'arbitre de grief ne l'a pas réintégré comme demandé mais qu'elle a accordé un dédommagement sans entendre les observations des parties sur le quantum des dommages-intérêts à accorder. L'article 97 de la LRTFP prévoit que lorsqu'un grief est renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre donne aux deux parties au grief l'occasion de se faire entendre. Le demandeur prétend que, dans les cas où les arbitres ont accordé des dommages-intérêts plutôt que la réintégration, les parties ont eu l'occasion de se faire entendre sur la question de savoir si la relation d'emploi était encore viable ou le cas échéant, sur le quantum des dommages-intérêts à accorder en se fondant sur les facteurs comme le nombre d'années de service de l'employé, son âge, etc... (Matthews c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. 1691 en ligne : QL, (1997), 139 F.T.R. 293).
[25] Le défendeur affirme que la prétention du demandeur que l'arbitre de grief n'a pas examiné les arguments de son avocat sur la question de la réparation est erronée et n'est fondée sur aucune preuve par affidavit. En fait, l'arbitre de grief a résumé en particulier les arguments des deux parties sur la question de la réparation aux paragraphes 87 et 104 de sa décision. À aucun stade de l'audience le demandeur n'a été privé de l'occasion de présenter une preuve ou des observations, et par conséquent le défendeur affirme qu'il n'y a eu aucune violation de l'équité procédurale.
[26] Encore une fois, je dois être d'accord avec le défendeur. Il existe des éléments de preuve aussi bien au paragraphe 87 qu'au paragraphe 104 de la décision de l'arbitre que les parties ont fait des observations orales sur la possibilité de mesures de réparation si la réintégration n'était pas prononcée. L'arbitre note au paragraphe 104 de sa décision que le demandeur a prétendu que _ [...] s'il ne peut pas être réintégré, toutefois, un préavis raisonnable calculé en fonction de ses années de service s'impose, et son avocat a produit une liste de plusieurs décisions sur un préavis de longueur raisonnable en fonction des années de service et de la nature de l'emploi _. En conséquence, je ne suis pas d'accord que le demandeur n'avait pas eu l'occasion de se faire entendre sur cette question, comme il ressort clairement du dossier que les parties ont en fait présenté des observations sur la question de la réparation et que l'arbitre a tenu compte des observations en question dans sa décision.
C. L'arbitre a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?
[27] Le demandeur prétend que l'arbitre a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en ce qu'elle n'a pas compris la structure administrative du Centre de service des ressources humaines civiles. Au paragraphe 145 de sa décision, l'arbitre affirme que _ [...] le fonctionnaire s'estimant lésé était un gestionnaire; il occupait un poste qui exige qu'on lui fasse vraiment confiance. Il était aussi un agent du personnel supérieur investi de pouvoirs délégués d'embaucher des gens qui devait donner l'exemple à ses subordonnés. Il travaillait sans supervision avec une grande autonomie. _ Le demandeur soutient qu'il s'agit d'une conclusion erronée dans la mesure où il n'était pas un gestionnaire mais plutôt un conseiller en ressources humaines qui rendait compte au gestionnaire des ressources humaines Paul Hartigan.
[28] Le demandeur prétend en outre que l'arbitre s'est contredite dans sa décision à deux occasions distinctes. Premièrement, malgré la conclusion de l'arbitre que l'employeur ne pouvait pas prendre une mesure disciplinaire contre le demandeur pour ses pratiques d'embauche en matière d'emplois occasionnels, l'arbitre a tout de même conclu que l'employeur était justifié de prendre des mesures disciplinaires contre le demandeur pour le recrutement de Paula Robinson. Selon le demandeur, vu que Paula Robinson avait été recrutée en application des pratiques du demandeur en matière d'embauche pour les employés occasionnels, l'arbitre a contredit sa propre conclusion.
[29] Deuxièmement, l'arbitre a conclu que la présentation de curriculum vitae falsifiés par le demandeur à d'autres ministères n'était pas pertinente en l'espèce et qu'en conséquence l'employeur ne pouvait pas alléguer l'inconduite et prendre des mesures disciplinaires contre le demandeur. L'arbitre a cependant conclu que l'inconduite était une question pertinente. Au paragraphe 133 de ses motifs, elle a écrit : _ [...] le fait qu'il croyait mériter d'obtenir un meilleur emploi sous de fausses représentations est déconcertant _. L'arbitre a conclu qu'une telle croyance _ [...] peut refléter un problème plus aigu, à savoir la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de juger de ce qu'on peut attendre de lui en qualité de gestionnaire et d'agent de dotation ainsi que de ce qui constitue une conduite acceptable, conformément aux règles applicables à la dotation. Je conclus donc que l'employeur avait raison d'imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s'estimant lésé dans ce contexte. _
[30] Le demandeur prétend que cette conclusion est non seulement erronée, mais qu'elle témoigne d'une partialité à son encontre et qu'elle n'est fondée ni en fait ni en droit. Le demandeur soutient que la partialité est davantage illustrée au paragraphe 142 des motifs de l'arbitre où elle a écrit : _ [...] Je suis étonnée que quelqu'un puisse falsifier un curriculum vitae et plus étonnée encore que ce quelqu'un soit une personne qui travaille comme gestionnaire dans le domaine des ressources humaines _. Par ailleurs, le demandeur prétend que l'arbitre ne comprend pas la preuve produite, soit que son poste bénéficie du principe de l'ancienneté et, en conséquence, est réputé répondre aux exigences d'études universitaires lors d'un processus de sélection.
