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Date : 2000425


Dossier : T-759-99

Entre :

     MARCO LAMARRE

     Demandeur

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     BASE DES FORCES CANADIENNES

     VALCARTIER ET BAGOTVILLE

     Défendeurs

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


L"HONORABLE JUGE NADON


[1]      Le demandeur attaque une décision rendue le 23 mars 1999 par l"honorable Arthur C. Eggleton, le ministre de la Défense nationale ("le Ministre"), qui refusait de considérer une demande de réparation d"injustice ("la demande de réparation") déposée par le demandeur au mois de décembre 1997 sous l"article 29 de la Loi sur la défense nationale , S.R (1985), ch. N-5. La lettre du Ministre se lit comme suit:

Je vous remercie de votre lettre du 16 décembre 1998 dans laquelle vous me demandez de soumettre votre grief du 16 décembre 1997 au Gouverneur en conseil. Je vous prie d"excuser le retard mis à vous répondre.
J"aimerais vous signaler que, le 22 octobre 1998, j"ai répondu à la lettre que votre député, M. Marchand, m"avait fait parvenir à votre sujet et dans laquelle il m"invitait à me prononcer sur le bien-fondé de votre grief. Je lui ai alors indiqué que, puisque vous n"étiez plus membre des Forces canadiennes en décembre 1997, vous n"étiez pas admissible, en vertu de la Loi sur la défense nationale , à présenter une demande de réparation d"injustice. Vous trouverez d"ailleurs ci-joint, à titre d"information, une copie de ma réponse à M. Marchand.
Un nouvel examen de votre dossier n"a fait que confirmer la position communiquée à votre député en octobre dernier. De plus, pendant que vous étiez membre des Forces canadiennes, vous n"avez pas déposé de demande de réparation d"une injustice au sens de l"article 29 de la loi et de l"article 19.26 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes , et il n"existe actuellement aucune requête sur laquelle le Ministère pourrait se prononcer.
En ce qui a trait à la décision rendue le 13 novembre 1997 par le juge Yves Alain, de la Cour supérieure du Québec, je tiens à vous préciser ceci. Il est vrai que le juge Alain mentionnait qu"un militaire doit épuiser tous les recours prévus en vertu de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale avant de se pourvoir devant les tribunaux civils. Toutefois, il ne pouvait vous reconnaître des droits que vous n"aviez pas en vertu de cette loi ni vous redonner des droits que vous n"aviez pas exercés.
Par ailleurs, je voudrais vous souligner que les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes ont été modifiés le 2 décembre 1994. Depuis cette date, aucun grief n"est transmis au Gouverneur en conseil, puisque le ministre de la Défense nationale constitue le dernier palier de la procédure.
Pour toutes ces raisons, je ne peux donc accéder à votre demande d"examiner votre cas.
Je vous prie d"agréer, Monsieur, l"expression de mes sentiments les meilleurs.

[2]      Tel qu"il appert de la lettre du Ministre, ce dernier a rejeté la demande de réparation du demandeur au motif que celui-ci n"était pas un membre des Forces armées canadiennes ("F.A.C.") lorsqu"il a déposé sa demande de réparation au mois de décembre 1997.

[3]      La position du demandeur est fort simple. Il prétend qu"il a déposé des griefs pour harcèlement et abus de pouvoir en 1992, alors qu"il était un militaire à la base de Baden-Baden en Allemagne, et que ces griefs constituent sa demande de réparation. En d"autres mots, le dépôt de son document daté le 16 décembre 1997, intitulé "GRIEFS-PLAINTES-RÉCLAMATION", n"est que la continuation des griefs déposés en 1992.

[4]      Le défendeur est en désaccord complet avec la position du demandeur. Il prétend que la plainte de harcèlement déposée par le demandeur en 1992 ne constitue pas une demande de réparation au sens de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale , qui se lit comme suit:

29. Sauf dans le cas d'une affaire pouvant régulièrement faire l'objet d'un appel ou d'une demande en révision aux termes de la partie IX, ou d'une demande ou d'un appel aux termes de la partie IX.1, l'officier ou le militaire du rang qui s'estime lésé d'une manière ou d'une autre peut, de droit, en demander réparation auprès des autorités supérieures désignées par règlement du gouverneur en conseil, selon les modalités qui y sont fixées.

[5]      Je me dois de relater certains faits afin de permettre une meilleure compréhension du débat entre les parties. Le 3 juillet 1983, le demandeur est assermenté au sein des F.A.C. Le 30 juin 1990, il est muté au service de l"OTAN, base des F.A.C., à Baden-Baden. Au mois de janvier 1992, le demandeur dépose des griefs-plaintes relativement à la conduite de certains officiers. Plus particulièrement, le demandeur allègue qu"il est victime de harcèlement et d"abus de pouvoir de la part du Sgt Breault et du Cpl C P.G. O"keefe. Au mois d"avril 1992, le demandeur est transféré à la section 9BF sous les ordres du Cpl C. McNab. Plus tard, le demandeur est transféré à la section 6DC. Au mois de mars 1993, le demandeur est transféré à la base Valcartier de Québec. Finalement, le 16 mars 1994, le demandeur est libéré des F.A.C.

