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Date : 20040804

Dossier : IMM-3982-03

Référence : 2004 CF 1064

Montréal (Québec), le 4 août 2004

Présent :          Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                                 ALLA REVICH

KONSTANTIN REVICH

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 3 juin 2003, la Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement de la demande d'asile de Mme Alla Revich (demanderesse) et de son fils, Konstantin Revich (demandeur). La présente demande de contrôle judiciaire vise cette décision de désistement.


FAITS

[2]                Mme Alla Revich, son fils Constantin et sa fille Eugenia ont présenté ensemble une demande d'asile comme réfugiés au sens de la Convention. D'origine russe, ils ont émigré en Israël en 1993 et sont devenus citoyens israëliens. Ils allèguent avoir été persécutés là-bas en raison de leur origine russe et de leur amitié pour des personnes arabes.

[3]                L'audience sur la demande du statut de réfugié devait avoir lieu le 10 mars 2003. La demanderesse a laissé savoir à son avocat, le jour de l'audition, qu'elle et son fils ne pourraient y être parce qu'ils étaient trop malades, et se rendaient chez le médecin pour une consultation. Le président du tribunal a choisi de procéder avec l'audience puisque la fille de la demanderesse était présente. Une audience a été fixée pour le 14 mai 2003, pour permettre à la demanderesse et à son fils d'expliquer pourquoi le désistement de leur demande ne devrait pas être prononcé.

[4]                Lors de leur comparution, le 14 mai, les demandeurs ont présenté un certificat du médecin, daté du 10 mars 2003, qui indiquait que les demandeurs étaient malades du 3 au 12 mars. Le médecin a également prescrit des médicaments. L'ordonnance, d'après la preuve documentaire provenant de la pharmacie, n'a été remplie que le 13 mars 2003.


[5]                Ces deux faits, soit le congé pré-daté et l'ordonnance remplie le lendemain du congé prévu par le médecin, sont les raisons données par le président du tribunal pour prononcer le désistement. Le président trouve difficile de croire un document créé pour les fins de l'école - les demandeurs suivent des cours et doivent justifier leur absence - et surtout, il ne peut croire que la maladie était si grave si l'ordonnance n'est remplie que trois jours après la visite chez le médecin.

[6]                La demanderesse a expliqué qu'elle et son fils devaient avoir un certificat du médecin pour l'école, sinon, ils risquaient de ne plus avoir droit de fréquenter l'école (dans le cas de son fils) ou les cours pour adultes (dans son cas). Elle a également expliqué qu'il n'avait pas été nécessaire de remplir l'ordonnance sur-le-champ, puisque le médecin leur avait fourni des médicaments lors de leur visite, qui avaient duré les trois jours d'intervalle entre l'obtention de l'ordonnance et son exécution. Enfin, elle a affirmé qu'ils étaient tellement malades le 10 mars qu'ils avaient préféré aller chez le médecin que de se présenter pour leur audience.

[7]                L'avocat de la demanderesse a également manifesté, lors de l'audience, qu'il était prêt à procéder sur le fond de la demande d'asile.

QUESTION EN LITIGE

[8]                Le prononcé du désistement est-il entaché d'une erreur qui justifie l'intervention de la Cour fédérale?


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur l' immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27


168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.


Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002-228)



58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.


ANALYSE

[9]                Les Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles) prévoient clairement comment la Section doit procéder lorsqu'elle envisage prononcer le désistement lorsque les étapes préliminaires ont été franchies. Le ton est impératif (indicatif en français, emploi de must en anglais) : la Section doit donner au demandeur l'occasion d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé, doit prendre en considération les explications du demandeur, et doit également tenir compte de tout autre facteur pertinent, et en particulier, de la volonté du demandeur de poursuivre l'affaire.


[10]            Dans la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1ère inst.), qui portait également sur une affaire de désistement, le juge Lemieux a conclu que la norme de contrôle à appliquer dans le cas d'une décision de la Section de prononcer le désistement est celle de la décision raisonnable simpliciter :

Dans l'arrêt Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé a ajouté à l'arrêt que la Cour suprême avait rendu dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 [motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222]. Compte tenu de l'analyse qui a été faite dans ces deux arrêts, de l'absence d'une clause privative, de l'objet du contrôle judiciaire (question de droit par opposition à expertise d'enquête factuelle) et de l'objectif que vise la disposition, je conclus que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable simpliciter. À mon avis, le fondement de la décision de la SSR ne suppose pas de considérations principalement juridiques, par exemple, l'interprétation d'une disposition législative, ni de conclusions de fait à l'égard desquelles l'alinéa 18(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] exigerait que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue. En l'espèce, le fondement de la décision est une question à la fois de fait et de droit. [par. 27]

[11]            Autrement dit, il s'agit de vérifier si la décision de la Section peut résister à une étude approfondie, comme l'explique le juge Iacobucci dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56:

Ce critère [caractère raisonnable de la décision] doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

[12]            Le juge Lemieux dans Ahamad, précité, résume la position de notre Cour en matière de désistement au paragraphe 32 de sa décision :


Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Alegria-Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé).