[31] Le défendeur prétend que l'arbitre a soigneusement résumé, évalué et apprécié la preuve produite et qu'après avoir tenu compte de toutes les circonstances atténuantes que l'avocat a alléguées, elle a conclu que le demandeur avait, par sa propre inconduite, rompu la relation d'emploi. L'arbitre était d'accord avec l'employeur que _ la confiance qu'il avait en ce fonctionnaire qu'il a pourtant apprécié a été durement sapée et que le risque de récidive est élevé _. La décision de l'arbitre était en conséquence à la fois raisonnable et fondée sur la preuve.
[32] Le défendeur prétend en outre que l'arbitre a noté à juste titre que le demandeur a continué à dire que sa conduite était normale et a refusé d'accepter une sanction quelconque pour ses actes. L'arbitre a fait remarquer que _ [...] durant toute cette affaire, voire à l'audience sur ses griefs, il a été incapable de se rendre compte qu'il avait mal agi parce qu'il considère sa conduite comme sans reproche _. Le défendeur soutient que l'absence de capacité de réhabilitation peut être un facteur pour savoir s'il faut intervenir dans la mesure disciplinaire imposée. Comme cela est affirmé dans l'ouvrage qui fait autorité en droit du travail canadien, Donald Brown, c.r. et David Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., Toronto, Canada Law Book, 2002, au paragraphe 7:4422 :
[TRADUCTION]
Réciproquement, lorsque les arbitres peuvent déduire du refus du plaignant de reconnaître l'exactitude des faits, ou du refus de reconnaître le caractère fautif de sa conduite [...] ou lorsque le risque de récidive est très élevé [...] ce qu'ils conçoivent comme une absence de capacité de réhabilitation, ils ont considéré cela comme un facteur pour décider s'il faut ou non exercer leur pouvoir discrétionnaire afin de modifier la mesure disciplinaire imposée.
[33] Par conséquent, la décision de l'arbitre de ne pas réintégrer le demandeur n'était pas manifestement déraisonnable, mais correcte. Pour ces motifs, le défendeur prétend que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
[34] Premièrement, je ne suis pas d'accord que l'arbitre ne connaissait pas la structure administrative du Centre de services des ressources humaines civiles. Bien qu'elle désigne parfois le poste du demandeur comme étant un poste de gestion en autonomie, elle désigne correctement le poste du demandeur tout au long de sa décision. Par exemple, au paragraphe 21 de sa décision, elle fait remarquer que le demandeur était un des six agents de dotation qui relevaient de Paul Hartigan, l'agent supérieur. Elle voit clairement qu'il n'est pas gestionnaire et qu'effectivement il rend compte à un supérieur hiérarchique. Par ailleurs, l'arbitre fait remarquer dans le même paragraphe que _ [...] la nature de leur travail les oblige aussi à travailler à l'extérieur du bureau, à fonctionner en autonomie et à ne pas être directement supervisés, hormis des échanges avec leur supérieur immédiat. Le niveau de confiance accordé aux titulaires des postes de ce genre est donc très élevé. _ En conséquence, même si l'arbitre dit parfois que le poste du demandeur est par nature un poste de gestion, je ne peux conclure que l'arbitre a mal compris la nature du poste du demandeur ou qu'elle a commis à cet égard une erreur grave. Vu que le demandeur travaillait en grande partie sans supervision et qu'il fallait à son égard un degré de confiance très élevé, sa qualification du poste était raisonnable et équitable.
[35] Deuxièmement, je ne peux convenir avec le demandeur que l'arbitre s'est contredite en décidant que l'employeur avait à bon droit pris une mesure disciplinaire contre le demandeur pour l'embauche de Paula Robinson. L'arbitre n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur a fait preuve de favoritisme dans l'embauche de Pauline Robinson. Le recrutement d'employés occasionnels faisait partie intégrante du mandat et des responsabilités du demandeur en tant qu'agent de dotation. Il était raisonnable de la part de l'arbitre de rejeter la justification avancée par le demandeur qu'il n'était pas informé de la politique.
[36] La conclusion de l'arbitre que les tentatives du demandeur pour cacher les motifs du recrutement de Robinson étaient en soi une reconnaissance de leur caractère irrégulier était fondée, compte tenu des circonstances, et n'était certainement pas manifestement déraisonnable.