[6]      Le 6 mars 1997, le demandeur dépose une action en dommages et intérêts contre Sa Majesté la Reine en droit du Canada devant la Cour supérieure de la province de Québec pour congédiement injustifié. Le 18 novembre 1997, la Cour supérieure rejette l"action du demandeur au motif que son action est irrecevable. Le 16 décembre 1997, le demandeur dépose le document intitulé "GRIEFS-PLAINTES-RÉCLAMATION". Ce document est déposé à la base des F.A.C. de Valcartier et est remis au capitaine G. Bouchard. Le 23 mars 1999, le Ministre rejette la demande de réparation du demandeur.

[7]      À la fin de l"audition de la demande de contrôle judiciaire du demandeur à Québec, le 13 avril 2000, j"ai avisé les parties que la demande serait rejetée pour les motifs suivants.

[8]      Le demandeur avait le fardeau de démontrer qu"il avait bel et bien déposé sa demande de réparation au sens de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale avant sa libération des F.A.C. Le demandeur n"a pas réussi à faire une telle démonstration. Il n"y a aucune preuve devant moi qu"une demande de réparation au sens de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale a été déposée avant la libération du demandeur. Il est important de noter le paragraphe 5.1 de la demande de réparation du demandeur datée le 16 décembre 1997. Ce paragraphe se lit comme suit:

5.1 Janvier1992, le requérant formula les griefs - les plaintes avec l"assistance du Sgt J.C.F. Fisette qui était un des seul [sic ] gestionnaire [sic] qui prenait la situation avec professionnalisme, soit 32 points de harcèlements et d"abus de pouvoir contre Sgt G.L. Breault et le Cpl C P.G. O"keefe, ses superviseurs immédiats.

[9]      Tel que je l"ai indiqué plus tôt, le document auquel fait référence le paragraphe 5.1 constitue, selon le demandeur, le dépôt d"une demande de réparation avant sa libération des F.A.C.. Étrangement, le demandeur n"a déposé aucune copie de ce document. De plus, il n"a nullement expliqué ou tenté d"expliquer dans son affidavit pourquoi ce document n"était pas disponible. Lors de l"audition, j"ai demandé au procureur du demandeur pourquoi son client n"avait pas obtenu un affidavit du Sgt Fisette qui, selon les dires du demandeur, l"avait aidé à rédiger un document comportant 32 points de harcèlement et d"abus de pouvoir. La réponse du procureur du demandeur en est une qui m"a surpris, à savoir que le demandeur considérait que c"était au défendeur de produire ce document. À mon avis, cette position est sans mérite. Le fardeau de démontrer qu"il avait déposé une demande de réparation avant sa libération reposait sur le demandeur et, comme je l"ai indiqué plus tôt, il n"a su rencontrer ce fardeau.

[10]      Il est aussi important de se rappeler que le demandeur a été libéré des F.A.C. le 16 mars 1994 et qu"il a déposé son action contre Sa Majesté la Reine en droit du Canada au mois de mars 1997, soit trois ans après sa libération. Ce n"est qu"à la suite du rejet de son action en Cour supérieure du Québec qu"il a déposé sa demande de réparation en date du 16 décembre 1997. Compte tenu de ces faits, il est difficile de croire que le demandeur aurait déposé une demande de réparation en 1992. Ce qui est aussi surprenant est que le demandeur a été incapable de donner quelque détail que ce soit concernant son prétendu grief, sauf pour l"allégué au paragraphe 5.1 du document daté le 16 décembre 1997. Je suis entièrement d"accord avec les prétentions du défendeur qui apparaissent aux paragraphes 42, 43 et 44 de son mémoire, lesquels se lisent comme suit:

42. Si le demandeur avait logé un grief au sens de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale , il y aurait eu de la correspondance sur ce grief, des accusés de réception, des réponses écrites. Il semble impossible qu"aucune trace n"en ait été laissé dans le fichier du grief PPE 831 puisque ceux-ci sont conservés au minimum 5 ans après la date de la dernière décision administrative prise dans le dossier;
43. Le défendeur soumet de plus qu"il paraît invraisemblable que le demandeur n"ait gardé aucune copie de cette documentation, accusé de réception ou même copie des réponses écrites qu"il aurait reçu des autorités de redressement, et ce pour aucun des deux griefs qu"il allègue avoir fait en 1992.
44. Si le prétendu grief logé en 1992 avait suivi la procédure de redressement d"un grief, le demandeur aurait eu à demander aux autorités de lui à [sic ] fournir des motifs pour justifier la suspension de son prétendu grief. Si accordée, l"autorité de redressement, alors saisie de sa demande de redressement, l"aurait avisé par écrit de sa suspension.

[11]      Par conséquent, j"en viens à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire du demandeur doit être rejetée.

     Marc Nadon

     Juge

O T T A W A (Ontario)

le 25 avril 2000.

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