[13]            Depuis l'arrêt Ahamad, les Règles ont été modifiées. La règle 32 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, qui s'appliquait à l'époque, se lisait comme suit :

32. (1) Avant de conclure au désistement d'une revendication ou d'une demande conformément aux paragraphes 69.1(6) ou 69.3(2) de la Loi, la section du statut signifie aux parties un avis de convocation, les convoquant à une audience relative au désistement.

(2) L'avis de convocation signale aussi aux parties que, si la section du statut ne conclut pas au désistement au terme de l'audience relative au désistement, elle commencera ou reprendra sans délai l'audience relative à la revendication ou à la demande.

[14]            Comme nous l'avons vu, la règle actuelle précise bien davantage les obligations de la Section pour assurer une décision juste.

[15]            La jurisprudence prévoit que la question que doit se poser la Section est de savoir si le demandeur avait véritablement l'intention de se désister. Les Règles prévoient que la Section prenne en considération les explications données, et tienne compte de la disposition à procéder.

[16]            En l'espèce, la revendicatrice n'a pas agi comme une personne indifférente à l'égard du sort de sa demande. Elle a informé son avocat de son absence, elle a consulté un médecin, qui a confirmé la gravité de son état de santé. Elle s'est présentée avec la preuve documentaire nécessaire à l'audience sur le désistement. Elle a expliqué, de façon raisonnable, pourquoi elle n'avait pas immédiatement rempli l'ordonnance.

[17]            Le président du tribunal achoppe sur ce point unique : l'ordonnance n'a pas été remplie à la sortie du bureau du médecin.

... si vous avez remarqué, Maître, je n'ai pas dit qu'il s'agissait d'un certificat de complaisance parce que j'en n'avais pas la preuve. Cependant, ce que j'ai dit, ce que je vous dis, c'est que le témoignage qui m'a été fourni par les demandeurs suite à mes questions concernant ces certificats-là, la date, comment... et surtout, ce qui est majeur pour moi, dans mon esprit, c'est que quand on va chez un médecin et qu'on se fait donner une ordonnance pour avoir des médicaments, qu'on fasse remplir cette ordonnance-là trois jours après, alors que, au surplus, c'est à l'extérieur du congé qui a été accordé. Donc, pour le docteur Vartanian, il estimait, dans sa science, que suite à sa visite du 10, à partir du 13, les gens étaient capables de travailler et d'aller à l'école, et que là, on va faire compléter l'ordonnance le lendemain de la fin du congé, trois jours après la visite médicale, c'était les raisons qui avaient été déterminantes pour en arriver à prendre la décision de considérer que Madame (...)

J'en arrivais à la conclusion. Qu'il y avait eu manque dans la poursuite de la revendication, d'un sérieux dans la poursuite de la revendication, parce que je n'ai pas retenu les explications qui m'ont été fournies et les documents étant donné que, àa sa face même, semble-t-il que quand on a posé un geste d'aller consulter un médecin, on n'a pas suivi ses recommandations.

Alors c'est à se demander quels étaient les motifs poursuivis par la demanderesse, je ne le sais pas. Mais dans les circonstances, le tribunal conclut au désistement. (...)

[18]            Le président écarte tout simplement l'explication de la demanderesse, qu'elle avait reçu du médecin une dose suffisante pour trois jours. Il n'explique pas pourquoi il écarte l'explication, et surtout, il ne semble pas tenir compte du fait que l'avocat de la demanderesse est prêt à procéder sur le fond de la demande. Pour reprendre l'expression du juge Iacobucci dans Southam, précité, le présidente tire « une inférence non valable » de la preuve pour conclure au désistement. Vu la norme de contrôle applicable en l'espèce, je crois que la Cour peut et doit intervenir.

[19]            Je suis d'avis que le président a fait erreur, tant en raison du libellé des Règles que de la jurisprudence sur le désistement, et qu'il y a lieu d'accueillir le contrôle judiciaire.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

-           la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

-           la décision selon laquelle le demandeur s'était désisté de sa demande soit annulée;

-           l'affaire soit renvoyée à une formation différemment constituée de la Section du statut de réfugié pour qu'elle statue à son tour sur la revendication du statut de réfugié des demandeurs;

-           aucune question ne soit certifiée.

                       « Pierre Blais »                      

                                   juge                              


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-3982-03

INTITULÉ :               ALLA REVICH

KONSTANTIN REVICH

                                                                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 4 août 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                   le 4 août 2004

COMPARUTIONS:

Me Michel LeBrun                                            POUR LES DEMANDEURS

Me Michel Pépin                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Michel LeBrun                                            POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR


Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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