[37] Troisièmement, le demandeur soutient que l'arbitre a commis une erreur, en décidant dans un premier temps que la question de la présentation par le demandeur de curriculum vitae falsifiés à d'autres ministères n'était pas pertinente en l'espèce et que l'employeur ne pouvait pas alléguer l'inconduite d'un employé pour prendre des mesures disciplinaires contre un employé, et en décidant par la suite comme conséquence de l'incident en question que la mesure disciplinaire était justifiée. L'arbitre a conclu que le problème le plus important avait trait à la capacité du plaignant comme agent de dotation de décider de ce qu'on attend de lui et de ce qu'est une conduite correcte au regard de la politique d'embauche.
[38] Le demandeur soutient que pour avoir une incidence sur les mesures disciplinaires, la conduite de l'employé en dehors du cadre d'emploi devrait répondre aux critères contraignants énoncés dans Re Millhaven Fibres Limited., Millhaven Works and Oil, Chemical and Atomic Workers Int'l, Local 9-670 (1967), (1A) Union Management Arbitration Cases 328 (Anderson). Le demandeur prétend que l'employeur n'a pas répondu aux critères de Millhaven. Les questions suivantes résument les critères de Millhaven :
1. La conduite du plaignant a-t-elle nui à la réputation ou au produit de l'employeur?
2. La conduite du plaignant l'empêche-t-elle de remplir de manière satisfaisante ses fonctions en tant qu'employé?
3. La conduite du plaignant amène-t-elle les autres employés à un refus, une réticence ou une incapacité de travailler avec lui?
4. Le plaignant a-t-il été déclaré coupable d'une violation grave du Code criminel et cette conduite est-t-elle préjudiciable à la réputation générale de l'employeur et de ses employés?
5. La conduite du plaignant a-t-elle rendu difficile à l'employeur de gérer efficacement ses activités et de diriger son personnel de façon efficace?
[39] La preuve que la conduite du demandeur rendrait difficile à l'employeur la gestion efficace de ses activités pourrait être présentée, répondant ainsi au cinquième critère de Millhaven. Je suis cependant d'avis que l'applicabilité des critères de Millhaven à l'espèce n'est pas déterminante. La conduite de l'employé, soit la préparation et la présentation d'un curriculum vitate falsifié pour s'assurer un meilleur emploi, est si intimement liée à ses fonctions en tant qu'agent de dotation que des mesures disciplinaires sont justifiées même si les critères de Millhaven ne sont pas respectés. Examiner et interpréter les curriculum vitae et les demandes d'emploi est au coeur du mandat du demandeur. À mon avis, l'employeur est parfaitement justifié de perdre confiance en un agent de dotation qui, pendant ses heures libres, a frauduleusement tenté d'obtenir un emploi. Une telle activité remet non seulement en question son jugement mais compromet sa capacité de remplir ses fonctions avec intégrité. Dans ces conditions, lorsque le lien de confiance envers l'employé est rompu, il n'est pas déraisonnable pour un employeur de décider qu'un tel employé ne peut occuper aucun poste dans son organisation. Vu les circonstances, la décision de l'arbitre de grief que la mesure disciplinaire relative à la préparation de curriculum vitae falsifiés était justifiée n'est pas manifestement déraisonnable.
[40] L'arbitre a conclu sur la prépondérance des probabilités que, vu les nombreuses inconduites du demandeur, l'employeur avait des motifs valables pour imposer des mesures disciplinaires. L'arbitre a clairement décidé que le risque de récidive était élevé vu les nombreux autres comportements malhonnêtes et les actes de désobéissance et, en se fondant sur les principes de droit du travail généralement acceptés, comme l'a fait remarquer le défendeur, elle a décidé que la relation employeur-employé a été irrémédiablement rompue et que le congédiement était justifié. Cette conclusion est fondée sur la preuve produite et elle n'est pas manifestement déraisonnable.
[41] Je suis également d'avis que l'arbitre avait compétence pour accorder une rémunération de six mois plutôt que de réintégrer le demandeur et que sa décision de ce faire n'était pas manifestement déraisonnable.
Conclusion
[42] Vu la norme de contrôle applicable, celle de la décision manifestement déraisonnable, je ne peux conclure que l'arbitre a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en rendant sa décision. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. la demande de contrôle judiciaire de la décision de Anne E. Bertrand, arbitre de grief, rendue le 18 mars 2002, soit rejetée.
_ Edmond P. Blanchard _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1264-02
INTITULÉ : CARL S. GANNON
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : LE 31 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Carl S. Gannon POUR LE DEMANDEUR
Richard Fader POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Carl S. Gannon POUR LE DEMANDEUR
Conseil du Trésor POUR LE DÉFENDEUR
Services juridiques
Ottawa (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Dossier : T-1264-02
ENTRE :
CARL S. GANNON
demandeur
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LE CONSEIL DU TRÉSOR
(LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE